LE TIGRE DE COLOMBIE

Visite à Santa Marta, où est né le finaliste de la Coupe d’Espagne il y a 27 ans, et reconstruction de son parcours mouvementé, qui a conduit l’avant colombien au Venezuela, en Argentine et au Portugal avant d’aboutir à l’Atletico Madrid. Avant un nouveau départ ?

Nous nous faisons piéger. Au téléphone, Luis Barranco est manager FIFA à Santa Marta et va me conduire chez le père de Falcao. Dit-il. Trois heures après notre départ, nous sommes toujours dans le bus entre Barranquilla et Santa Marta quand nous recevons un message.  » Sorry, le père Falcao, Radamel Garcia, n’est pas là.  »

Les bouchons, le mauvais état des routes, un contrôle policier inopiné mais très approfondi, doublent le temps du trajet, sans oublier une dizaine d’arrêts imprévus à Santa Marta. Les gens descendent quand ils le demandent car il n’y a pas d’arrêts de bus fixes. Les Sud-Américains jaugent très mal la durée des déplacements mais les beaux paysages font oublier ces retards. Nous sommes dans le nord de la Colombie et nous suivons la ligne côtière… Nous voyons également des bidonvilles et des misérables cabanes de pêcheurs car la campagne est pauvre.

Nous nous sommes fixé rendez-vous au terminus mais en traversant le village, le chauffeur s’arrête. Nous sommes son dernier passager et il veut savoir si nous descendons ici. Il ne va pas jusqu’au terminus, qui se situe en dehors de la ville, précise-t-il sèchement. Encore courbaturé par ce trajet interminable sur des routes cahoteuses, nous sommes éblouis par le soleil. Notre gorge est sèche, notre estomac vide. Nous voilà en pleine rue. Les autos klaxonnent, les vélomoteurs nous frôlent. Il est midi. Quelques jeunes Colombiens dévisagent le gringo. Nos omoplates, déjà trempées de sueur, se nouent. Bienvenue à Santa Marta. Par-dessus le marché, Luis ne décroche pas.

Santa Marta

Santa Marta. La tierra de Carlos Valderrama, le Ruud Gullit du football colombien dont la statue se dresse devant le stade d’Union Magdalena, le club local, pensionnaire de D2. C’est ici aussi que Falcao père a entamé sa carrière, dans cette ville côtière de tradition. Finalement, nous mettons la main sur Luis, qui se dirige vers nous, un large sourire aux lèvres. Les Colombiens sont des enfants du soleil. Le mercure affiche 32 degrés, nous avons deux heures de retard mais cela ne tracasse personne.

Luis explique qu’il est normal que le père ait joué aux Caraïbes.  » Grosso modo, tous les footballeurs colombiens sont issus de la côte. Même ceux qui jouent dans la capitale. Ils possèdent généralement le physique idéal, un mélange des qualités des noirs et des blancs. Costauds et doués techniquement car ici, ils ne jouent jamais sur une pelouse : il fait trop chaud pour que l’herbe pousse. Ce sont des campagnards qui n’ont guère fréquenté l’école que jusqu’à huit ou neuf ans. Ensuite, ils doivent aider leur famille. Ce sont des footballeurs de rue ou de plage. Vous connaissez Oswal Alvarez ? Anderlecht l’a repéré ici. Il a 17 ans. Un grand talent. S’est-il déjà produit pour l’équipe-fanion ?  »

Un homme plus âgé se mêle à la conversation.  » Radamel Garcia ? Il a collectionné les cartes jaunes comme son fils les buts. Un danger permanent pour les jambes de l’adversaire. Mais… Il a marqué le but de la victoire contre le grand Millionarios, à Bogota. Il est très pieux, aussi. Je suppose qu’il demande pardon pour toutes les agressions commises sur les terrains.  » Il éclate de rire.

Foot de rue

Garcia, qui n’a inscrit que onze buts en 350 matches, comme il le précisera, a ramené autre chose de Bogota. Sa femme, Carmena Zarate. Elle lui a offert deux filles et un fils, qui a reçu son premier ballon dès le berceau. Plus tard, au téléphone, Garcia confirmera les dires de Luis :  » C’est la première chose que je lui ai achetée. Et j’ai pu choisir son prénom.  » Radamel Falcao, du nom de…  » Falcao, le footballeur brésilien.  » Il a joué pour l’AS Rome et l’Amérique du Sud le surnommait le  » huitième roi de Rome.  » Dans une interview accordée à Onda Cero, une chaîne radio espagnole après la victoire en Europa League, Falcao a expliqué :  » C’est un nom étrange pour les Colombiens. Falcao est certes connu dans le monde du football mais à l’école, les autres gosses le trouvaient très bizarre.  »

Garcia :  » Il jouait tout le temps dans la rue, pieds nus, comme tous les autres. Il rentrait les pieds en sang, ma femme le soignait et le lendemain, il retournait jouer.  » Il a confié au magazine français So Foot qu’il rêvait que son fils devienne une star.  » C’était une obsession : il devait figurer en tête d’affiche.  » Ils se rendaient souvent à la plage pour renforcer les muscles de ses jambes.

On raconte que Falcao père ne voulait pas que son fils devienne défenseur.  » En effet, je lui ai conseillé de jouer en attaque car c’est à ce poste qu’on gagne le plus d’argent « , confirme-t-il.

Valderrama

Un terrible orage éclate alors que nous nous dirigeons vers le barrio Mamatoco, le quartier des Falcao. Des trombes d’eau s’abattent sur la ville, les rues se vident en un instant et le trafic est à l’arrêt.

Peut-être par facilité, Luis prétend que le quartier n’est plus accessible et nous montre un terrain, dans un autre quartier, où les jeunes disputent un tournoi local. Il connaît un des participants : Arvey, le cousin de Carlos Valderrama.

Arvey est un ami d’enfance du jeune Radamel Falcao. Luis extirpe de son sac un article du journal El Espectador dans lequel la mère Falcao a accordé une longue interview. Elle évoque l’importance d’Arvey pour son fils.

 » Un jour, il y avait un tournoi d’athlétisme entre les différentes garderies. J’ai donné un conseil à mon fils : – Dès que tu peux partir, cours, enchaîne les foulées le plus vite possible.  » Très concentré sur ses pieds, mon fils a raté son départ. Perdu, il a commencé à courir alors que tous les autres avaient déjà filé. Il les a tous rattrapés, à une exception. J’ai gagné, Mami ?, a-t-il demandé. Je lui ai répondu que oui, que tous les participants gagnaient. Mais Arvey, qui avait alors douze ans, m’a contredite. – Seul le premier a gagné.  » Le journaliste de conclure : ce jour-là, Falcao a compris que seul le meilleur récoltait les lauriers.

Maradonita

Arvey était un enfant de la rue, précise Luis. Traduction : de père inconnu. C’est fréquent ici. Le père Garcia l’aime bien. Il l’envoie faire des commissions et l’héberge même un moment, comme baby-sitter. Il devient le bras droit de la mère, qu’il aide dans les tâches ménagères quand le football a éloigné le père du foyer, une fois de plus.

Falcao est, lui, vite surnommé Maradonita, car il joue souvent avec un maillot de l’équipe nationale d’Argentine. Il n’est pas toujours un écolier modèle et sa famille le prive de ses leçons de taekwondo. Plus personne ne veut fréquenter le fils du footballeur : il est bien trop violent.

Si la vie de la famille connaît une constante, accentuée par la naissance de deux filles, Michelle et Melanie, ce sont les déménagements. Le père Falcao n’a pas seulement joué pour l’Union Magdalena. Il s’est également produit pour Santa Fe, Tolima, Bucaramanga et quelques équipes vénézuéliennes. C’est là que Radamel Falcao, qui a quatre ans lorsque la famille émigre au Venezuela, découvre le base-ball. Le père joue pour le Deportivo Tachira et l’Union Atletico El Vigia.  » Un jour, mon fils est rentré en pleurant. Il avait pris une claque parce qu’il n’avait pas bien enfilé son gant. Il m’a demandé de lui apprendre à jouer au base-ball « , explique- t-il au téléphone.

Le père Radamel voit d’un mauvais oeil la passion de son fils pour ce sport. Ses nouveaux héros s’appellent Omar Vizquel et Ozzie Guillen, deux noms connus du base-ball vénézuélien. Le père enrage car son fils semble doué pour le base-ball et risque de changer de cap. Puis il signe dans un autre club, le Monagas Sport Club, une équipe de football sans département de base-ball. Falcao a neuf ans, est intégré à l’équipe des -13 ans et se reconcentre sur le foot, avec succès.

13 ans en pro

La Colombie n’a guère profité de Radamel Falcao, ajoute Luis, qui nous dévoile un scoop : savions-nous que l’Ajax a voulu transférer Falcao à treize ans ? Le jeune footballeur s’était distingué lors d’un tournoi très populaire en Colombie, la Copa Tutti Frutti. En 1997, Falcao, âgé de onze ans, marque 52 buts en l’espace d’une saison. Le record tient toujours. Son équipe n’est que quatrième mais le joueur s’est fait un nom. Cependant, il se juge trop jeune pour s’expatrier aux Pays-Bas.

Mais pas pour le football professionnel. Il a treize ans quand Silvano Espindola l’aligne contre le Deportivo Pereira. Nous sommes le 28 août 1999 et Falcao a donc treize ans. Il est jeune mais pas pour affronter des adultes.

Espindola jouera un rôle crucial dans la carrière de Falcao d’un autre point de vue encore, selon Luis.  » Espindola a joué pendant des années en Colombie mais en fait, il est argentin. Un de ses anciens coéquipiers n’est autre que Diego Maradona. Espindola connaissait encore quelques personnes en Argentine, notamment des managers, et il leur a dit que son club possédait un grand talent.  » C’est ainsi qu’à quinze ans, Falcao s’est retrouvé à River Plate, à Buenos Aires. Il y est devenu le coéquipier de Gonzalo Higuain, son futur rival du Real en Coupe d’Espagne.

El Tigre

Luis :  » Saviez-vous que Falcao avait étudié le journalisme à Buenos Aires ?  » C’est exact, nous vérifions. Un an, à l’université de Palermo. Ce n’était pas une passion, dira le joueur plus tard, mais ça l’intéressait. C’est là qu’on le surnomme pour la première fois El Tigre et qu’il fait la connaissance de sa future épouse, Lorelei Taron.

Elle est originaire de la région frontalière du Paraguay, de la selva, la forêt. Pourtant, elle est blanche. En fait, ses ancêtres sont allemands et polonais, d’où son prénom peu commun en Amérique latine. Elle est chanteuse et pieuse car ses grands-parents paternels étaient pasteurs. Selon Luis, elle n’a pas été très prompte à accepter un premier rendez-vous.  » Elle redoutait les footballeurs, à cause de leur mauvaise réputation.  »

Luis poursuit :  » Lorelei est une vraie star en Colombie. Une belle fille mais pas une WAG selon les normes anglaises. Elle voulait enregistrer des chansons religieuses à Buenos Aires et rêvait d’une carrière théâtrale. Elle a rencontré Falcao à l’église évangélique. Mais au début, elle n’avait vraiment pas envie de sortir avec un footballeur de River Plate.  »

Elle a raté son audition au théâtre mais a eu plus de succès en amour, comme son Falca en football. El Tigre a effectué ses débuts en équipe-fanion de River en 2005 et il a été transféré au FC Porto en 2009. Après sa victoire en Europa League, il a rejoint l’Atletico en 2011.

Luis :  » Personne n’a compris, en Colombie. Porto, d’accord, l’équipe était réputée. Nous comprenions aussi qu’il rejoigne l’Espagne. C’était son rêve. Il avait déjà eu des touches avec La Corogne et Saragosse. Mais quand même pas l’Atletico, l’équipe qui ne gagnait jamais !  » Falcao a changé ça. La saison dernière, il a enlevé une deuxième Europa League, plus la Supercoupe d’Europe en début de saison, face à Chelsea, qui sera peut-être sa nouvelle équipe. Comment ça, l’Atletico ne gagne jamais rien ??

PETER T’KINT À SANTA MARTA, COLOMBIE

L’Ajax a voulu transférer Radamel à 13 ans, la même année, il débute chez les pros en Colombie.

 » Je lui ai conseillé de jouer en attaque car c’est à ce poste qu’on gagne le plus d’argent  » Radamel Garcia, le père

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire