« Leclercq travaillait sans contrat »

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le président des Loups a beaucoup appris depuis un an.

Filippo Gaone a eu besoin de quelques heures pour reprendre ses esprits, après le sauvetage des Loups obtenu sur le terrain de La Gantoise. Au moment où les joueurs fêtaient cette victoire au champagne dans les douches, le président était affalé sur un petit banc dans le couloir menant aux vestiaires. Le teint était blême et on aurait dit que le ciel venait de tomber sur la tête de cet homme plutôt exubérant en temps ordinaire.

Filippo Gaone: Cette soirée fut horrible pour moi. Un de mes fils était au match Lokeren-Harelbeke. Pour nous tenir au courant de l’évolution du score… et s’assurer que ce match se déroulait « normalement », si vous voyez ce que je veux dire. Au coup de sifflet final, j’ai effectivement encaissé un fameux choc. La tension retombait. En quelques minutes, je me suis repassé les images fortes de notre saison et je me suis dit: -Dire que nous avons failli rater le bonheur qui s’offre maintenant à nous. Dans des moments pareils, on se sent tout petit.

Vous vous seriez vraiment retiré en cas de retour en D2?

Sans doute car je ne vois pas ce que j’aurais pu faire de plus pour La Louvière. J’aurais donné l’occasion à un autre président d’essayer d’autres solutions pour que ce club s’installe durablement en D1. Retourner en D2, c’était faire un pas en arrière. Or, que ce soit dans le football ou dans mes affaires, j’ai toujours regardé devant moi.

Le maintien est-il encore plus beau que la victoire dans le tour final?

Cette victoire est plus belle parce que le combat a été encore plus éprouvant que celui de la saison dernière. J’ai été inquiet et stressé pendant tout le championnat. J’espère ne plus jamais vivre une saison pareille. En janvier, plus personne ne croyait en nous. Ensuite, nous prenions des points dans chaque match mais nous ne parvenions pas à quitter les sièges basculants. On a assisté, au deuxième tour, à une terrible révolte des équipes de bas de classement. Sans doute parce que certains clubs étaient démobilisés ou touchés par des rumeurs de départs, de reconduction de contrats, etc. Quand un footballeur rêve de signer au Real ou au PSG mais ne voit rien venir, il ne se donne plus à fond sur le terrain. Ce fut la débandade dans plusieurs clubs et les équipes menacées en ont profité.

Le transfert de Daniel Leclercq a-t-il été le coup le plus judicieux de vos dix ans de présidence?

L’arrivée de Marc Grosjean avait été une toute bonne décision aussi. Je tiens à le rappeler. Nous avons fait ses quatre volontés et lui avons offert tous les joueurs qu’il réclamait, mais il a quand même pris une part prépondérante dans notre montée en D1. J’ai malheureusement dû m’en séparer en cours de saison car je ne voyais plus en lui le chef d’orchestre dont cette équipe avait besoin. La période de son limogeage a été difficile à vivre. Beaucoup de gens nous ont reproché de l’avoir mis dehors. Si j’avais pris cette décision quelques semaines plus tôt, je pense même qu’on aurait assisté à une vraie révolution à La Louvière. Mais dans quelle pièce joue-t-on? Les dirigeants ont quand même le droit de décider, non?

Quelles leçons tirez-vous du recrutement de l’an dernier?

Nous ne voulons plus refaire les mêmes gaffes qu’il y a un an. Nous aurions déjà dû prendre conscience à l’époque que le noyau qui avait forcé la montée n’avait pas assez de qualités pour la D1. Nous n’avons voulu décevoir personne et ce fut une grave erreur. La direction doit aussi reconnaître ses torts: nous avions sous-estimé le fossé qui sépare les deux divisions.

Vous aviez été tolérant il y a un an, mais c’est aujourd’hui le grand nettoyage dans le noyau…

Daniel Leclercq nous a cité les joueurs qui pouvaient rester et ceux qui devaient partir. J’avoue que certaines de ses décisions m’ont surpris. Il ne souhaite pas conserver Ante Simundza, par exemple. Tous les supporters le considèrent comme l’un des principaux artisans du maintien, mais Leclercq estime qu’il n’est pas assez travailleur. Buelinckx restera, mais l’entraîneur a décidé de le faire reculer dans le jeu. Tous nos autres attaquants devraient partir, ce qui nous oblige à transférer massivement dans ce secteur. Nous risquons aussi de devoir acheter trois gardiens! Xhardez a reçu une offre de D2 qui lui permet de combiner le football et un métier, Van Steenberghe n’est plus une priorité pour nous et Proto est cité à gauche et à droite. Le départ de Xhardez me ferait mal parce que sa mentalité est tout à fait exemplaire. D’autres joueurs ont compris qu’ils avaient tout intérêt à jouer une très bonne fin de saison s’ils voulaient rester. Avez-vous vu le match 5 étoiles de Jonaitis à Gand? Il se savait en ballottage défavorable et cela explique son engagement ce soir-là.

