LES 7 VIES D’UNE JUDOKATE

A 37 ans et après sept lourdes opérations, la judokate Ilse Heylen est toujours là. Médaillée de bronze en 2004, elle s’est encore remise d’une grave blessure et tente de se qualifier pour les quatrièmes Jeux olympiques de sa carrière.

C’est un samedi matin, à Zele, l’un des quatre endroits où elle repasse inlassablement ses gammes quand elle se trouve en Belgique. Parce que c’est vrai qu‘IlseHeylen n’y est pas souvent. D’abord, elle enchaîne le travail debout contre plusieurs opposants, dont certains figurent parmi les grands espoirs du judo belge. Ensuite, ce sera le travail au sol.

C’est qu’à 37 ans, celle qui voue une véritable passion au judo, donne l’impression d’avoir vécu plusieurs vies. Sept. Comme le nombre de graves blessures qu’elle a eues jusqu’ici. Avec toutes les opérations et les longues revalidations qui suivent, beaucoup auraient déjà arrêté les frais. Surtout que cette Anversoise de naissance peut se targuer d’avoir gagné une médaille olympique.

C’était en 2004 à Athènes. Rapidement battue par la championne du monde en titre, elle avait ensuite fait montre d’une incroyable force de caractère pour remporter ses trois combats suivants, seule option encore possible pour gagner le droit de combattre pour la médaille de bronze. Qu’elle conquit au mental. Or c’est justement ce mot qui guide sa carrière.

C’est une grande dame du sport belge qui se trouve face à nous. Jugez plutôt ! Septième aux JO de Pékin en 2008. Encore 5e à ceux de Londres quatre ans plus tard. Ajoutez à cela six médailles européennes, avouez que le palmarès a de quoi rendre jalouses la plupart de ses rivales. Finalement, il n’y a que les Championnats du monde qui la boudent. En six participations, elle n’a jamais obtenu de meilleur résultat qu’une neuvième place. Cette année encore, elle a dû se contenter d’une élimination au premier tour.

Objectif Rio

Mais depuis qu’elle a fait ses grands débuts sur la scène internationale en décrochant le bronze au Grand Chelem – les tournois de la plus haute catégorie – de Paris en 1998, elle a collectionné les breloques aux quatre coins du monde.

En juillet, elle est carrément devenue la judokate la plus âgée de l’histoire à remporter un Grand Prix – épreuve qui se situe un niveau en dessous des Grands Chelems. C’était en juillet, à Santiago de Chili, et Ilse effectuait un énième retour après une grave blessure et six mois sans compétition. Vous l’aurez compris, ce petit bout de femme ne se chauffe pas du même bois que le commun des mortels.

 » Elle m’a toujours épaté par sa persévérance et sa faculté à rapidement se remettre au travail après un coup dur « , explique OlivierBerghmans, celui qui partage sa vie tout en étant son entraîneur.  » Beaucoup auraient déjà lâché. Ce, d’autant que le judo ne paye pas bien.  » Les médailles en Grand Chelem rapportent… 1000, 2000 et 3000 dollars. Et c’est à peine mieux en Championnats du monde (2000, 4000 et 6000 dollars).

Mais alors, qu’est-ce qui fait encore suer Ilse Heylen. La peur de l’après ?  » Non, pas du tout. Je veux me qualifier pour les JO de Rio de Janeiro et y tirer ma révérence. Après, on verra. Mais, là, je m’arrêterai parce que je pense que j’aurai assez sollicité mon corps.  »

Si elle a, à chaque fois, trouvé la force de se relever après ses sept opérations, c’est tout simplement parce que notre compatriote éprouve un véritable amour pour son sport et a une incroyable capacité à se faire violence.  » Petite, quand je n’étais pas sage ou que je ne travaillais pas bien à l’école, je ne pouvais pas aller à l’entraînement. Pour moi, il n’y avait pas de pire punition. J’aurais peut-être pu pratiquer un autre sport mais je me suis vite rendu compte que je préférais les disciplines individuelles où je pouvais me mesurer à un adversaire. Là, tu ne peux pas tricher, c’est toi contre l’autre. J’aime le contact et le fait de devoir t’arracher pour battre une adversaire qui nourrit le même but que toi.  »

