LE VRAI SPECIAL ONE

Reconstruction d’un des personnages les plus fous du foot mondial sur base de ses… tweets.

Mario Balotelli souffle l’émotion, la violence et l’autodérision : le câlin à sa mère après l’Allemagne, les larmes lors de la défaite en finale contre l’Espagne, le dolcefarniente, un jour, à l’entraînement : alors que ses collègues s’activaient, lui était béatement couché sur le dos, à s’admirer.

Il n’a que 22 ans mais il a déjà conquis quatre titres nationaux (trois avec l’Inter, un avec City), deux Coupes (une avec l’Inter, une avec City), et une Ligue des Champions avec le club milanais.

Rarement un footballeur aussi jeune aura eu un caractère aussi catastrophique. Pour tenter de l’observer et de décortiquer ses multiples aspects, il faut recourir à l’aide (téléphonique) de tiers. Allons donc à la découverte de Balotelli avec l’historien de Manchester City, une journaliste néerlandaise résidant en Italie, un ex-enfant-soldat et boat-people, un spécialiste de l’histoire italienne basé à Londres, l’auteur du seul livre qui lui est consacré et… les tweets de Super Mario lui-même.

Mario Balotelli a réinventé l’humour en football, grâce à ses frasques. Il a commencé dès l’adolescence. Le mensuel français So Foot a décortiqué sa vie dans un reportage de douze pages, en avril 2012. Il a remonté sa piste à Brescia, la ville du compositeur Antonio Bazinna, un élève du violoniste Paganini, le virtuose qui jouait la nuit, dans les cimetières, pour les morts. Vous percevez déjà le parallèle.

C’est là, entre le lac de Garde et les premiers contreforts des Dolomites, que Mario Barwuah a débarqué à l’âge de deux ans, en 1992. Ses parents Thomas et Rose, arrivés du Ghana en Sicile, lui ont donné le jour à Palerme avant de le faire adopter par la famille Balotelli. La vérité est sans fard : ils ne pouvaient pas payer les frais d’hospitalisation de leur enfant malade.

Sa première institutrice a raconté que Mario se dessinait avec une peau rose. Il était le seul noir parmi 250 gosses et son conflit avec son identité a duré trois ans. Jour après jour, il interrogeait l’enseignante :  » On ne va pas me renvoyer en Afrique ?  »

On a raconté qu’il negro urinait dans les affaires de sport des autres joueurs. Ou qu’après un entraînement, il cachait leurs vêtements, à l’exception de leur slip. Pendant un voyage en car avec l’équipe de jeunes, il a montré ses fesses nues aux carabinieri. Il a cru qu’on ne le reconnaîtrait pas, oubliant qu’il était le seul à avoir un arrière-train noir.

Les tracasseries administrativo-racistes envers son équipe se sont multipliées. Il s’est rebellé contre ses origines. Ainsi s’exprimait-il délibérément dans le dialecte de Brescia. Fâché sur ses parents naturels, il a demandé au speaker du stade de ne pas l’appeler Barwuah mais Balotelli. Car ses parents, c’étaient Francesco et Silvia, qui le considéraient d’ailleurs comme leur propre fils.

Gary James est le gérant du musée de Manchester City et l’historien attitré des lightblues. Il insiste sur l’impact de Balotelli sur l’équipe qui s’adjuge le titre 2012 lors de l’ultime minute de jeu, au détriment de Manchester United.

 » Il est parfois héros, parfois minus. Durant la 31e journée, il a maintenu City en course contre Sunderland mais une semaine plus tard, il nous a nui en se faisant exclure à Arsenal. City accusait huit points de retard. Il n’est revenu au premier plan qu’à quinze minutes du coup de sifflet final contre QPR. Nous devions gagner. Mais City étant City, nous étions battus 1-2. Tout le monde était effondré. Il est entré en action et a permis à Agüero de marquer le 3-2 d’une passe géniale.

C’est à Old Trafford qu’on a vu le meilleur Balotelli : 1-6, un jour inoubliable. Le matin, il avait fait la une de l’actualité pour avoir utilisé des feux d’artifice dans sa salle de bains. Il s’est empressé de faire faire un T-shirt orné d’une phrase :Why Always Me ? Il l’a offert à Noel Gallagher, un ancien chanteur d’Oasis, pendant une interview sur City TV.

