Le Tsar Nicolas

Le défenseur était tombé des nues quand le Zenit Saint-Pétersbourg a offert plus de quatre millions d’euros pour ses services. Mais il se plaît dans l’ancienne capitale de la Russie. Sur le terrain et en-dehors.

On monte des tribunes sur la Dvortsovaja Ploschchad, une immense place semi-circulaire piétonnière située devant l’Hermitage. Les camions belges et néerlandais sont sur le chantier.  » On va organiser un concert des Rolling Stones « , explique Nicolas Lombaerts (22 ans). Il aimerait y assister mais ce jour-là, le Zenit dispute un match.

Lombaerts présente ses excuses : il est légèrement en retard. Il a été bloqué dans la circulation. En début de séjour, outre la barrière linguistique, c’est un des rares problèmes qu’a relevés le jeune Belge. En attendant l’arrivée de sa propre voiture, il a droit à un véhicule avec chauffeur mais cela le met mal à l’aise.

Saint-Pétersbourg s’affaire. Après Moscou, c’est est la plus grande ville de Russie, avec plus de cinq millions d’habitants. Elle a été la capitale de la Russie pendant 200 ans. Le Tsar Pierre le Grand, qui voulait occidentaliser son empire, l’a érigée en 1703 et elle est littéralement sortie du néant. La ville a reçu son visage actuel grâce à une de ses héritières, la Tsarine Catherine-la-Grande. Celle-ci a consenti beaucoup d’investissements dans l’art et a entamé l’immense collection des £uvres de l’Hermitage, qui était auparavant le palais des tsars et est devenu un des plus grands musées du monde.

Saint-Pétersbourg, résidence des tsars, a conservé son statut de capitale jusqu’en 1917. Cette année-là, Lénine est arrivé à la gare de Finlande, de retour d’exil. C’est dans cette ville qu’il a donné le coup d’envoi de la révolution, en envahissant le Palais d’Hiver des tsars. La ville a troqué son nom allemand contre celui de Petrograd, puis a opté pour Leningrad. Elle a repris son appellation d’origine en 1991. Durant la seconde guerre mondiale, la ville a résisté pendant 900 jours, près de trois ans, au siège allemand. Mais la famine et la guerre ont fait 670.000 victimes.

En 2003, à l’occasion de ses 300 ans, Saint-Pétersbourg a subi un lifting à l’initiative deb Vladimir Poutine, dont c’est la ville natale. Le Président russe n’est pas un amateur de football. Jamais on ne l’a aperçu dans les tribunes du stade Petrovskiy, où le Zenit joue ses matches à domicile, ni dans celle du vieux stade Zimri, qui a été démoli et va faire place à une nouvelle arène.

Saint-Pétersbourg est une destination de city trip très populaire. Comme Bruges, la ville a été construite autour d’un réseau de canaux. On la surnomme également la Venise du Nord. Outre l’art, la culture et une architecture fabuleuse, elle a beaucoup d’atouts pour séduire un public jeune. Lombaerts l’a découverte :  » On m’a dit que c’était la capitale européenne des disc-jockeys et sur tous les menus, on trouve des sushi « . Les boutiques de la principale artère de la ville, la Nevskiy Prospect, regorgent de vêtements dernier cri. La rue traverse la ville d’est en ouest, de l’Hermitage à la Neva, un immense fleuve qui rejoint la Mer Baltique.

Autographes

Lombaerts peut encore se balader incognito sur les larges boulevards. Après une excursion en bateau, quelques jeunes lui demandent quand même de poser pour une photo. Il est tellement surpris qu’ensuite, alors que les jeunes s’apprêtent à le remercier, c’est lui qui les remercie de leur intérêt.

Ensuite, quand il nous emmène pour une séance photos au stade, le concierge ne bronche pas. Nicolas argumente en vain : – I’m a player, Lombaerts, number six. L’homme, qui ne parle que russe, campe sur ses positions. Un coup de téléphone au délégué d’équipe change la donne : l’homme se fait amical mais le scénario se reproduit à la véritable entrée du stade. La concierge est intransigeante, même quand Lombaerts se présente. Il doit une nouvelle fois appeler le délégué à l’aide. Enfin, on peut prendre en photo le stade Petrovskiy. Erigé en 1925 sur une île, il accueille le Zenit depuis 1989. Il est comble à chaque joute, ce qui représente 22.000 supporters.

A la sortie du stade, un jeune homme aborde Lombaerts. Il lui demande un autographe. Lombaerts :  » Mes coéquipiers m’ont prévenu : attends d’avoir joué quelques matches et tu ne pourras plus te balader tranquillement en ville. En Russie, les footballeurs sont de véritables stars « .

Ils perçoivent des émoluments princiers. Lombaerts a un appartement depuis quelques semaines. Il est tombé des nues en en apprenant le loyer.  » Ici, on paie entre 5.000 et 10.000 euros le mètre carré pour un logement convenable. Un coéquipier vient d’acquérir un appartement pour deux millions d’euros « .