Un jeu

C’est donc pour ça qu’Ilse Heylen a accepté de passer des heures et des heures dans les salles de rééducation malgré les douleurs qui suivent toujours une grave blessure.  » Je n’ai jamais douté de moi. A aucun moment, je n’ai pensé à une fin de carrière. A chaque fois, j’ai le même état d’esprit. Je quitte la salle d’opération et me mets directement au travail. J’ai tellement hâte de me retrouver sur le tapis que j’ai tendance à vouloir accélérer les choses.

Plusieurs fois, le chirurgien m’a dit de prendre mon temps. Et moi, je n’avais qu’une seule envie : gagner la première compétition à laquelle je pouvais prendre part. Je n’ai jamais perçu tous les efforts fournis comme des sacrifices parce que, pour moi, le judo est un jeu.  »

Et depuis son retour sur les tatamis à Santiago de Chili, où elle s’est imposée en juillet dernier, Ilse Heylen accumule les tournois.  » Parce que la période de qualification pour les JO dure deux ans, de fin mai 2014 à fin mai 2016, et qu’il y a tout un système de points qui est fort éreintant « , explique Olivier Berghmans.

Et puis si elle a prévu d’enchaîner d’ici la fin 2014 les GP de Santiago de Chili, Miami, Ouzbékistan, Kazakhstan et Corée du Sud ainsi que les Grands Chelems d’Abou Dhabi et de Tokyo, sans oublier les Championnats du monde, c’est parce qu’elle ne se sent  » jamais aussi heureuse  » que quand elle peut se mesurer aux autres.

 » Rien ne vaut la compétition, dit-elle. Quand je reviens de blessure, j’ai toujours une petite appréhension lors du premier combat mais elle se dissipe assez vite. Si tu penses à ne pas te faire mal, c’est foutu. Avec l’expérience, j’ai appris à connaître mon corps.  »

Sans regrets

Quand on lui demande si elle a l’impression d’être un cas à part dans le monde du sport de haut niveau, la championne sourit. Elle sait qu’elle aurait peut-être pu avoir un palmarès encore mieux fourni sans ces foutus arrêts mais elle n’éprouve aucun regret.

 » Tout cela fait partie de ma vie de sportive de haut niveau. Et puis, lors de chacune de mes opérations, je suis revenue plus forte parce que j’ai appris beaucoup de choses, notamment sur moi-même. Honnêtement, le début de la rééducation n’est jamais facile. Et je ne parle pas que des douleurs physiques liées au traitement que fait subir le kinésithérapeute. Certaines choses se passent, inévitablement, dans la tête. Il y a, je le répète, cette détermination à vouloir revenir le plus vite possible.

Mais, au début, j’éprouve quand même un grand sentiment de solitude parce que je suis privée de mon jeu favori. Heureusement, le staff médical s’arrange pour que l’on fasse assez vite des petits exercices ludiques. Ma plus grande libération est quand je me rends compte que je reviens au top.  »

Maintenant, elle jure qu’elle se qualifiera pour les JO de Rio de Janeiro. Et si une nouvelle blessure devait l’arrêter dans sa progression ?  » Je risque peut-être de manquer un peu de temps pour aller chercher mon billet. Mais je n’y pense pas un instant. Sans quoi, cela ne sert plus à rien que je monte sur le tapis tous les jours.  » A voir le large sourire qui éclaire son visage, Ilse Heylen ne cherche pas à cacher son optimiste. En voilà une qui sait que signifie l’expression  » avoir plusieurs vies « .

PAR DAVID LEHAIRE – PHOTOS: BELGAIMAGE/ KETELS

 » J’aime devoir m’arracher pour battre un adversaire qui nourrit le même but que moi.  » Ilse Heylen

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