Les 9 vies de Balog

Le Hongrois a le meilleur bilan de tous les coaches passés cette saison par Charleroi. Mais il ne sait toujours pas s’il va être confirmé…

Son joli coup de patte, sa sympathie naturelle, ses traits rocailleux et sa chevelure type Playmobil : on a perdu tout cela de vue pendant plus de 10 ans. Entre 1997, fin de son séjour de quatre ans à Charleroi, et l’été 2009, moment de son retour comme T1 des Espoirs du Sporting, Tibor Balog (44 ans) a vécu loin des feux de la rampe. Il y a eu le championnat d’Israël, la D2 avec Mons, des clubs carolos de divisions inférieures : médiatisation zéro. La pleine visibilité, il l’a retrouvée à la mi-avril dernier quand il a été nommé entraîneur principal à la place Tommy Craig qui en avait fait son adjoint quatre mois plus tôt. Il a eu deux matches pour faire ses preuves. Bilan : quatre points sur six, soit le meilleur résultat de la ribambelle de coaches qui ont dirigé (ou essayé de diriger) les Zèbres cette saison. Pas la peine de l’interroger sur son avenir : il n’en connaît rien. Mais c’est quoi, la vraie vie de Tibor Balog ?

Vie 1 : star en Hongrie

Tibor Balog :  » J’avais une très bonne cote en Hongrie. C’était dû notamment à toutes les années que j’ai passées au MTK Budapest, un club très populaire où j’ai été formé à partir de l’âge de 10 ans et qui m’a fait débuter en D1, jouer la tête du championnat. Le MTK était une institution en Hongrie. Et j’étais international à part entière. J’ai joué près de 40 matches avec l’équipe hongroise.  »

Vie 2 : succéder à Zetterberg

 » Charleroi est venu me visionner cinq fois en Hongrie. Robert Waseige s’est déplacé, Gaston Colson aussi. C’était avant l’arrêt Bosman et il y avait encore la limitation du nombre d’étrangers, alors les clubs ne faisaient pas n’importe quoi dans les transferts. Il n’y avait pas le droit à l’erreur comme aujourd’hui. La Hongrie n’était pas très ouverte non plus, on n’en sortait pas facilement. J’ai profité de la présence en Belgique de quelques agents de mon pays. Ils avaient ouvert le couloir quelques années plus tôt avec Laszlo Balint et Laszlo Disztl qui étaient venus à Bruges, Laszlo Fazekas à l’Antwerp. Puis il y a eu une vraie vague hongroise au début des années 90 : Emil Lörincz au RWDM, Zsolt Petry à Gand, Ervin Kovacs au Germinal, Florian Urban à Waregem, etc. Nous avions une bonne cote et Charleroi s’est servi abondamment : Istvan Gulyas, Gabor Bukran, Petry, Robert Jovan, Istvan Pisont et moi.

Dès que j’ai signé mon contrat, on m’a investi d’une mission compliquée : prendre la place de Pär Zetterberg, qui venait de faire une saison terrible et rentrait à Anderlecht. C’était le chouchou de la direction et des supporters. On ne me parlait que de lui, je sais qu’il était dans tous les journaux : heureusement que je ne parlais pas français… Mais je savais que la responsabilité était très lourde car Charleroi venait de jouer une finale de Coupe de Belgique et était en pleine ascension. Nous n’avions pas les mêmes profils. J’étais un médian collectif, je cherchais les combinaisons et j’expédiais parfois des longs ballons. Zetterberg était un infiltreur qui portait plus la balle et pouvait faire la décision tout seul. Comme je ne savais pas bien communiquer, j’avais intérêt à faire mes preuves tout de suite pour être accepté. Si un médian axial n’a pas la confiance totale des défenseurs et des milieux latéraux, on ne lui passe jamais le ballon et il est foutu. Mais tout s’est vite emboîté : j’ai marqué le but de la victoire dès mon premier match de championnat, j’ai encore scoré la semaine suivante, j’ai donné des assists huit jours plus tard. J’étais parti. Nous avons terminé à la quatrième place, nous sommes allés en Coupe de l’UEFA, j’ai marqué contre le Bucarest : la toute dernière apparition de Charleroi dans une vraie Coupe d’Europe ! Ce sont plein de bons souvenirs, mais ce qui m’a encore davantage marqué, c’est l’atmosphère générale : notre stade était toujours plein et on n’y perdait qu’un minimum de points.  »

