Le tour du Parc

Bruno Govers

Où en est le Sporting d’Anderlecht aux niveaux sportif, financier et communal? Une analyse.

Après une campagne européenne remarquable, marquée par des succès retentissants contre le Dynamo Kiev, Manchester United, le PSV Eindhoven et la Lazio Rome, il serait bien sûr regrettable que le Sporting d’Anderlecht quitte la Ligue des Champions sur la pointe des pieds. C’est pourquoi, à défaut d’un véritable enjeu sportif ce soir, face au Real Madrid, les raisons de se sublimer ne manqueront pas, ne fût-ce que pour ne pas terminer dernier du groupe ou, tout bonnement, par souci de consolider sa cote à la bourse des valeurs. C’est le cas de Tomasz Radzinski, auteur de cinq buts dans cette épreuve jusqu’ici et qui est mû comme nul autre par le désir d’alimenter encore son compteur aux fins de focaliser les regards.

Le feu-follet canadien a beau être sous contrat, au Parc Astrid jusqu’au 30 juin 2003, et jurer ses grands dieux qu’il n’est pas obnubilé par un transfert, certains indices ne trompent pas. Il veut également terminer au faîte du classement belge des buteurs. Un objectif à la poursuite duquel il peut compter sur un acolyte des plus précieux en son compère de l’attaque des Mauves, Jan Koller, soucieux de ristourner de cette façon un Soulier d’Or qu’il a évidemment obtenu grandement grâce à l’aide précieuse de Tom.

Numéro un des goal-getters, en Belgique, c’est un statut qui ne laisse personne indifférent. La preuve : Toni Brogno et Ole-Martin Aarst, qui se partagèrent la pole-position au terme de la défunte campagne, changèrent tous deux d’employeur dans la foulée, le premier passant de Westerlo à Sedan et l’autre de La Gantoise au Standard. Dans un même ordre d’idées, pourquoi Radzinski, qui rêve de l’Espagne, ne pourrait-il pas imiter cet exemple?

Un autre détail qui en dit long, à ce sujet, est le profil des avants dont les noms ont été mis en rapport avec le RSCA, ces derniers temps. Comme Ali Elkhattabi du Sparta Rotterdam, Odaley Thompson du Racing Harelbeke et Ahmed Hossam de La Gantoise : trois éléments vif-argent à la technique non négligeable de surcroît.

Autrement dit des canons qui font davantage penser à Tommy qu’à Jan Koller, pour lequel le club, à première vue, ne semble guère avoir d’alternative à ce jour. Jean Dockx, le responsable de la cellule scouting et recrutement, nuance.

« En tant qu’employeur, nous devons être attentifs aux signaux émis par les joueurs », dit-il. « A cet égard, l’intention de partir est, pour le moment, plus prononcée dans le chef de Tomasz Radzinski que chez Jan Koller. Pour ne pas être pris au dépourvu en cas de départ du joueur, nous nous sommes mis en quête de solutions de rechange. Ode Thompson et Moumouni Dagano, du Germinal Beerschot Anvers, ont été avancés par l’entraîneur, Aimé Anthuenis. Et, de mon côté, j’ai effectivement mentionné Ali Elkhattabi. En réalité, le Sparta Rotterdam était désireux de s’attacher les services de Patrick Van Diemen. En guise de monnaie d’échange, dans la tractation, les Hollandais proposèrent non seulement Ali Elkhattabi mais aussi le médian Nourid Boukhari. Dans la mesure où le premier cité pouvait être considéré comme une possibilité valable, cette candidature a retenu toute notre attention. Depuis, la situation a évolué. Tout d’abord, Patrick Van Diemen a préféré rester au Sporting. Et, dans la foulée, le prix d’Ali Elkhattabi a grimpé. Non pas à trois cent millions, comme je l’ai lu çà et là. Mais nettement plus, quand même, que les cinquante millions avancés au départ. Dès lors, nous sommes dans l’expectative. Et tributaires, aussi, de l’avenir de Tomasz Radzinski. Il va cependant de soi que si Jan Koller manifestait les mêmes desseins que Tommy, nous activerions d’autres pistes. Là aussi, nous avons des idées, même si le Tchèque est l’élément le plus difficile à remplacer. Il ne faut pas oublier en effet que le jeu est en grande partie axé sur lui et qu’il a cette faculté de se montrer utile aussi bien dans les seize mètres adverses que dans son propre rectangle. Sans oublier qu’il apporte son écot à l’élaboration des offensives également. Aussi constitue-t-il une denrée rare. Nous n’en partons pas moins du principe que Jan Koller restera parmi nous, sauf si une proposition vraiment démentielle nous parvenait pour lui. Mais notre volonté, c’est de garder tout le monde, Jan Koller et les autres. Et d’étoffer le noyau là où le besoin s’en fait sentir ».

