» Le vrai triangle, c’est Buffel Baseggio Simons « 

Bruno Govers

Nos deux chroniqueurs face aux Diables Rouges avant Sofia.

Le rendez-vous de samedi à Sofia va orienter dans une grande mesure la qualification ou non des Diables pour l’EURO 2004. Défaits, les joueurs d’Aimé Anthuenis perdraient probablement toutes leurs chances de terminer en tête du groupe et devraient alors miser sur une éventuelle deuxième place de barragiste lors de leurs trois matches restants, à domicile, contre Andorre, la Croatie et la Lettonie.

Pour évoquer tout ça : Emilio Ferrera, le coach du Lierse, et Georges Heylens, ex-international au long cours (67 sélections), titulaires de nos rubriques Coupes d’Europe et Zoom..

Mauvaise programmation et surévaluation bulgare

Que vous inspirent les deux prochains matches des Diables Rouges face à la Bulgarie et Andorre ?

Georges Heylens : L’Union Belge aurait dû opter au moment de l’élaboration du calendrier pour une inversion complète des matches : un déplacement chez le petit poucet du groupe d’abord, puis une rencontre à domicile face au leader. L’agencement actuel me semble d’autant plus fâcheux que, faute de participation à la finale de la Coupe de Belgique, nos internationaux auront été privés de compétition depuis une bonne quinzaine de jours à l’heure d’affronter leur premier adversaire, à Sofia. Et comme si cette cassure-là ne suffisait déjà pas amplement, les Diables Rouges se seront vus octroyer, en sus, quatre jours de détente afin de décompresser. Personnellement, cette décision dépasse mon entendement. Je conçois aisément que les meilleures des grandes nations footballistiques, telles que l’Espagne ou l’Italie, aient besoin de souffler. Ceux-là livrent quasiment chaque semaine une joute d’intensité européenne dans leur championnat. Mais faut-il recharger les accus quand, à l’instar des Brugeois, principaux pourvoyeurs de notre sélection, on a fait pour ainsi dire cavalier seul cette saison ? Quant à nos autres représentants, ils n’ont pas été logés à moins bonne enseigne finalement. Aussi, y avait-il réellement lieu d’accorder du congé à des éléments qui, dépourvus d’objectif bien précis en cette période de l’année, se sentaient déjà un peu en vacances ? Poser la question, c’est y répondre. Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, j’ai le sentiment que l’ensemble de la programmation aurait pu être plus heureuse.

Emilio Ferrera : De mon côté, je suis frappé de constater à quel point la déférence est grande vis-à-vis des Bulgares. Beaucoup font manifestement un monde de cette équipe, alors qu’elle n’a quand même pas rang de ténor en Europe. Je comprendrais aisément certains égards envers elle si elle était toujours constituée de véritables monstres sacrés comme il y a une dizaine d’années, quand elle s’articulait autour de figures aussi emblématiques que Hristo Stoichkov, Emil Kostadinov, Yordan Letchkov ou encore Luboslav Penev. De nos jours, hormis Krasimir Balakov, qui a raccroché entre-temps et, dans une moindre mesure déjà, Stilian Petrov, qui a disputé la finale de la Coupe de l’UEFA avec le Celtic, quels sont donc les joueurs bulgares qui font figure de stars ? Honnêtement, je n’en vois pas. A dire vrai, nous sommes davantage gâtés que cet opposant avec des éléments qu’on nous envie partout ailleurs comme Daniel Van Buyten, Walter Baseggio, Wesley Sonck et Emile Mpenza, pour ne citer que ceux-là. Dès lors, je ne vois pas pourquoi nous devrions adopter un profil bas. Au contraire, j’estime que nous avons une bonne carte à jouer à Sofia. Mais à une condition : que notre ligne offensive se mette en verve. Car à l’analyse des derniers matches, je suis frappé de constater que chaque fois que la Belgique a marqué, le verdict final lui a toujours été favorable, que ce soit contre Andorre, la Lettonie, l’Algérie ou la Pologne. Par contre, quand elle n’a pas fait parler la poudre, la défaite a invariablement été au rendez-vous : face à la Bulgarie, en premier lieu, et ensuite en Croatie. En vérité, toutes proportions gardées, les Diables Rouges souffrent du même mal que le Real Madrid : lorsqu’ils ne trouvent pas l’ouverture, ils éprouvent toutes les difficultés du monde à garder le zéro au marquoir.

Où est le patron en défense ?

N’est-ce pas d’autant plus étrange que ceux qui entrent en ligne de compte pour ce secteur jouissent tous, sans exception, d’une appréciation extrêmement flatteuse au sein de leur club ?

Ferrera : Eric Deflandre a été sacré récemment champion de France avec Lyon. Daniel Van Buyten fait partie des révélations de la saison, avec Marseille. Joos Valgaeren a le statut d’incontournable au Celtic. Ces exemples l’attestent à suffisance : la qualité de ces joueurs ne doit pas être mise en cause. Le problème, à mes yeux, c’est tout simplement l’harmonie. A y regarder de plus près, je constate que ces garçons ne jouent pas dans le même système selon qu’ils évoluent en équipe nationale ou en club. En Ecosse, Joos Valgaeren joue dans une défense à trois où, à l’image de ce qu’on a pu voir face au FC Porto, il est appelé à pratiquer le marquage individuel dans sa zone. Daniel Van Buyten officie à l’OM dans une arrière-garde dirigée par un patron, Frank Leb£uf. Eric Deflandre, lui, est chargé d’appuyer le mouvement au départ d’une ligne défensive formée de quatre éléments. Dans ces conditions, il n’est pas facile de tendre vers une certaine uniformité. Jadis, les systèmes étaient nettement moins complexes. Lorsque le WM était en vigueur, la grosse majorité des équipes jouait selon ce canevas. Idem, plus tard, quand tout le monde se prononça en faveur de quatre hommes devant le keeper. A présent, tout est plus compliqué. La finale de la Coupe de l’UEFA en était une parfaite illustration avec trois défenseurs du côté du Celtic et quatre dans le camp portugais.

Heylens : A priori, je pensais que Joos Valgaeren, que j’ai eu sous mes ordres au FC Malines, et Daniel Van Buyten seraient capables de jouer l’alternance dans l’axe central de la défense. Mais tous deux ont manifestement besoin d’un tuteur pour donner le meilleur d’eux-mêmes. Au Celtic, ce guide est Dianbodo Balde et à l’OM, il se nomme Frank Leboeuf. Dès lors, de deux choses l’une : ou bien on adjoint à ce duo, ou à l’un d’entre eux, un joueur qui a la taille-patron, comme Glen De Boeck par exemple. Ou bien on choisit des éléments qui, dans leur rôle, se suffisent à eux-mêmes. Et ils existent bel et bien en Belgique. Je mentionnerai les noms d’Olivier Doll, qui n’a pas son pareil pour museler son opposant direct, ou encore Jonas De Roeck, que je considère comme l’une des révélations de la saison au Lierse. Mais au-delà de la question des individualités, je rejoins le point de vue d’Emilio quand il évoque l’unité d’ensemble. Je dirais même plus : il me paraît urgent d’en revenir, chez nous, à ce qui a toujours constitué notre force : la rigueur défensive. Sous prétexte que nous avons une plus grande richesse aux avant-postes aujourd’hui que par le passé, j’ai observé, ces dernières années, une tendance à une plus grande inclination offensive. Malheureusement, elle ne cadre pas avec notre tempérament. Qu’on le veuille ou non, nous ne sommes pas des aventuriers, comme les Néerlandais par exemple. Alors, de grâce, gardons-nous de vouloir changer à tout prix notre fusil d’épaule et revenons à nos fondamentaux : une organisation sans faille. Pour ce faire, il convient toutefois d’accorder davantage de temps au sélectionneur. En vertu de systèmes disparates, une unité de pensée ne s’obtient pas en un tournemain. C’est pourquoi, je suis d’avis que les internationaux devraient être disponibles plus souvent en dehors des matches officiels.

Ferrera : La générosité dont parle Georges nous aura permis de réaliser l’un ou l’autre one shot fameux. Mais elle s’est hélas traduite aussi par une élimination, dès le premier tour à l’EURO 2000. Robert Waseige l’avait parfaitement compris qui, dans l’optique de la Coupe du Monde 2002, en était revenu, justement, à une approche moins généreuse. Et, comme par hasard, elle nous permit de quitter la compétition la tête haute après un match de toute bonne facture face au Brésil. C’est cet exemple-là qu’il faut prendre pour norme. Il correspond tout simplement à notre nature profonde. Et ce qui vaut pour nous est tout aussi valable pour les autres nations. Quand donc l’Italie, qui a de tout temps élevé le catenaccio à la hauteur d’une institution, est-elle rentrée dans le rang ? Au moment où certains réclamèrent davantage de football-spectacle dans le Calcio. Cette saison, pour avoir délaissé cette option au profit d’une approche moins généreuse, les Transalpins ont, comme par hasard, placé trois de leurs formations de pointe dans le dernier carré de la Ligue des Champions. C’est assez significatif, non ?

Simons dans l’entrejeu !

Parlons de l’entrejeu, à présent, un secteur où il y a eu pas mal de fluctuations, ces derniers mois et où, contre toute attente, le Gantois Gaby Mundingayi, peu utilisé en championnat, s’est retrouvé au demi défensif face à la Pologne.

