LES 16M C’EST L’IRAK

Pendant une année et demie passée au Canonnier, l’attaquant belgo-congolais a vu toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.

Vendredi 6 août 2004. L’Excelsior Mouscron accueille Anderlecht pour l’ouverture du championnat 2004-2005, avec un effectif décimé par les départs de plusieurs pions importants et sous la houlette d’un entraîneur formateur qui effectue, à 50 ans, ses premiers pas en D1 : PhilippeSaintJean. Personne ne donne cher de la peau des Hurlus, mais ceux-ci créent la sensation : ils battent le Sporting 2-0, avec un but de PatrickDimbala et un autre de MarcinZewlakow, qui a prolongé dans les filets un centre tir de l’attaquant belgo-congolais sur une sortie hasardeuse de DanielZitka.

Samedi 11 février 2006. La paire est reconstituée. Marcin est revenu de Metz juste à temps pour affronter une dernière fois son frère Michal dans le cadre du championnat de Belgique, avant le départ de ce dernier vers l’Olympiakos. Dimbala, après une longue période de galère, a trouvé grâce aux yeux du nouvel entraîneur PaulPut et évolue comme deuxième attaquant, en soutien du Polonais. Mais la réussite n’est pas au rendez-vous. L’Excel se montre généreux et se crée plusieurs occasions, mais Anderlecht est plus réaliste et l’emporte 0-1.

De la lumière aux oubliettes

Entre ces deux matches, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et Dimbala a vu toutes les couleurs de l’arc-en-ciel :  » Ce match de la saison dernière, contre Anderlecht était mon premier match officiel sous le maillot des Hurlus et il s’était très bien passé, tant pour le club que pour moi. L’entraîneur me faisait confiance, mes coéquipiers également. Le système de Saint-Jean était compliqué, mais il me convenait : je devais beaucoup travailler défensivement, mais j’avais beaucoup de libertés sur le plan offensif « .

Dimbala allait casser la baraque au début de la saison dernière, au point de figurer, après deux mois de compétition, dans le classement des dix meilleurs transferts de l’été 2004, qu’avait établi Sport/ FootMagazine à l’époque. Puis, à l’image de l’équipe, il déclina inexorablement. Que s’est-il passé ?  » Lorsque l’équipe a commencé à faire du surplace, j’ai culpabilisé. Je me disais que c’était de ma faute, parce ce que je ratais trop d’occasions. Je me suis posé trop de questions et j’ai perdu confiance « .

Les mauvais résultats de l’équipe précipitèrent le limogeage de Saint-Jean, début mars, et son remplacement par GeertBroeckaert. Un nouveau coup du sort pour Dimbala.  » Avec Saint-Jean, le courant passait très bien. Je l’avais connu pendant deux ans en Espoirs, et avant qu’il signe à Mouscron, je l’avais eu plusieurs fois au téléphone. Je sentais qu’il avait envie de travailler avec moi et j’étais prêt à le suivre, même dans un club de division inférieure. Les premiers mois avec Broeckaert se sont bien passés également. Puis, au début de cette saison-ci, le vent a tourné. J’ignore ce qui a provoqué cette volte-face à mon égard. Subitement, je ne comptais plus. J’ai parfois été traité comme un gamin. J’en ai bavé, mais je n’en dirai pas plus. Sinon, on me reprocherait de vouloir me venger « .

Lorsqu’il évoque la période difficile qu’il a traversée sur le plan sportif, Dimbala occulte aussi volontairement un épisode très noir de sa vie, mais qui l’a sans doute perturbé plus qu’il n’ose l’avouer : les ennuis judiciaires de son frère, accusé d’avoir fait partie d’une bande de jeunes qui semait la terreur à Bruxelles.

Dimbala :  » Je trouve qu’on en a assez parlé, et comme personnellement, je retrouve du crédit à Mouscron, je préfère me concentrer sur mon jeu. Si les ennuis de mon frère ont eu une influence sur mon rendement ? A votre avis ? Un frère reste un frère, et lorsqu’un membre de sa famille a des problèmes, on en est logiquement affecté. S’il a fait des bêtises, il doit être jugé pour ce qu’il a fait, mais il ne doit pas être montré du doigt parce qu’il est le frère d’un footballeur. C’est surtout cela que j’ai regretté « .

Put le sauveur

Pendant le mercato, Dimbala fut annoncé sur le départ :  » On ne m’a jamais demandé expressément de partir, mais j’étais sur une voie de garage. Seulement, je n’ai jamais reçu de proposition concrète, et je suis donc resté « .