Dans cette optique, la priorité, actuellement, est l’acquisition d’un back gauche susceptible de prendre le relais de Didier Dheedene, en partance pour Munich 1860. Davy Oyen, que le Sporting souhaite désormais obtenir à titre définitif et non plus sur base locative du PSV Eindhoven, forme une copie valable. Mais il n’a joué qu’une dizaine de matches depuis son arrivée, durant l’été ’99, en raison de problèmes de pubalgie. Et rien ne dit qu’il sera délivré pour de bon de ses tourments, à l’image d’ Oleg Iachtchouk.

« Nous avions trouvé l’oiseau rare il y a quelques mois, au poste de latéral gauche, en la personne du Norvégien Ragnvald Soma de Bryne », observe Jean Dockx. « Hélas, l’AC Milan était désireux de l’embrigader aussi et l’intéressé a préféré répondre à l’invitation des Rossoneri. Il a fait long feu là-bas, puisqu’il est à West Ham United aujourd’hui, où il n’est pas même assuré d’une place de titulaire. Il aurait mieux fait de répondre à notre demande. Dans l’intervalle, il n’est plus abordable pour nous, aujourd’hui. Le hic, c’est qu’il y a vraiment une carence en matière de latéraux gauches actuellement. 80% des joueurs qui occupent cette place dans les diverses formations que j’ai vues à l’oeuvre récemment, étaient de purs droitiers. Ce n’est pas l’idéal. Le Lierrois Filip Daems? Oui, c’est une option valable. Mais nous ne sommes pas seuls sur les rangs puisque l’Ajax et Feyenoord sont également intéressés ».

L’avantage d’Anderlecht, dans la course à l’embrigadement du jeune Lierrois, c’est que Lucas Zelenka, qui appartient toujours au RSCA, intéresse les Jaune et Noir, qui n’ont jamais trouvé de successeur à leur régisseur TomaszZdebel, parti tenter sa chance à Genclerbirligi l’été passé. Or, le Tchèque, actif à Westerlo, répond évidemment au profil souhaité. A moins, bien sûr, qu’il ne retourne au Parc Astrid.

« Tout dépendra, en vérité, de la suite qu’ Alin Stoica voudra donner à sa carrière », observe Aimé Anthuenis. « Il a encore un bail d’une année chez nous mais il est, évidemment, hors de question qu’il nous arrive avec lui la même mésaventure qu’avec Dheedene qui a finalement pu profiter pleinement de l’arrêt-Bosman. Cette semaine-ci encore, une entrevue est prévue avec Joan Becali, le manager du joueur. Et nous espérons qu’à l’image de ce qui s’est passé dans le cas de Walter Baseggio, le bon sens l’emportera sous la forme d’une reconduction de contrat et, si possible, de longue durée. Car quoi qu’en pensent certains, il n’y a pas plus grand partisan du Roumain, à Anderlecht, que moi. Alin Stoica est fait pour jouer au Sporting et il l’a démontré à suffisance cette saison. Si je me passe parfois de lui, c’est parce qu’il n’est pas encore bon pour le servive en toutes circonstances et qu’il faut encore le conscientiser. Car si je laisse faire Stoica, il se muera automatiquement en un numéro 10 à l’ancienne. Or, dans le football moderne, il n’y a plus de place pour un joueur de cet acabit. La preuve par Manchester United où Roy Keane et Paul Scholes sont à la fois des numéros 10 et des numéros 6, ou au Real Madrid où le même raisonnement est d’application pour Ivan Helguera et Claude Makelele. Je sais que dans ses rêves, Alin Stoica s’imagine chez les champions d’Espagne. Mais qu’irait-il faire à vingt et un ans dans un club où des valeurs confirmées comme Savio, Guti, Solari ou Munitis doivent s’asseoir souvent dans le dug-out? Ailleurs, il ne serait pas logé à meilleure enseigne. Je n’en veux pour exemple que notre match face à une prétendue équipe B de la Lazio où évoluaient des Claudio Lopez, Roberto Baronio ou Dejan Stankovic. Dans ces conditions, je crois qu’il a tout intérêt à rester à Anderlecht. S’il ne l’entend pas ainsi, nous devrions évidemment changer notre fusil d’épaule. Lucas Zelenka n’est pas sans présenter quelques similitudes avec lui, même s’il est davantage passeur que finisseur alors que le Roumain allie les deux qualités. Je pense que pour son épanouissement personnel, Zelenka devrait encore pouvoir fourbir ses armes dans un autre environnement pendant un an. Et le Lierse serait une destination intéressante pour lui. De toute façon, bien que lui-même pense visiblement le contraire, il ne me paraît nullement possible de faire cohabiter ces deux jeunes dans une seule et même équipe. Même en 3-5-2″.

