LE TRÉSOR DES CARAÏBES

 » Il est le plus grand talent de sa catégorie d’âge en Belgique « , déclare Dimitri de Condé, le DT de Genk, à propos de Leon Bailey, son Jamaïcain de 18 ans. Bilan de sa première saison pro.

LeonBailey s’est présenté lui-même à la presse le 13 août dernier, après avoir signé son premier contrat pro, à 18 ans. Le Jamaïcain est entré dans le vestiaire avec la même décontraction, il a passé son baptême sans broncher. Cool. Genk aurait dépensé 1,4 million pour ses services, plus une villa et une auto pour sa famille : il espérait donc beaucoup de sa perle noire. Et ce, malgré son jeune âge et son manque de matches entre 16 et 18 ans. Malgré, aussi, ses passages ratés en Autriche, aux Pays-Bas et en Slovaquie. Mais Bailey n’est pas venu dans le Limbourg pour mûrir d’abord en espoirs.

 » D’emblée, j’ai remarqué sa motivation et sa vitesse « , témoigne le capitaine, Thomas Buffel.  » Il appelait le ballon, réalisait des actions. Le fait d’avoir déjà joué un an en U17 de Genk, sous les ordres de Dimitri de Condé, a sans doute accéléré son intégration. Il connaissait Siebe Schrijvers et Pieter Gerkens et a dû se sentir en terrain familier.  »

Le 21 août, le gaucher débute à Saint-Trond. Genk s’incline mais Bailey a montré des éclairs de son talent. Il entre ensuite au jeu contre Charleroi et Anderlecht, match au cours duquel il pousse Olivier Deschacht à la faute. La récompense suit le 18 septembre : il est titularisé contre Malines. Avec succès mais une semaine plus tard, il est médiocre à Courtrai et prend une carte jaune : son ambition est trop rapide pour ses jambes. Buffel le compare, de ce point de vue, à Kevin de Bruyne :  » Ils ont du mal à dissimuler leur colère ou leur déception. Bailey passe parfois les bornes, verbalement.  »

Pour de Condé, c’est à cause de la pression que le joueur se met.  » Il place la latte très haut et est très critique envers lui-même. En U17, il a pleuré à la mi-temps parce qu’il avait raté une occasion franche. Il était déjà dominant, mûr, responsable. Il veut concrétiser ses qualités. Il ne supporte pas la médiocrité  »

ASSURANCE OUI, ARROGANCE NON

Le 4 octobre, Bailey est titularisé pour sa première affiche, contre le Standard. C’est son premier moment de gloire. Genk s’impose 3-1, notamment grâce aux deux assists de son Jamaïcain. Le deuxième est délivré sur une phase arrêtée. Ce n’est pas étonnant : nouveau ou pas, jeune ou pas, Bailey veut se charger de tous les corners et coups francs. Il les frappe avec dureté et précision, le fruit de longs entraînements. Sa cible : ChristianKabasele, qui va encore marquer deux fois sur passe de Bailey, contre Malines et Courtrai.

Leon Bailey parle ensuite en des termes qu’apprécie la direction. Il veut continuer à travailler. Il est empreint d’assurance mais pas arrogant, certifie Buffel.  » Il est bien de sa génération. Nous devions rester modestes et calmes dans notre coin mais maintenant, on apprécie l’ambition. Leon n’est pas arrogant pour la cause. Il possède un certain flair, un mélange d’ambition et de nonchalance. Il me rappelle un peu Khaleem Hyland, originaire de Trinité et Tobago.  »

Après le Standard, passage à vide. De l’équipe et du joueur. Genk perd quatre matches de rang. Bailey trouve le chemin des filets contre OHL, pour la première fois, mais il est plus souvent remplacé qu’à son gré en octobre et en novembre. Il demande conseil aux anciens.  » Il m’a demandé ce qu’il devait faire « , raconte Buffel.  » Je lui ai conseillé d’oublier un peu le foot et de se distraire. Il a certainement trop forcé au début, il s’est mis sous pression.  »

C’est sans doute lié à papa Bailey, qui s’appelle Craig Butler puisque Leon porte le nom de sa mère. Butler est un ancien footballeur professionnel qui a ensuite fondé une école de football en Jamaïque et a arpenté l’Europe avec ses deux fils, Kyle et Leon, en quête d’un club qui les engage avant leurs 18 ans. Kyle a également signé un contrat pro au Racing cet hiver et s’entraîne avec les espoirs. Le père suit de près les deux garçons. Il assiste à tous les entraînements.

