Les antihéros

Le club de Valence a le plus petit budget de Primera Division mais épate le monde du foot espagnol.

Le film est un buzz sur YouTube. Sergio Ballesteros, âgé de 36 ans, pèse 93 kg. Malgré sa masse, il pique un sprint de 30 mètres, à la poursuite d’un long ballon, à peu près en même temps que Cristiano Ronaldo. Surprise générale quand Ballesteros arrive le premier au ballon.  » Quién ha dicho que es lento ? « , s’interroge la voix du système. Or, c’est l’image qu’on a toujours eue de Ballesteros : lent, empoté, maladroit. Un bûcheron au cou à la Mike Tyson, qui fonce à travers la Liga comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Pourtant, il est l’idole des supporters de Levante. Il est l’antihéros qui personnifie l’âme de l’équipe : intelligent, il ne renonce jamais et garde les pieds sur terre.

A Ciutad de Valencia, le port d’attache de Levante, des banderoles font déjà leur apparition :  » Ballesteros, Seleccion ! « . Le Bouddha de Burjasot – sa ville natale – en équipe nationale ? Il faut s’y faire mais ce n’est pas aussi tiré par les cheveux que ça en a l’air. Ce n’est pas un hasard si Ballesteros est le leader d’une des meilleures défenses de Liga. Il forme avec Javi Venta (35 ans), Nano (31 ans), Juanfran (35 ans) et le gardien Munua (33 ans) un bloc sur lequel les lignes d’attaque adverses se cassent les dents. Par ailleurs, 12 joueurs sur les 24 que compte le noyau ont dépassé la trentaine et l’âge moyen des 14 joueurs le plus souvent titularisés est de 31 ans…

La boîte de Garcia

Bien que le club existe depuis 102 ans, il dispute seulement sa septième saison parmi l’élite. Los Granotes – les grenouilles – ont signé leur meilleur résultat en 1964, terminant dixièmes du championnat. En 2004, après une absence de près de 40 ans, ils ont fait leur réapparition en Primera Division, avant de redescendre immédiatement à l’échelon inférieur. En 2006, ils sont remontés et ont résisté deux saisons. En 2010, lorsqu’ils sont à nouveau remontés, on les a immédiatement catalogués candidats à la rétrogradation. La saison dernière, le club voisin du FC Valence a d’ailleurs longtemps paru voué à ce funeste destin. Après 20 journées, Levante s’est retrouvé lanterne rouge avec seulement quatre victoires. Puis il a connu un fantastique revirement et a remporté huit des douze matches suivants.

Quand on interroge les observateurs sur la clef du succès de Levante, tous les doigts pointent vers un homme, le jeune entraîneur Luis Garcia Plaza.  » Son approche psychologique et son inventivité sont très importantes « , a témoigné Ballesteros la saison passée. Garcia a la réputation d’un motivateur. Il insiste sur la solidarité et le collectif. Ainsi, il lui arrive de couvrir d’un bandeau les yeux d’un joueur dont le seul soutien est un coéquipier qui doit le guider de la parole dans un exercice. Une fois, en route vers un match, Garcia a montré une vidéo du team Hoyt, un père et un fils qui participent ensemble à des triathlons et à des marathons. Vous direz que ça n’a rien de particulier si ce n’est que le père Dick court tandis que son fils Rick, qui souffre de paralysie cérébrale, se déplace en chaise roulante… C’est un exemple de sacrifice extrême, donc. C’est exactement ce que Garcia attend de ses footballeurs. Il les a déjà obligés à escalader un mur. Une fois en haut, ils ont dû fermer les yeux et se laisser tomber en arrière, dans les bras de leurs coéquipiers restés en bas.

La technique de motivation de Garcia est spéciale. Un exemple : avant un match, il a ouvert une boîte mystérieuse, trônant depuis le début de la semaine dans le vestiaire. Pendant sept jours, à l’insu des joueurs, les supporters ont eu accès au stade pour laisser des messages personnels dans la boîte. Juste avant le match, Garcia a ouvert la boîte et lu les messages les uns après les autres, répétant des mots d’encouragement et d’esprit de groupe.

22 millions

Juan Ignacio Martinez, qui a succédé cet été à Garcia, parti à Getafe, a reçu une équipe soudée. Il a poursuivi sur la lancée de son prédécesseur. Cet autodidacte de 47 ans est alors un illustre inconnu. Il n’a pas la moindre expérience de la PrimeraDivision : il a entraîné quatre ans en D2 et vient de vivre une saison en D3. Les supporters l’accueillent d’ailleurs avec un brin de scepticisme, vite balayé. Comme Garcia, Martinez sait pertinemment que le petit Levante doit miser sur l’organisation et l’esprit d’équipe. Le noyau est techniquement limité, composé de joueurs dont les autres n’ont pas voulu. Un de ces footballeurs en disgrâce n’est autre que l’attaquant ivoirien Arouna Koné, bien connu au Lierse. En l’espace de trois saisons au FC Séville, il n’a royalement inscrit qu’un but et a été loué pour un an. Le football de contre de Levante lui va comme un gant et il a annoncé qu’il ne reviendrait pour rien au monde à Séville.

Levante n’a pas les moyens d’effectuer des transferts ronflants. Son budget de 22 millions d’euros est le plus modeste de la D1. Il est vingt fois inférieur à celui du Real (500 millions) ou de Barcelone (485 millions). La moitié est consacrée au remboursement des dettes, un héritage de quelques présidents mégalomanes.

En parlant de folie des grandeurs, l’été dernier, Malaga a déboursé 60 millions en transferts. C’est plus que tout ce que Levante a dépensé durant toute son histoire. En prévision de cette saison, le second club de Valence n’a enrôlé que Miguel Pallardo, pour 150.000 euros, et Pedro Lopez, pour 60.000. La masse salariale de l’ensemble de l’équipe s’élève à environ 6,5 millions. Cristiano Ronaldo et Lionel Messi gagnent au moins le double. Soyons clairs : Levante vit selon ses moyens et pour le moment, il s’en porte très bien.

PAR STEVE VAN HERPE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

La masse salariale de l’équipe s’élève à 6,5 millions. Messi et Ronaldo gagnent au moins le double.

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