Le triomphe des nains

Il y a huit ans, Sassuolo évoluait encore en D4. Grâce à Mapei, ce club s’apprête à effectuer ses débuts en Série A. Visite dans le plus petit club que l’élite ait connu depuis les années 40.

Le vendredi matin, la foule se presse sur la Piazza Garibaldi, en plein coeur de Sassuolo. C’est jour de marché. Tout autour de la place, de petits drapeaux vert et noir et des banderoles Mapei rappellent encore la fête populaire a eu lieu ici lorsque l’équipe locale a obtenu son ticket pour la Série A. Une journée historique. Ils étaient plus de 4.000 et on n’aurait pas pu en mettre un de plus, même en poussant bien.

Jamais dans l’histoire moderne du football italien, une ville d’aussi peu d’habitants (41.000) n’avait rejoint l’élite. Depuis l’unification du championnat (1929-30), une seule ville plus petite avait pris part à la compétition et avait même fêté un titre : Casale en 1914.

Les guides touristiques ne font pas mention de Sassuolo, située entre Parme et Bologne, en Emilie, une des régions les plus riches d’Italie. Depuis que les archiducs de Modène ont concédé à la cité le monopole de la production de céramique, au 18e siècle, Sassuolo est devenue la ville qui produit le plus de céramique et de carrelages mais depuis peu, le football doit devenir le nouveau produit d’exportation et rendre son prestige à Sassuolo.

Sur les façades des commerces, autour de la place, sont accrochés des panneaux de remerciements : Grazie ragazzi. La Caffetaria La Bolla, un bar chic où l’on peut siroter des cocktails, affiche des maillots vert et noir dédicacés par cinq stars locales.  » Les joueurs viennent souvent ici « , dit le barman, Matteo Stefani, qui se prétend supporter depuis la naissance et qui n’a qu’un souhait pour la saison qui commence : le maintien. Voici quelques semaines, trois supporters de Sassuolo se sont rendus à Milan. En début de saison dernière, ils avaient juré que si le club montait, ils rejoindraient à pied le siège de Mapei, sponsor principal et propriétaire du club. Ils y sont arrivés en cinq jours.

A 500 mètres de la place, au secrétariat du club, on bosse ferme. C’est derrière, sur la Piazza di Risorgimento, que se trouve le vieux Stade Enzo Ricci. Il y a cinq ans encore, jusqu’à ce qu’ils rejoignent la Série B, c’est donc en plein centre-ville que l’équipe disputait ses rencontres à domicile. Mais vu sa situation, le stade ne pouvait pas être aménagé pour répondre aux normes de sécurité et le club a déménagé. D’abord à Modène (à 17 km) puis, bientôt, au stade de Reggio Emilia, à 23 km.

Depuis la montée en Série B, en 2008, le vieux stade de 4.000 places n’accueille plus que les entraînements de l’équipe Première. Derrière la tribune principale, on a construit de nouveaux vestiaires tandis que, bientôt, le secrétariat, la salle de presse et la cellule commerciale s’installeront dans un nouveau complexe en ville. Sur la porte, un avertissement : Entrée réservée aux personnes ayant des idées et un gros budget. Tant pis, nous entrons.

The Wall Street Journal

Massimo Pecchini, le responsable du service de presse, nous accueille avec beaucoup d’enthousiasme. Au cours de la semaine précédente, il nous a établi un vaste programme qui témoigne d’une hospitalité peu commune en Série A. Il faut dire que nous ne sommes que les deuxièmes journalistes étrangers à venir à Sassuolo. Les premiers étaient ceux du quotidien américain The Wall Street Journal.

Le président Carlo Rossi s’excuse auprès de notre photographe : il n’a pas pu s’habiller comme il sied au président d’un club de Série A.  » Je dois aller travailler « , dit-il. Rossi travaille chez Mapei depuis 1970 et est un grand ami du patron et homme fort du club, Giorgio Squinzi. En 2002, lorsqu’il conclut un accord de sponsoring avec Sassuolo pour une durée de trois ans, Squinzi demanda à Rossi de l’aider. Déçu par l’accumulation des affaires de dopage, Mapei avait quitté le cyclisme un an plus tôt et dégagé un budget que l’entreprise pouvait consacrer au football.  » La firme estimait qu’elle devait bien cela au club et à la région « , dit Rossi.  » Mapei avait besoin des carrelages pour grandir et l’entreprise milanaise, fondée en 1937 par le père de Squinzi, devait exploiter les canaux d’exportation et les contacts des industriels de Sassuolo.  »

Cette première collaboration avec le club, dont il n’était alors que sponsor, ne fut pas couronnée de succès. Condamnée à la relégation, l’équipe ne se maintint en D4 que parce que, contrairement à d’autres, ses finances étaient saines.

L’arrivée de Nereo Bonato, en 2004, changea beaucoup de choses. Le nouveau directeur sportif établit un plan qui est toujours d’application. Depuis, Sassuolo investit surtout dans les jeunes et les joueurs peu connus, qu’il valorise tant sportivement qu’humainement. Il est rare qu’un footballeur refuse la proposition du club car l’ambiance y est tranquille, on n’y met pas la pression, l’équipe gagne et tout le monde est payé correctement.