L’arrivée de Paul Put fut une bénédiction. Pour son premier match à la tête des Hurlus, sur le terrain de Lokeren, l’entraîneur campinois avait dû racler les fonds de tiroir pour composer son équipe. Dimbala faisait partie des joueurs disponibles et il a su saisir sa chance. Depuis, il n’a plus quitté l’équipe. Aligné tantôt comme attaquant de pointe (à Lokeren), tantôt sur le flanc droit (contre Beveren en quarts de finale aller), tantôt sur le flanc gauche (à Westerlo, contre Charleroi et à Beveren en quarts de finale retour) et tantôt comme soutien d’attaque (contre Anderlecht), il a à chaque fois démontré son utilité.  » Les directives que me donne Put me rappellent un peu celles de Saint-Jean. Défensivement, je dois aussi beaucoup travailler, mais offensivement, j’ai également beaucoup de libertés. Je ressens aussi, au sein de l’équipe, une vraie solidarité : lorsqu’un joueur perd le ballon, un autre vient à son secours. Le banc réagit positivement, lui aussi. Le jour où un autre joueur recevra sa chance, je suis sûr qu’il se donnera également à 100 %, car il règne actuellement une bonne mentalité dans le groupe « .

Est-ce à dire que ce n’était pas le cas précédemment ? Dimbala répond diplomatiquement à cette question :  » Comment pourrais-je le savoir, puisque je n’étais pas dans le groupe « .

Sous la houlette de Put, l’Excel est devenu plus consistant sur le plan défensif. Une évolution qu’il ne le doit pas uniquement au gardien et au compartiment arrière, mais aussi au travail des médians et des joueurs de flanc :  » Tout le monde, des attaquants aux défenseurs, doit contribuer au travail défensif. Et lorsqu’on inscrit un but, c’est désormais très difficile pour l’adversaire de revenir à notre hauteur. D’autant qu’il doit se découvrir et qu’on excelle en contre-attaque. A domicile, on n’est pas encore aussi efficace. Les supporters nous mettent la pression. Lorsqu’on met trop de temps à trouver la faille, ils se mettent à siffloter. Ils attendent de nous qu’on fasse le jeu et qu’on accule l’adversaire devant son but, mais on n’en est pas encore capable. Pour l’instant, on travaille certaines phases. Cela viendra progressivement « .

Pas assez égoïste

Entre Put et Dimbala, le courant semble passer.  » J’apprécie sa manière de me parler. Je me souviens d’une phase à l’entraînement où, isolé à cinq mètres du but, j’avais tiré au-dessus. Un autre entraîneur aurait peut-être lancé un gros juron ou m’aurait engueulé, en me criant : – Patrick, commentestcepossible ? Put, lui, a simplement crié : – Patrick, danslerectangle, c’estl’Irak ! Par ce langage imagé, il entendait me faire comprendre que, les 16 mètres, c’était une zone de combat où il fallait s’imposer. C’est tout bête, mais cela m’a fait rigoler et j’ai compris le message. Je ne serai jamais un vrai buteur. Je rate parfois des occasions qualifiées d’immanquables, et mon vrai problème, c’est que je ne suis pas assez égoïste. Mes agents et mes proches me l’ont déjà reproché : je devrais davantage songer à marquer moi-même. J’ai déjà essayé, en certaines occasions, de me montrer plus égoïste, mais je n’y parviens pas. C’est dans ma nature. Avant chaque match, je rassure mon partenaire d’attaque en lui disant : – Net’inquiètepas, sijepeuxt’offrirunbonballon, tulerecevras ! Des joueurs comme moi, c’est toujours utile dans une équipe, mais il est préférable de ne pas en avoir deux ou trois, car si l’on arrivera régulièrement devant le but, il n’est pas acquis que les filets trembleront souvent. J’ai besoin de sentir le ballon à mes pieds, de courir, de dribbler, de faire ch… mon garde du corps. OlivierBesengez pourrait en témoigner, j’adore le provoquer à l’entraînement. Je le passe en un contre un et cela le fait enrager. Je sais qu’il essaiera de se venger et qu’il me tacklera durement à la première occasion, mais peu importe : c’est dans ce contexte-là que je me sens le mieux. Certains me disent que je n’ai pas encore assez pris conscience de mon talent. Peut-être, effectivement, devrait-on m’ouvrir les yeux « .

