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Les 1000 meilleurs coureurs belges

Ecrit par notre rédacteur en chef Jacques Sys, le livre  » Top 1000 van de Belgische wielrenners  » dresse le portrait de mille coureurs belges qui ont donné vie au cyclisme pendant plus de 150 ans. L’ouvrage n’a pas été traduit en français mais en voici quelques anecdotes savoureuses.

CYRILLE VAN HAUWAERT (1883-1974) a été un pionnier du cyclisme. Il a été le premier à personnifier ce qu’on a appelé  » le coureur flandrien  » ou le  » Flandrien  » tout court. ll parvenait, en effet, à se sublimer dans les pires conditions climatiques. Parfois, il grelottait de froid avant le départ d’une course mais il ne se plaignait pas. Une fois, avant Bordeaux-Paris, il n’arrivait même plus à remuer ses mains. Elles s’étaient transformées en glaçons. Van Hauwaert a trouvé une solution : il a… uriné sur elles, pour les réchauffer.

L’homme avait été tout aussi impuissant avant un mémorable Milan-Sanremo en 1910. 71 coureurs avaient alors pris le départ mais trois seulement avaient franchi la ligne d’arrivée. La température était si sibérienne que Van Hauwaert s’était arrêté à la sortie d’un tunnel et assis sur une pierre, en se couvrant d’un manteau. Il allait finalement abandonner, après être entré dans une auberge pour se glisser près du feu et y plonger ses mains.

LOUIS MOTTIAT (1889-1972) est un des meilleurs coureurs wallons de l’histoire. On le surnommait l’Homme de Fer. Il était comme un poisson dans l’eau dans les marathons. Il s’est ainsi adjugé Paris-Brest-Paris, une course de 1.200 kilomètres qui avait lieu tous les dix ans. Mottiat surclassait ses concurrents, au point de pouvoir se permettre de commander un repas complet et de le déguster tranquillement au bord de la route. Le jour de son succès, il avait 23 minutes d’avance sur le Français Eugène Christophe. Ensuite, il a ouvert le bal, pour ne rentrer chez lui qu’à deux heures du matin.

Cyrille Van Hauwaert mettait ses mains dans les flammes pour les réchauffer.

PAUL DEMAN (1889-1961) a remporté le premier Tour des Flandres en 1913, un an avant la Grande Guerre. Deman a échappé deux fois à la mort durant les combats. Il a décidé de mettre ses talents de coureur au service de la paix. Ainsi, il dissimulait des rapports secrets dans une dent en or et les apportait à vélo aux Alliés, juste au-delà de la frontière néerlandaise. Six semaines avant l’Armistice, il a été arrêté et incarcéré à la prison de Louvain.

Condamné à la mort par balle, il a échappé à l’exécution de justesse : le camp a été libéré le jour-même. Mais comme il était dans une cellule réservée aux condamnés à mort et qu’il s’exprimait avec un lourd accent flandrien, les Alliés l’ont pris pour un Allemand et ont voulu l’exécuter. Une missive de Bruxelles a mis fin au drame. Deman a été décoré pour les services rendus pendant la guerre et après une interruption de quatre ans, il a repris sa carrière cycliste.

RITTEN VAN LERBERGHE (1891-1966) était fort comme un chêne. Au Tour des Flandres 1919, en pleine finale, il s’est arrêté dans un café pour descendre deux bières. À l’arrivée, il a crié aux spectateurs qu’ils feraient mieux de réintégrer leurs pénates car il avait une demi-journée d’avance. Il a encore taillé une bavette avec un spectateur, avant de parcourir les dernières centaines de mètres. Avant même le départ, Van Lerberghe avait raconté à ses rivaux qu’il allait les épuiser tous. Il n’avait pourtant pas l’air très concentré : il avait oublié son vélo à la maison et avait emprunté celui de son beau-frère. Ça ne l’a pas empêché de réaliser sa prédiction. On le surnommait le Coureur de la Mort de Lichtervelde.

Georges Ronsse : déjà usé à 26 ans aux yeux de beaucoup.
Georges Ronsse : déjà usé à 26 ans aux yeux de beaucoup.© BELGAIMAGE

LUCIEN BUYSSE (1892-1980), le lauréat du Tour 1926, avait un estomac en béton. Il emportait un quart de kilo de sucre, quatre oeufs crus, trois grandes côtes d’agneau, deux cuisses de poulet et trois sandwiches au jambon. À la stupéfaction générale, il engloutissait le tout au premier ravitaillement. Avant d’engouffrer la même portion au suivant.

