Les anti-prophètes

Ce qu’on leur reproche dans leur pays.

DOMENECH

C’est Gérard Houllier que les Français préfèrent : 30 % des personnes interrogées en font leur chouchou, parmi tous les entraîneurs de ce pays. Le coach des Bleus arrive loin derrière avec 9 % des voix. Raymond Domenech est en poste depuis 2004 et il aurait été dégagé après la Coupe du Monde 2006 en cas de mauvais parcours. Mais l’accession à la finale a changé la donne et il a pu rempiler jusqu’en juin 2010.

1. Sa sélection contestée

Il faut oser laisser à la maison Djibril Cissé, Philippe Mexès et David Trezeguet. Certains ont trouvé ces choix courageux. Comme le fait d’avoir écarté Mickaël Landreau, le gardien qui était le capitaine et l’homme de confiance de Domenech quand il entraînait les Espoirs. Pour ces pro-Domenech, c’était le signe que le coach ne s’embarrassait pas de considérations personnelles. On a aussi signalé que quand Trezeguet était titulaire, la France perdait dans 75 % des cas. Mais après les deux premiers matches de l’EURO, ceux qui donnaient raison au coach étaient déjà nettement moins nombreux…

2. Son béton

La griffe Domenech, c’est une prise de risques très limitée. Etonnant quand on a à sa disposition Franck Ribéry, Samir Nasri, Karim Benzema, Nicolas Anelka, Thierry Henry,… Avant le match France-Pays-Bas, Marco van Basten a ironisé en disant que le foot français était encore plus défensif et négatif que le jeu italien, que la France était l’équipe la plus ennuyeuse du groupe de la mort. Domenech avoue que son maître à penser est Aimé Jacquet qui a conduit la France au titre mondial 1998 avec un jeu peu spectaculaire. Au Mondial 2006 avec Domenech, les Bleus n’ont été séduisants que contre l’Espagne.

Mais Domenech (ancien défenseur) ne décide pas seul de la façon dont l’équipe de France va jouer. Il consulte en permanence 5 barons : Willy Sagnol, Lilian Thuram, Patrick Vieira, Claude Makélélé et Henry. Soit 4 défensifs et un seul attaquant. Le business des défensifs, c’est de ne pas prendre de but. Et quand Henry signale, en petit comité, que lui voudrait bien en marquer, il paie le fait d’être en infériorité… Du temps de Jacquet, c’était Didier Deschamps qui faisait la pluie et le beau temps. Un démolisseur.

La France de l’ère moderne n’a pas toujours été aussi négative. Dans les années 80, le maître à penser était Michel Platini ; l’entraîneur de l’époque, Michel Hidalgo, s’abreuvait de ses consignes. Il avait des conceptions offensives facilitées par la présence dans l’équipe d’autres artistes comme Bernard Genghini, Jean Tigana, Alain Giresse,… Et à l’EURO 2000, l’équilibre était parfait entre attaque et défense, avec Roger Lemerre. Les Français parlent toujours de cette équipe comme de la plus brillante de leur histoire. Trois joueurs clés (offensifs) étaient au sommet de leur art : Zinédine Zidane, Henry et Anelka. Et Trezeguet a tué des matches cruciaux (dont la finale) quand Lemerre l’a lancé.

3. Son absence de rajeunissement

Quand Domenech arriva au poste de coach des Bleus en 2004, la décision n’était pas innocente. L’homme venait de terminer un long bail comme entraîneur des Espoirs (1993-2004) et était censé bien connaître des joueurs susceptibles de passer rapidement en équipe A. Mais le rajeunissement espéré tarde ou ne fonctionne pas et la France reste fort dépendante de plusieurs papys dont certains ont couru derrière la forme pendant toute la saison (Henry décevant au Barça, Thuram cinquième roue de la charrette dans le même club, Sagnol transparent au Bayern, Makélélé souvent joker à Chelsea… mais ce sont 4 des 5 barons et le coach n’y touche pas). Plusieurs trentenaires ne tiennent plus la distance mais conservent un crédit illimité aux yeux du patron. Quand on évoque le poste de gardien aussi, Domenech en prend pour son grade. On lui reproche d’avoir remplacé un arrière-grand-père ( Fabien Barthez) par un grand-père ( Grégory Coupet, 36 ans en décembre).

4. Son approche des médias

Les Bleus n’aiment pas la presse française, envahissante. Pour mieux se les mettre en poche, Domenech se met souvent en guerre avec ces médias. Il montre ainsi à ses hommes qu’il fait bloc. Il a déclaré un jour que l’idéal serait un football sans journalistes. On lui a alors fait remarquer que sa compagne, Estelle Denis, était une journaliste de foot. Il a répondu :  » Non, elle est animatrice « …

5. Son ironie passe mal

Après le non-match contre la Roumanie (un seul tir cadré), les critiques ont fusé et ont reproché au coach d’avoir laissé l’enjeu prendre le pas sur le jeu. William Gallas s’est lâché dans la presse. Il a déclaré que les consignes tactiques lui échappaient :  » Les défenseurs centraux avaient l’interdiction de passer la ligne médiane et les latéraux ne pouvaient pas se hasarder devant non plus. Il aurait fallu que tout le bloc joue plus haut. Il est urgent qu’on ait une bonne discussion « . Le lendemain de cette interview, Domenech affronte la presse dans le stade de Berne. C’est la veille du match contre les Pays-Bas. On l’interroge sur les propos de Gallas. Le coach botte en touche, avec le sourire et un discours ironique :  » Gallas veut qu’on parle ? Mais si on doit l’attendre pour le débriefing, il faudrait d’abord qu’il se réveille à temps. Des réunions, on en a tout le temps. J’aurais interdit aux défenseurs de monter contre la Roumanie ? Mais qu’est-ce qu’il vous a dit comme conneries ? Ou alors, oui, j’ai peut-être imposé cela, mais c’est que j’étais inconscient à ce moment-là « .

Personne n’est convaincu par ses justifications. Le jour du match contre les Hollandais, l’ancien Bleu Bixente Lizarazu recadre Domenech dans sa chronique pour L’Equipe :  » J’ai été étonné par l’échange entre Domenech et Gallas, par presse interposée, à quelques heures d’un match aussi important. Domenech a choisi l’arme de l’ironie, c’est un genre dangereux dans une situation aussi fragile. Quand une équipe se cherche, la dérision peut créer une distance préjudiciable. C’est plus que jamais le moment de se rappeler que la relation entraîneur-entraînés se fonde sur la confiance et le respect, et non sur la provocation, qui peut mener au conflit. Gallas voulait discuter, sa demande était saine et souhaitable. Domenech l’a remis à sa place, comme si Gallas avait touché à son job. Il lui a fait passer un message : -Je n’ai pas besoin de ton avis « .

6. Ses excuses futiles

En Suisse, Domenech a aussi énervé son monde quand il a commencé à tirer à vue sur la logistique. Il a critiqué les transports suisses, une pelouse d’entraînement trop sèche, le vestiaire surchauffé du stade de Zurich puis celui trop exigu du stade de Berne  » alors que les Hollandais avaient un vestiaire de dimension normale, et c’est ça qui me dérange « .

En France, ces explications ont fait sourire et fait penser au boxeur dans les cordes qui ne sait plus quelle astuce inventer pour retarder le KO.

7. Sa gestion du cas Henry

Faire cohabiter des stars mondiales, les pousser à jouer ensemble, c’est un art difficile. Pendant des années, Zidane et Henry se sont tiré dans les pattes. Ils ont joué une cinquantaine de fois ensemble en équipe de France et, une seule fois, l’un a donné un assist à l’autre : quand Zizou a servi Titi contre le Brésil au Mondial 2006. Domenech n’a jamais réussi à les mettre sur la même longueur d’onde.

Aujourd’hui, on a un cas similaire avec Ribéry qui préfère jouer avec Benzema et Anelka qu’avec Henry. Ces trois-là sont grands potes, se côtoient continuellement, s’envoient des sms à tout bout de champ. Le fait qu’ils soient tous trois musulmans contribue à cette entente. Le caractère difficile de Henry est le reste de l’explication. L’attaquant de Barcelone ne passe pas dans le groupe, fait la diva, joue les martyrs comme quand il se dit outré de ne pas encore avoir reçu un, voire deux Ballons d’Or. Il était indisponible pour le premier match de l’EURO, contre la Roumanie. Motif officiel : contracture. Version d’un journaliste français qui vit sur les pas des Bleus :  » Il n’avait rien du tout, je le sais de source sûre. Tout est parti du match de préparation contre la Colombie, juste avant le départ de l’équipe pour la Suisse. Henry a été hué par le Stade de France. Pour son ego, c’était intolérable. Il a alors monté son petit scénario. Il a déclaré forfait pour la Roumanie en espérant que la France ne marquerait pas et qu’ensuite, tout le pays prierait pour une guérison rapide. Il adore se faire désirer et aime être aimé. C’est exactement ce qui s’est produit. Entre la Roumanie et les Pays-Bas, toute la presse a tartiné sur la contracture de Thierry Henry. C’était devenu une affaire d’Etat. Et Domenech l’a titularisé contre les Hollandais « .