Vie 3 : les penthouses israéliens

 » Je suis resté six mois sans club. J’étais en fin de contrat, mais comme je n’étais pas communautaire, le Sporting réclamait de l’argent pour mon transfert. Et personne ne voulait en débourser. Finalement, la direction a trouvé un accord avec Ashdod, en Israël. J’ai ensuite prolongé mon séjour là-bas, à Beer Sheva. Je n’en garde que de bons souvenirs. Point de vue foot, ça valait le niveau belge. Et pour ce qui était de la qualité de vie… c’était un paradis sur terre. Il y avait le soleil, des panoramas magnifiques, j’ai habité dans des penthouses face à la mer avec grande piscine privée sur le toit. J’ai décidé de m’en aller quand les attentats ont commencé. « 

Vie 4 : actif dans la montée de Mons en D1

 » Je voulais revenir en Belgique. Définitivement. Je n’ai pas retrouvé de club en D1. Normal : j’avais presque 35 ans. Mons m’a donné une chance en deuxième division. Je n’étais pas dans l’équipe chaque semaine mais j’ai marqué deux buts importants et j’ai donné des assists dans le tour final. La première montée en D1 de l’histoire de ce club, c’était aussi la mienne. Mais dès qu’elle a été officielle, j’ai su que mon expérience à Mons était terminée. Même si on m’avait proposé un nouveau contrat, je ne l’aurais pas pris. Je venais de découvrir le banc pour la première fois de ma carrière. Mon âge était là, la tête et les jambes ne suivaient plus toujours. J’étais fa-ti-gué ! Marc Grosjean m’a suggéré de terminer mon parcours en D1 luxembourgeoise : il y connaissait du monde et c’était beaucoup moins exigeant. J’ai refusé, je ne voulais pas quitter la région de Charleroi et je me voyais mal faire autant de trajets. Il m’offrait aussi la place d’adjoint à Mons. Mais non, je me sentais encore trop jeune pour un boulot pareil. Je voulais encore jouer et j’ai accepté un contrat à Couillet, en Promotion. Un mauvais souvenir car je suis tombé sur des gens incompétents et incorrects. On m’avait promis un emploi à durée indéterminée, je ne l’ai jamais eu. J’ai terminé à Châtelet, en 1ère Provinciale. Avec à la clé un emploi aux archives puis dans la cellule sportive de la commune. J’ai même entraîné ce club pendant quelques mois puis j’ai dit stop : le foot amateur n’était pas fait pour moi, je suis trop exigeant avec mes joueurs et j’étais frustré.  »

Vie 5 : objectif Pro Licence

 » J’avais commencé des cours d’entraîneur quand j’étais encore en Hongrie. Comme les diplômes de mon pays ne sont pas reconnus en Belgique, j’ai dû tout reprendre à zéro. Pas de problème. J’ai découvert les bancs de l’Union belge avec feu Régis Genaux, Olivier Suray, Marco Casto, Glen De Boeck, Patrick Goots, Thierry Siquet, Toni Brogno, etc. Aujourd’hui, avec mon diplôme UEFA 2, je peux être entraîneur principal en D2 ou adjoint en D1. Je n’ai pas fini mon chemin : je veux la Pro Licence pour pouvoir être le patron d’un staff de première division. Dès qu’une nouvelle session est programmée, je m’inscris.  »

