LES 12 TRAVAUX DE SILVIO

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Une douzaine de mois à Anderlecht et – déjà – autant d’obstacles surmontés par le gardien des Mauves et des Diables. Hercule veut avancer !

Dans la mythologie grecque, le demi-dieu Hercule en avait bavé pour mener à bien les 12 infernaux travaux qu’on lui avait imposés. La saison dernière, à Anderlecht, Silvio Proto (23 ans) a aussi ramé pour surmonter 12 difficiles épreuves. Pour résumer : en apéro, un transfert plus que compliqué en provenance de La Louvière ; en plat, un début de saison sur le banc ; en dessert, des rumeurs d’implication dans un match prétendu truqué et des allusions continuelles à son amitié avec le sulfureux Pietro Allatta ; et en pousse-café, une sérieuse blessure au genou qui l’a empêché de fêter le titre entre les perches. Mais Proto préfère retenir le positif :  » J’ai été moyen avec Anderlecht et bon avec les Diables Rouges. J’ai aussi été champion, une distinction que personne ne pourra jamais m’enlever. Je ne peux pas me plaindre « .

A peine débarrassé de ses béquilles, Proto passe une partie de ses journées en salle de musculation pendant que ses coéquipiers transpirent sur le terrain. Son come-back dans l’équipe n’est pas pour demain mais le moral est bon. Retour sur ses 12 travaux de 2005-2006 et détail de ses ambitions pour 2006-2007.

1. Transfert

C’est la saga de l’été 2005 : il faut près de deux mois pour finaliser le transfert de Proto, de La Louvière à Anderlecht. A cause d’un tas de problèmes : ses exigences financières, les conditions de Filippo Gaone, la présence de l’encombrant Pietro Allatta dans les négociations.

Silvio Proto :  » Les difficultés pour régler le transfert ont clairement provoqué une partie des problèmes que j’ai connus plus tard dans la saison. Tout aurait dû être réglé deux mois plus tôt : Anderlecht me voulait, je souhaitais venir dans ce club, tout paraissait simple. Mais ça ne l’était pas du tout. Je ne suis finalement arrivé qu’à la fin du mois de juillet : beaucoup trop tard pour vivre une saison dans de bonnes conditions. Si j’avais participé à la préparation dès le début, tout aurait été différent par la suite. C’est une leçon pour le futur. Quand je devrai encore négocier avec un club, je m’y prendrai autrement. Mais bon, il y a aussi des côtés positifs à ces discussions difficiles : en refusant les conditions qu’Anderlecht me proposait au début, j’ai fini par avoir pratiquement le salaire que je souhaitais. Et je pense que tout le monde est sorti gagnant de l’affaire « .

2. Banc

Frankie Vercauteren joue la carte Daniel Zitka en début de saison. Certains lui mettent une grosse pression pour qu’il aligne Silvio Proto, mais le Tchèque reste dans le but.

 » Mon adaptation a été difficile. Je savais que je passais d’un petit club dans une grande équipe mais j’avais sous-estimé le fossé. Tout est plus grand à Anderlecht. J’étais conscient qu’on allait y parler plus de moi mais j’ai eu du mal à gérer ce nouvel intérêt des supporters, des médias, de tout le monde. En début de saison, je pestais parce que je ne jouais pas. Mais si l’entraîneur m’avait titularisé dès mon arrivée, il m’aurait tué. Parce que je n’étais pas prêt. Je n’avais pas assez côtoyé le groupe pendant la préparation et j’avais encore du mal à comprendre le jeu des défenseurs. Ici, la ligne arrière joue beaucoup plus haut qu’à La Louvière et cela me posait des problèmes durant l’été. Encore un élément que j’avais sous-estimé. Vercauteren a vu clair et je ne sais pas ce qui se serait passé s’il m’avait lancé directement en équipe Première. D’ailleurs, je me suis planté dans mes deux premiers matches amicaux : ce n’était pas un hasard. J’avais aussi eu le tort d’aborder ces deux rencontres en ne me mettant aucune pression, en me persuadant qu’il n’y avait pas d’enjeu. Et c’est comme ça que je suis passé complètement à travers lors de ma toute première apparition, contre Southampton. Ce jour-là, j’ai aussi été victime d’un phénomène fort compréhensible : la soupape a lâché après les semaines difficiles que je venais de vivre. Je n’étais pas bien du tout dans ma tête. Et c’était mon tout premier match depuis la fin de championnat avec La Louvière, deux mois et demi plus tôt. Je n’avais plus tous mes repères « .