Lombaerts n’a pas encore regretté une seconde son transfert inattendu. Si le club est satisfait de ses services, il ne le lâchera pas se sitôt. L’année dernière, Saint-Pétersbourg a remballé Anderlecht, qui s’intéressait à son défenseur slovaque Martin Skrtel. Pourquoi laisser partir Skrtel ? L’argent n’est pas un problème. Les observateurs du championnat russe savent que Saint-Pétersbourg est le club le plus riche du pays et qu’il n’est pas obligé de céder des joueurs.

Le Zenit s’est développé quand Gazprom (la plus grande entreprise productrice de gaz de Russie, numéro 53 des grandes sociétés européennes) a repris le club fin 2005. Le conseil d’administration de Gazprom, est composé pour moitié d’habitants de Saint-Pétersbourg. Gazprom a racheté les parts d’un consortium bancaire pour en faire le Chelsea russe. Le club a un budget annuel de 100 millions d’euros, soit deux fois et demi le budget d’Anderlecht la saison passée. Le Zenit a payé une somme dérisoire pour les services de Lombaerts : ceux du médian ukrainien du Shakthar Donetsk, Anatoly Tymoshuk, sont près de quatre fois plus onéreux – quinze millions d’euros.

Le Zenit fait construire un stade qui sera la copie de celui de Schalke 04, sponsorisé par Gazprom. Il n’aura pas de piste d’athlétisme mais une pelouse coulissante. L’arène couverte aura une capacité de 62.000 places, à l’emplacement du vieux stade Kirov, qui avait été le port du Zenit de 1950 à 1989.

Des billets d’avion

Lombaerts était en vacances à Ténériffe quand son manager, Yves Baré, lui a fait part de l’intérêt du club russe :  » Je pensais que l’EURO des Espoirs constituait une vitrine unique pour obtenir un transfert. Tous les scouts d’Europe étaient présents alors que peu d’entre eux se déplacent à Gand. Je voulais jouer dans l’axe défensif, ma meilleure position. Or, je craignais que Gand ne m’aligne encore à l’arrière gauche « .

Il admet n’avoir rien su du Zenit, si ce n’est qu’il s’agissait d’un club russe :  » Baré m’a immédiatement dit combien je pouvais y gagner. Le club voulait que je visite de suite la ville, avec ma copine et mes parents. J’avais d’autres possibilités concrètes : une équipe allemande et le Dynamo Kiev. L’Allemagne me tentait mais Gand a insisté pour que je signe ici : le Zenit lui offrait deux fois plus que les autres. Je comprends Gand. Je suis tombé à la renverse en apprenant ce que je pouvais gagner ici en quatre ans. Je n’aurais jamais imaginé me faire autant d’argent de toute ma vie. Et tout est net. De retour de vacances, je suis allé bavarder à Breda avec les entraîneurs, Dick Advocaat et Cor Pot, qui étaient restés chez eux pendant la brève trêve estivale. Advocaat m’avait vu pendant l’EURO et il voulait m’aligner au c£ur de la défense. Mon père et moi sommes alors partis à Saint-Pétersbourg. A l’aéroport, j’ai pu monter dans un bus spécial. Le club s’est occupé de mes bagages. Il a aussi réglé le problème de mon visa provisoire. Le bus du Zenit m’a conduit à l’hôtel après m’avoir montré la ville. Nous étions les seuls occupants du bus, avec un guide anglophone. Nous avons ensuite dîné avec le président, un des 18 membres de la direction de Gazprom. C’était au Flying Dutchman, un restaurant de luxe situé sur une imitation de galion du 18e siècle. Le président s’est comporté normalement, si ce n’est que son garde du corps ne l’a pas lâché d’un pouce. Sa femme était très gentille. D’emblée, elle a bavardé avec mon amie.

Cet entretien m’a conféré un bon pressentiment. Le lendemain, je me suis rendu au complexe d’entraînement. Je devais prendre une décision dans les 24 heures. J’ai demandé davantage de billets d’avion mais là, c’était trop : -Avec l’argent que nous te donnons, tu peux te les offrir. C’est exact « .

Lombaerts pense être le transfert le plus juteux de Gand après Mido :  » J’ai aidé Gand à apurer le solde de sa dette. Les Buffalos ont été stupéfaits du montant reçu. Si quelqu’un m’avait dit avant l’EURO qu’un club verserait autant pour m’embaucher, je lui aurais ri au nez « .

Pourtant, selon les normes russes, il n’a pas un contrat mirobolant :  » Je suis dans le subtop du noyau, de ce point de vue, mais un grand club belge ne pourrait jamais me verser autant. Même en Allemagne, je n’aurais pas eu en brut ce que je touche en net ici. Le club veut émarger à l’élite européenne endéans les cinq ans. Peu lui importe le prix à payer « .