Vie 6 :  » Craig, c’est le top « 

 » Quand Mogi Bayat m’a proposé durant l’été 2009 de devenir entraîneur des Espoirs, je n’ai pas hésité une seconde. C’était une façon idéale de me retremper dans le monde du foot. J’ai signé pour un an, puis j’ai eu une nouvelle grosse surprise en décembre. Craig est arrivé un vendredi. Le soir, il est venu voir notre match contre Mouscron : nous avons balayé l’adversaire en pratiquant un très beau jeu. Il est directement venu me féliciter. Quelques jours plus tard, Mogi m’a demandé si je parlais anglais. Oui, un peu, enfin ce que j’ai appris à l’école il y a longtemps ! Craig voulait me rencontrer. Il a commencé par quelques questions qui n’avaient rien à voir avec le football : en fait, il cherchait seulement à tester mon anglais. Puis, il m’a questionné sur ma philosophie, ma façon de voir le foot, ma manière d’appréhender le boulot à la tête d’un noyau. Il a terminé en me disant : -Ta vision, ton système, c’est plus ou moins ce que j’ai en tête. Tu veux devenir mon adjoint ? Le temps de demander une pause carrière à la ville de Châtelet, et c’était parti. L’Ecossais m’a permis de franchir une étape dans ma vie.

Ma collaboration avec Craig ? Super. Pas d’autre mot. J’ai travaillé avec beaucoup d’entraîneurs, il fait partie du top. Il a l’expérience, un sens très poussé du professionnalisme, des compétences au-dessus de la moyenne et d’immenses qualités humaines. En peu de temps, il m’a appris plein de choses : la gestion d’un vestiaire et des médias notamment. Nous sommes toujours en contact. Il a été approché par un club anglais qui voudrait le faire travailler dans son académie mais il n’est pas chaud car il voudrait reprendre du service avec une équipe Première. Le timing de son C4 à Charleroi l’a surpris car le championnat était terminé pour nous et il avait déjà commencé à travailler sur la préparation pour la saison prochaine. Mais le limogeage lui-même ne l’a évidemment pas étonné. Dans n’importe quel sport et dans n’importe quel pays, tu as de grandes chances de voler dehors quand tu as un bilan de dix défaites, trois nuls et seulement deux victoires. Abbas Bayat a eu de la patience puis il a fini par trancher. Je ne comprends pas pourquoi ça n’a pas marché avec Craig. Il m’a dit plus d’une fois qu’il travaillait à Charleroi comme il l’avait fait partout ailleurs, où il avait eu des bons résultats. Il avait le vécu, il connaissait le club et les joueurs, le groupe le connaissait aussi : tout semblait réuni pour que ça fonctionne. Craig a tout essayé, nous avons cherché des solutions dans tous les sens mais l’équipe n’a jamais décollé. Moi, je me donne encore quelques jours ou quelques semaines pour essayer d’analyser avec le staff les raisons de l’échec. C’est encore trop récent, je n’ai pas encore assez de recul.  »

Vie 7 : T1, surprise intégrale

 » Abbas Bayat déboule dans le vestiaire, annonce que Tommy Craig est dehors et que je le remplace jusqu’à la fin de la saison. Je ne peux pas dire que je m’y attendais ! Ma première réaction a été de me dire : -On valorise mon travail, j’en suis très fier. Le président aurait aussi pu raisonner à plus long terme et prendre un entraîneur extérieur en lui offrant directement un contrat d’un an en plus des deux matches qu’il restait à disputer. J’ai dirigé l’équipe au Germinal Beerschot et contre le Standard : quatre points sur six, c’est très bien, c’est une moyenne de champion mais évidemment beaucoup trop peu pour faire un bilan crédible de mon expérience d’entraîneur principal. Je retiens déjà que l’équipe a été disciplinée, solide et professionnelle dans ces deux matches. J’avais été clair avec le groupe, j’avais questionné chaque joueur sur sa motivation. Après quatre défaites d’affilée et avec encore deux rencontres sans importance pour le classement, avec un adjoint qui reprenait l’équipe, ça aurait pu dégénérer, il y avait un risque que tout le monde se laisse aller et accepte sans broncher de prendre deux grosses claques pour terminer. Je leur ai dit : -On a fait un championnat de merde et des play-offs de merde, arrêtons la casse. Je ne veux plus de joueurs qui font les malins.