Celui-ci a répliqué : – I love you because you’re Balotelli and you make me smile. Balotelli a montré le texte après son premier but contre United. Qui a valu une carte rouge au défenseur Jonny Evans ? Qui a marqué le second but ? Qui a lancé Edin Dzeko vers le 0-3 ? Il a été crucial à chaque fois.

Son don ? Son arrogance naturelle. He needs to show his best to go on to the edge. S’il y parvient, il est aux anges. S’il échoue, il fait des bêtises. Les jeunes supporters de City raffolent de son style. C’est le vrai Special One, l’individualiste qui conçoit des plans géniaux sans être sûr d’y survivre. City a besoin du meilleur Balotelli. Je le répète : sans Super Mario, Agüero ne marque pas dans la dernière minute de la dernière journée et City n’est pas champion en 2012.  »

RenateVerhoofstad séjourne en Toscane depuis 2003. Elle suit la Serie A pour la presse néerlandaise et elle tient une chronique dans l’Algemeen Dagblad. Elle a écrit un édito sur le sujet :  » J’aimerais passer une journée avec Mario  » never a dull moment  » Balotelli. Je nous imagine foncer à toute allure dans les rues de Manchester, dans sa Maserati, puis faire du shopping. J’aime les footballeurs limite, le diable en eux, la folie. J’ai donc un faible pour Balotelli.

À 17 ans, il a été victime d’insultes racistes dans tous les stades du pays : on ne peut pas s’étonner qu’il alterne les actions brillantes et les conneries. Il se donne l’apparence d’un homme empli d’assurance, qui méprise la hiérarchie, d’où sa dispute avec FrancescoTotti et ses gestes énervants à l’encontre de ceux qui crient des insultes xénophobes. On l’a vraiment injurié. La tentation est grande de le traiter de gosse mais je le trouve chouette.  »

Renate Verhoofstad a découvert son autre face pendant l’EURO 2012, quand la Squadra a visité Auschwitz.  » En pensées, il était auprès de Silvia, sa mère adoptive. Elle a tenté de lui inculquer le respect pour toutes les formes de vie.

Elle tirait souvent de sous son lit une valise remplie de lettres censurées en provenance de Birkenau, des lettres qui étaient censées faire croire à sa mère juive que ses parents et sa soeur ne vivaient pas si mal dans le camp de concentration.

Il n’y avait pas un mot sur les chambres à gaz. À Auschwitz, Mario a cherché le nom de sa tante, tuée à l’âge de 19 ans. Là, j’ai réalisé que ce chouette gars si marrant était tout sauf indifférent.  »

Un professeur en droit européen et international qui a été enfant-soldat est passé par là aussi. Désormais, il dirige une école dans son village natal, dans le Sud du Soudan.

L’histoire de Kon Kelei ressemble à une parabole :  » Je suis arrivé à Rotterdam, avec d’autres boat-people, en 2000. J’avais été un enfant-soldat et, sans toutefois combattre, j’ai passé la guerre civile dans des camps. J’ai fui à dix ans, mû par l’envie d’aller à l’école, et je me suis retrouvé aux Pays-Bas.

Pendant mes études, je suis devenu président de War Child. Avec l’aide de quelques amis, j’ai fondé la Cuey Machar Secondary School Foundation. Cette association doit rendre l’école accessible aux filles et aux garçons de la région.

J’ai parcouru le monde pour récolter des fonds. En 2009, j’ai été reçu par le pape. La presse italienne s’est emparée de mon histoire et j’ai reçu un coup de fil de… Balotelli. Il a demandé à me rencontrer. Impressionné, il a financé la construction d’une aile complète du bâtiment. Il est devenu une sorte d’ambassadeur. Nous avons donné son nom à cette aile : the Mario Balotelli Wing.

John Foot a écrit Calcio, a history of Italian football. L’Anglais est professeur d’histoire contemporaine de l’Italie à l’University College de Londres et il se rend régulièrement en visite à Milan, où vit son fils. Il étudie l’oeuvre du célèbre antipsychiatre Franco Basaglia. Quel meilleur expert de l’âme d’une nation tourmentée et d’un rebelle ?