Initialement, Lucien Buysse était un valet au Tour. Il a conduit l’Italien Ottavio Bottecchia aux succès en 1924 et en 1925. Il s’entendait bien avec lui. C’était bien différent avec Francis Pélissier, désigné chef de file en 1925. Buysse avait reçu l’ordre de l’épauler mais il s’est vite lassé de devoir ramener sans cesse le hautain Pélissier dans le peloton. Francis Pélissier allait perdre une demi-heure. Le soir, à table, les deux hommes se sont disputés avec une telle virulence qu’ils se sont emparés de leur couteau. Il a fallu les séparer.

STAF VAN SLEMBROUCK (1902-1968) était un homme des bois. Il s’est surtout rendu célèbre au Tour de France. L’étape entre Bayonne et Luchon est mémorable. En 1926, il l’a roulée avec le maillot jaune, dans des conditions inhumaines, franchissant notamment le Tourmalet et l’Aubisque. À un moment donné, Van Slembrouck a voulu remplacer un pneu mais ses mains étaient tellement raidies par le froid qu’il a dû d’abord les plonger dans de l’eau chaude, perdant plus d’une demi-heure.

Son chemin de croix n’était pas terminé pour autant. Il a voulu abandonner, à un moment donné, mais le patron du Tour, Henri Desgrange, estimait que ça ne se faisait pas quand on portait le maillot jaune. Van Slembrouck s’en moquait bien. Désespéré, il a supplié Desgrange de le renverser, pour mettre fin à sa souffrance. Desgrange a alors prévenu ses patrons, qui sont venus le chercher en voiture. Comme d’autres coureurs, Van Slembrouck a été enveloppé dans un sac à grains. Il a franchi la ligne cinq heures après le vainqueur, Lucien Buysse. Plus tard, Van Slembrouck a souvent raconté que ce jour-là, il était mort sans le savoir.

Un journaliste a demandé à Jan Nevens l’effet que ça faisait de rouler le Tour dans l’anonymat. Le lendemain, le coureur remportait l’étape.

GEORGES RONSSE (1906-1969) avait 26 ans quand il a découvert le Tour de France. Les journaux parlaient d’un coureur usé alors qu’il était encore tout jeune mais il donnait cette impression parce qu’il avait déjà un palmarès très étoffé. Ronsse a terminé ce Tour à une méritoire cinquième place. Il a confié, plus tard, qu’il aurait pu gagner. Il a perdu 25 minutes dans une mémorable étape entre Pau et Luchon, marquée par quatre crevaisons. Lors de la quatrième, sa pompe, bouchée par la boue et le sable, a refusé tout service. Il a dû attendre le passage en voiture d’Henri Desgrange, qui lui a lancé quelques pneus. Ensuite, Ronsse a eu un coup de barre tel qu’il n’a plus eu la force d’avancer mais heureusement pour lui, le chauffeur d’une auto lui a donné un poulet. Ronsse l’a avalé en une minute, sans même se rendre compte qu’il était plein d’os.

Rik Van Steenbergen : pas du tout une diva.
Rik Van Steenbergen : pas du tout une diva.© BELGAIMAGE

RIK VAN STEENBERGEN (1924-2003) gagnait déjà 2.400 francs (60 euros) par course à 18 ans. À cette époque, c’était une somme énorme. Une maison coûtait environ 70.000 francs (1.750 euros). Pendant toute sa carrière, Rik Van Steenbergen a tenté de prendre la vie du bon côté. Il se vantait de ses performances mais sans jamais sombrer dans l’arrogance. Il était également dépourvu des caprices et humeurs typiques de tant de champions. Rik Van Steenbergen a toujours été un homme du peuple. Un beau jour, le journal Sportwereld a voulu faire un reportage sur lui. Pas de problème : Van Steenbergen s’est rendu à vélo d’Arendonk à la rédaction à Bruxelles, il a parlé pendant deux heures et demie, puis est rentré chez lui à vélo. Il aimait le folklore et le caractère populaire de son sport.

WILLY VANNITSEN (1935-2001) était le plus véloce de sa génération. Dans un bon jour, le Limbourgeois était invincible. Las, il n’était pas toujours en pleine forme, de même que sa concentration laissait parfois à désirer. Un jour, Vannitsen a voulu participer à la Gullegem Koerse. Arrivé dans le village de Flandre occidentale au volant d’une voiture américaine clinquante, il a attiré l’attention générale. Il est sorti en souriant et a ouvert le coffre d’un geste théâtral pour y prendre son vélo. Pour se rendre compte, finalement, qu’il l’avait oublié à la maison. Il n’en a pas fait tout un plat. Il est entré dans un café et y a joué aux cartes toute l’après-midi.