DIFFICILE À NEUTRALISER

Toutefois, de Condé, qui entretient de bons rapports avec la famille, ne pense pas qu’elle le place sous une pression excessive.  » Son père est exigeant mais il vaut mieux être sévère que laxiste. D’ailleurs, Craig Butler ne vient pas plus souvent me trouver que d’autres parents.  »

Malgré ce passage à vide, Leon Bailey marque des points juste avant la trêve hivernale. Buffel :  » Même quand il n’est pas dans le match, il accomplit ses tâches et joue en bloc. Il est très important pour l’équipe, indépendamment des statistiques.  »

Le 2 décembre, dans un match de Coupe contre Charleroi, Leon Bailey montre à nouveau sa classe. Le match s’achève sur le score de 1-1 aux prolongations. Malgré des crampes, Bailey convertit son tir au but sans broncher. Genk se qualifie pour les quarts de finale.

Quelques semaines plus tard, Genk joue de nouveau contre Charleroi. C’est le dernier match de championnat avant la trêve et la troisième fois que Javier Martos, le défenseur et capitaine des Carolos, affronte Bailey.  » J’ai relevé une fameuse différence avec le Bailey de début de saison. Je pense qu’il est intelligent, qu’il écoute, sinon il n’aurait pas évolué aussi vite « , raconte Martos.  » Au début, il cherchait trop son pied gauche. Contre nous, Bailey évoluait sur le flanc droit et notre entraîneur l’avait souligné pendant la théorie : il fallait couvrir l’intérieur car il a un bon tir à distance du gauche.

Dans le dernier match, il a surtout joué du droit, ce qui l’a rendu imprévisible. Homme contre homme, il est difficile à neutraliser à cause de sa vitesse et de sa technique. Il garde le ballon très près et conserve donc l’initiative. Il peut changer très vite de direction. Quand il joue à droite, notre six doit le couvrir du milieu. De l’autre côté, c’est le défenseur central qui doit se charger de la couverture s’il passe notre back.  »

COMME KEVIN DE BRUYNE

Leon Bailey a mis à profit la trêve pour poser les jalons de sa percée définitive. Son grand-père est décédé à la mi-décembre et il a passé de courtes vacances en Jamaïque, avec l’assentiment du club. Peter Maes :  » Il a pu se vider la tête. Ensuite, sa préparation a été excellente et il a continué sur sa lancée. Avant, c’était plutôt le mental qui posait problème. Il retombait dans ses vieilles erreurs : il ne prêtait pas attention aux autres, ne pensant qu’à son action.  » Buffel opine :  » Il armait trop vite son tir au terme d’une action, nous empêchant d’anticiper. Mais nous avons appris que l’assist viendrait, depuis, et nous allons dans le rectangle.  »

Genk a enrôlé en Nikos Karelis et Mbwana Samatta deux avants mobiles, qui créent des espaces pour Bailey. L’entrejeu a gagné un stratège, Ruslan Malinovsky, qui, comme Alejandro Pozuelo, ressuscité, sert les ailiers.  » Il détecte maintenant les brèches et les exploite au lieu d’essayer de réaliser une action à tout prix « , analyse de Condé.  » Il a trouvé un équilibre entre l’appel du ballon dans les pieds et la recherche de la profondeur. Il a compris qu’il dépendait de ses collègues.  »

Peter Maes l’a changé de flanc : dans neuf des dix matches de cette année, il l’a posté à gauche. de Condé :  » C’est sa meilleure place pour le moment. Il peut attendre la passe ou aller vers l’axe. Malgré son bon tir du droit, il était moins à l’aise de l’autre côté. Mais il peut tout aussi bien jouer en pointe ou en décrochage.  »

Il doit surtout apprendre à mieux conserver le ballon.  » Il perd encore trop de ballons. Son talent doit lui permettre de réussir 90 % de ses actions « , observe le DT. Buffel confirme :  » Il a encore une large marge de progression. Il doit prendre les bonnes décisions au bon moment, comme Kevin De Bruyne à son âge.  »

L’HOMME-SERPENT

Et contrôler son tempérament. Lors de la 27e journée, une semaine après ses swings contre Waasland-Beveren (6-1), Bailey a donné un coup au Lokerenois Giorgios Galitsios, ce qui lui a valu une suspension contre le Standard, la seule tache de son deuxième tour.  » Plus expérimenté, Galitsios l’a provoqué. En plus, comme son corps n’est pas encore complètement développé, Bailey agite beaucoup les bras. On dirait un serpent quand il court. Il se fraie un chemin comme ça, même si c’est sans mauvaise intention. Il a reçu une leçon : il sera toujours harcelé. Il doit donc apprendre à ne pas perdre d’énergie avec ça.  »

Genk ne s’attend pas à un passage à vide pendant les play-offs.  » Il est lancé, selon moi « , affirme De Condé.

PAR MATTHIAS STOCKMANS – PHOTOS BELGAIMAGE

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