 » Yo sono Italiano. Je suis un Italien. Mario provoque. Par sa manière d’être, son habillement, son caractère, son attitude. Il ne peut être plus italien : me voilà, moi, moi, moi ! Mais il a la peau noire. Il est donc l’Italien noir, qui ne peut exister, selon ses compatriotes xénophobes. C’est une contradiction impossible pour lui comme pour ses détracteurs.

Il est à la fois omniprésent et invisible. Une minorité assez consistante lui a mené la vie dure dans les stades de Serie A en scandant des slogans racistes : il n’y a pas de nègres italiens. Il l’a certainement très mal vécu. Il est dans la peau de l’immigré qui surpasse les nationalistes : il a, davantage qu’eux, la mentalité italienne.

En outre, il expose ses richesses. Ses buts contre l’Allemagne ont été particulièrement importants : ils ont marqué son passage à l’état d’adulte. Ce n’est qu’à ce moment que la majorité l’a vraiment accepté en tant qu’Italien. Les gens ravalent leurs préjugés. Il a ouvert la porte à d’autres joueurs de couleur. Change-t-il la mentalité de la nouvelle génération ? Peut-être.

Lors d’une de mes visites à l’école primaire de Cagliari, j’ai bavardé avec des jeunes de douze ans qui supportent désormais Manchester City parce qu’ils trouvent Balotelli cool. Il a conquis sa place dans l’histoire : il est le premier international italien d’origine africaine. Ce n’est pas évident car sa personnalité est très complexe, mélange de narcissisme, d’arrogance, de colère et d’une naïveté désarmante.

Franco Basaglia (1924-1980) a pourfendu les pratiques scandaleuses de la psychiatrie – les électrochocs et les cellules d’isolement. Il a replacé l’homme au centre des préoccupations et a cherché l’origine de la folie dans des relations sociales viciées plutôt que dans des carences cérébrales.

De Basaglia à Balotelli, il n’y a qu’un pas à franchir. Il dirait : – Asseyez-vous, je vais tenter de vous comprendre, même si cela semble s’apparenter à une mission impossible. Basaglia aimerait Balotelli et lui insufflerait confiance. Cela ferait beaucoup de bien à Mario. Yo sono Italiano ? Yes, he is ! « ?

PAR RAF WILLEMS – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » J’aime les footballeurs limite, le diable en eux, la folie. J’ai donc un faible pour Balotelli.  »

 » À Auschwitz, Mario a cherché le nom de sa tante, tuée à l’âge de 19 ans. Là, j’ai réalisé que ce chouette gars si marrant était tout sauf indifférent.  »

Tweet 1 :  » I’m the punishment of God. If you had not committed great sins God would not have sent a punishment like me to you.  » (Je suis le châtiment de Dieu. Si vous n’aviez pas commis de grands péchés, je ne vous aurais pas infligé une punition comme moi). (Dicton de Gengis Khan, tatoué sur sa poitrine).

Tweet 2 :  » So it’s the end of the world at the 21/12 ? I hope I’m sitting next to Fergie when it happens. He’ll get 10 minutes more than anyone else.  » (Ce sera donc la fin du monde le 21/12 ? Dans ce cas, j’espère être assis au côté de Fergie. Car il a toujours droit à 10 minutes de plus que les autres). (Parce qu’Alex Ferguson influence toujours les arbitres quand United est mené à la marque.)

Tweet 3 :  » Ask Rio Ferdinand : would you rather leave your wife alone with Ryan Giggs ?  » (Demandez à Rio Ferdinand : aimeriez-vous laisser votre femme seule avec Ryan Giggs ?)

Tweet 4 :  » Throw bananas and I’ll kill you !  » (Jetez des bananes et je vous tue). (Lors des incidents racistes durant l’EURO 2012 en Ukraine)

Tweet 5 :  » Breaking news : John Terry has handed a shock transfer request to Zenit.  » (La nouvelle du jour : John Terry a proposé ses services au Zenit). (Les supporters du Zenit ne veulent que des joueurs blancs)

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