LES AIGLES SURVOLENT L’AFRIQUE

Les Super Eagles sont champions d’Afrique pour la troisième fois. En juin prochain, ils participeront à la Coupe des Confédérations au Brésil, avec Tahiti, l’Uruguay et l’Espagne. Stephen Keshi est le deuxième Africain à avoir remporté le trophée comme joueur et comme entraîneur.

Le Nigeria compte parmi les grandes puissances du football africain depuis plusieurs décennies. Il a déjà été sacré champion d’Afrique en 1980 et en 1994 et s’est également qualifié pour quatre des cinq dernières éditions de la Coupe du Monde. N’empêche que sa dernière finale en CAN remontait à 2000.

La victoire de la phalange de Stephen Okechukwu Keshi (51 ans) constitue une surprise. L’ancien défenseur du Sporting Lokeren et d’Anderlecht est devenu le deuxième Africain, après l’Égyptien Mahmoud Al Gohari, à être champion de son continent comme joueur puis comme entraîneur. C’est un triomphe pour le Big Boss, qui n’est jamais parvenu à se qualifier pour le deuxième tour de la CAN, au préalable, avec le Mali puis le Togo.

Il y a un an, le Nigeria a même raté sa qualification pour la phase finale de l’épreuve et cette année, lorsqu’il a divulgué sa sélection, le Kesh s’est attiré les foudres des amateurs de football pour avoir écarté des valeurs sûres comme Peter Odemwingie et Obafemi Martins au profit de footballeurs évoluant dans le championnat local. Keshi a donc dû éprouver une immense satisfaction en voyant Sunday Mba, un jeune qui joue toujours au Nigeria, plier la finale.

Les Super Eagles ont connu un départ pénible lors de la présente édition, réalisant des nuls contre le Burkina Faso (en phase de poule déjà) et la Zambie et en ne se qualifiant pour la phase suivante que grâce aux penalties marqués tardivement par Victor Moses contre l’Éthiopie.

À partir de ce moment, l’équipe nigériane a trouvé ses marques. Les jeunes de Stephen Keshi se sont méritoirement imposés face à la Côte d’Ivoire, la grande favorite, et ont étrillé le Mali 4-1en demi-finales. Un Mali, soit dit en passant, qui s’était qualifié pour ce stade de la compétition deux éditions de suite. Ils se sont ensuite imposés face au Burkina Faso au terme d’une finale plutôt décevante.

Keshi a pris une décision courageuse en écartant son capitaine, le chevronné Joseph Yobo (ex-Standard) après le premier match du tournoi. De même, il a été chevaleresque en lui permettant de disputer les ultimes minutes de la finale.

L’équipe nigériane était articulée autour de John Obi Mikel, le médian central de Chelsea, de son coéquipier londonien Victor Moses, qui a suscité le danger de la gauche, et d’Emmanuel Emenike, l’avant du Spartak Moscou, qu’une blessure a toutefois privé de la finale.

La révélation du tournoi est cependant Sunday Mba (24 ans), qui a inscrit un superbe but contre la Côte d’Ivoire et contre le Burkina Faso. Il ne se produira sans doute plus longtemps pour les Warri Wolves au Nigeria…

Stephen Keshi a toujours gardé les pieds sur terre. Il s’est gardé d’effectuer la moindre comparaison avec l’ensemble de vedettes dont il était le capitaine en 1994 : Nwankwo Kanu, Jay-Jay Okocha, Sunday Oliseh, Finidi George et Daniel Amokachi.

 » On a travaillé cinq ans à la formation de cette équipe alors que les jeunes actuels sont ensemble depuis cinq semaines. En 1994, nous étions unis par un esprit incroyable. Nous étions des frères. Maintenant, nous disposons de talents mais pour briller, nous avons besoin de plus de caractère, d’une mentalité plus forte. Dans les prochaines années, nous allons poursuivre notre travail. Dans un an et demi, au Brésil, nous serons déjà nettement plus avancés.  »

Les Etalons au grand galop

La sensation de cette Coupe d’Afrique n’est cependant pas le Nigeria mais le Burkina Faso de Paul Put. L’ancienne Haute-Volta est un des pays les plus pauvres du monde : il occupe la 203e place sur 228. Le produit national brut annuel y est inférieur à 1.100 euros par habitant et l’espérance de vie moyenne est de 50 ans.