Quelles étaient les exigences de Daniel Leclercq en matière de recrutement?

Il veut seize battants qui ont le niveau de la D1, trois gardiens et quatre jeunes capables d’intégrer l’équipe Première dans un délai de six mois. Il exige que tous ses joueurs mouillent leur maillot lors de chaque entraînement et chaque match. Nous serons aussi plus attentifs qu’il y a un an aux qualités purement footballistiques des éventuels transferts. Aujourd’hui, nous achetons de la qualité ou rien. Je n’ai plus envie de devoir transférer un paquet de joueurs en cours de championnat et d’en mettre certains dans le noyau B. Cette saison, notre noyau était devenu beaucoup trop important. Daniel Leclercq estime qu’il ne peut rien faire avec un groupe d’une trentaine d’hommes et je le comprends.

Certains venaient s’entraîner avec des pieds de plombs: nous ne les conserverons pas. Leclercq ne veut que des vrais pros. On sent directement qu’il a travaillé à un autre niveau. Pour lui, le professionnalisme ne doit pas s’afficher seulement dans les mots, mais aussi dans les faits. Il a prévu un décrassage le lendemain de chaque match, la saison prochaine. Cela ne plaira pas à tout le monde, mais l’entraîneur nous a fait remarquer que ces décrassages faisaient partie des habitudes dans les grands clubs.

Pour lui, toutes les rencontres sont importantes. Il m’en a encore donné une preuve la semaine dernière. Il n’était pas très content quand j’ai proposé d’avancer notre match contre Mouscron au samedi soir, pour pouvoir offrir une belle fête à nos supporters. Je lui ai fait remarquer que c’était le dernier match de la saison et qu’il n’avait plus qu’une importance secondaire. Il a mal avalé mon discours et m’a répondu que ce match-là, il voulait le gagner comme tous les autres. Cela illustre sa mentalité et c’est prometteur pour l’avenir. J’étais déçu après le nul contre Charleroi, mais il l’était encore plus que moi. Après l’égalisation de Gand à la dernière minute aussi, il était furieux. Le maintien était dans la poche mais cela ne lui suffisait pas.

Vous avez réussi à conserver Daniel Leclercq alors qu’il a reçu des offres alléchantes, de France notamment. C’est une autre belle victoire?

Je sais que Lille a fait le forcing pour qu’il aille travailler là-bas. Mais je n’ai jamais douté à partir du moment où il m’a promis de rester chez nous en cas de maintien. Entre nous deux, tout est question de confiance. Quand j’ai appris qu’il était libre, je me suis demandé ce qu’un homme pareil pourrait venir faire en Belgique, et surtout à La Louvière. Je n’ai pas voulu lui mentir lors de notre première rencontre. J’ai refusé d’embellir la mariée: je lui ai présenté les choses telles qu’elles étaient. J’ai même eu tendance à noircir le tableau. Je lui ai montré tous les recoins de notre stade. Je ne dis pas que j’étais gêné lorsqu’il l’a visité, mais je n’étais quand même pas très fier (il rit)… Pour lui, le défi sportif était plus important que l’état du Tivoli ou ce qu’il allait gagner chez nous. Cette saison, il était très bien payé selon les normes belges, mais son salaire était bien en dessous de ce qu’un entraîneur gagne dans un bon club français. Nous n’avons même pas signé de contrat! Pour lui comme pour moi, une parole vaut plus qu’un écrit. Mais bon, je fais un peu rire de moi quand je dis que mon entraîneur n’a pas de contrat, et nous allons prendre le temps de rédiger un document officiel pour la saison prochaine.

Quand vous a-t-il promis de rester en cas de maintien?

Peu de temps après son arrivée. J’ai douté une seule fois de son avenir chez nous: après la défaite contre Anderlecht. J’étais satisfait de la prestation de mon équipe. Mais pour Daniel Leclercq, cela ne voulait rien dire. Ce match-là, il aurait voulu le gagner aussi. C’était une défaite honorable pour nous; pas pour lui. Il était tellement déçu que je me suis brièvement demandé s’il allait quand même rester chez nous.

