Le verre de l’amitié

Bruno Govers

Le médian récupérateur des Mauves relève des similitudes entre la cuvée du millénaire et le Sporting actuel.

Anderlecht aura très fort à faire afin de se qualifier une troisième fois de rang pour les poules de la Ligue des Champions. Censé faire un résultat en déplacement après son succès étriqué à domicile face au Slavia Prague (2-1), il y a belle lurette, en vérité, que le club bruxellois n’a plus réussi à épingler une perf en dehors de ses terres. Son ultime victoire en déplacement remonte à près de deux ans quand, le 26 août 2003, il ramena la totalité de l’enjeu lors du troisième tour préliminaire de l’épreuve, dans l’antre du Wisla Cracovie (0-1). Ce soir-là, c’est la dernière fois aussi que le club cher à la famille Vanden Stock réussit à préserver ses filets inviolés à l’extérieur. Depuis lors, en effet, à l’occasion de ses huit sorties ultérieures en coupe d’Europe, le RSCA n’a pas encaissé moins de 17 buts, soit plus de deux, en moyenne, par rencontre. En dépit de ces statistiques, qui ne plaident pas vraiment en faveur des troupes de Frankie Vercauteren, Yves Vanderhaeghe, l’un des meilleurs Sportingmen cette année, ne s’en montre pas moins résolument optimiste quant à la pérennité internationale de ses couleurs.

YvesVanderhaeghe : Nous avons toutes nos chances à condition de méditer une fois pour toutes les enseignements de notre échec récent au Neftchi Bakou. En Azerbaïdjan, il est à nouveau apparu clairement qu’une approche trop attentiste ne nous convenait guère. Pourtant, elle n’avait nullement été dictée par l’entraîneur. En tout et pour tout, Frankie Vercauteren s’était borné à titulariser un demi ratisseur supplémentaire en la personne de Besnik Hasi, mais l’objectif consistait bel et bien à marquer au moins un but là-bas. Pour des raisons qui ne s’expliquent pas, nous avons subi le match chez les Azéris, au même titre que nous nous étions souvent montrés fort timorés aussi d’un bout à l’autre de notre campagne européenne la saison passée. Au lieu de jouer loin de notre domaine, comme nous avons l’habitude de le faire en championnat les trois quarts du temps, l’équipe affiche trop fréquemment une propension à reculer de dix voire quinze mètres, au point de subir les événements plutôt que de les dicter. Je crois que nous serions beaucoup plus inspirés en nous débarrassant pour de bon de cette fâcheuse habitude. Par moments, le Slavia Prague s’est résolument installé dans notre camp et force est de constater qu’il a été récompensé de ses efforts par la réalisation d’un goal précieux. Dans la capitale tchèque, nous devrons nous inspirer de cet exemple.

Quels autres enseignements avez-vous tirés de ce match ?

Jusqu’à présent, depuis le début du nouvel exercice, il nous avait pour ainsi dire suffi de paraître pour nous imposer, dans la mesure où la qualité du jeu déployé ainsi que le surplus de talent individuel, par rapport à l’adversaire, nous avaient permis de faire la différence tant contre le Neftchi Bakou que face à La Louvière. Devant une formation plus huppée, comme le Slavia Prague, d’autres composantes entrent en jeu, tels que le répondant physique sur le terrain. Sur le plan de l’agressivité, saine ou non, il tombe sous le sens que nous avons reçu une fameuse leçon de la part de l’opposant. Celui-ci a très vite cerné la permissivité de l’arbitre, Iouri Baskarov, alors que nous-mêmes étions souvent trop timorés pour entreprendre la même démarche. Dans les rangs adverses, tous les joueurs, sans exception, mettaient le pied et même davantage, au besoin. Chez nous, il y avait beaucoup plus de retenue. Surtout dans le rang des plus jeunes, qui sont toujours en phase de découverte au plus haut niveau. C’est là que réside, selon moi, toute la différence entre le Sporting actuel et celui qui, il y a cinq ans, réussit l’exploit de se qualifier pour la deuxième phase des matches de poule. A l’époque, il y avait au sein de notre team plus d’éléments chevronnés et impavides. Je songe à Jan Koller, Didier Dheedene, Patrick Van Diemen et Bart Goor notamment. En soi, il est très heureux que celui-ci soit de retour parmi nous. Non seulement il a de la classe à revendre mais c’est aussi un garçon qui n’a pas froid aux yeux. Au c£ur de l’action, il n’est pas du genre à retirer le pied, comme il l’a démontré contre La Louvière face à Fadel Brahami, ou dans ce match aller contre le Slavia Prague où il n’a pas hésité non plus à retourner son vis-à-vis comme une crêpe quand le besoin s’en faisait sentir. Moi-même, à un moment donné, j’ai commis la petite faute nécessaire û appelée professionnelle par certains û afin d’éviter une scène chaude devant notre but, soulageant ce faisant notre arrière-garde. Je ne m’y suis cependant hasardé qu’à une seule reprise alors que les Tchèques ont fait leurs choux gras de telles interventions musclées.

Rééquilibrage des forces

Hormis le caractère guerrier, vous relevez des similitudes avec l’équipe qui avait brillé de mille feux sous la houlette d’Aimé Anthuenis en 2000-2001 ?

Tout à fait. Nous avions alors un duo extrêmement performant en front de bandière avec Jan Koller et Tomasz Radzinski. A présent, la densité offensive est encore plus accentuée avec Mbo Mpenza, Nenad Jestrovic, Christian Wilhelmsson et, a fortiori, Serhat Akin qui est à n’en point douter un coup dans le mille. Je pense que le club a vu juste aussi en se prononçant pour le retour au Parc Astrid de Bart Goor. Ces derniers mois, pour toutes sortes de raisons, telles que les blessures pour quelques-uns ou une adaptation des plus laborieuses pour d’autres, le centre de gravité de l’équipe s’était essentiellement situé sur la droite. De nos jours, suite au come-back de l’ancien milieu de Feyenoord, nous avons procédé à la vitesse de l’éclair à un rééquilibrage des forces. L’impact du revenant se mesure notamment au nombre d’assists qu’il a déjà délivrés jusqu’ici, ainsi qu’au nombre de buts qu’il a marqués, même en coupe d’Europe puisqu’il a trouvé l’ouverture tant contre le Neftchi Bakou que face au Slavia Prague. Il est d’ailleurs symptomatique de constater que les réalisations, chez nous, ne sont plus simplement le fruit de notre division offensive, comme il en allait souvent ces dernières années. Au contraire, je constate avec plaisir que non seulement Bart Goor mais aussi Pär Zetterberg et moi-même alimentons le marquoir. Il y a cinq ans, il n’en allait pas autrement puisqu’à l’époque, Walter Baseggio et Alin Stoica mettaient eux aussi, très régulièrement, le feu aux poudres. C’est la preuve qu’il y a du mouvement dans l’équipe et que les tâches sont bien définies et exécutées. A cet égard, je ne cache pas que c’est à nouveau un régal, pour moi, de jouer dans une formation pareille. Avant d’être stoppé par une blessure au genou en 2003 et de faire une rechute un an plus tard, j’avais eu le sentiment, auparavant, de faire trop souvent la sale besogne. Après le départ de quatre joueurs, et non des moindres, en 2001 (Jan Koller, Tomasz Radzinski, Bart Goor et Didier Dheedene, j’avais l’impression parfois de prêcher dans le vide au milieu du jeu. Dès l’instant où Frankie Vercauteren a repris l’équipe en main, ce laisser-aller coupable a disparu car le nouvel entraîneur est ainsi fait qu’il ne supporte pas les approximations ou les manquements à la discipline collective. C’était déjà perceptible la saison passée. Maintenant, avec les acquisitions de Bart Goor et de Serhat Akin, pour n’évoquer que ces deux nouveaux titulaires à part entière, une fameuse dose de caractère a encore été injectée. Car ni l’un ni l’autre ne lâchent jamais le morceau.

Le retour de Bart Goor vous fait manifestement plaisir ?

Je retrouve tout bonnement mon compagnon de chambre d’il y a cinq ans, fort d’une expérience supplémentaire au Hertha Berlin d’abord, puis à Feyenoord, ce qui n’est tout de même pas peu dire. Bartje était déjà un tout bon joueur au moment où il nous a quittés mais, dans l’intervalle, au contact de deux autres compétitions plus huppées, il va sans dire que son bagage et son personnage, aussi, se sont enrichis. Au plan purement footballistique, il a incontestablement étoffé son registre. A son départ du Sporting, en 2001, il était essentiellement un joueur de flanc et rien d’autre. Le match aller contre le Slavia a démontré qu’il avait également toutes les qualités requises pour évoluer avec bonheur dans une position plus centrale, puisqu’il a à un moment donné coulissé vers le centre afin d’opérer plus près de Zet et moi. Avec les années, mon collègue chez les Diables Rouges a aussi appris à mieux lire le jeu. Si Anderlecht temporise à bon escient, ce n’est plus simplement le mérite des routiniers qui faisaient partie de ses cadres la saison passée, mais d’un garçon expérimenté comme lui aussi. Indépendamment de ses immenses qualités comme footballeur, l’Anversois a, en outre, un indéniable impact sur le groupe en raison de sa personnalité. Il y a quelques années, il faisait partie des boute-en-train de l’équipe, au même titre que Bertrand Crasson par exemple. Après leur départ, même si l’ambiance n’a jamais été morose, on ne peut pas dire vraiment que la relève ait été assurée à ce niveau même si Chippen ou Vince sont des petits plaisantins à leurs heures aussi. Avec Bartje, je remarque quand même que les décibels sont en train de monter et que tout le monde se sent concerné par ce bon climat. En 2000-01, si nous avions réalisé une toute bonne campagne, tant en championnat qu’en coupe d’Europe, c’était dû notamment à une bande de gars qui étaient unis comme les doigts de la main. Régulièrement, on se retrouvait d’ailleurs au Green Park, en face du stade, pour boire le verre de l’amitié. Ce contexte-là, j’ai le sentiment qu’on le retrouve petit à petit. Le Sporting forme à nouveau une bande de copains prêts à tout les uns pour les autres. Ce n’est d’ailleurs pas seulement le mérite des joueurs eux-mêmes. Je crois aussi que le staff technique, et Frankie Vercauteren en particulier, a été bien inspiré en se prononçant pour le team-building en tout début de la campagne de préparation. Cette initiative a à la fois tissé ou raffermi des liens entre nous.

Un braconnier devenu garde-chasse

A ce propos, quel est le mérite de Frankie Vercauteren dans le renouveau constaté ces derniers mois ?

L’entraîneur en place, c’est un peu le braconnier devenu garde-chasse. A son époque, le RSCA regorgeait également de talents individuels, d’ailleurs souvent primés à ce titre, comme nous l’avons nous-mêmes vérifié cette année en glanant la plupart des trophées réservés aux joueurs. Sous l’angle collectif, toutefois, le Sporting d’alors ainsi que celui d’aujourd’hui auront trop souvent été logés à la portion congrue, faute d’application d’un bout à l’autre de la saison. Ce laisser-aller coupable-là, on sent que le coach veut l’éviter à tout prix. Aussi, à l’entraînement, il ne tolère jamais les moindres manquements ou passages à vide. Il veut que chacun reste concentré sur son sujet à chaque instant et n’épargne rien ni personne. En sa qualité d’ancien joueur offensif du club, on mesure aussi son désir évident de réhabiliter une certaine philosophie du football, conforme à la tradition de la maison. Avec lui, pas question de broder ou de porter indéfiniment le ballon. Son credo, c’est une transmission rapide et orientée principalement vers l’avant. Le mot d’ordre, pour les défenseurs, consiste d’ailleurs à alerter les attaquants plutôt que les médians. Dans notre système, ce sont les avants qui sont le plus souvent chargés de remiser les ballons vers les médians en lieu et place que les défenseurs servent de pourvoyeurs à ces mêmes hommes du milieu, précisément. Dès lors, il en résulte un jeu plus incisif, direct et aussi, par là même, une plus grande mobilité. Dans le passé, nous étions souvent trop statiques. La plupart ne bougeaient que lorsqu’ils se trouvaient en possession du cuir. A présent, il y a davantage d’appels dans les espaces même si, contre le Slavia, nous n’avons pas bien joué sous cet angle. Trop de ballons, cédés à un avant en décrochage, ont été servisdans les pieds. Résultat des courses : tous, de Serhat Akin à Mbo Mpenza, en passant par Nenad Jestrovic, ont été torpillés par un adversaire direct rugueux. Nous aurions été beaucoup plus inspirés de transmettre le ballon dans les espaces, de l’un ou l’autre côté d’un partenaire. C’est d’ailleurs ainsi que le coach nous l’avait demandé. Mais de la théorie à la pratique, tout n’est pas toujours aussi évident. Surtout quand l’opposition n’est pas née de la dernière pluie.

Depuis votre rentrée en fanfare contre Bruges, la saison passée, un match au cours duquel vous aviez marqué un but splendide à Tomislav Butina, on a quelquefois l’impression de découvrir un autre Yves Vanderhaeghe, nettement moins limité qu’il y paraissait. Auriez-vous caché vos capacités ou bien n’aviez-vous que trop rarement la possibilité de les étaler ?

Un peu des deux, sans doute. Pour inscrire un but mémorable, comme celui que j’ai réussi contre le Club, il faut pouvoir se trouver au bon moment en zone de vérité. Ce n’est pas seulement une affaire de perception personnelle, il convient aussi que les autres réagissent à bon escient en cas de perte éventuelle du ballon. Il y a eu des moments où je ne me serais jamais hasardé à mettre de la sorte le nez à la fenêtre, par peur des conséquences si ma tentative échouait ou si j’étais dépossédé du cuir. A présent, je sais que je peux vraiment compter sur les autres en toutes circonstances et, d’un point de vue personnel, je mesure probablement mieux aussi ce que je sais faire ou pas. Ne me demandez pas de dribbler trois joueurs dans un mouchoir de poche, j’en suis incapable. En revanche, à 20 mètres du but, je trouve l’équerre ou le coin du but sans problème. Le gardien du Neftchi Bakou est d’ailleurs bien placé pour le savoir ( ilrit).

Bruno Govers

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