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Leeds United 1919-2019

Le 17 octobre, Leeds United Football Club fête son centième anniversaire comme il se doit. Mais c’était quand même mieux dans le temps.

Remember Lierse. Le guide du stade de Leeds United, un retraité, en devient fou. Que signifient ces deux mots, inscrits sur un panneau dans le tunnel des joueurs à Elland Road, ? Et qu’est ou qu’était le Lierse ? Il a raconté l’histoire des centaines de fois. Durant un sombre mercredi soir, le 29 septembre 1971, les Peacocks ont été humiliés 0-4 par ce petit club belge au premier tour de la Coupe UEFA. C’est resté sa plus lourde défaite en Coupe d’Europe jusqu’à sa visite au Camp Nou, en septembre 2000. Le match s’est achevé sur un score identique mais la défaite contre le Lierse a été plus douloureuse.

Elland Road, le port d'attache de Leeds United.
Elland Road, le port d’attache de Leeds United.© GETTY IMAGE

Deux semaines plus tôt, à Lierre, Leeds s’était imposé 0-2. Les journalistes belges étaient restés au pays. Game over, pensait aussi le manager Don Revie, qui avait ménagé une série de titulaires pour le match retour. A son grand dépit, Soit Janssens – deux buts – et Peter Ressel ont porté le score à 0-3 au repos. A dix minutes du terme, Ressel a scellé le sort de l’équipe locale. Nul n’en croyait ses yeux. Quand les agences de presse ont télexé le résultat, le journaliste de la BRT a même inversé le score : 4-0… Remember Lierse est un avertissement destiné aux générations suivantes.

Gary Speed et John Pearson célèbrent un but face à Sheffield United le 23 septembre 1990. Leeds évolue alors en Division One.
Gary Speed et John Pearson célèbrent un but face à Sheffield United le 23 septembre 1990. Leeds évolue alors en Division One.© GETTY IMAGE

Powerhouse

Leeds était alors une grande puissance en Europe. Il s’était adjugé la Coupe des Villes de Foires, l’ancêtre de la Coupe UEFA, en 1968 puis trois ans plus tard, dans une double confrontation avec la Juventus. Revie avait offert au club son premier titre en 1969 puis, en 1972, à Wembley, sa première coupe.

Le club de Leeds, qui avait surtout été un bastion du rugby dans les années ’50 et ’60, devait compter ses sous et luttait saison après saison contre la relégation à l’embauche de Revie, en 1961. En l’espace de dix ans, celui-ci en a fait un powerhouse du football britannique.

L’homme était spécial. Un apôtre de Machiavel. La fin justifie les moyens, en football comme en tout. Seule compte la victoire. A 33 ans, Revie était toujours capitaine de l’équipe quand il avait demandé au président Harry Reynolds de lui rédiger une lettre de références.

Il voulait en effet devenir manager et rêvait d’un poste à Bournemouth, jusqu’à ce que Reynolds réalise que suite au départ du T1 Jack Taylor, personne ne se pressait au portillon du club, qui végétait en division deux. Don pouvait donc devenir le boss du Yorkshire. Il n’a pas hésité un seul instant.

De 1961 à 1974, Revie a façonné le club à son image. Il a plaidé en faveur d’une meilleur formation des jeunes et, à l’image du Real Madrid, a fait jouer son équipe dans un ensemble d’un blanc pur, tout en passant régulièrement les bornes – et pas un peu -.

Ainsi, alors que son équipe semblait dénuée de chances face au bagage technique du Real Saragosse, il a ordonné aux pompiers de Leeds d’inonder la pelouse. Il approchait ses adversaires pour les inciter à perdre ou, au moins, à ne pas faire de leur mieux.

Dirty Leeds

Des joueurs ont confirmé les rumeurs de match-fixing mais ont refusé de témoigner au tribunal contre leur entraîneur. La fédération anglaise de football ne l’a suspendu pour dix ans que quand il a abandonné l’équipe nationale – il avait vendu le scoop au Daily Mail – pour travailler aux émirats arabes unis.

Un juge l’a dépeint comme un être avide, dangereux, déloyal et égoïste. Ça n’a pas empêché Elland Road de lui offrir une statue. En bronze, les poings serrés. Leeds n’était pas apprécié au-delà du Yorkshire. C’était une équipe de durs à cuire, qui jouaient défensivement et se montraient sans pitié dans les duels. De là son surnom : Dirty Leeds.

 » Affronter Leeds était un cauchemar. Je ne portais de protège-tibias que contre cette équipe « , a déclaré George Best. Alan Peacock l’a formulé autrement quand il a quitté Middlesborough pour Elland Road :  » Je suis content de ne plus devoir jouer contre Leeds. Il ne peut plus m’expédier du terrain.  »

Le capitaine Billy Bremner personnifiait parfaitement la dureté de l’équipe. Jack Taylor, le prédécesseur de Revie, l’avait transféré à Elland Road à la fin des années ’50. L’Écossais était petit (1m66) mais c’était une bête.