Le passage vers l’âge adulte

Samedi prochain, ce sera le déplacement à La Gantoise. Un match spécial pour Dimbala ?  » Surtout un match que je sens bien. Je suis convaincu qu’on peut réaliser un bon coup là-bas. On sera encore plus avancé dans la remise en place de l’équipe puisqu’on aura encore eu une semaine de préparation supplémentaire avec Put. J’ai passé deux ans et demi à Gand. J’en garde à la fois un bon et un mauvais souvenir. C’était la première fois que je quittais mon nid et ce fut difficile pour moi. J’ai toujours eu peur des premiers contacts. Encore aujourd’hui, je nourris une certaine appréhension lorsque je débarque dans un nouvel environnement. Lorsque je ne suis pas avec mes copains d’enfance, je suis très timide. J’ai besoin de faire plusieurs stages pour apprendre à bien connaître les gens avec lesquels je vais devoir cohabiter. Est-ce à dire que j’apprécie les stages ? Pas du tout ! Je déteste cela, comme tous les footballeurs je pense, mais que cela renforce un groupe. A force de vivre ensemble 24 heures sur 24 pendant plusieurs jours, on apprend à se connaître, et dans le meilleur des cas, à s’apprécier. J’ai beaucoup mûri à Gand. C’était une sorte de rite initiatique pour moi. C’est là que je suis devenu un homme. J’ai découvert un monde où l’amitié passait au second plan, où les coéquipiers étaient de collègues de travail avant d’être des copains. Cela ne s’est pas toujours bien passé. En partie à cause de l’entraîneur néerlandais JanOldeRiekerink, qui n’a jamais compris comment il fallait me prendre, mais en partie aussi à cause de moi. A l’époque, j’étais jeune et… un peu stupide. Je n’acceptais pas les décisions du coach et je l’ai parfois fait savoir de manière trop vindicative. Je ne comprenais pas qu’un autre joueur, quel qu’il soit, puisse être titularisé à ma place. J’estimais que j’étais le meilleur et que je devais jouer. GabyMudingayi et moi, on était les fouteurs de m… dans le groupe. On n’était pas méchants, mais on était jeunes et on aimait s’amuser. Je suis devenu indésirable. J’en ai été très affecté, au point qu’à un moment donné, j’ai eu envie d’arrêter le football. J’ai eu la possibilité de partir à Zulte Waregem, mais j’ai refusé parce que c’était en D2. Or, j’ai accepté de partir à Courtrai, qui jouait en… D3. Allez comprendre. La raison de ce choix, c’était tout simplement la présence de ManuFerrera. J’avais appris à l’apprécier à Alost. Beaucoup de joueurs avaient des problèmes de contrat et c’est lui qui partait se battre avec les dirigeants pour qu’on touche notre salaire à la fin du mois. Des gens comme lui, il y en a très peu. Je savais qu’à Courtrai, il n’allait pas me faire ch…, et effectivement, je me suis beaucoup amusé au stade des Eperons d’Or. J’ai repris goût au football. Malgré tout ce qui s’est passé, je peux considérer, avec le recul, que je n’ai pas fait une erreur de parcours en partant à Gand. Si j’étais parti à Bruges ou à Anderlecht, comme j’en avais eu la possibilité, j’aurais sans doute été réduit à un rôle de réserviste. Et si j’étais parti à l’étranger, loin de ma famille, je me serais fourvoyé. A Gand, j’ai parfois eu l’impression d’être victime d’injustices, mais les épreuves que j’ai traversées m’ont endurci. J’en ai tiré les leçons et on a pu s’en rendre compte lorsque j’ai connu d’autres moments difficiles à Mouscron. Alors que Broeckaert m’en a fait voir de toutes les couleurs, je me suis tu. Jamais vous n’avez pu lire la moindre déclaration fracassante de ma part dans la presse. Si j’avais eu quelques années de moins, j’aurais pété les plombs « .

Et l’avenir ?

Fin juin, Dimbala arrivera en fin de contrat à Mouscron. Il y a quelques semaines à peine, on n’aurait pas donné pas cher de ses chances de reconduction. Mais, lors des derniers matches, il a bien plaidé sa cause. Puisqu’il semble avoir trouvé en Paul Put un entraîneur disposé à lui faire confiance, pourquoi irait-il voir ailleurs si l’herbe est plus verte ? A fortiori, s’il affirme éprouver autant de difficultés d’adaptation lorsqu’il doit se fondre dans un nouvel environnement ?

 » On verra, je n’en suis pas là. Pour l’instant, ma seule ambition consiste à jouer comme titulaire les 12 matches en championnat figurant encore au programme. Plus, évidemment, les demi-finales de la coupe, et pourquoi pas, la finale. Ce serait un rêve. Après cela, je verrai si les dirigeants de l’Excel me proposent une prolongation de contrat. Mais si je ne parviens pas à passer outre à cette appréhension qui me guette lorsque je me trouve face à de nouveaux coéquipiers, je ne mérite pas d’être footballeur professionnel. Car c’est le propre du footballeur moderne de changer d’environnement et de s’adapter à un contexte changeant « .

DANIEL DEVOS

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