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Le tour de Babel

Ryan Babel connaît une carrière particulièrement chahutée. Le grand talent de l’Ajax a entamé une odyssée qui ressemblait à un déclin constant. Maintenant, le Néerlandais vit ses meilleures années à Galatasaray.

Mardi, Ryan Babel (32 ans) va affronter le Club Bruges avec Galatasaray. C’est à la fois une déception et un miracle. Une déception car l’attaquant amstellodamois semblait destiné à l’élite absolue il y a quinze ans. Il a effectué ses débuts à l’Ajax à 17 ans, il a marqué son premier but en équipe nationale à 18 ans, participé au Mondial à 19 ans et a été transféré à Liverpool un an plus tard. Marco van Basten avait prédit :  » C’est le nouveau Thierry Henry « . Et puis… plus rien.

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Sa campagne en Ligue des Champions n’en est pas moins un miracle. Sur base des coupures de presse d’il y a quatre ans, que pouvait-on encore espérer de Babel ?

– » Babel chez le champion des Émirats. « 

– » Les twittos furieux sur Babel après sa remarque sexiste. « 

– » Ryan Babel rompt son contrat à Al Ain. « 

– » Sans club, Babel s’entraîne avec les espoirs de l’Ajax. « 

– » Babel signe un contrat de trois mois et demi en Espagne. « 

De fait, en 2015, plus personne n’aurait parié un euro sur la carrière de Babel. Attachez-vous, la descente est raide.

Le plus jeune buteur d’après-guerre en sélection

Février 2004. L’infirmerie de l’Ajax fait le plein d’attaquants : Zlatan Ibrahimovic, Wesley Sonck et Rafael van der Vaart. Babel, 17 ans, se distingue par sa vivacité en espoirs mais Ronald Koeman lui trouve trop de lacunes. Il fait appel à un médian central, Jason Culina, qui se blesse à l’échauffement. Babel effectue donc ses débuts à 17 ans, ce 1er février. C’est pour ça qu’on a l’impression qu’il joue depuis une éternité alors qu’il n’a que 32 ans : il est pro depuis près de seize ans.

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Il n’entre plus en action cette saison-là mais il brûle d’ambition. Il travaille avec un préparateur physique personnel et peaufine sa technique de tir. Son labeur porte ses fruits. Fin mars 2015, 14 mois après ses débuts pour l’Ajax, Babel entame son chapitre international, contre la Roumanie.

Il devient le plus jeune buteur d’après-guerre en équipe nationale. Les Pays-Bas sont en extase. Le sélectionneur, Marco van Basten, accroît la pression en le comparant à Henry. Deux ans plus tard, Babel compte 14 caps, il a marqué quatre buts et participé au Mondial. Il mène ensuite les U21 au titre européen.

A vingt ans, il a l’allure d’un vétéran du Vietnam. Il a des années-lumières d’avance sur ses coéquipiers. Parmi ceux-ci, seuls Erik Pieters, Hedwiges Maduro, Otman Bakkal et Royston Drenthe seront brièvement internationaux. Drenthe joue actuellement aux Kozakken Boys, en troisième division. Comme quoi la carrière de Babel n’est pas vraiment un échec.

Le jeune Ajacide le plus cher en 2007

A l’issue de l’EURO 2007, Liverpool allonge 18 millions d’euros pour Babel, qui devient le jeune Ajacide le plus cher, un record qu’il perd peu après quand le Real transfère WesleySneijder. La concurrence fait rage en pointe, avec Fernando Torres et Dirk Kuyt.

Babel se retrouve à gauche, doit s’adapter aux exigences du manager, Rafael Benitez, un maniaque de l’organisation.  » Aux Pays-Bas, les ailiers ne doivent pas se replier quand le back monte. A Liverpool, j’ai dû participer à la défense, sans la moindre aide de l’entraîneur.

Mes tâches défensives m’accaparaient tellement que je n’ai plus progressé sur le plan offensif. Je voulais mieux conserver le ballon, être plus dominant et marquer mais on me répétait de me concentrer sur la défense. Je n’avais plus assez de forces pour faire la différence », explique-t-il à Voetbal International.

Il dispute 49 matches durant sa première saison mais il se déchire les ligaments de la cheville pendant une séance avec les Pays-Bas, avant l’EURO 2008. Benitez enrôle son compatriote Albert Riera et Babel dégringole dans la hiérarchie. Le banc est son nouveau biotope. On le critique. Il serait difficile, s’occuperait trop de choses accessoires comme la musique.

Babel pense maintenant avoir rejoint Liverpool trop tôt. Un autre pays, une autre culture, c’en était trop pour un gamin qui vivait toujours chez ses parents.  » Je ne reproche qu’une chose à Benitez : m’avoir transféré de l’Ajax. Il cherchait des joueurs prêts et je ne l’étais pas. S’il m’avait dit que je devrais marquer dix buts tout en défendant, je serais resté à l’Ajax.  »

Des sandales à la tête

Heureusement, il lui reste l’équipe nationale. Il en est une valeur sûre, du moins comme joker. En 2010, du banc, il voit les Pays-Bas louper le titre mondial. Il redoute de perdre son statut, faute de jouer à Liverpool. En quête de temps de jeu, il met le cap sur Hoffenheim, qui est alors un modeste club de Bundesliga.

Son père l’a poussé à Liverpool mais maintenant, il prend les choses en mains. Quand il remarque que Louis van Gaal, devenu sélectionneur, recrute ses internationaux en Eredivisie, il revient même à l’Ajax.

 » Au bout d’un an, je pensais avoir l’embarras du choix. J’espérais des clubs anglais comme Tottenham Hotspur, Aston Villa, West Ham United ou des allemands comme Schalke 04, le Bayer Leverkusen et le Borussia Dortmund « , dit-il à VI.  » Mes agents ont contacté tous ces clubs mais la réponse était invariablement : – Oui, c’est un bon joueur mais nous avons trois ou quatre autres options. J’ai pris une claque : à 26 ans, je n’étais plus considéré comme un grand joueur.  »

Malgré ses efforts, il n’est plus sélectionné en équipe nationale. Il en a marre. Puisqu’on ne le regarde pas, il va en faire à sa guise.  » Je voulais toujours faire plaisir aux gens, flatter l’opinion publique, la presse, les supporters. Un jeune ne devait pas émigrer trop vite ou alors seulement pour un bon club. Il ne devait pas opter pour l’argent. Je me suis trop longtemps laissé guider par les règles des autres.  »

Kasimpasa est le seul à lui tendre la main. Libéré des commentaires de ses compatriotes, il travaille à une nouvelle version de lui-même, dans l’ombre du championnat turc. Babel 2.0. Quand Al Ain lui promet une manne, il rejoint les Émirats arabes unis. Jusque là, il ne s’était pas laissé appâter par l’argent mais ça ne l’avait pas servi. Comme quand il avait racheté son contrat à Hoffenheim pour retourner à l’Ajax. Cette fois, il ne dédaigne plus l’argent.

Las, il échoue aussi à Al Ain. A l’issue d’un mauvais match, les supporters lancent leurs sandales à la tête des joueurs, ce qui est une insulte terrible dans la culture arabe. Babel les renvoie et la direction lui montre la porte de sortie. Une fois de plus, il a laissé libre cours à sa mentalité de garçon des rues d’Amsterdam. Il ne se laisse pas marcher sur les pieds.

C’est aussi ce qui le pousse à entrer en conflit avec les supporters critiques, sur les réseaux sociaux. Comme avec cette fille à laquelle il conseille de se concentrer  » sur la croissance de ses seins au lieu de parler de football.  »

Seconde jeunesse

Le départ forcé du désert présente un avantage : il catapulte Babel en équipe nationale. Après un bref passage au Deportivo La Corogne, il se retrouve au Besiktas. Sa vitesse et sa précision sont intactes. Pour la première fois de sa carrière, il se fait régulier et c’est partiellement grâce à sa fiabilité que le Besiktas est sacré champion en 2017.

Ça n’a pas échappé à Dick Advocaat, qui entraîne alors Fenerbahçe, un rival du Besiktas. Quand le Petit général entame son troisième mandat à la tête de l’équipe nationale, il ne met pas longtemps à inviter Babel, mettant un terme à six ans de disette.

Bien que l’équipe nationale se trouve dans une période de transition et ait besoin de sang neuf, son successeur, Ronald Koeman, maintient sa confiance à Ryan Babel. Le match contre le Pérou, en 2018, est symbolique : alors que Wesley Sneijder effectue ses adieux internationaux, la KNVB récompense Babel, qui fête sa 50e cap. Il a longtemps cru qu’il n’atteindrait jamais ce cap.

 » Atteindre ce nombre lors du match d’adieux de Wesley rend l’événement encore plus spécial « , déclare le joueur à l’issue du match.  » Je suis maintenant le dernier de notre génération.  » Selon l’Amstellodamois, la levée actuelle est beaucoup plus soudée que la précédente. Avant, ArjenRobben, RobinVan Persie, Sneijder et Van der Vaart voulaient tous être le numéro un.

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 » Alors que maintenant, il n’y a plus d’ego en équipe nationale. Nous gréons à chacun un but, une action ou une passe.  » Koeman a demandé à Babel de guider les jeunes talents. Il se pourrait donc que l’été prochain, à 33 ans, Babel soit titulaire, pour la première fois, dans un grand tournoi. Il disputerait aussi ses premières minutes de jeu en tournoi depuis le Mondial 2006. Il vit une seconde jeunesse.

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