Ou, comme il l’expliquait lui-même :  » Je vais à fond dans tout ce que j’entreprends. Qu’il s’agisse de jouer au football ou de m’enivrer.  » Il est décédé en décembre 1997, quelques jours avant son 55e anniversaire, d’une crise cardiaque. Bremner était la plaque tournante de l’entrejeu, l’huile d’une machine cynique. Un capitaine qui jouait sans pitié des coudes et des pieds contre ses adversaires, qui crachait, qui les provoquait ou qui s’effondrait au moindre contact, en parfait acteur. Leeds trouvait son capitaine roux fantastique.

King Billy

Durant ses deux premières saisons, Revie avait renvoyé près de trente joueurs et Bremner n’était pas à l’abri d’un limogeage mais le manager avait décelé son potentiel et une mentalité que n’aiment que les vrais vainqueurs.  » Je ne supportais pas les gars qui ne trouvaient pas grave de ne pas jouer.  » Bremner ne le supportait pas. Revie lui a confié un rôle plus central dans l’entrejeu. Sous la régie du jeune manager et de King Billy, le club a rejoint la First Division (1964) et il a bousculé tout l’ establishment anglais.

La statue de Billy Bremner, icône du club.
La statue de Billy Bremner, icône du club.© GETTY IMAGE

Le bourru et indiscipliné Jack Charlton, que les prédécesseurs de Revie estimaient ingérable, a suivi aveuglément le cap du nouveau manager et s’est mué en défenseur central très fiable, qui a conquis le titre mondial en 1966. Revie a acheté des joueurs chevronnés chez ses concurrents – Bobby Collins (Everton), Allan Clarke (Leicester) et Johnny Giles (Manchester United) -, il a offert leur chance à des jeunes de l’école du club ( Paul Reaney, le gardien Gary Sprake et Norman Hunter) et a complété les trous avec des footballeurs inconnus, comme le buteur Peter Lorimer et Terry Cooper.

Le manager Don Revie et
Le manager Don Revie et  » la girafe  » Jack Charlton célèbrent la victoire en Cup face à Arsenal en 1972.© GETTY IMAGE

 » Il était un père pour nous « , a raconté Sprake, un Gallois qui avait fui Leeds après deux semaines, envahi par la nostalgie, pour rentrer dans la maison familiale à Swansea.  » Le lendemain, Revie était à ma porte. Il avait roulé toute la nuit et m’a convaincu de revenir.  » En 1971, quand Sprake a été impliqué dans un accident, en état d’ivresse, et qu’il a pris la fuite, le manager lui a conseillé de déclarer qu’on lui avait volé son auto, quand il a été arrêté. Faute de preuves, l’affaire a été classée. La fin justifie les moyens. Sans respect pour qui ou quoi que ce soit.

Dirty Leeds. Le champion national, Derby County allait en faire l’expérience au printemps 1973. Les joueurs des Rams se sont fait démolir, ils ont quitté le terrain en boîtant et n’ont pu se retaper pour les demi-finales de Coupe d’Europe des clubs champions, permettant à la Juventus de se qualifier les mains dans les poches.  » Un scandale « , s’exclama Brian Clough, le manager de Derby County, en qualifiant Leeds  » d’équipe la moins sportive d’Europe. On ne retrouve que dans les familles de la mafia italienne l’esprit de famille dont se vante tant Revie.  »

Gordon Strachan
Gordon Strachan© GETTY IMAGE

Damned United

Moins d’un an plus tard, Clough a rejoint… Elland Road. Lors de sa première réunion, il a tenu un discours sévère aux joueurs.  » OK, bande de salauds. En ce qui me concerne, on peut jeter au bac tous les trophées que vous avez gagnés ces dernières années.  » Clough s’est adressé à Norman Hunter, le terrible défenseur qui adorait son surnom, Bites Yer Legs (Mords tes Jambes) :  » Hunter, tu es un gredin que tout le monde déteste. Ne préférerais-tu pas être apprécié ?  »

Hunter a haussé les épaules.  » Je n’en ai rien à cirer.  » Personne, dans le noyau, en fait. Clough a été remercié après 44 jours, sous la pression des joueurs. Le film sorti en 2009 sur cette courte et tumultueuse période porte un titre qui lui convient parfaitement : The Damned United.