Les seize millions de Burkinabés sont gouvernés depuis 24 ans par Blaise Compaoré, qui a pris le pouvoir après l’attentat dont a été victime son prédécesseur. Le despote a 59 ans, ce qui prouve qu’il mène une existence plus confortable que ses sujets.

Malheureusement, le succès des Étalons dans cette Coupe d’Afrique va profiter au tyran.  » En Afrique, le football relève de la politique et la politique, c’est le pouvoir « , a conclu l’anthropologue néerlandais Arnold Pannenborg l’année dernière dans sa thèse de doctorat.

Les performances des Étalons ont au moins offert une occasion de faire la fête aux compatriotes de Compaoré. L’éditorial rédigé sous le pseudonyme LeFou dans le quotidien Le Pays après la demi-finale contre le Ghana laisse augurer des suites qu’ont eues ces prestations à Ouagadougou.  » Celui qui ne croit pas aux miracles n’est pas réaliste « , a-t-il écrit. LeFou a poursuivi en se plaignant des supporters en liesse qui l’ont privé de sommeil pendant des nuits.

Le Burkina Faso ne représente pas grand-chose sur la scène internationale. Il est 92e au classement FIFA, soit 40 places derrière le Nigeria et est la 23e nation africaine. Les Étalons ne se sont illustrés qu’une fois : en 1998, quand ils ont organisé la CAN chez eux, terminant à la 4e place. Lors de leurs six autres participations, ils n’ont pas gagné un seul match. Leur bilan est de deux victoires, six nuls et 18 revers.

L’année dernière, le Burkina Faso avait essuyé trois défaites à la CAN. Nul ne s’attendait à de meilleures performances cette année, en Afrique du Sud, puisque le noyau est quasiment identique et que l’étoile de l’équipe, Moumouni Dagano, n’est plus de prime jeunesse.

Pourtant, les Étalons ont surpris leur monde. Le noyau de Paul Put ne regorge pas de grands noms. Une demi-douzaine de joueurs évoluent en Ligue Un, un seul en Bundesliga, au modeste FC Augsbourg – Aristide Bancé. Les autres gagnent leur vie au Ghana, en Moldavie ou au Qatar, comme Moumouni Dagano, le vétéran qui a porté le maillot du Beerschot et du Racing Genk durant ses années de gloire. Bancé a joué à Lokeren et Keba Paul Koulibaly s’est produit à l’Olympic Charleroi. Deux jeunes évoluent toujours en Belgique : l’arrière gauche Saïdou Madi Panandétiguiri porte le maillot de l’Antwerp, dont il est un titulaire incontesté, et Daouda Diakité, le gardien réserve du Lierse, qui a dû entrer au jeu lors du deuxième match et a ensuite conservé sa place jusqu’en finale.

Le recul des grandes nations

L’équipe de Paul Put a égalisé, lors de son premier match contre le Nigeria, à la 94e minute, des oeuvres d’Alain Traoré. Le Burkina Faso atteignait ainsi son objectif -faire mieux qu’en 2012 – mais ce nul n’a été que le début d’un parcours impressionnant.

Le Burkina Faso a perdu son gardien Soulama lors du deuxième match de poule, pour un stupide jeu de mains en-dehors du rectangle, faute synonyme d’exclusion. Réduit à dix, il a pourtant continué sur sa lancée, en jouant en contres pour s’imposer 4-0. Alain Traoré (Lorient), âgé de 23 ans, était alors le meilleur réalisateur du tournoi avec trois buts.

Lors du match décisif contre la Zambie, championne en titre, Traoré s’est blessé au genou, ratant la suite du tournoi, mais le Burkina Faso, bien organisé, a résisté à la Zambie (0-0), se qualifiant ainsi pour les quarts de finale.

Dans la phase par élimination directe, il a successivement battu le Togo (1-0) et le Ghana, chaque fois aux prolongations et même après une séance de tirs au but contre les Black Stars. Le Ghana a concédé rapidement un penalty – léger, le but égalisateur de Prejuce Nakoulma a été annulé pour d’étranges motifs et Jonathan Pitroipa a reçu une seconde carte jaune pour simulation alors qu’il aurait fallu siffler penalty. Malgré tout, les Étalons ont trouvé la force de s’imposer aux tirs au but.