Un autre poste qui ne manque pas d’interpeller au Parc Astrid, c’est celui de gardien de but. Depuis qu’il a pris la relève de Filip De Wilde, blessé à la voûte plantaire, Zvonko Milojevic a soufflé le chaud et le froid. S’il vaut sans nul doute davantage que ce qu’il a montré jusqu’ici, il semble quand même qu’il n’a pas cette faculté, qui n’appartient qu’aux plus grands de cette corporation, de gagner des points. Or, un dernier rempart de cette trempe s’impose bel et bien au Sporting. Dans la mesure où Filip De Wilde n’est plus de prime jeunesse et qu’il a déjà été freiné à l’une ou l’autre reprises par des ennuis physiques, un portier fiable s’impose d’autant que Tristan Peersman est en délicatesse avec son talon d’Achille depuis plus d’un an et Kurt Carlier et Sven Van der Jeugt sont encore trop tendres pour s’illustrer au plus haut niveau. Détail particulier : tous deux présentent les mêmes manquements que l’on relève parfois chez Filip De Wilde et Zvonko Milojevic : une approche trop cérébrale pour Sven Van der Jeugt et un jeu au pied laissant à désirer pour Kurt Carlier. Qui dit nouvelle tête s’oriente en premier lieu vers l’équipe nationale, dont l’entraîneur des gardiens est le même qu’au Sporting : Jacky Munaron. Alors, Geert De Vlieger, Ronny Gaspercic ou Frédéric Herpoel pourraient-ils faire l’affaire?

« En début de saison passée, Anderlecht baignait dans le luxe », rappelle Munaron. « A l’époque, le club pouvait compter sur De Wilde, De Vlieger et Milojevic. A présent, ces possibilités se sont réduites comme une peau de chagrin. Personnellement, au même titre qu’Aimé Anthuenis, j’ai toujours plaidé en faveur du maintien de Geert De Vlieger au Sporting. Aujourd’hui, je crains fort que pour récupérer un portier de son envergure, le club devrait débourser bien plus que les vingt-cinq millions payés par Willem II il y a un peu plus d’un an. Car si l’on jette son dévolu sur quelqu’un, il faut que son profil soit idéal : la fleur de l’âge, sûr sur sa ligne, impeccable dans le trafic aérien et capable d’officier comme libero en cas de besoin. Ces gars-là ne courent pas les rues ».

C’est vrai, en Belgique nous n’en voyons qu’un : Vedran Runje. Mais il vient de rempiler pour une période de quatre ans au Standard. Dans ces conditions, on peut quand même douter de la faisabilité de l’entreprise. Reste l’étranger, où rien ne se détache pour le moment, même si Jean Dockx avoue du bout des lèvres qu’en Russie, quelques gardiens présentent ce caractère d’all-rounder.

C’est hors frontières aussi que le Sporting étudie les possibilités de fortifier une défense souveraine en championnat mais qui a pris eau singulièrement, par moments, en Ligue des Champions. Dimanche passé, Werner Deraeve, responsable de l’Ecole des Jeunes de Neerpede, était d’ailleurs au Caire pour visionner la clé de voûte de la défense égyptienne, Tarek El Saeed, à l’occasion d’un match de qualification pour la Coupe du Monde 2002 contre l’Algérie. Un adversaire où évolue un autre élément qu’Anderlecht a dans son collimateur : Haddoul Moulay, un médian gauche. Est-ce à dire que l’on tient compte aussi, au Parc Astrid, d’un départ de Bart Goor?

« Il faut être raisonnable », conclut Jean Dockx. « Nous courrions au désastre si, après Dheedene, Radzinski et Goor venaient eux aussi à quitter le Sporting. Dans ce cas, nous devrions repartir de zéro sur l’aile gauche. Et ce n’est franchement pas souhaitable. Aussi, à défaut de pouvoir conserver tout le monde, vu les contingences du marché, il serait quand même opportun que la coupure ne soit pas trop drastique. Malheureusement, nous n’avons pas le moindre contrôle en la matière. Tout le monde se demande aussi ce que nous allons faire si un club était prêt à mettre le paquet pour Jan Koller. Mais on peut tout aussi bien se poser la question de savoir quelle attitude adopter au cas où Radzinski et Goor feraient simultanément l’objet d’une offre faramineuse. Ce serait un fameux casse-tête en perspective »!

Bruno Govers

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