LE TGV DE SCLESSIN

L’histoire de Yahya Boumediene relève de l’atypisme pur. Celui d’un feu-follet qui s’est déclaré dans la rue, les salles de mini-foot et les divisions inférieures. Pour enflammer l’élite ?

Sclessin. Maison de jeunes. Après nous avoir donné rendez-vous sur le parking du Standard où il se présente tout sourire dans sa Mini, Yahya Boumediene fait le tour de ses potes présents à quelques dizaines de mètres du stade. Les uns jouent au ping-pong, les autres discutent ou tapent la balle au kicker, pendant que Rohff pousse les basses à fond. Parmi eux, deux de ses frères, Soufiane et Khalid.

Yeux et fossettes plissées – air de famille oblige -, le premier lance que son aîné est littéralement un  » fou de foot « , le second se contente d’acquiescer dans son survêt du Real. Casquette vissée sur le crâne, Pascal, le patron de la maison mère, assure quant à lui avoir  » gagné plein de tournois de mini-foot avec Yahya « .

Un peu plus loin encore, l’ailier mouscronnois présente l’agora où il venait tâter le cuir minot. Toujours en plutôt bon état, le terrain de jeu jouxte celui de l’ASC Marocaine, son premier club et dont le président n’est autre que Rachid Mouzouri, cousin de Nacer Chadli.  » A Sclessin, en pro, le gros club c’est le Standard. Et en amateur, c’est l’ASC Marocaine « , lance Yahya, cherchant à passer le grillage pour parvenir sur le pré.

La vie du deuxième Boumediene d’une fratrie de cinq se résume là : tenter de passer entre les mailles du filet en les transperçant. Pour jouer, tout simplement.

FAMILLE

Posé sur un scooter devant la buvette du club, son autre frère, Amine, accessoirement entraîneur de la première et futur arbitre de deuxième provinciale à 23 ans, nous accueille banane jusqu’aux oreilles. A ses côtés, Ben, le trésorier, observe un pote en train de travailler sur sa Mini, modèle décidemment à la mode de ce côté-ci de la principauté. Tandis que deux jeunes arrivent pour leur séance, Yahya vient aux infos et demande des explications sur la défaite du week-end. Mais si le nouveau détonateur du Canonnier vient tant aux nouvelles, c’est qu’il est toujours resté terriblement attaché au club de son quartier.

Alors qu’il évolue à Hamoir de 2009 à 2012, Boumediene continue d’enfiler la vareuse de l’ASC Marocaine le dimanche matin, avant de repartir aussitôt pour fouler les pelouses de Promotion l’après-midi.  » Je me lavais, j’allais manger et je repartais « , lâche-t-il sans concession. Des performances qu’il réitère lors de son passage en D3 au Patro Eisden la saison suivante. A l’annonce de l’anecdote, ses proches se marrent en coeur :  » Il était trop fort pour nos adversaires ! Quand il arrivait, ils râlaient tous. C’était plus vraiment un joueur de D1 qu’on avait avec nous, mais carrément une équipe. Il leur mettait la misère… « , raconte Ben, dans sa blouse de l’OM.

Les terrains sont compliqués. Si celui du club paraît potable et contraste avec son terrain d’entraînement où les mottes de mauvaises herbes se battent en duel, ceux des adversaires comptent autant de bosses que de risques de blessures pour Yahya. Mais, pour lui, l’important était ailleurs.  » J’ai toujours envie de jouer et de les aider. C’est mes potes ! Je suis leurs résultats, je viens les voir et je les encourage, c’est normal.  » Parce que chez les Boumediene, le foot est une affaire de famille.  » Chaque année, on partait au Maroc en camionnette avec mes parents. Dès qu’on s’arrêtait sur une aire d’autoroute, on sortait le ballon…  » Si Amine arbitre et se définit comme un  » éducateur de rue « ,  » autodidacte  » et  » sans diplôme « , Soufiane porte les couleurs du Spouwen Mopertingen en Promotion et espère se destiner à la même trajectoire que son aîné. Une trajectoire tracée à la sueur de son front.

TRAVAIL

Rue de l’Avenir. C’est là, à quelques pas de son école primaire et du Standard, que démarre l’histoire de Yahya Boumediene. Là où ses parents habitent toujours une des maisons aux briques rouges caractéristiques du quartier, ce fils d’immigrés marocains frappe ses premières balles. Pourtant, malgré la proximité aussi bien spatiale que passionnelle avec le club principal de la Cité Ardente, Yahya ne s’est jamais vêtu de rouche. Non, puisqu’il enfile ses premiers crampons à l’EY Liège, club aujourd’hui porté disparu. Il n’a alors que dix ans mais a déjà tellement arpenté les agoras que son déficit académique est comblé par son bagage technique.  » Il y a beaucoup de jeunes à Sclessin donc forcément, on jouait beaucoup « , raconte l’intéressé.

Après un court passage à Cointe et au RFC Liège, où il est formé de 16 à 18 ans, il embarque dans les bagages de son coach Jean-François Losciuto, actuel T2 du Nigeria. Direction la fraîcheur de Chaudfontaine.  » A Liège, la première était plutôt bouchée pour moi « , explique Yahya.  » Mais c’est vrai que j’aurais peut-être dû être plus patient. J’ai quand même joué plusieurs matches là-bas, ce qui m’a permis d’être transféré à Hamoir.  » Dans le sud de la province, il rentre brutalement dans le monde des hommes, des vrais, et découvre les premières exigences du haut-niveau.  » Il lui a fallu un peu de temps pour s’adapter au jeu des adultes mais dès qu’il s’est mis à niveau physiquement, on a vu toute l’étendue de son talent « , se rappelle Raphaël Miceli, ancienne gloire de Strasbourg devenue T1 à Hamoir.

Tout autant conscient de ses qualités techniques que de ses lacunes, il commence alors à vivre football 24 heures sur 24 pour réaliser sa destinée. Avec ses potes Manu De Castris et Steve Otte, autre Liégeois produit de l’Académie du Standard, ils se rendent alors régulièrement aux escaliers des coteaux pour faire du cardio. Pour Stéphane Huet, l’homme qui l’a lancé en Promotion et à qui Yahya  » doit beaucoup « , il était  » comme la plupart des joueurs techniques, son gros défaut était d’en faire un peu trop individuellement. Il a fallu lui faire comprendre qu’il n’était plus à l’agora avec ses potes de Sclessin.  »

Lui faire comprendre qu’il faut défendre, aussi. Durant sa période Hamoir, il cumule alors D4 sur grand terrain et D2 de mini-foot au Liurno Ougrée, où il est pris en charge par Éric Greco.  » Sa grosse lacune était le travail défensif. Je lui en ai parlé et il a progressé à pas de géant. J’ai été le voir à Liège avec Mouscron cet été et j’ai retrouvé le Yahya du futsal. Il m’a même envoyé un SMS disant : ‘Merci coach, c’est vous qui m’avez appris à défendre.’  »

FOLIE

S’il s’éloigne des salles par obligation, Yahya Boumediene n’a jamais oublié son premier amour. Jusqu’à sa signature au Patro, qui lui interdit tout contact avec le petit-frère du mini-foot, il dynamite l’aile gauche du Zanetti Beyne puis d’Ougrée en D2. Deux saisons pour deux titres de meilleur buteur de sa série. Et, en parallèle de son club de quartier, il porte également les couleurs de l’AC Seraing dans la RIL, un championnat de mini-foot amateur liégeois. Ce qui fait que, durant sa période Hamoir, il pouvait se retrouver à jouer pour quatre écuries différentes en même temps, deux nationales et deux amateurs.  » Il a faim de foot, tout simplement ! « , résume Amine.  » Quand il s’entraînait à Hamoir, il venait s’entraîner avec nous pour avoir un entraînement par jour. Sinon, il allait à la muscu « , ajoute Ben, les yeux remplis d’admiration. C’est justement là que Yahya construit son jeu.

Un jeu déroutant fait de dribbles et de percussion, qui lui apporte une bonne dose de folie. Décrit par ses proches comme un  » clown « , Boumediene retranscrit sur le terrain toute sa spontanéité. Un héritage des ruelles ardentes qui, à défaut de le griller physiquement, n’a fait qu’amplifier sa flamme. Ismaël El Ghoulbzouri, international de mini-foot, se souvient de son baptême du feu en Promotion avec Hamoir :  » On perdait 1-0 et il était rentré à la mi-temps. Il a dribblé deux hommes sur le côté gauche avant de mettre le ballon en pleine lucarne pour égaliser. Au final, on a gagné 2-1 et ça a vraiment été le déclic pour lui.  » A l’époque, ils forment avec Christophe Martin-Suarez – aujourd’hui à Roulers où il a récemment reçu les louanges de Hein Vanhaezebrouck – une jeune triplette d’attaque qui fait des étincelles.

Un déhanché qui fait même écho par-delà les Alpes. Alors qu’il sort d’une grosse saison avec le Patro, avec 7 buts et 16 assists en grande partie donnés au nouvel avant de l’OHL Romero Regales, il est mis à l’essai par Brescia. Suffisant pour faire ses preuves, le temps d’une rencontre face au champion d’Europe en titre : le Bayern Munich de Pep Guardiola. Dans la défaite (3-0), Yahya joue trente minutes avant d’échanger son maillot avec Franck Ribéry. Seul souvenir de son périple transalpin puisqu’il ne parviendra pas à signer de contrat avec le club de Serie B, malgré une traditionnelle visite médicale passée avec succès.

Peu importe. Le train est en marche mais Yahya Boumediene court. Lent dans son ascension mais rapide sur le terrain, il certifie être loin d’avoir fini sa progression. Stéphane Huet, son mentor, métaphorise sur la conservation de balle de son poulain :  » C’est un ouvre-boîte. Dans les matches très serrés, il trouve des espaces et des solutions pour ses partenaires.  » Son jeune frère Amine a quant à lui une idée toute simple sur la réussite de son aîné : l’amour du jeu.  » Il kiffe tellement jouer que quand il venait et qu’on discutait entre nous, il continuait de faire des dribbles. Et on s’en rendait pas compte mais pendant qu’il nous parlait, il nous mettait des petits ponts !  » Ben se marre et abonde :  » Quand il jouait avec nous, il y avait un monde de différence, vraiment. Il allait tellement vite, on l’appelait le TGV de Sclessin !  »

PAR NICOLAS TAIANA – PHOTOS BELGAIMAGE/ CHRISTOPHE KETELS

 » C’était plus vraiment un joueur de D1 qu’on avait avec nous, mais carrément une équipe.  » BEN, LE TRÉSORIER DE L’ASC MAROCAINE

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