3. Débuts ratés

Vercauteren étonne tout le monde quand il titularise Proto à Genk, lors de la quatrième journée : 3-3 et le gardien mauve est loin d’avoir été irréprochable.

 » J’avais conscience qu’on m’attendait au tournant, en pleine polémique sur le poste de keeper du Sporting. Je n’ai pas été étincelant ce jour-là. En quittant le terrain, je me suis dit que ma chance était peut-être passée et que j’allais probablement retourner sur le banc pour un séjour prolongé. On ne m’a pas épargné, comme si un gars de 22 ans n’avait pas le droit à l’erreur. Plus tard, j’ai compris que je n’étais toujours pas tout à fait prêt à ce moment-là « .

4. Flop européen

Anderlecht boit à nouveau la tasse en Ligue des Champions mais Silvio Proto y réussit de bonnes choses.

 » Le résultat final nous a laissés sur notre faim, c’est sûr. Mais il n’était que logique. Quel est le budget d’Anderlecht par rapport à ceux de Liverpool, Chelsea et Séville ? Nous avions la quatrième équipe du groupe en qualité et nous avons terminé à la quatrième place : tout est donc très logique. Mais cette campagne ne m’a pas été inutile. Je me suis montré. C’est même en Ligue des Champions que j’ai joué mon meilleur match de la saison : à domicile contre Séville. J’ai fait une erreur après quelques minutes mais je me suis directement repris en main et j’ai sauvé beaucoup de ballons chauds. Ce soir-là, j’ai figuré dans l’équipe idéale de la Ligue des Champions : quel autre gardien belge peut en dire autant ? C’est une fierté, un souvenir qui restera « .

5. Diables out

Silvio Proto est le gardien titulaire des Diables Rouges en fin de campagne éliminatoire pour la Coupe du Monde. Il participe donc au naufrage de la non- qualification.

 » Une très grosse déception car après avoir gagné ma place, j’ambitionnais forcément d’aller au Mondial. Aujourd’hui, quand je vois certains pays qui sont allés en Allemagne, je me dis qu’il y a des injustices : nous étions plus forts que plusieurs participants. Enfin, je me console en me disant que si les Belges étaient allés à la Coupe du Monde et que j’avais dû rester ici à cause de mon opération, cela aurait été encore plus infernal à vivre. Je reste positif : René Vandereycken m’a directement convoqué quand il a repris les Diables, je sais donc qu’il compte sur moi. Je sais que j’ai les qualités et le mental, on me dit que je reviendrai plus fort après ma rééducation, donc je crois à fond à mon retour en équipe nationale. Revenir plus performant qu’avant, ce serait ma plus belle récompense après tout ce que j’endure pour le moment « .

6. Rumeurs en Espoirs

Les Espoirs sont éliminés in extremis de la course à l’EURO par l’Ukraine. Ils ont été assassinés dans les dernières secondes du barrage retour. Ils ont très mal géré une fin de match qu’ils contrôlaient parfaitement. Proto, international A, a fait son retour dans le but pour ce rendez-vous. Quelques mois plus tard, on entendra des allusions sur la perte de balle coupable de Thibaut Detal et le manque d’assurance de Proto sur le but décisif des Ukrainiens. On parlera de mises élevées sur ce match. Délicat en pleine tempête. Benjamin De Ceulaer, un joueur de l’équipe, attaquera publiquement les Wallons jouant en Espoirs.