Dès la première saison de Bonato, Sassuolo disputa les play-offs. Et la deuxième année, il fut champion de D4. Après la première saison en D3, Giovanni Rossi, un des responsables sportifs, amena un entraîneur qu’il avait connu auparavant : Massimo Allegri, qui a entraîné l’AC Milan au cours des trois derniers championnats. Avec lui à la barre, Sassuolo eut tôt fait de rejoindre la D2. Giovanni Rossi, qui vient de passer trois ans en tant que directeur des jeunes de la Juventus, vient de revenir à Sassuolo, où il a été nommé directeur sportif tandis que Bonato a été promu directeur général.

En 2004, lorsque Carlo Rossi devint président, le club comptait, hormis ses joueurs et entraîneurs, quatre employés. Aujourd’hui, on en compte une quarantaine. La saison dernière, le budget du club était de 11 millions d’euros. Cette saison, grâce aux droits de télévision qui, en Série A, constituent la plus grande source de revenus des clubs, il sera de 37 millions. Une paille pour l’Italie mais chez nous, seul Anderlecht a autant de moyens.

Le président n’est pas d’accord quand on lui dit que le succès de Sassuolo est avant tout une question d’argent.  » Lorsque nous avons été champions de D3, les autres candidats au titre ont dépensé quatre millions d’euros, et nous, la moitié. Nous avons toujours investi moins de la moitié de nos rivaux. Sauf il y a deux ans, lorsque Squinzi a investi 12 millions d’euros. Et ça n’a pas marché. Il était alors tellement déçu qu’il voulait arrêter. Nous l’avons convaincu de poursuivre et nous sommes montés avec un budget réduit de 60 % par rapport à la saison précédente.  »

Que se serait-il passé si Squinzi était vraiment parti ?  » Alors, nous serions redescendus là où tout a commencé « , répond Rossi.  » Sans Mapei, Sassuolo ne serait qu’un club de quatrième ou cinquième division.  »

De 400 à 15.000 spectateurs

A 11 h 30, nous prenons la direction de Carpineti, à 40 km de Sassuolo. C’est là, dans les Apennins, à 600 mètres d’altitude, que Sassuolo met la dernière main à la préparation de sa première aventure en Série A. Les joueurs et le staff sont logés à l’hôtel Matilde depuis deux semaines. Chaque jour, ils passent à la piscine à ciel ouvert, où les nombreux touristes prennent le frais. Nous sommes autorisés à partager leur repas de midi et nous avons le choix entre vin rouge et vin blanc tandis que les joueurs n’ont bien entendu droit qu’à des légumes, des fruits et de l’eau. L’ambiance est relax. Après le repas, le capitaine, Francesco Magnanelli, vient nous rejoindre. Ce médian central âgé de 28 ans a, comme le gardien Alberto Pomini et l’attaquant Gaetano Mascucci, participé à la grande aventure depuis le début, en D4. Sur le terrain, il est réputé indispensable. En arrivant auprès de nous, il nous remercie de s’intéresser à son club et lorsque nous partons, il nous tape sur l’épaule en disant tout simplement : Grazie mille. Du jamais vu en Série A, même si Sassuolo n’y a pas encore disputé son premier match.

Lorsqu’il a quitté Gubbio pour la Fiorentina, à l’âge de 17 ans, Magnanelli rêvait de jouer au plus haut niveau mais lorsqu’à 20 ans, Chievo l’envoya à Sangiovanese, en D3, où il était sur le banc plus souvent qu’à son tour, il se dit que sa carrière était finie et il signa à Sassuolo, encore un échelon plus bas. Jusqu’à ce que son club actuel ne rejoigne la Série B et participe directement aux play-offs. Au cours des dernières saisons, Torino et la Sampdoria se sont intéressés à lui mais il est resté.  » Sassuolo n’avait pas besoin d’argent et estimait que j’étais un pion important tandis que je ne voulais pas partir parce que ce club avait cru en moi lorsque plus personne n’y croyait. De plus, cette équipe gagne. En huit ans, je suis monté trois fois et j’ai disputé trois fois le tour final. Une seule saison a été mauvaise.  » En 2004, il jouait devant un peu plus de 400 personnes au Stade Enzo Ricci.  » Nous étions toujours l’équipe qui avait le moins de supporters.  » La saison dernière, la moyenne était de 4.800 personnes, mais à l’occasion des derniers matches à domicile, au stade de Modène, ils étaient 10.000, voire même 15.000 pour la rencontre décisive contre Livourne. Pour un club moyen de D1 italienne, cela ne signifie rien, mais pour Sassuolo, c’est énorme.

Sassuolo meilleur que Milan et la Juve !

A 16 heures, les joueurs posent un à un pour le photographe de la maison. A 17 heures, les haut-parleurs diffusent la chanson du club, Neroverdi. Cela signifie qu’il est l’heure de s’entraîner. Dans l’ombre, une vingtaine de spectateurs assistent à la séance. Ici, pas question de huis clos.

Massimo, l’attaché de presse, vient aux nouvelles.  » Tout se passe bien ?  » Il rayonne, même s’il sait que les mois à venir seront chargés. La vente des abonnements a débuté la veille. La retransmission en direct de la TIM Cup sur Canale Cinque a été suivie par 4,5 millions de téléspectateurs. Evidemment, ceux-ci s’intéressaient surtout à la Juventus et à l’AC Milan mais cela veut tout de même dire que 4,5 millions d’Italiens ont découvert le nouveau pensionnaire de Série A dans un stade comble.  » Une publicité pareille, c’est impayable.  »

La TIM Cup, que Sassuolo a d’ailleurs remportée, s’est disputée à guichets fermés. Le stade de Reggio Emilia n’avait plus fait le plein depuis 1996, lorsque la Reggiana évoluait encore en Série A. Magnanelli avoue qu’il a pris son pied, même si, pour la Juve et Milan, qui jouaient sans leurs internationaux, ces matches avaient peu d’importance. Il avoue qu’après les matches, les joueurs du club local se sont mis à la chasse aux maillots.  » J’ai reçu celui de Peluso de la Juventus et celui d’El Shaarawy de Milan.  » Mais son objectif principal de la saison n’est pas d’étoffer sa collection de maillots.  » Si Sassuolo pouvait rester plus d’un an en Série A, ce serait fantastique « , dit-il. Le fait qu’en attendant, il faille une loupe pour trouver des news du club dans les journaux, même dans la Gazzetta dello Sport, ne le frustre pas.  » Nous venons de débarquer, c’est à nous de nous faire un nom, de déposer notre carte de visite. Avec le temps et les résultats, on s’intéressera à nous mais c’est à nous de faire en sorte que cela arrive.  » Il affirme aussi qu’au cours des dernières saisons à Sassuolo, rien ne l’a vraiment surpris.  » Ce club a toujours eu un projet. Rien n’est arrivé par hasard. Il y avait un plan derrière tout cela.  »

Il pense aussi que la D1 ne va pas changer la vie des joueurs.  » Je vais toujours à l’entraînement à vélo et je continue à me promener en rue avec ma femme et mes enfants. Ce n’est pas possible dans tous les clubs de Série A.  » Depuis que le club a rejoint la D2, Sassuolo se met cependant au vert avant chaque match, y compris les rencontres à domicile. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’hôtel Cá Marta possède la meilleure cuisine de la ville.

Le Dottore reste dans l’ombre

C’est Eusebio Di Francesco qui, pour sa première saison en tant qu’entraîneur, a permis au club de rejoindre l’élite.  » Il a tout chamboulé « , dit Magnanelli.  » La mentalité, l’approche tactique. Son prédécesseur prônait un football défensif, avec un seul attaquant, mais l’an dernier, nous avons été une des équipes de Série B qui jouait le mieux au football.  » Di Francesco s’amuse bien à Sassuolo.  » Ce club a l’avantage d’être soutenu par une grande entreprise et dirigé comme tel mais dans une ambiance familiale, sans pression, tant dans les bons que dans les mauvais jours. Je dis que nous sommes une île de sérénité dans le football italien et j’espère que ça ne changera pas. Ici, un entraîneur a le temps de développer ses idées.  » Même en Série A, il n’a pas l’intention d’adapter sa tactique.  » Je pars du principe que le football est un spectacle et que les joueurs doivent avant tout s’amuser. C’est en attaquant qu’on y arrive le mieux. C’est ce que m’a appris Zdenek Zeman, qui a été mon entraîneur pendant deux ans. Je joue en 4-3-3 et ça ne changera pas. Peut-être jouerons-nous moins souvent que par le passé sur la moitié de terrain de l’adversaire mais nous allons essayer.  » Le fait de ne pas disposer de vedettes ne le dérange pas.  » Les stars ne viennent pas à Sassuolo « , dit-il, affirmant que ce qui le comblerait de bonheur, ce serait  » d’assurer le maintien et de d’aider quelques joueurs à devenir des valeurs sûres de Série A.  »

En attendant, le Dottore Squinzi reste dans l’ombre. Le président de l’Association des Industriels Italiens (Confindustria) n’a pas le temps d’accorder des interviews ou d’assister aux matches. La saison dernière, il n’a vu qu’une rencontre : à domicile, contre Bari. Mais le club reçoit de l’aide de Milan et notamment du Sport Lab de Mapei qui, la saison dernière, a assisté trois clubs : la Juventus, Monaco et Sassuolo. Point commun ? Tous ont été champions.

En vue de la saison qui s’annonce, Squinzi a déjà noté deux dates dans son agenda. Le 22 septembre, Sassuolo accueillera l’Inter, ennemi juré de son premier amour, l’AC Milan. Et pour le tout dernier match du championnat, il ne devra même pas se déplacer puisque, ce jour-là, Sassuolo jouera à Milan.

PAR GEERT FOUTRÉ À SASSUOLO – PHOTOS : IMAGEGLOBE

Les scandales de dopage ont détourné Mapei du cyclisme. Au profit du foot.

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