Le tonton flingueur

A 31 ans, l’attaquant a retrouvé le plaisir au milieu des alpages suisses. Avec huit buts, il est une des vedettes du championnat.

Ce qui marque le plus quand on arrive, c’est le calme. En Suisse, tout se fait à pas feutrés. Une fois qu’on passe les rives du lac Léman, la route plonge vers les Alpes vaudoises et le Valais tout proche. De l’autoroute, Sion semble gardé par la colline de Valère, qui est surmontée d’une impressionnante église-forteresse. Pourtant, à part le stade, ce n’est pas là que bat le c£ur du football valaisan.

C’est à une vingtaine de kilomètres plus au sud. A Martigny, petite ville à l’entrée du Col du Grand Saint-Bernard, davantage connue pour sa fondation Pierre Gianadda qui, chaque année, organise des grandes expositions de peinture allant de Monet à Renoir en passant par Picasso. Située dans une cuvette, entourée de montagnes dont les sommets sont couverts des premières neiges, Martigny est également le fief du président du FC Sion, Christian Constantin, architecte actif dans l’immobilier. Un hôtel trois étoiles sert de centre névralgique. C’est ici que les joueurs se douchent après les entraînements et effectuent leur musculation. A quelques mètres, un terrain isolé, ressemblant davantage aux standards en vigueur à Gand ou à Charleroi qu’aux centres d’entraînement anglais, accueille tous les jours les joueurs de Sion.

 » Sion est un club très particulier « , explique Stéphane Fournier, journaliste au quotidien valaisan Le Nouvelliste.  » Le président Constantin porte le club à bout de bras. C’est un personnage haut en couleurs qui a déjà employé 25 entraîneurs. Si sa première présidence s’est terminée sur un sursis concordataire, depuis son retour en 2006, le club fonctionne très bien. Sion reste sur une promotion, deux finales de Coupe gagnées et une qualification européenne grâce à une troisième place en 2007. Sion était un club à forte identité régionale jusqu’à son arrivée. Avant, il n’y avait que des Valaisans dans l’équipe. Aujourd’hui, il y a très peu de Suisses. Constantin suit l’évolution du foot business, ce qui constitue un élément de discorde entre une frange du public et lui. C’est le premier à avoir fait jouer Sion sans un élément valaisan ! Or, si on accepte ce genre d’attitude à l’Inter ou Arsenal, c’est nettement moins bien perçu ici. Mais les résultats lui donnent raison. Et les supporters suivent. Il y a toujours entre 10.000 et 12.000 personnes au stade.  »

Sion reste donc le catalyseur de toute une région : le Valais.  » Ce club n’a pas d’aura nationale comme les Grasshoppers Zurich ou les Young Boys Berne « , continue Fournier.  » Mais Sion accueille plus de supporters que les Grasshoppers par exemple. « 

C’est dans ce cadre discret et calme, très loin de l’agitation des championnats anglais ou allemands qu’il avait côtoyés ces dernières saisons, qu’ Emile Mpenza a construit son renouveau. Celui qui lui a permis de retrouver ses sensations de buteur (8 buts lors du premier tour de la compétition helvétique), et surtout une place dans le noyau des Diables Rouges. A 31 ans, celui que l’on annonçait sur la pente descendante refait les unes des quotidiens belges. Et pas uniquement pour sa relation mouvementée avec un top model anonyme de 18 ans.

 » J’avais besoin de ce calme « 

 » Ici, tout est calme. C’est ce dont j’avais besoin « , explique celui qui a crucifié la Turquie. Au FC Sion, club qui a la particularité d’avoir remporté les 11 finales de Coupe auxquelles il a participé, le cadet des frères Mpenza est donc venu prendre un bon bol d’air. Samedi, il a encore frappé, contre Saint-Gall, pour la dernière journée avant la trêve hivernale. Son huitième but en Axpo Super League. A peine un de moins qu’ Alexander Frei, autre vedette du championnat (mais neuf de moins que le meilleur buteur, Seydou Doumbia).

 » On n’a jamais douté de ses qualités « , explique l’entraîneur Didier Tholot, l’ancien joueur de Bordeaux,  » Avec lui, c’est davantage dans la tête que cela se joue. C’est quelqu’un d’introverti, de discret mais aussi un énorme bosseur. Il sent les coups offensifs et il dispose d’une bonne détente. C’est bien pour lui de revenir dans l’actualité après une traversée du désert. Et là, après avoir connu un petit passage à vide, il approche de son niveau du mois d’août.  »

 » C’est un super joueur pour le championnat de Suisse « , explique Fournier.  » Si on regarde son palmarès, on voit qu’il a surtout évolué dans de grandes villes comme Gelsenkirchen, Hambourg ou Manchester : il voulait retrouver du temps de jeu dans un environnement calme. Il était annoncé comme une star car pour les germanophones, évoluer en Bundesliga constitue une référence ultime. Et pour les francophones, son passage en Angleterre l’a révélé. Pour le moment, il a parfaitement répondu aux attentes. Il a connu un contrecoup en septembre mais c’est tout à fait normal pour quelqu’un qui restait sur une saison blanche. Ici, si on tient compte des matches européens et de son retour en équipe nationale, il joue pratiquement tous les trois jours. Pour une reprise de compétition, c’est beaucoup.  »

Tu restais sur une mauvaise saison à Plymouth…

Emile Mpenza : C’était une erreur de signer à Plymouth mais je n’avais pas voulu attendre avant de trouver un employeur. Quand vous vous entraînez individuellement, vous tenez le coup pendant une semaine mais après vous commencez à vous impatienter. J’avais donc sauté sur Plymouth pour jouer au football. Cela reste mon principal plaisir. Ce fut la seule erreur de ma carrière.

Avec le recul, qu’aurais-tu dû faire ?

Un retour en Belgique m’aurait apporté plus de satisfactions. Plymouth évoluait en D2 anglaise mais n’avait rien d’une équipe professionnelle. Il n’y avait pas la structure adéquate. L’entraîneur m’avait choisi parce que l’équipe ne tournait pas et qu’il devait faire un grand coup de pub pour éviter son limogeage. Une fois le transfert effectué, il n’a plus compté sur moi. Même pas pour aider l’équipe à franchir un cap. Je m’entraînais et de temps en temps, je jouais en Réserves.

Comment as-tu abouti à Sion ?

C’est grâce à mon ancien coéquipier de Manchester City, Gelson Fernandes, le joueur suisse évolue aujourd’hui à Saint-Etienne. Un soir, il m’a téléphoné pour voir si j’étais disposé à aider Sion, dont il m’avait parlé à plusieurs reprises. C’était un ancien du club et il a servi d’intermédiaire. Il me connaissait en tant que joueur et être humain. Il a vanté ma mentalité auprès de Sion qui a sauté sur l’occasion. Les dirigeants n’ont pas regardé sur internet tout ce qu’on racontait sur moi. Ils voulaient d’abord connaître la personne avant de la juger. Et ils ont finalement validé les choses positives que Fernandes avaient dites sur mon compte.

 » Tout le monde pensait que je jouais pour l’argent. Là, ce n’est pas le cas « 

Mais au niveau salaire, tu as dû faire un gros pas en arrière après l’Angleterre et le Qatar ?

Tout le monde pensait que je jouais pour l’argent. Là, on se rend compte que ce n’est pas le cas. Moi, je voulais simplement ressentir à nouveaux les joies du football. Je suis venu ici pour retrouver la faim et la rage. Pour terminer ma carrière comme je l’ai commencée.

Tu as retrouvé le plaisir ?

Oui, petit à petit. Malgré mes deux buts contre la Turquie, beaucoup de gens m’ont dit qu’ils ne me sentaient pas heureux. Je n’étais pas encore libéré. J’avais encore au fond de moi une rage contenue, une haine. Elle a explosé lors de mon premier but.

Tes choix de carrière ont toujours surpris…

Si j’avais pu choisir, j’aurais opté pour Milan ou le Real Madrid mais je n’ai aucune déception sur mon parcours. A part Plymouth.

Et le Qatar ?

C’était une bonne expérience. Ce championnat m’a valorisé puisque j’ai abouti à Manchester City par la suite. Tout le monde peut penser que j’aurais dû aller là ou là mais ce sont les clubs qui décident de faire appel à moi. J’aurais préféré aller en Angleterre depuis l’Allemagne mais j’ai dû passer par la Qatar avant de toucher à mon rêve. C’est comme cela. Ces étapes sont parfois difficiles à comprendre mais c’est juste une question d’opportunités.

Qu’est-ce qui te plaît ici ?

Les supporters disent que je suis une vedette du championnat mais on me laisse vivre. On n’est pas à l’affut de tous mes faits et gestes. On n’essaye pas de savoir où je vais aller. Ici, je suis quelqu’un comme tout le monde.

Tu as toujours eu du mal à assumer ton statut de vedette ?

Je ne recherche pas la une des journaux. J’essaye avant tout de me faire plaisir et peut-être que cela dérange certaines personnes. Quand j’étais jeune, j’aimais bien m’acheter de belles voitures. J’avais les moyens pour le faire. Pourquoi ne pas utiliser cet argent ? Tout le monde, sur terre, aurait agi de la même façon mais cela ne plaisait pas. Aujourd’hui, tous les jeunes ont des voitures plus chères que celles que je possédais à l’époque et on ne dit rien. Un joueur de football belge qui démontre sa valeur à l’étranger devrait être davantage un sujet de fierté, non ? Il faut essayer de les encadrer médiatiquement parlant au lieu de les descendre. Moi, je n’ai jamais rien fait de mal. Je ne suis pas un terroriste, ni un voleur. Je jouais simplement au football et je me faisais plaisir à côté.

Pourquoi penses-tu focaliser autant d’attention ?

Peut-être parce que je ne suis pas un laid garçon et que je côtoyais de jolies filles. J’ai sans doute ce charisme qui va toucher beaucoup de monde.

Comment sais-tu que tu fais partie des vedettes du championnat suisse ?

Quand je croise certaines personnes, elles me remercient. Sur le forum du club, j’ai même pu lire que j’étais un des meilleurs attaquants passés par Sion. Les supporters veulent à tout prix que je reste jusqu’à la fin de mon contrat. Et cela a une répercussion sur ma vie quotidienne. Je me sens bien.

 » Avec le temps, on devient plus pépère « 

A quoi aspires-tu après Sion ?

Terminer ma carrière comme je l’ai commencée. Sur une bonne note. Même s’il s’agit d’un club modeste d’un championnat européen.

Entre un club anglais et une prolongation à Sion, tu choisis quoi ?

J’aimerais terminer ici. Je me sens bien et cela ne peut être que bénéfique pour l’équipe nationale. Un club anglais, ça fait réfléchir et il faudrait se mettre à table pour discuter mais aujourd’hui, je n’ai pas la tête à un transfert. Je ne suis pas à la recherche d’un club médiatisé où la pression règne tous les jours. Moi, je veux faire mon boulot dans la tranquillité. J’ai 31 ans et j’espère encore évoluer trois ou quatre ans. A moi de bien me soigner. Et il y aura encore quelques belles surprises. Qui aurait pu imaginer qu’Emile marquerait deux fois contre la Turquie ? Qui aurait pu dire que je serais encore capable de marquer ce deuxième but au terme d’une accélération à la 84e minute ? C’est le travail et l’hygiène de vie qui paient.

Tu parles d’hygiène de vie. Cela t’a manqué dans ta jeunesse ?

Oui. On m’a imposé cette hygiène de vie. Mais avec l’âge, j’ai compris. Un bon vin devient meilleur avec le temps ! Quand on est jeune, on fait des erreurs. Je sortais trop. Après une victoire, dans l’euphorie, je ne pensais qu’à cela. Aujourd’hui, je ne peux plus me le permettre sinon je le ressens sur le terrain. Avec le temps, on se calme, on devient plus pépère. On choisit le restaurant plutôt que les boîtes.

A quel niveau te situes-tu ?

Proche de celui que j’avais au Standard et à City. Si je n’avais pas eu une petite blessure, j’aurais pu atteindre ce niveau.

Les blessures ont souvent freiné ta carrière ?

J’ai une musculature de sprinteur. Et vous ne demandez jamais à un coureur de 100m de courir un 5.000m. Moi, je devais m’adapter. Peu d’entraîneurs ont compris mon corps. A part au Standard où Guy Namurois m’a appris à courir comme un coureur de fond.

On n’a jamais su te coller une étiquette. Pas vraiment buteur, pas passeur…

… je suis imprévisible. Je peux marquer cinq buts en trois matches comme six en deux championnats. J’essaye encore de devenir plus complet. Advocaat m’a, par exemple, appris à ne plus courir à droite et à gauche ni à me disperser mais à faire mal dans l’axe et dans le rectangle.

Tu suis toujours le championnat belge ?

Oui. Surtout le Standard.

Quels sont finalement tes clubs de c£ur ?

Mouscron et le Standard. Si j’ai d’autres enfants ou des petits-enfants, c’est là que je les emmènerai. Je suis triste d’entendre ce qui se passe avec l’Excel.

par stéphane vande velde, à sion – photos laurent brandajs

« A Sion, je suis quelqu’un comme tout le monde. On me laisse vivre. »

« Aujourd’hui, tous les jeunes ont des voitures plus chères que celles que je possédais à l’époque. »

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