 » Les gens qui ont insinué des trucs pareils se tairaient directement s’ils connaissaient mon salaire à Anderlecht ! Avec ce que je gagne ici, il y a peu de risques que je me laisse acheter ! Mais c’est devenu fou : on dit aujourd’hui n’importe quoi pour se rendre intéressant. Si ça continue, on dira bientôt que j’ai parié sur des courses de canards… Comment De Ceulaer ose-t-il dire que Detal rigolait dans le vestiaire après ce match ? Il pleurait comme un gosse. Des gars comme De Ceulaer, je préfère les ignorer complètement. C’est grâce à mes prestations qu’on parle de moi, mais comme il n’a pas cette chance, il cherche une autre façon de se mettre en évidence : il dit n’importe quoi dans les journaux. Il fait sa petite carrière aux Pays-Bas, qu’il réussisse ou qu’il se plante, ça ne me fait ni chaud ni froid « .

7. Pietro Allatta

Dès le déclenchement du scandale des matches truqués et les rumeurs sur Pietro Allatta, on rappelle régulièrement que Silvio Proto est le protégé de cet agent. Une amitié embarrassante. Dans plusieurs stades, Proto se fait chambrer par les supporters adverses.

 » Il y a des imbéciles partout, des gens qui ne respectent personne, à commencer par eux-mêmes. On dit qu’il faut répondre aux imbéciles par le silence ; moi, j’ai répondu par mes prestations. Ça peut paraître paradoxal mais c’est à ce moment-là que j’ai joué mes meilleurs matches. Pourtant, je dormais mal à cause de tous ces bruits. Les supporters du Standard ne m’ont pas épargné : à eux, j’ai répondu par le titre de champion. Ils l’attendent depuis 23 ans : à cause d’Anderlecht et de Silvio Proto, ils devront encore patienter. Aujourd’hui, mon amitié avec Pietro Allatta est de toute façon de l’histoire ancienne. Je ne suis plus son joueur, je travaille avec l’Anglais Peter Louwes depuis la fin de la saison. C’est la fin d’une longue histoire entre Allatta et moi, nous n’avons plus aucun contact mais c’est la vie. Il connaît les raisons qui m’ont poussé à ne plus collaborer avec lui. Je n’en dirai pas plus. Je signale simplement qu’Anderlecht n’est pour rien dans mon choix, pas plus que les histoires de matches arrangés. Ça me va loin, en tout cas, qu’on m’ait suspecté dans cette affaire simplement parce que j’avais Allatta comme agent. J’ai des copains d’enfance qui sont aujourd’hui en prison mais ce n’est pas pour ça que je suis un bandit, hein !  »

8. Blessure

En avril, deux jours avant le choc pour le titre entre Anderlecht et le Standard, Proto se crashe à l’entraînement : ligaments croisés en compote, opération en vue et indisponibilité de longue durée.

 » J’aurais la rage, la haine si j’avais été blessé par un adversaire. Mais ici, non, je ne peux en vouloir à personne puisque je me suis blessé tout seul. Je suis mal retombé, il n’y a eu aucun contact. C’est le destin, un coup du sort, je suis croyant et je me dis que ça devait arriver. J’avais été épargné avant ça. Cette blessure est arrivée à un mauvais moment dans la mesure où elle m’a fait rater le match de championnat le plus important de la saison, puis la ligne droite finale vers le titre. Mais je préfère me dire qu’elle est plutôt survenue à un bon moment : j’ai raté un tout petit bout de la saison passée et je vais manquer un morceau de la prochaine. Si je m’étais blessé en plein championnat, j’aurais loupé beaucoup plus de matches « .

9. Titre en spectateur

Proto est absent pour les deux moments forts de la fin de saison des Mauves : la victoire contre le Standard et le titre.

 » Je me suis senti bouillir quand les équipes d’Anderlecht et du Standard sont montées sur le terrain. Je me suis dit que ce n’était pas juste, que j’étais privé de cette fête alors que j’avais travaillé toute la saison pour vivre un moment pareil dans le but. Je me suis retrouvé là comme simple spectateur dans la tribune : très dur. Mais quand j’ai dit que j’étais content pour Zitka, je le pensais à 300 %. Il a sauvé le match, nous a rapprochés du titre : c’était vraiment mérité pour lui après la saison difficile qu’il avait traversée. Deux semaines plus tard, j’ai fait la fête avec mes coéquipiers mais elle n’avait évidemment pas la même saveur. J’avais mal au genou, je n’étais pas bien dans ma tête. Mais une chose est sûre : ce titre, j’en suis aussi l’auteur, et cela, personne ne pourra me l’enlever. Anderlecht a terminé avec la meilleure attaque, la meilleure défense et le trophée : même si les gars du Standard y ont longtemps cru, ils n’avaient plus qu’à s’incliner. Le Sporting était le plus fort « .

10. Opérations et rééducation

La reconstitution de ligaments croisés est l’une des blessures les plus sérieuses pour un footballeur. Récemment, Silvio Proto est encore passé sur le billard pour un nettoyage de la cheville.

 » Cette nouvelle opération était prévue depuis longtemps, on l’avait planifiée pour la fin du championnat. Au niveau de mon genou, je suis dans les temps. Pour le moment, je suis toujours limité à la kiné et à la musculation. Je devrais pouvoir reprendre la course dans un bon mois s’il n’y a pas de complications entre-temps. Après cela, je passerai par une période d’entraînement spécifique pour gardiens, ensuite je retrouverai le groupe. Dans deux mois sans doute. Je suis incapable de dire dans combien de temps je serai à nouveau opérationnel. Mentalement, ce n’est pas toujours simple à gérer. J’ai surtout souffert quand je dépendais des autres, juste après mon opération au genou. J’ai toujours été très indépendant et je ne supportais pas qu’on doive s’occuper de moi. Beaucoup de gens m’encourageaient, mais à la limite, ça me dérangeait car je n’ai jamais voulu compter que sur moi-même et je voulais m’en sortir seul « .

11. Les Loups en D3

Silvio Proto a passé six ans à La Louvière, c’est ce club qui lui a fait découvrir la D1 et la Coupe d’Europe, qui l’a catapulté en équipe nationale. Aujourd’hui, la RAAL n’existe plus, ou si peu.

 » C’est la chronique d’une descente aux enfers annoncée. Chaque année, ça passait de justesse mais on se doutait bien que ça finirait un jour par craquer. C’est le résultat d’une gestion fort discutable. Je n’ai plus aucun contact avec Filippo Gaone depuis qu’il m’a attaqué publiquement, au moment de mon transfert à Anderlecht. Si j’ai mal aujourd’hui, c’est pour des couleurs, pour une région, pour des supporters, pour un gars comme Frédéric Tilmant qui se retrouve à la rue, pour d’anciens coéquipiers qui continuaient à m’appeler la saison dernière en me disant qu’ils n’étaient plus payés « .

12. Tout refaire

On se croirait revenu un an en arrière : Daniel Zitka va entamer la saison dans les buts, Silvio Proto devra patienter pour récupérer sa place. On sait seulement qu’à cause de sa blessure, l’attente sera bien plus longue qu’il y a un an.

 » Ma première victoire sera de revenir à mon meilleur niveau. Après cela, je continuerai à me battre pour reprendre mon bien. Passer toute la saison sur le banc ? Je n’ose pas y penser. Je ne sais pas comment je réagirais. J’espère que je pourrai me montrer aussi sportif et positif que Zitka : il le faudrait, de toute façon. S’il a su afficher cette solidité mentale, je dois aussi en être capable. Mais je ne me pose pas toutes ces questions pour le moment, j’ai des choses plus urgentes et plus importantes à faire. Je suis braqué à fond sur ma rééducation. Quand l’idée de redevenir numéro 2 après ma guérison me traverse l’esprit, je me dis que j’ai de bonnes certitudes. J’ai beaucoup joué la saison dernière, j’ai décroché le titre pour ma première année à Anderlecht. Ce fut difficile au début et catastrophique à la fin à cause de mon genou, mais entre les deux, j’ai eu plein de bonheur. J’ai fait taire ceux qui m’attendaient au tournant, j’ai sauvé des points. Je pensais évoluer à un plus haut niveau mais je suis satisfait quand même : je parlerais d’une saison normale, sans plus. Je dois encore me bonifier et Anderlecht doit poursuivre sur la lancée du titre. Les nouveaux joueurs sont déjà intégrés, les Argentins se sentent déjà chez eux. Je n’ai pas d’inquiétudes au niveau des individualités mais il faut que la sauce prenne vite sur le plan collectif. Ce club ne peut pas se permettre de saison de transition comme le Standard ou d’autres « .

PIERRE DANVOYE

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