Lors d’une course à Gullegem, Willy Vannitsen avait oublié son vélo. Pas grave, il a joué aux cartes toute l’après-midi.

GEORGES VANDENBERGHE (1941-1983) était considéré comme un modeste valet, qui passait inaperçu. Jusqu’au mémorable Tour 1968, remporté par Jan Janssen devant Herman Van Springel. Dans la septième étape, il s’est glissé dans une échappée et s’est emparé du maillot jaune.

Le Flandrien allait le conserver onze jours. Il est même parvenu à le protéger au début des cols. Chaque fois qu’il montait sur le podium, c’était le spectacle. Il n’avait ni dents ni cheveux et il tirait ses fausses dents de son sac de sport avant la cérémonie.

CLAUDE CRIQUIELION (1957-2015) a déclaré, avant le Mondial 1984 de Barcelone, qu’il était certain de ne jamais franchir la ligne d’arrivée. Il a même emporté sa trousse de toilette, à la consternation de ses équipiers, afin de pouvoir se rafraîchir dès qu’il abandonnerait. À mi-course, haletant, Criquielion a confié à son équipier Rudy Dhaenens qu’il avait hâte d’arriver, ce parcours ne lui permettant pas de reprendre son souffle un instant. À 50 kilomètres de l’arrivée, le directeur sportif Albert De Kimpe est arrivé à sa hauteur et lui a ordonné d’attaquer. Criquielion n’en a pas cru ses oreilles. Il a cru que De Kimpe était devenu fou. Pourtant, Criquielion roulait bien, sans en avoir conscience. Quand il s’est retrouvé dans un petit groupe de cinq hommes, en tête, il a démarré pour éviter que le groupe suivant n’opère la jonction. Personne n’a pu contrer l’attaque et Criquielion a été sacré champion du monde.

Willy Vannitsen, le plus véloce de sa génération.
Willy Vannitsen, le plus véloce de sa génération.© BELGAIMAGE

GUY NULENS (1957-…) a couru le Tour de France à quinze reprises mais il s’y est rarement distingué. Le Limbourgeois était la personnification du valet : il allait bien plus dans le rouge pour les autres que pour lui-même. Il gagnait peu de courses. Pourtant, Guy Nulens était très apprécié du peloton. Chaque année, il était approché par cinq équipes.

Il repoussait systématiquement les offres. Il est resté neuf saisons au service de l’équipe Panasonic de Peter Post. Rouler en tête, se tuer à la tâche pour les chefs de file, Nulens adorait ça. Ce travail était taillé à sa mesure. Ce n’était pas de la fausse modestie mais la réalité. L’exigeant Post appréciait énormément son travail. Quand il a discuté avec Nulens de sa prolongation de contrat, il lui a demandé d’écrire le montant qu’il souhaitait gagner. Le directeur sportif néerlandais a fait pareil. Quand ils ont ouvert les enveloppes, ils ont découvert que Post proposait plus que Nulens ne demandait. Le Limbourgeois a obtenu ce que son directeur sportif lui avait proposé. C’est ce genre de choses qui l’encourageait à se livrer à fond. Un modèle de professionnalisme.

JAN NEVENS (1958-…) était dans sa chambre d’hôtel pendant le Tour de France 1992, quand un journaliste lui a rendu visite. Il écrivait un reportage sur les lieutenants du Tour. Nevens, qui roulait pour Histor-Sigma, faisait partie des heureux élus. Le journaliste voulait savoir l’effet que ça faisait de courir le Tour dans l’anonymat absolu. Nevens s’est un peu énervé mais, toujours poli, il a répondu à la question.

Le lendemain, Jan Nevens enlevait l’étape du Tour, entre Valkenburg et Coblence. Un journaliste de la VRT lui a demandé ce qui l’avait tant motivé. Nevens a alors parlé de la visite du journaliste, la veille au soir. Piqué au vif, il avait voulu montrer qu’il ne courait pas dans l’anonymat. Il était donc reconnaissant au journaliste de sa question. Ce journaliste n’était autre que l’auteur de ce livre…

Le Criq' lors du Mondial de Barcelone, une course au cours de laquelle il avait voulu abandonner.
Le Criq’ lors du Mondial de Barcelone, une course au cours de laquelle il avait voulu abandonner.© BELGAIMAGE

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