 » Qualité et amitié entre les joueurs « , a résumé Peter Lorimer pour tenter d’expliquer le succès du club à la fin des années ’60 et au début de la décennie suivante.  » Nous nous battions les uns pour les autres. Quand quelqu’un me donnait un coup, toute l’équipe avait mal et nous rendions le coup au triple.  »

Revie se renseignait sur les nouvelles copines de ses footballeurs, il organisait des excursions et des soirées de bingo pour eux et parfois, ils se rendaient tous ensemble au pub.  » Quand nous étions à la maison, nous trépignions d’impatience. Nous n’avions qu’une envie : monter en voiture et rejoindre le club.  »

Le Father of the Elland Road Family, qui avait conduit le club à un second titre national en 1974, avait laissé un héritage lourd à assumer. Peu après le bref passage de Clough en 1975, Jimmy Armfield a encore mené le club en finale de la C1 contre le Bayern Munich mais le match s’est très mal passé au Parc des Princes. Les joueurs se sont sentis bernés par l’arbitre français Michel Kitabdjian, qui ignora une faute de mains dans le rectangle et une faute donnant droit à un penalty de Franz Beckenbauer mais annula un but de Peter Lorimer en seconde période. Peu après, Franz Roth et Gerd Müller scellèrent le sort du champion anglais. Les supporters de Dirty Leeds firent ensuite honneur à leur réputation et dévastèrent le stade et la ville.

Gary McAllister
Gary McAllister© GETTY IMAGE

L’UEFA suspendit Leeds pour trois ans. C’était un coup terrible pour le club, qui s’était déjà jugé floué dans la finale de Coupe des Vainqueurs de coupe contre l’AC Milan deux ans plus tôt. L’arbitre, le Grec Christos Michas, fut à son tour suspendu à vie par l’UEFA pour corruption. En 2009, Richard Corbett (Labour), un parlementaire européen de la région, a plaidé en vain pour l’inversion du résultat.  » Tout le monde, y compris l’UEFA, sait que les Italiens ont acheté le match.  »

Sergeant Wilko

Huit ans après la finale européenne, The Whites se retrouvent en division deux, après une telle succession d’entraîneurs qu’il est impossible de s’y retrouver. L’assistance a chuté de 50.000 à à peine 10.000. On évite Elland Road. Le club traîne une mauvaise réputation depuis longtemps, d’autant que des supporters et des membres du British National Front distribuent régulièrement des pamphlets néonazis aux portes du stade. Au printemps 1985, le club loupe de peu la montée, à Birmingham City.

De graves bagarres éclatent à Saint Andrew’s. Des bars et des autos sont démolis, les supporters de l’équipe locale poursuivis. L’effondrement d’une partie de la tribune entraîne la mort d’un adolescent de quinze ans, Ian Hambridge.

Ce n’est pas la dernière fois que des incidents se produisent.  » S’il y avait une catégorie de poids pour les hooligans, ceux de Leeds seraient versés en super-lourds « , raconte-t-on au printemps 2000. Des supporters anglais balancent verres et chaises à la tête des supporters de Galatasaray. Sur la place Taksim d’Istanbul, ils offensent le drapeau turc. Deux Anglais sont poignardés et ne survivent pas à leur voyage.

C’est un nouveau creux de la vague alors qu’au début des années ’90, le club s’était redressé sous la direction d’ Howard Wilkinson. Sergeant Wilko a instauré un régime de fer pour balayer les ruines laissées par le manager Billy Bremner. Au grand désespoir des joueurs, il raie du menu du restaurant du club les trop gras fish & chips. On enlève toutes les vieilles photos collées aux murs.

 » Avec tout mon respect, le club doit cesser de vivre au passé. J’ai précisé qu’on pourrait remettre les photos en place quand nous approcherions du niveau atteint par l’équipe de Revie.  »

Tout va très vite. Remontée au plus haut niveau en 1990, troisième titre national deux ans plus tard. On remet en place les clichés. D’autres s’y ajoutent. Des portraits de Vinnie Jones, Gordon Strachan, Gary McAllister, des jeunes du cru GarySpeed et David Batty. Sans oublier Eric Cantona, le chouchou du public malgré une saison médiocre. Il faut signaler que Wilkinson reste le dernier manager anglais champion national.

Toute la fougue du capitaine Billy Bremner face à Graham Paddon, de West Ham.
Toute la fougue du capitaine Billy Bremner face à Graham Paddon, de West Ham.© GETTY IMAGE

El Loco

A la fin des années ’90, le club, qui a connu une saison irrégulière après le titre, est à la croisée des chemins. Le manager irlandais David O’Leary, un ancien joueur, était audacieux. Il avait fait appel à de nouvelles têtes comme Harry Kewell, Alan Smith et Jonathan Woodgate et prôné l’attaque. Leeds United s’était incliné face à Galatasaray en Coupe UEFA mais en 2000, les millions de la Ligue des Champions tombent dans la cagnotte du Yorkshire.

Don Revie a droit à sa statue aussi à Elland Road.
Don Revie a droit à sa statue aussi à Elland Road.© GETTY IMAGE

Mark Viduka, Robbie Keane, Kewell, Olivier Dacourt, Lee Bowyer et Rio Ferdinand conduisent même leur équipe en demi-finales en 2001 mais Valence est trop fort. Les Peacocks loupent une deuxième qualification consécutive mais le président Peter Ridsdale ouvre les cordons de sa bourse : il prête 96 millions d’euros au club, une somme qu’il compte récupérer grâce aux rentrées du bal des champions.

Vinnie Jones et Chris Fairclough sont aux anges après la promotion du club en 1990
Vinnie Jones et Chris Fairclough sont aux anges après la promotion du club en 1990© GETTY IMAGE

Las, deux ans plus tard, le gouffre financier est colossal : 150 millions. Fin de l’histoire. On vend tous les joueurs qui ont un peu de valeur, même à perte. Le club ne peut être sauvé. C’est la chute libre de Premier League en League One (2007), une première en 88 ans.

Le club devient le jouet d’hommes d’affaires. Comme Ken Bates (2005), ex-président de Chelsea, conspué pour avoir décidé que les enfants et les étudiants devaient payer le tarif plein.  » S’ils veulent voir des matches, qu’ils se cherchent un job.  »

Ou comme Massimo Cellino (2014), qui a été l’homme fort de Cagliari Calcio pendant plus de vingt ans. Un homme bizarre qui use sept managers en quatre saisons et bannit d’Elland Road tous les sièges portant le numéro 17 – un nombre qui porte malheur, d’après lui – pour les affubler d’un 16B.

 » Si je pouvais revenir en arrière, je n’achèterais jamais plus ce club. Je ne me sens pas en sécurité ici. J’ai peur des supporters « , dit-il aux journaux anglais après son départ en 2017. Son compatriote Andrea Radrizzani prend le relais. C’est un brillant homme d’affaires, président et fondateur de l’Eleven Sports Group. L’année dernière, il a convaincu Marcelo Bielsa d’entraîner Leeds, pour 2,5 millions par an.

Le football retrouve la première place dans le Yorkshire, qui recommence à rêver de la Premier League, sous la direction d’ El Loco. Les préparations de match de l’Argentin sont minutieuses, du jamais vu en Championship. Puis on apprend qu’il envoie des scouts espionner les séances de ses adversaires et le club, pris dans le scandale Spygate, est condamné à une amende de 225.000 euros. El Loco la paie de sa poche. Un fou à Leeds. Certains mariages ne peuvent que réussir.

Eric Cantona est passé par Elland Road avant d'aboutir à Manchester United.
Eric Cantona est passé par Elland Road avant d’aboutir à Manchester United.© GETTY IMAGE

Leeds United FC

Fondation

17 octobre 1919

Ville

Leeds (790.000 habitants)

Stade

Elland Road (37.890 places)

En Angleterre

Titres : 3 (1969, 1974, 1992)

Coupe FA : 1 (1972)

Coupe de la ligue : 1 (1968)

Supercoupe : 2 (1969, 1992)

En Europe

C1/Ligue des Champions : finaliste (1975)

C2/Coupe des Vainqueurs de coupes : finaliste (1973)

Coupe des Villes de foires/UEFA/EL : vainqueur (1968, 1971) et finaliste (1967)

Jack Charlton
Jack Charlton© GETTY IMAGE

Les recordmen

Jack Charlton

Jack Charlton, formé par Leeds, lui est resté fidèle de 1950 à 1973. Nul n’a disputé plus de matches de championnat : 629 en première et deuxième divisions anglaises. Toutes compétitions confondues, le défenseur central partage son record de 773 joutes avec une autre icône du club, le médian Billy Bremner.

Peter Lorimer
Peter Lorimer© GETTY IMAGE

Peter Lorimer

L’avant a été le plus jeune joueur, à 15 ans et 289 jours, à enfiler le maillot blanc de Leeds. De 1965 à 1979 et de 1983 à 1986, Peter Lorimer a également battu deux autres records : personne n’a marqué plus de 168 buts en championnat et ses 238 buts toutes compétitions confondues constituent toujours un record à Elland Road.

Rio Ferdinand
Rio Ferdinand© GETTY IMAGE

Rio Ferdinand

En novembre 2000, Leeds United a surpris le monde du football en déboursant 26 millions d’euros pour le défenseur central de West Ham United. A ce moment, nul n’imaginait qu’en juillet 2002, Rio Ferdinand allait signer un nouveau record de club – 46 millions – lors de son transfert à Manchester United.

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