Henry a même marqué. Puis a déclaré, après le match :  » Les Pays-Bas misent à fond sur la contre-attaque, c’est ce qui leur a permis d’écraser l’Italie puis de nous battre « . Ouais, on a plutôt l’impression que la Hollande a développé – de très loin – le foot le plus beau et le plus offensif du premier tour de l’EURO. Quand Henry dit n’importe quoi, Domenech refuse de le recadrer. Dans l’entourage de l’équipe de France, c’est mal vu.

DONADONI

Saviez-vous qu’il s’en est fallu d’un rien pour que RobertoDonadoni ne soit jamais coach de l’Italie ?  » J’ai vécu la finale de 2006 en Valtellina avec mes parents et quelques amis. Après le match nous ne sommes pas descendus en rue pour faire la fête mais avons décidé de lancer quelques pétards assez puissants. Seulement, l’un d’entre eux, que j’avais probablement mal placé, n’a pas décollé et a explosé au sol… J’ai risqué gros « .

1. Sa nomination d’entrée contestée.

Si la défiance vis-à-vis d’un entraîneur n’ayant acquis aucune expérience sur le banc d’équipes de club (à l’exception d’un mois à Livourne en janvier 2005) est compréhensible, on peut affirmer que la fédération a dès le départ commis une erreur de casting en contactant Donadoni juste après la finale de la Coupe du Monde à Berlin et en l’obligeant à annuler ses vacances aux Etats-Unis. Quatre jours plus tard, le 13 juillet, il était officiellement le remplaçant de Marcello Lippi.

Malgré un beau parcours qualificatif (9 victoires, 2 nuls, une défaite, première place du groupe), le monde du football italien, la fédération en tête, lui accorde peu de crédit. Bien que fin mai son contrat ait été prolongé jusqu’en 2010, on a eu la sensation au printemps que la guillotine allait être actionnée dès le premier faux pas.  » De toute façon, je l’ai prouvé à Livourne, je ne suis pas un homme qui s’accroche au contrat et si nous nous plantons à l’Euro, je serai assez lucide pour comprendre que je dois me mettre de côté « , a affirmé le coach.

Si tel est le cas, le feuilleton de la prolongation du contrat n’aura servi à rien. Difficile de comprendre que lors des conférences de presse huit questions sur dix tournaient autour du renouvellement de contrat (1,1 million au lieu de 700.000 euros par an).  » Que voulez-vous, nous Italiens sommes ainsi faits. Il faut toujours que l’on monte quelque chose en épingle. Je suis certain que le public ne se posait pas de questions à propos du contrat du coach. Seulement, en insistant sans cesse sur le sujet, certains journalistes espéraient exaspérer le coach et le voir exploser « , avance Franco Zuccalà, ex-journaliste de la RAI, auteur de nombreux ouvrages sur le foot.

2. Son changement d’attitude avec la presse

Certains journalistes reprochent à l’entraîneur de ne pas vouloir donner la composition de l’équipe la veille des matches :  » C’est normal que je ne la divulgue pas trop tôt pour que tous les joueurs se sentent concernés par le défi à relever. Vous pensez bien qu’un footballeur qui n’a pas été sélectionné lors du premier match et apprend trois jours avant qu’il ne le sera pas au deuxième, risque de ne plus être concentré « , répète régulièrement le coach.

Jusqu’à son entrée en fonction, Donadoni était réputé pour son sens du dialogue et à l’époque où il était joueur à Milan, ses coéquipiers savaient qu’il n’allait jamais respecter un boycott de la presse ! Donadoni :  » C’est vrai, tout simplement parce que j’apprécie le rapport sincère avec les personnes et que, très souvent, il ne peut exister dans le monde du foot. Ce serait beau de toujours être sincère et honnête mais cela n’est pas réalisable. C’est pour cela que je tiens à communiquer de manière à me protéger, chose dont je me passerais bien volontiers. Je ne ressens d’ailleurs jamais le besoin de rester seul, de m’isoler physiquement des autres « .

3. Son ton politiquement incorrect

Ceci dit, Donadoni n’est pas un grand champion du politiquement correct. Ainsi il n’a pas hésité à définir AlessandroNesta et FrancescoTotti, qui ont mis un terme à leur carrière après le Mondial,  » comme des enfants qui s’inventent un mal de ventre pour sauter une interrogation « . Il a aussi critiqué la fédération qui a choisi d’établir ses quartiers à Baden, à 70 bornes de Vienne, alors que les matches de poules se déroulaient à Berne et à Zurich soit à 1.000 bornes de là. Mais encore, au moment de signer son contrat et en faisant référence au fait que Marco van Basten avait déjà annoncé son départ de l’équipe hollandaise après l’EURO pour Ajax, il lançait :  » Vous imaginez ce qui serait arrivé si j’avais fait la même chose ? Les Italiens ont une mauvaise mentalité. J’aurais été à l’Euro avec la même hargne et la même détermination sans prolongation de contrat « .

Et après le goal annulé à LucaToni contre la Roumanie et faisant allusion au but discuté accordé aux Pays-Bas :  » L’arbitre n’était pas dans un bon jour. Ce qui m’étonne c’est que dans un cas on remarque un joueur qui n’est pas sur le terrain et que, dans l’autre, on ne remarque pas un joueur qui est sur le terrain « .

4. Ses erreurs tactiques

Malgré ces erreurs d’arbitrage, on n’a pas revu en Suisse la Squadra qui a également brillé dans les matches de préparation contre le Portugal et l’Espagne. La blessure de FabioCannavaro, le seul véritable arrière central italien rapide avec Nesta, a pesé lourd dans la balance. Son absence se voit et s’entend : il manque un vrai leader. En revanche, Donadoni n’aura pas eu le nez fin en alignant le trio médian du Milan AC ( AndreaPirlo, GennaroGattuso, MarcoAmbrosini), qui patine depuis quelques mois. Idem pour MarcoMaterazzi, le héros de la Coupe du Monde 2006, qui n’a brillé qu’un mois (février) après son retour à la compétition suite à une grave blessure. Enfin, les attaquants pourtant efficaces ont éprouvé du mal à marquer. Même si l’on compte le but annulé, contre la Roumanie, deux occasions transformées sur 14 ou 15 plus ou moins franches, c’est trop peu.

Donadoni risque de payer cher de ne pas s’être accroché au noyau qu’il a formé tout au long de ces deux ans. En repêchant AlessandroDelPiero et surtout AntonioCassano, il savait pertinemment bien qu’il allait devoir redessiner son équipe. Jusqu’à l’EURO, il avait joué avec une pointe centrale et deux extérieurs. Avec Del Piero, il penchait pour un duo d’attaque car aligner les trois avants de concert est assez risqué dans la mesure où ces trois joueurs ne récupèrent pas beaucoup de ballons et que l’équilibre de l’équipe sauterait…

Après le sévère échec subi face aux Pays-Bas, Donadoni a reconnu avoir commis, employant bien le singulier,  » quelque erreur « . Celle-ci devait être bien énorme pour l’obliger à changer cinq joueurs et à modifier la position d’un sixième face à la Roumanie. Si le fait d’admettre ses fautes démontre une certaine force de caractère, dans le cas du Transalpin cela ne fait qu’augmenter le scepticisme à son égard.

5. Son excuse bidon sur la fatigue

Quant à l’excuse de la fatigue, elle ne tient pas : avant d’arriver en Allemagne en 2006, les 23 Azzurri avaient disputé lors de la saison écoulée 49 matches (équipes nationales non comptées) de plus que les sélectionnés actuels (651 contre 612). Et en nombre de minutes passées sur le terrain, la différence est encore plus importante. Parmi les joueurs ayant participé aux deux tournois, il n’y en a qu’un seul ayant augmenté son temps de jeu : DanieleDeRossi (54 matches du 19 août 2007 au 24 mai 2008 soit, prolongations inclues, 5.089 minutes de jeu).

par pierre danvoye et nicolas ribaudo

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