Le lendemain, la Confédération africaine s’est empressée de suspendre l’arbitre tunisien Slim Jedidi pour ses étranges décisions. Un jour plus tard, l’homme a reconnu son erreur sur la seconde carte jaune et donc l’exclusion de Pitroipa, permettant ainsi à la CAF d’annuler sa décision. Jonathan Pitroipa (26 ans) a donc pu participer à la finale mais sans atteindre le niveau des matches précédents.

Le Burkina Faso doit sa médaille d’argent à une bonne préparation, à sa condition physique et à son sens tactique. C’est une plume au chapeau de Paul Put mais aussi à celui du médecin de l’équipe, Chris Goossens, et de ses collaborateurs. L’ambiance qui a animé le groupe et la popularité de l’entraîneur ont été manifestes lorsqu’Aristide Bancé s’est jeté dans les bras de l’Anversois, après le penalty décisif contre le Ghana. À Ouagadougou, nul ne se soucie de l’affaire Ye.

Les victoires surprenantes de la Zambie l’année dernière puis du Nigéria lors de cette édition, jointes à la performance du Burkina Faso, appellent une question : le football africain n’est-il pas en recul ? C’est certainement le cas de la plupart des grandes nations. L’Égypte, le Sénégal et le Cameroun étaient absents du tournoi et les pays du Maghreb – Maroc, Tunisie et Algérie – ont été éliminés au premier tour. On n’est pas plus près de voir un champion du monde issu d’Afrique qu’en 1990, quand le Cameroun a atteint les quarts de finale du Mondial.

Cinq représentants africains au Brésil

Par contre, depuis quelques années, le ventre mou, composé de nations plus petites et très pauvres, progresse. Le Mali, l’Angola et le Togo ont déjà frappé à la porte. Le Cap Vert et le Burkina Faso les ont rejoints. Le football africain progresse donc en profondeur.

 » C’est formidable pour le football africain « , a expliqué Keshi.  » Avant, on pouvait pratiquement prévoir par quel écart un pays allait s’imposer. Maintenant, tout est possible.  »

Pourtant, le football africain vit des temps difficiles. Dans les années 70 et 80, les matches de championnat remplissaient les stades de tous les pays. L’exode des joueurs, la mauvaise qualité des infrastructures et les carences en matière d’organisation ont diminué l’intérêt des gens pour leur championnat domestique. Le népotisme, le favoritisme et la corruption ont encore handicapé un peu plus la progression du football africain.

En outre, il y a la concurrence des grands championnats européens, la PremierLeague en tête, qui accueille énormément de stars noires. Beaucoup de pays adaptent les heures de leurs matches de championnat à celles du football anglais.

Il y a un élément positif : SuperSport, le prédécesseur de Belgacom 11 et de Sporting Telenet en Belgique dans les années 90, a acquis les droits de retransmission internationaux des championnats du Nigeria, du Kenya, de Tanzanie, de Zambie et du Ghana. Les contrats ne sont pas comparables avec ceux qui sont de mise en Europe mais ils donnent aux fédérations les moyens de mieux structurer leurs championnats et de générer d’autres rentrées commerciales.

À terme, cela devrait faire progresser le football africain mais n’est-ce pas faire trop d’honneur à beaucoup de participants ? Pendant cette CAN, le président du Ghana a exigé que l’Afrique, qui compte 52 membres, obtienne la moitié des participants de l’Europe -53 membres. Il a jugé logique qu’à partir de 2018, l’Afrique compte sept ou huit participants à la Coupe du Monde.

L’année prochaine, l’Afrique devra se contenter de cinq représentants au Brésil, soit un de moins qu’en 2010, sur son continent. Le fait que le Ghana ait été la seule nation africaine à passer le cap du premier tour apporte de l’eau au moulin des autres confédérations, opposées à une augmentation du quota africain. À moins que le Nigeria ne casse la baraque à la Coupe des Confédérations.

PAR FRANÇOIS COLIN EN AFRIQUE DU SUD

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire