© BELGAIMAGE

 » Le tennis n’a jamais été ma passion « 

Il y a vingt ans, Filip Dewulf a atteint les demi-finales de Roland-Garros, plaçant la Belgique sur la carte du tennis. Il s’étonne toujours de son succès.

Dans le jardin de Filip Dewulf, pas de court de tennis mais un terrain de foot. Le Limbourgeois a toujours entretenu une relation d’amour-haine avec son sport. Depuis sa retraite il y a quinze ans, il n’a touché une raquette que pour quelques parties avec son fils mais il s’est affilié à une équipe de café à Tessenderlo et il joue toujours au foot. Il est journaliste et commentateur de tennis.

Dewulf (45 ans) vit toujours à Bourg-Léopold. Il est toujours étonné de l’euphorie engendrée par ses succès. Dominique Monami et Sabine Appelmans avaient déjà donné le ton et ensuite, Justine Henin et Kim Clijsters allaient régner sur le tennis. En septembre 1997, la 39e place au classement mondial de Dewulf était la meilleure performance belge. David Goffin est actuellement dixième.

Roland-Garros était-il ton tournoi préféré, petit ?

FILIP DEWULF : Il était le seul, avec Wimbledon, à être retransmis à la télévision, mais pas mon préféré. Je préférais les petits tournois qui se déroulaient dans un beau cadre, comme à Gstaad, ou l’Open d’Australie, le favori de tous les joueurs. J’ai découvert Roland-Garros à vingt ans. J’étais numéro 250 et je me suis rendu à Paris seul, en auto, pour les qualifications. Mon premier match avait lieu à 10 heures mais j’ai crevé entre l’hôtel et le tournoi. Je suis arrivé pile à l’heure mais sans échauffement et j’ai perdu. Je suis rentré le jour même, pour économiser. On ne gagnait rien en qualifications. Donc, ce tournoi coûtait de l’argent si on ne passait pas. J’ai souvent partagé ma chambre avec des joueurs que je n’avais encore jamais vus. Je n’ai franchi le cap des qualifications qu’en 1995. Jusque-là, le tennis avait coûté cher à mes parents.

Quelle était l’ambiance sur le circuit il y a vingt ans ?

DEWULF : Il y avait beaucoup de touristes, sac à dos, qui voulaient découvrir le monde grâce au tennis. C’était chacun pour soi. On trichait parfois. Même dans le tableau principal, il n’y avait pas toujours de juge. Il fallait dire soi-même si la balle était sortie. Comme j’étais brave, je me faisais souvent avoir. Je me souviens d’une discussion en Espagne, entre mon rival espagnol et l’arbitre. Ils parlaient leur langue. J’ai su que j’allais perdre le point.

 » Mon père a dû mourir 5 ou 6 fois  »

Sans internet ni réseaux sociaux, tu as dû te sentir seul.

DEWULF : C’était ennuyeux. Une fois, j’ai passé une semaine dans un petit village autrichien, dans une chambre. Il n’y avait rien, à part des balades en montagne. Pendant ce temps-là, mes copains se marraient en kot. J’ai appris à faire ma lessive, à modifier des réservations de vols, à me tirer d’affaire dans des cultures étrangères. Pour les vols, il fallait une bonne excuse, style  » Mon père est en train de mourir.  » Il a dû décéder cinq ou six fois ! Au Venezuela, à minuit, je suis monté dans la voiture d’un inconnu. Pour le même prix, j’aurais pu disparaître. Je téléphonais à la maison une fois par semaine. Mais j’ai vu beaucoup de beaux endroits car je ne restais pas scotché au court. J’ai vu pour la première fois un préparateur physique dans les années 90. Un Japonais qui étalait une échelle de corde à terre pour les exercices de son poulain. Du bar, nous regardions en riant. Un échauffement sérieux, une séance de récupération, un régime ? Jamais entendu. Nous prenions des repas à trois services dans les meilleurs restaurants bruxellois la semaine précédant la Coupe Davis.

Ton premier succès ATP, à Vienne en 1995, a-t-il été un tournant ?

DEWULF : Oui. Je n’avais jamais pensé faire carrière en tennis. Si j’étais devenu pro, c’est parce qu’après mes humanités, je ne savais pas ce que je voulais étudier. Mon père m’a conseillé de tenter ma chance en tennis, quelques années. Je devais tenter d’intégrer le top cent endéans les trois ans. Je suis arrivé au rang 150. Mes parents ont proposé de me payer un coach. J’ai commencé à voyager avec Gabriel Gonzales. C’était le bon choix.

Tu dis n’avoir jamais vraiment aimé le tennis. Pourquoi y avoir joué ?

DEWULF : Je jouais toujours avec mes deux cousins, mes aînés de trois et cinq ans. Je les accompagnais au tennis et j’étais doué. Je ne détestais pas le tennis mais ce n’était pas ma passion. Mais quand tu es bon dans quelque chose, tu persévères. A l’issue de ma carrière, je suis passé au foot. Je ne suis pas individualiste.

 » Le gazon n’était pas mon truc  »

Quelle a été l’importance de ton premier succès ?

DEWULF : Ce fut une révélation. J’avais battu le numéro trois mondial, un local, en plus : Thomas Muster. Ce fut le plus beau moment de ma carrière, plus que cette demi-finale à Roland-Garros, car j’ai pris conscience de faire partie des meilleurs joueurs du monde. Il n’y avait qu’un journaliste belge, Dirk Gerlo, de la VRT, qui a fait le déplacement la veille, en apprenant ma qualification.

Combien as-tu gagné ?

DEWULF : J’ai reçu un chèque de 37.500 euros. Dans certains tournois, on me demandait si je voulais un chèque ou du liquide. Au Qatar, j’ai opté pour le cash. Le type a glissé les 10.000 dollars dans une enveloppe. Arrivé en Australie, je l’ai mise dans le coffre-fort de ma chambre.

Vient ensuite cette fameuse demi-finale à Roland Garros. Espérais-tu briller ou pensais-tu que ça arriverait plutôt à Wimbledon ou en Australie ?

DEWULF : Pas à Wimbledon, le gazon n’a jamais été mon truc. Je n’ai jamais franchi le deuxième tour. L’herbe était deux fois plus rapide que maintenant et c’était constamment service-volée, mes deux points faibles. Je n’aimais pas, non plus, toutes les règles imposées. Une fois, un organisateur m’a retenu parce que mon maillot n’était pas assez blanc. Il m’a donné un polo. Il y avait aussi des vestiaires séparés pour les meilleurs. Les autres étaient traités comme du bétail.

Tous les Belges sont formés sur terre battue. Ils y jouent quatre mois par an. Ma performance en 1997 ne reposait sur rien : j’avais été out un mois et n’avais repris ma raquette que trois semaines plus tôt. Je n’avais qu’un tournoi dans les jambes. Au premier tour, j’ai affronté un Italien qui n’était pas un spécialiste de la terre battue. Mon tournoi était déjà réussi. C’est en quarts de finale que j’ai réalisé ce qui m’arrivait. On m’a appris que la Belgique était dans tous ses états.

 » J’aurais pu briguer le top-30  »

Étais-tu nerveux avant le match de ta vie ?

DEWULF : J’étais monopolisé par l’extra-sportif. Mon amie devait donner cours ce jour-là. Le quotidien Het Belang van Limburg a mis sur pied une action pour la convoyer de l’école à Paris en hélicoptère. Des gens téléphonaient à mes parents pour avoir des billets et ceux-ci m’ont demandé, le jour même, de me rendre au guichet. Le jour du match, un journaliste néerlandais m’a téléphoné pour une interview à sept heures du matin.

Aurais-tu pu gagner ?

DEWULF : Je ne pense pas, même si Gustavo Kuerten n’était pas bon non plus. Nous avons disputé un mauvais match.

En as-tu profité ?

DEWULF : Pas en 1997 mais en 1998, en quarts de finale. Ce tournoi-là a été meilleur. j’ai joué le meilleur match de ma carrière au troisième tour contre Enqvist. J’étais au rang 55 et je suis passé 39.

Pouvais-tu mieux faire ?

DEWULF : Sportivement, je pouvais briguer le top 30 mais la mentalité et l’ambition jouent un rôle. Je n’avais pas la régularité de Goffin. J’ai consulté des psychologues du sport, sans succès. Je ne vivais pas non plus pour mon sport. Je buvais ma bière la veille d’un match. Pour gérer mon stress, dans un milieu dont l’égoïsme me heurtait. J’étais semi-pro dans un monde pro, même si je m’entraînais dur. Bref, ce n’était pas mon biotope.

L’équipe de Coupe Davis est un des atouts belges. Tu aimais y participer.

DEWULF : Nous étions une bande de copains. Depuis quelques années, l’équipe possède à nouveau des personnalités capables de vivre en groupe et disposées à se livrer à fond.

 » Même le n°300 n’a plus de point faible aujourd’hui  »

Tu as joué avec Johan Van Herck. Aurais-tu vu en lui le futur capitaine de l’équipe ?

DEWULF : Oui. Johan mettait de l’ambiance, il soudait l’équipe. Il était aussi le plus professionnel. Mais à l’époque, la Belgique était en D2 et nous étions heureux quand nous pouvions jouer devant 2.000 personnes. Maintenant, il y a parfois 6.000 spectateurs. Xavier Malisse nous a conduits en demi-finale de Coupe Davis. Jadis, tous les ténors y participaient. Maintenant, le calendrier est trop chargé.

Comprends-tu que Goffin fasse parfois l’impasse sur ces matches ?

DEWULF : Il doit se ménager. Les joueurs actuels sont pris du matin au soir et la saison est longue. David reste lui-même, discret et modeste, alors qu’il est numéro dix.

As-tu été surpris par sa réussite ?

DEWULF : Comme tout le monde. Il n’a pas le moindre point faible mais ne possède pas non plus d’arme fatale. Il se déplace bien, il joue à un rythme mortel et avec un beau tennis. Il est à 100 % à chaque match, tout en étant régulier toute la saison. Il peut encore progresser. Les joueurs atteignent leur sommet vers 29 ans et il n’en a encore que 26. Quand il aura trente ans, le top quatre actuel sera à la retraite.

Etait-il plus difficile d’atteindre l’élite dans les années 90 ?

DEWULF : Non, c’est le contraire. De nos jours, même le numéro 300 n’a plus de point faible. Avant, chacun en avait. Même Pete Sampras, un des meilleurs de tous les temps : il ne pouvait pas jouer sur terre battue alors que maintenant, tout le monde joue parfaitement sur tous les revêtements et a une technique au top. J’avais un bon coup droit et une bonne condition physique mais plein de points faibles : le revers, la mentalité, la volée, le service. Je ne décelais pas bien les points faibles de mes adversaires. Le top dix était très fort, avec Becker, Agassi, Chen, Sampras.

 » Federer est l’exception qui confirme la règle  »

Le tennis est-il devenu un autre sport ?

DEWULF : Absolument. Il est surtout beaucoup plus exigeant physiquement, partiellement à cause du matériel. Comme les raquettes sont plus légères, on peut frapper aussi fort qu’on veut de tous les coins. Il faut donc être plus athlétique. C’est devenu du tennis de table sur un court. Tout va deux ou trois fois plus vite que de mon temps. Actuellement, tous les joueurs frappent à 200 km/h. C’est moins agréable à regarder. Moins tactique, aussi, faute de temps. On réagit plus qu’on n’agit. Un seul échappe à la règle : Roger Federer.

Tu as joué contre lui.

DEWULF : Et j’ai failli gagner. C’était en 2000. Je menais 3-1 au troisième set mais j’ai perdu le match. Ce drame me poursuit toujours ! Je ne suis pas surpris qu’il soit toujours au sommet. Si tu veux écrire un livre sur  » comment jouer au tennis « , tu dois simplement décrire Federer. Je n’ai jamais vu personne jouer comme lui. Même en juniors, il pensait chaque coup, comme s’il lisait un mode d’emploi. S’il reste en bonne santé, il va encore gagner des grands chelems. Il adore jouer. Je ne pense pas qu’un joueur ait jamais été aussi populaire parmi ses collègues. Ils espèrent tous qu’il gagne, sauf quand ils l’affrontent.

Le tennis féminin a-t-il aussi changé ?

DEWULF : Il a surtout besoin de nouveaux noms. Le tennis était meilleur du temps de Justine et Kim : à cause d’elles, les soeurs Williams n’ont plus pu s’appuyer sur leur seule puissance, elles ont dû réfléchir. Maintenant, elles jouent à nouveau en force.

La Belgique continue à produire des talents. Par hasard ou grâce à une bonne gestion ?

DEWULF : Mon fils joue au foot et au tennis. En foot, il est entraîné depuis six ans par le père d’un copain alors qu’en tennis, il a des entraîneurs diplômés.

 » Le match-fixing a commencé en 2004  »

Le match-fixing est un fléau. L’as-tu connu ?

DEWULF : Non, il n’y avait pas encore internet. Avant une finale, un adversaire m’a proposé de partager la prime. J’ai refusé mais j’ai quand même perdu. Le match-fixing a vraiment débuté en 2004. J’avais déjà arrêté.

Portes-tu un regard différent sur le tennis depuis que tu es commentateur ?

DEWULF : Les joueurs me reprochaient d’être trop critique, au début. Un joueur perd chaque semaine. C’est dur mentalement. J’essaie donc de donner une image positive du tennis. Il m’occupe plus qu’avant, même si je préfère toujours suivre un match de foot.

PAR GEERT FOUTRÉ – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Si je suis devenu joueur professionnel, c’est parce que je ne savais pas ce que je voulais étudier après mes humanités.  » Filip Dewulf

 » Écrire un livre sur ‘comment jouer au tennis ? ‘ Il suffit de décrire ce que fait Roger Federer.  » Filip Dewulf

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire