Le trident & le joyau

Genk possède l’attaque la plus productive du pays grâce au trio formé Elyaniv Barda-Jelle Vossen-Marvin Ogunjimi et un super-talent belge de 19 ans, Kevin De Bruyne.

Les chiffres sont phénoménaux : plus de 60 % de la production limbourgeoise proviennent du trio de buteurs VossenBardaOgunjimi. L’attaque du Standard, pourtant réputée, avec des noms comme Leye, Tchitéet Nong, dépasse tout juste les 30 %… Pourtant, à l’aube de la saison, nul n’aurait osé prédire que Genk serait aussi efficace. Barda restait sur une mauvaise saison et était en proie au doute. Ogunjimi se demandait si, après sept ans sous le maillot de Genk, il n’était pas temps de changer d’air. Il n’avait pratiquement pas joué en août et Frankie Vercauteren préférait le duo Barda-Vossen. Ce n’est que peu avant la clôture des transferts estivaux qu’Ogunjimi a changé d’avis et a paraphé un nouveau contrat jusqu’en 2015. Peu après, Vossen a suivi son exemple, même s’il n’était pas encore certain d’avoir un avenir à Genk.

 » A son retour du Cercle Bruges, auquel il avait été loué, nous avons senti le scepticisme de la direction du club à l’égard de Jelle « , confirme son père Rudi Vossen, lui-même ancien footballeur pro.  » Finalement, Jelle a eu un entretien très positif avec Vercauteren et a senti qu’il avait sa chance. Vercauteren le connaissait depuis la Kirin Cup, disputée par les Diables Rouges. Il savait ce dont Jelle était capable. Même quand il ne trouve pas le chemin des filets, il peut être très utile par son travail et ses trajectoires de course. Les attaquants sont les premiers défenseurs : les entraîneurs apprécient sa mentalité. Si, au début, il marquait les yeux fermés, nous savions qu’il ne pourrait tenir pareil rythme. La Belgique n’a plus d’avants comme Erwin Vandenbergh, qui marquait 30 fois par saison.  »

Gunther Jacob, le manager de Barda, n’est pas d’accord :  » J’ai joué avec Vandenbergh et Vossen me fait penser à lui. Comme Vandenbergh, il donne l’impression que chacun de ses tirs aboutit dans la cage. C’est une qualité exceptionnelle.  »

Et une question de confiance. Rudi Vossen :  » Jelle déborde maintenant d’assurance. Durant son premier passage à Genk, il a dû se contenter d’entrées au jeu. Chaque fois qu’il entamait malgré tout un match, il savait qu’il n’avait pas le droit à l’erreur, sous peine d’être mis de côté la fois suivante. Il jouait donc autrement. Cette saison, il est resté titulaire même après la trêve hivernale, alors que la presse le trouvait moins bon. Cela résume bien la situation. « 

La main de Vercauteren

Le trio Vossen-Barda-Ogunjimi puise sa force dans sa complémentarité. Ogunjimi est le seul à avoir le profil d’un avant-centre. Il est capable de jouer dos au but, de tirer, de chercher la profondeur et de conclure d’une touche de balle. Son récent but contre le Club Bruges en est la énième preuve.

Vossen est intelligent, il se meut parfaitement entre les lignes, déniche les brèches et possède un excellent tir au but. Barda est l’élément le plus chevronné. Fin dribbleur, il ne perd jamais sa vision du jeu. Le jeu de tête est leur unique lacune ; Ogunjimi est le meilleur des trois, de ce point de vue. De toute façon, Genk est suffisamment malin pour ne pas jouer dans ce registre : l’équipe fait régulièrement circuler le ballon au sol.

Si leur complémentarité s’est révélée aussi tard, c’est à cause de choix tactiques. Vercauteren a réalisé un coup de maître en postant des éléments créatifs sur les flancs, Kevin De Bruyne à gauche et Thomas Buffel à droite, alignant ainsi pratiquement tous ses joueurs offensifs.

Rudi Vossen :  » L’option la plus évidente est de poster Ogunjimi en pointe, flanqué de Jelle ou de Barda en décrochage. Jelle et Ogunjimi évoluent ainsi depuis les catégories d’âge à Genk et quand je les vois à l’£uvre, c’est comme un copier-coller du passé. Mais Jelle peut aussi évoluer en pointe avec Barda, dans un autre style de jeu : avec deux avants-centres qui montent et décrochent à tour de rôle. « 

Les statistiques prouvent que n’importe quel tandem fonctionne. C’est un luxe inédit.

Le Racing peut également aligner ses trois attaquants, Barda se profilant alors plutôt en ailier droit, à la place de Buffel. Genk a joué à neuf reprises dans cette occupation, un nombre équivalent à celui des joutes disputées avec un duo offensif alors qu’on a l’impression que Vercauteren préfère évoluer avec deux avants. L’entraîneur peut établir ses choix en fonction de l’adversaire ou des circonstances, avec un bémol : Ogunjimi marque rarement voire jamais quand il est utilisé comme joker tandis que Vossen a totalisé six buts lors des cinq matches au cours desquels il est entré en action.

En plus, les trois attaquants n’ont pratiquement jamais été pris au piège du hors-jeu car ils ont appris à se déplacer latéralement avant de plonger vers le but. La touche Vercauteren…

 » Debruyne a le potentiel pour l’élite mondiale « 

Récemment, De Bruyne a confié qu’il ne pensait pas retrouver sa meilleure forme cette saison. De la mi-octobre à la fin décembre, il a souffert de mononucléose et n’a pas joué. Le médecin du club, Stijn Indeherberghe, précise :  » Nous pensons que son corps est maintenant débarrassé du virus mais pendant trois à quatre mois, il s’est moins entraîné, ce qui peut expliquer son sentiment. Ses tests physiques sont bons, de même que sa condition mais la base de celle-ci est un peu moins bonne.  »

Malgré cette maladie, les faits sont là : durant le championnat régulier, Genk n’a pas perdu un seul match quand De Bruyne en a disputé au moins 70 minutes. La mononucléose n’a d’ailleurs pas diminué l’intérêt dont le joueur est l’objet. En janvier, le FC Twente aurait proposé 5,5 millions d’euros pour ses services, selon Patrick De Koster, le manager de De Bruyne, et même Chelsea le suit.

Un art

 » Kevin possède des qualités qui pourraient être intéressantes pour un club tel que Chelsea « , commente Buffel.  » Fellaini, Dembélé et Vermaelen jouent en Angleterre. Kevin devrait donc avoir sa place aussi. Le fossé peut paraître énorme mais quand on joue bien, on se coule aisément dans ce moule. Le tout est de maîtriser l’art de faire circuler le ballon. Kevin n’est pas inférieur à Salomon Kalou, avec lequel j’ai joué. Kalou était sans doute davantage l’homme d’une action individuelle mais Kevin a un tir fantastique. Or, dans le football contemporain, être dangereux en dehors du rectangle constitue un énorme atout car il est devenu extrêmement difficile de dribbler trois ou quatre hommes.  »

Un transfert vers un ténor européen requiert évidemment une grande force mentale.  » La façon dont il va surmonter sa mononucléose constituera un bon baromètre « , précise Buffel.  » Un jeune footballeur doit apprendre à gérer les inévitables contrecoups mais quand quelque chose ne va pas, Kevin s’enflamme encore trop vite, parfois. C’est à cause de sa rage de vaincre car dans la vie courante, il est le calme personnifié. Travailler avec lui est agréable. Il n’a pas sa langue en poche mais il est poli. « 

Petit coquin

 » Quel jeune de son âge ose-t-il entamer une discussion sur le football avec un aîné ? », s’interrogeait Hein Vanhaezebrouck la saison dernière, quand il entraînait Genk.  » Travailler avec un garçon doté d’un tel potentiel est agréable, d’autant qu’il a une opinion personnelle et ose la défendre. Il lui arrive d’être capricieux et il est très critique envers lui-même techniquement et tactiquement tandis qu’il est plus jouette en d’autres domaines. C’est un petit coquin qui n’hésite pas à se plaindre ! En fait, Kevin est un vrai footballeur : il veut toujours avoir le ballon. Par les 50 meilleurs footballeurs belges, il y en a un ou deux comme lui et 48 autres. Selon moi, c’est lui qui possède la plus grande marge de progression. Il joue avec un égal bonheur des deux pieds, possède une excellente vista et beaucoup d’inventivité, son tir est fantastique et il est capable de marquer. Il joue intelligemment entre les lignes, déniche les brèches et passe facilement son homme. Kevin prétend n’être pas rapide mais je me souviens que l’année dernière, il a obtenu un des meilleures chronos à la course. Il est nettement plus véloce qu’il ne le pense.

Je ne suis pas de ceux qui clament qu’il faut absolument procéder pas à pas. A mon sens le seul avantage d’un transfert dans un club comme Twente serait qu’il apprendrait à gérer un entourage différent, d’autres attentes… Ce processus lui a posé problème à ses débuts à Genk. Nul ne peut prédire qu’il réussira dans un club de l’envergure de Chelsea mais il a le potentiel requis pour l’élite mondiale. Evidemment, nous devons nous rappeler qu’il ne serait pas titulaire dès la première journée à Chelsea. Il ne devrait pas rejoindre Londres en comptant s’y livrer à fond pendant six mois puis voir ce qu’il en ressort. Là, sa devise devrait être de travailler, de trimer. Sans arrêt.

Au sein d’une grande équipe, on ne choisit pas non plus sa place. Il ne doit donc pas se focaliser sur une position déterminée. Il ne peut pas évoluer à l’avant-centre, n’ayant pas le gabarit ni le jeu de tête requis. Sinon, il est apte à occuper n’importe quel poste, pourvu qu’il soit offensif. C’est d’ailleurs nécessaire dans le football moderne : un entraîneur ne peut plus assurer la même place à ses joueurs. Il y a énormément de mouvements et le rayon d’action des joueurs ne cesse de s’élargir. Kevin doit pouvoir évoluer et suivre la tendance. « 

Vista

Successivement coordinateur de l’école des jeunes, entraîneur des Espoirs et entraîneur principal de Genk, Ronny Van Geneugden (aujourd’hui à Oud-Heverlee) a régulièrement travaillé avec Kevin au fil des années.  » Le football actuel oblige les meneurs à se décentrer et à évoluer plus librement entre les lignes. C’est ce que fait Kevin. Cela lui évite de porter tout le poids de l’équipe mais, à terme, il va rejoindre l’axe. Sa vitesse est bonne et il est capable de réaliser des actions. Et comme le ballon est toujours plus rapide que l’homme, Kevin est capable d’accélérer considérablement le jeu, grâce à sa vista. Il remarque les détails avant les autres, le tout à la bonne vitesse, avec la touche de balle qui convient. Ce n’est pas courant de nos jours. Je remarque aussi qu’il gagne en maturité. Il est beaucoup plus présent, physiquement et mentalement. Il dose mieux ses efforts afin de pouvoir être dominant dans les moments-clefs. En dehors du terrain aussi, il donne de la voix quand quelque chose ne lui plaît pas. C’est typique des grands : ils ne se laissent pas faire. Ce n’est certainement pas un handicap pour son développement.

Kevin possède tant de qualités intrinsèques qu’il peut encore gravir de nombreux échelons. Tout cela le conduira-t-il à Chelsea ? On parle là d’un club qui aligne des footballeurs regorgeant d’expérience internationale, y compris en équipe nationale. Kevin ne possède pas cette expérience. Il doit considérer l’intérêt des grands clubs comme un stimulus. Pour le moment, il ne pourrait être mieux qu’à Genk. Le noyau actuel a encore une marge de progression et il ne doit pas sombrer dans la précipitation. Il n’a que 19 ans. Dans quelle mesure peut-il songer à l’élite européenne ? Normalement, on n’accomplit une étape pareille qu’à 23 ou 25 ans. S’il sent qu’il progresse encore ici, pourquoi ne resterait-il pas ? « 

MATTHIAS STOCKMANS ET KRISTOF DE RYCK

 » Kevin ne vaut pas moins que Salomon Kalou.  » Thomas Buffel

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