Il n’apprécie pas que des joueurs habitent très loin de La Louvière: comment allez-vous résoudre ce problème?

Je suis tout à fait Daniel Leclercq dans son raisonnement. Mais je ne peux pas imposer à des joueurs déjà sous contrat chez nous de venir s’installer dans la région. Nous serons attentifs à ce phénomène dans les années futures. Si Leclercq reste longtemps chez nous, une clause du contrat de chaque joueur lui imposera d’habiter dans un rayon de 30 ou 40 kilomètres. Attention, cette obligation pourrait s’appliquer à tout le monde: aux médecins, aux kinés, à l’adjoint… et à l’entraîneur principal (il rit). Turaci et ses parents vont quitter Liège pour La Louvière: c’est une preuve du professionnalisme et de l’ambition de ce joueur.

Quelles sont les ambitions de La Louvière pour l’année prochaine?

Les mêmes que celles du début de cette saison: vivre tranquillement dans le ventre mou du classement. Je n’avais jamais imaginé une lutte pareille pour le maintien. Daniel Leclercq est très ambitieux. Encore plus que moi, c’est tout dire. Je ne demande qu’à le suivre. L’appétit vient en mangeant et nous verrons de plus en plus grand. Pour l’entraîneur, l’objectif le plus urgent est de construire une équipe capable d’assurer le spectacle dans tous nos matches à domicile. Cela suppose évidemment une augmentation de notre budget. Nous avons dépensé 115 millions cette saison, pour 105 millions de recettes. Je suis à la recherche de solutions extérieures pour combler ce trou parce que le président ne peut pas mettre éternellement la main au portefeuille. Notre cellule marketing s’étoffe. On sait ce qu’on touche des télévisions et nous sommes pénalisés dans nos recettes en spectateurs parce que nous n’avons que 2.200 places assises, qui étaient toutes occupées lors de chaque match. Il faut gonfler notre budget via l’arrivée de nouveaux sponsors. Cela se présente bien. En début de saison, certains nous faisaient remarquer qu’ils étaient plus des mécènes que des sponsors. Aujourd’hui, ils se rendent compte qu’ils ont touché un return très élevé parce qu’on a énormément parlé de La Louvière.

Vous n’êtes pas tendre dans vos commentaires sur Charleroi, depuis quelques semaines…

Je n’ai pas à juger les problèmes que connaît ce club. Je me pose simplement des questions. Je n’ai pas compris que les joueurs du Sporting se soient battus comme si leur vie en dépendait quand ils sont venus jouer chez nous. S’ils avaient manifesté la même hargne contre Alost et St-Trond, ils auraient facilement battu ces deux équipes au lieu de prendre des casquettes. Charleroi a perdu contre tous nos concurrents directs: Malines, Harelbeke et Alost. Chez nous, Daniel Leclercq exige des joueurs qu’ils se dépensent de la même façon contre la lanterne rouge que face au premier. Il modifie peut-être un peu sa tactique, mais il n’accepte pas une baisse de l’engagement.

Quand La Louvière était en D2, je voyais que les clubs francophones de D1 s’entraidaient. Je rêvais de monter et de faire partie de ce petit groupe. Mais j’ai plutôt observé le phénomène inverse avec Charleroi. J’avais aidé le Sporting quand il avait besoin d’un sponsor il y a quinze ans, mais il me le rend mal… Certaines personnes là-bas estiment sans doute que La Louvière fait de l’ombre à leur club. Moi, je serai le premier à me réjouir si Mons ou le RWDM monte en D1. L’idéal serait que la Wallonie ait tous les deux ou trois ans une équipe de plus en première division.

Vous perdez votre préparateur physique, Michel Bertinchamps, qui retoure au Sporting!

Quand le Sporting l’a mis dehors, c’était un rêve pour moi de l’avoir à La Louvière. Enzo Scifo l’a apparemment supplié de retourner à Charleroi alors qu’il était en procès avec le club. Ce n’est pas la première fois que le Sporting nous fait un coup pareil. Il nous avait même volé un docteur dans le passé… Je ne comprends pas qu’on puisse agir de cette manière avec un voisin. Nous avons d’excellentes relations avec Mouscron et le Standard, mais le courant ne passe pas avec Charleroi, où il y a pourtant des gens du Centre à des postes stratégiques.

Pierre Danvoye

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