Léon Mokuna, l’attraction gantoise

Sous contrat au Beerschot, David Mukuna-Trouet ne marchera pas sur les pas de son grand-père, Léon Mokuna, qui était une attraction à La Gantoise.

On se trompe quand on dit que Léon Mokuna est le premier footballeur africain de notre championnat. Trente ans plus tôt, un certain Louis Cousin s’était déjà produit pour le Daring Club de Bruxelles.

Mokuna est toutefois le premier Africain à faire parler de lui. Il est devenu une sorte d’attraction pour La Gantoise. Les gens venaient de partout pour le voir à l’oeuvre. Il remplissait les stades. Mokuna était un footballeur brillant: explosif, mobile, fin dribbleur. Il possédait toute une gamme de feintes et ses tirs tendus fendaient littéralement les filets.

Léon Mokuna a commencé à jouer à l’école catholique de Léopoldville, l’actuelle Kinshasa. Il jouait pieds nus, avec des ballons fabriqués grâce à des chiffons. Les scouts du Vita Club Léopoldville l’ont remarqué en premier, puis il est devenu international et a participé à un match contre une sélection afro-européenne. Léon a marqué quatre buts durant la partie, qui s’est achevée sur un partage, 5-5. Grâce à l’ambassadeur du Portugal, il a ensuite rejoint le Sporting CP en 1953, où il est resté quatre ans.

La vie au Portugal ne lui plaisait pas, même s’il baignait dans l’opulence: il avait deux domestiques à son service. En 1957, un journaliste sportif l’a introduit à La Gantoise, où il a évolué jusqu’en 1961. En journée, Mokuna travaillait à la rédaction du quotidien Het Volk, qui publiait un hebdomadaire francophone, et s’entraînait le soir. Mokuna a immédiatement trouvé ses marques à Gand. Il y est devenu populaire, ce qui a suscité quelques jalousies au sein du noyau. Une fois, pendant un match, on ne lui a pas adressé une seule passe. Il était tellement abattu qu’il est resté au vestiaire à la mi-temps.

Sur le terrain, Mokuna a été confronté à des remarques racistes, style « sale noir ». Des supporters lui lançaient parfois des bananes, à moins qu’ils ne poussent des cris de singe. Mokuna s’en est plaint auprès de la la fédération, qui n’a pas réagi.

Il n’a pas eu d’autre choix que de conserver son calme. Après tout, il était venu en Belgique pour jouer au football, même s’il était parfois humilié. Une fois, le capitaine de Saint-Trond, Jan Van Oirbeeck, l’a provoqué et lui a donné un coup. Mokuna s’est tranquillement relevé, s’est dirigé vers lui et l’a mis KO du droit. Un fameux crochet, car il a fallu transporter Van Oirbeeck à l’hôpital. Mokuna a été suspendu quatre semaines. Par la suite, il a encore joué à Waregem, mais une double fracture de la jambe l’a contraint à mettre un terme à sa carrière. Il a été nommé sélectionneur du Zaïre un moment, mais il a continué à habiter Gand.

Nous avons interviewé Mokuna il y a dix ans, à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance du Congo. Léon vivait à Wondelgem dans un modeste appartement, où rien ne rappelait sa carrière sportive: pas une photo, pas une coupe, aucun trophée. Il ne vivait pas dans le passé, même s’il aimait revenir sur sa carrière. Mokuna souffrait d’arthrose et marchait difficilement, suite à toutes les fautes dont il avait été victime. Il parlait avec la voix rauque d’un gros fumeur. Il ne se plaignait pas, même s’il avait eu plusieurs contrecoups professionnels dans sa vie. Mais ses yeux s’animaient quand il parlait de la situation du Congo. Un pays sans perspective, une nation au bord de la faillite, qui s’était engoncé dans une spirale de corruption et de misère après son indépendance. En expliquant tout ça, il avait du mal à contenir son émotion.

Léon Mokuna a bien profité de la vie. Quand on lui demandait combien d’enfants il avait, il avait l’habitude de répondre en riant:  » Beaucoup.  » Léon Mokuna est décédé le 28 janvier 2020, à l’âge de 91 ans. À peu près. Il ne connaissait pas sa date de naissance, car on le n’enregistrait pas, à cette époque. C’est du moins ce qu’il racontait, avec un large sourire.

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