Ferrera : A partir du moment où ce joueur faisait partie de la sélection Espoirs, je ne suis pas surpris qu’il ait fait la jonction avec les A. Telle est quand même la finalité de cette antichambre. Ce qui m’interpelle davantage, en revanche, c’est le recul dans la ligne arrière du meilleur demi défensif de notre championnat : Timmy Simons. Quand on a la chance de posséder un joueur de cette trempe, pourquoi s’en priver dans le rôle qui lui convient le mieux ? C’est à la fois rendre un mauvais service à l’équipe nationale, qui a besoin de lui dans cette attribution, et au joueur lui-même, obligé d’évoluer dans un registre qui n’est pas le sien. On parle toujours du trio Buffel-Sonck-Mpenza chez les Diables Rouges. A raison, peut-être. Mais, pour moi, le triangle vers lequel il faudrait tendre c’est Buffel-Baseggio-Simons. Car il y a tout dans cette association : la science défensive du Brugeois, les qualités de relayeur de l’Anderlechtois et le coup de patte du régisseur de Feyenoord.

Heylens : Je suis également de cet avis. En matière de talents, nous ne sommes pas aussi riches que d’autres nations, c’est l’évidence même. Dans ces conditions, veillons à utiliser au mieux les richesses dont nous disposons. A Seraing, j’ai dû pourvoir à un moment donné au remplacement de mon libero, Lars Olsen. La solution de facilité eût été de faire reculer d’un cran Manu Karagiannis. Mais, dans ce cas, je me privais d’un pare-chocs de classe dans l’entrejeu. Aussi avais-je titularisé au poste de dernier homme un certain David Swertfegers, âgé de 18 ans à ce moment-là. Et le bougre s’est très bien tiré d’affaire.

Sans flanc droit…

Avec Thomas Buffel, Walter Baseggio et Timmy Simons dans l’entrejeu, sans compter l’incontournable Bart Goor, à gauche, tous les postes seraient pourvus dans ce secteur. Quid du flanc droit dans ce cas ?

Heylens : Une solution s’est-elle vraiment dégagée, sur cette portion du terrain, depuis que Gert Verheyen a fait ses adieux ? Je ne pense pas. Mbo Mpenza a été souvent blessé et Gaëtan Englebert n’est pas fait pour jouer le long de la ligne. Hormis ces deux-là, je ne vois pas qui pourrait entrer en ligne de compte. A défaut, n’y a-t-il donc pas moyen de résoudre le problème autrement ? En se privant d’un joueur dans cette zone, par exemple ?

Ferrera : Anderlecht a livré ses meilleurs matches de Ligue des Champions, il y a deux ans, avec une double occupation des flancs à gauche, formée de Didier Dheedene et Bart Goor, et le seul Bertrand Crasson à droite. Une tactique qui n’a pas empêché le Sporting d’être très performant. Pourquoi ne pourrait-on pas transposer cette option dans le cadre des Diables Rouges.

Sonck a tout

Il reste un secteur à passer en revue : l’attaque.

Heylens : Nous ne sommes pas mal lotis du tout à ce niveau avec la vitesse d’Emile Mpenza, la polyvalence de Wesley Sonck et, dans l’absolu, le gabarit de Cédric Roussel.

Ferrera : On s’attache hélas toujours, chez nous, à relever essentiellement le négatif : la fragilité musculaire d’Emile Mpenza, le fichu caractère de Wesley Sonck, le poids de Walter Baseggio, la relance approximative de Glen De Boeck, etc. Personnellement, je dis et je maintiens une chose : Walter Baseggio, c’est le top européen : capacités de récupération au-dessus de la moyenne, disponibilité, timing, frappe, faculté de pénétration : ce gars-là a absolument tout d’un médian moderne. C’est pareil pour Wesley Sonck : habileté technique des deux pieds, aisance dans les échanges courts ou longs, changement de rythme, puissance, sens du but. S’il n’était pas belge, on le porterait aux nues. L’ennui, dans notre pays, c’est qu’on n’est pas assez chauvin. Avec ses qualités, Olivier Doll serait une star en Italie. Tout bonnement parce qu’il excelle dans l’art de mettre sous l’éteignoir son opposant direct. Ici, en revanche, on pointe le doigt sur son manque de technique ou sa relance approximative. Que je sache, on n’a jamais demandé à Fabio Cannavaro de dribbler trois adversaires dans un mouchoir de poche, ou à Lilian Thuram d’alimenter le marquoir ? Pourquoi, en Belgique, faut-il toujours attendre davantage des joueurs ? Contentons-nous de ce qu’ils font bien et nous irons déjà très loin.

Bruno Govers

 » En défense, le problème n’est pas la qualité des joueurs mais l’harmonie  » (Emilio Ferrera) » Revenons d’urgence à ce qui a toujours constitué notre force : la rigueur  »

(Georges Heylens)

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