Je ne suis pas d’accord quand on dit que c’étaient des rencontres sans enjeu, purement pour du beurre. Le Beerschot a clairement joué pour gagner, Jos Daerden n’avait pas caché qu’il voulait finir son séjour là-bas sur une bonne note. Et ça me fait rire aussi quand on raconte que plusieurs clubs ont profité des play-offs 2 pour faire jouer des jeunes. Oui, le Beerschot et le Standard l’ont fait, mais seulement en toute fin de parcours. A Charleroi, nous avons pris très vite cette décision. Dès le troisième match, quand il était acquis que nous n’avions plus rien à perdre ni à gagner. Notre moyenne d’âge était exceptionnellement basse.  »

Vie 8 : une base qui promet

 » Si le Sporting garde tous ses jeunes et y ajoute cinq ou six gars expérimentés, ça peut devenir une équipe très solide. Pas la saison prochaine mais dans deux ou trois ans. C’est une partie des ingrédients pour que Charleroi redevienne Charleroi. J’ai ressenti une certaine nostalgie lors de notre match contre le Standard : dans ce stade presque vide, je me suis souvenu des chocs wallons que j’avais disputés dans les années 90. C’était toujours plein, très chaud et nous montions sur le terrain avec une conviction : -Nous sommes les maîtres à la maison. Nous étions à l’aise dès la première minute, nous prenions le contrôle de la pelouse, nous exercions un pressing infernal. J’ai rappelé tout cela à mes joueurs. Evidemment, tout est plus simple quand on sent 15.000 supporters dans son dos ! Maintenant, le public ne suit plus, il n’est plus du tout patient et se met à siffler après un quart d’heure si le Sporting ne tourne pas. C’est la même chose partout. Mais chez nous, beaucoup de gars sont incapables de gérer une ambiance pareille, ils perdent leurs moyens. Il faut que ça change et il faut reconquérir le public. D’urgence. Mais on connaît la recette. A Charleroi, les gens se déplacent en masse dès que leur équipe gagne : en basket, en tennis de table ou en foot. Par contre, ils restent sagement chez eux s’ils savent qu’ils ne verront que des joueurs qui ne se donnent pas à fond. Ils connaissent le sport et on ne peut pas tricher avec eux.  »

Vie 9 : un futur en point d’interrogation

 » Ce ne fut pas facile de garder le groupe en éveil pendant plus de dix jours après le championnat alors qu’il n’y avait plus de match officiel à notre programme. Mais là encore, j’ai mis les joueurs face à leurs responsabilités et à leur sens du professionnalisme. Nous devions tester des renforts potentiels et j’ai expliqué que ces gars-là étaient condamnés d’avance si le groupe arrêtait de travailler sérieusement. Le message est bien passé. L’intensité a évidemment baissé, nous avions moins de séances qu’en pleine saison, mais le travail est resté sérieux.

Moi, je ne sais pas ce que je vais devenir. Mon contrat se termine, je n’ai pas encore discuté avec la direction. Les négociations éventuelles viendront en leur temps, je ne m’encombre pas la tête. Mais je veux devenir T1 d’une équipe de D1. Jusqu’ici, j’ai toujours concrétisé mes rêves : devenir professionnel, jouer en équipe nationale, partir à l’étranger, passer mes diplômes. Ce n’est que la suite logique. Je n’ai pas encore le document pour être le seul maître sur le banc mais un club peut demander une dérogation à l’Union belge si son coach s’est inscrit aux cours de la Pro Licence.

« Craig n’a pas été surpris par son licenciement mais le timing l’a étonné. »

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