Pas de mal du pays

 » En Belgique, on hausse les sourcils mais j’effectue un pas en avant à tous points de vues. La ville est belle, vivante, agréable. Les magasins sont ouverts 24 heures sur 24 et la nourriture est délicieuse. Je n’ai pas du tout le mal du pays. Il n’est pas plus difficile de vivre ici qu’à Londres, sauf pour la langue. J’ai une devise : vis au jour le jour. J’ai perdu un an à cause de ma déchirure aux ligaments croisés. Qui dit que cela ne se reproduira pas ? Mon diplôme en droit ne me permettrait jamais de gagner autant qu’avec le football. D’ailleurs, si j’étais resté en Belgique, j’aurais poursuivi mes études. Et je n’exclus pas de le faire plus tard. Je me vois aussi en politique. Nous allons jouer en Coupe d’Europe. La saison passée, le club a atteint les quarts de finale de la Coupe UEFA et la majorité des joueurs est internationale. Et si le sélectionneur des Diables Rouges m’a pris en compte quand je jouais à Gand, il le fera certainement ici car en Belgique, le Zenit jouerait le titre. La distance ne constitue pas un handicap pour l’Union Belge. On est bien allé visionner des joueurs au Qatar, qui est encore plus lointain ! D’ici, il y a un vol direct le mardi et le samedi. En fait, c’est mon niveau qui décidera de mes sélections, pas la distance ni le club. Si je ne suis pas retenu, ce sera parce que je ne serai pas assez bon ici « .

Lors de sa présentation à la presse, Lombaerts a sursauté quand on lui a demandé pourquoi il n’avait pris que trois cartes jaunes alors qu’il est défenseur :  » Je trouvais ça normal jusqu’à ce que j’assiste à Spartak- Zenit. L’arbitre a sorti dix cartes jaunes, une rouge et il a sifflé un penalty. Si j’ai dû jouer contre Rostov, c’est parce que les quatre défenseurs étaient suspendus, suite au dernier match du premier tour « .

Le jeu est mieux organisé en Belgique :  » Chez nous, presque tous les joueurs ont des tâches défensives. Ici, les attaquants se consacrent à la seule offensive et les arrières doivent tirer leur plan. Advocaat tente de mieux organiser l’équipe mais ici, un défenseur central doit pouvoir tenir son homme et dispute beaucoup de duels « .

Lombaerts va beaucoup voyager. Le Zenit part au vert la veille de chaque match à domicile, dans un grand hôtel. En déplacement, il démarre la veille du match aussi. En avion :  » Moscou est à une heure quart. Je suis content que le match à Vladivostok soit déjà passé. Cela représente un vol de huit heures « .

Les entraînements ont lieu à huis clos. La presse peut y assister une fois par semaine et ensuite, Advocaat répond aux questions. Chaque joueur dispose de sa chambre avec télévision et douche au complexe d’entraînement. Il n’y a pas de vestiaire commun.  » On arrive, on se change dans sa chambre et on monte sur le terrain. Par contre, dans le nouveau complexe, qui ressemblera à celui du Real Madrid, il y aura un grand vestiaire « .

Pas digne de la D1

Il est 22 h 30 quand Lombaerts réintègre ses pénates. Le ciel commence à s’obscurcir mais la circulation demeure dense sur la Nevskiy Prospect. Lombaerts est satisfait :  » Jusqu’à présent, tout se déroule mieux que prévu. A mon arrivée à Gand, je n’imaginais pas me retrouver aussi vite en équipe fanion. Je venais du noyau B du Club Bruges qui avait une génération très talentueuse. Les uns après les autres, mes coéquipiers ont reçu un contrat professionnel. Je suscitais des doutes. J’ai préféré signer pour Gand. Peu après, le Club m’a proposé un contrat mais mon choix était déjà fait « .

A Gand, il espérait tout au plus figurer dans le noyau :  » J’ai été titularisé dès le premier match amical. Quelle surprise ! J’ai été encore plus étonné au début du championnat. Georges Leekens était dur à mon égard, bien plus qu’avec les autres joueurs. Il se comporte comme ça quand il croit en vous. Il me l’a dit un jour : – Quand je ne te dirai plus rien, tu devras te tracasser. C’est que tu seras sur une mauvaise voie. A 18 ans, si on m’avais dit que je deviendrais pro, j’aurais éclaté de rire et répondu : – Bien sûr que non. Jamais, je n’aurais imaginé jouer en D1. J’ai été sélectionné dans les différentes équipes d’âge nationales pendant plusieurs saisons puis plus rien. Un jour, suite à une cascade de blessures, on m’a rappelé avec les moins de 17 ans. Le sélectionneur national a eu plusieurs entretiens individuels avec moi et il m’a répété : – Ne pense pas que tu joueras un jour en D1. C’est un rien trop haut pour toi. Par contre, tu peux peut-être réussir en D2. Je suis heureux de lui prouver le contraire. Peut-être dois-je lui envoyer une carte postale de Saint-Pétersbourg…  »

par geert foutré – reporters/ vander eecken

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire