LE SYSTÈME B

Désormais, quand un transfert est acté sur le sol belge, Mogi Bayat n’est jamais bien loin. Un don d’ubiquité qui pose pas mal de questions. Enquête sur les méthodes de  » Mister Deals « .

« Si Mogi me pique un joueur, je lui coupe les oreilles… « . La mise en garde date d’il y a deux ans. Aujourd’hui, Mogi Bayat a toujours ses deux oreilles et semble se porter à merveille. Son omniprésence sur le marché des transferts tend du moins à le prouver. Certes, la liste de ses ennemis ne désemplit pas, bien au contraire. Un succès qui amène inévitablement son lot d’envieux, doit-il penser. En ce début de mercato, l’ex-directeur général de Charleroi a repris ses habitudes débutées il y a près de 5 ans : faire des deals, beaucoup de deals.

Johan Walem (Courtrai), David Pollet (Charleroi), Florent Stevance (Charleroi), Kalifa Coulibaly (Gand), c’est lui. Pas de quoi sauter au plafond mais de quoi renforcer encore un peu plus son influence au coeur d’un football belge où il est devenu incontournable. Si sur les photos de présentation il rend plusieurs centimètres à ses acolytes, c’est bien lui, le Joe Dalton du mercato qui tire le plus de ficelles.

Alors comment expliquer ce succès dans un milieu pourtant très concurrentiel. Est-il plus malin ? Plus rusé ? Plus fourbe ? Plus cupide que la concurrence ? Au milieu de ses partisans et de ses détracteurs, on a tenté d’y voir plus clair dans cette jungle des transferts, un biotope où Mogi Bayat semble avoir compris les règles mieux que quiconque. Décryptage du système B.

Comment fait-il autant de coups ?

Faute de moyens ou de manque d’ambitions, c’est selon, la plupart des clubs belges ne disposent pas des services de recrutement valables. Les agents en profitent et s’installent. Mogi Bayat en premier.

 » Il a compris que ce sont les clubs qui ont les clefs du jeu. Sa méthode, c’est d’être bien avec les clubs ; les footballeurs, il s’en fout « , raconte un joueur qui a longtemps utilisé les services de l’ex-directeur général de Charleroi.

 » C’est un petit Mendes. Il travaille pour les clubs et non les joueurs « , poursuit un agent.  » Mogi a implanté le modèle italien et surtout anglais en Belgique. Dans des clubs comme Tottenham par exemple, on ne passe que par certains agents uniquement. Ce ne sont plus des agents de joueurs mais des agents de clubs.  »

Le confit d’intérêts n’est évidemment pas bien loin. Un membre du syndicat des joueurs, Sporta, raconte d’ailleurs cette scène où il est venu défendre les intérêts d’un joueur de Mogi qui, lui-même, se trouvait à la table des dirigeants de Courtrai.

 » Mogi essayait de faire comprendre à celui qu’il était censé défendre qu’il devait accepter une diminution de 40 % de son salaire. Il était le seul à prendre la parole pour la partie courtraisienne d’ailleurs.  »

Mogi enfilant la toge d’avocat du club, ça peut rapporter gros à entendre différents dirigeants.  » Un aspect très difficile du métier consiste à se débarrasser des joueurs sous contrat. Et ça il sait s’y prendre. Ça le rend très intéressant pour les clubs « , avoue un agent de joueurs belge.

Herman Van Holsbeeck ne s’en cachait d’ailleurs pas dans une interview accordée à Sport/Foot Magazine en septembre 2014.  » Mogi fait partie des gens que j’utilise pour bien vendre (ndlr, Mbokani à Kiev). Dans la vie, il faut savoir qui a le pouvoir. Dans ton réseau tu as besoin de gars à qui tu peux dire : j’ai besoin de telles ou telles choses. Quand tu es en position de force mais surtout quand ça va mal.  »

Et puis, Mogi ne semble pas trop gourmand quand il est l’heure de passer à table. Il lui arrive de prendre une commission de 7 % sur le transfert alors que d’autres demandent 10 à 15 %, voire plus. Le joueur, lui, s’y retrouve souvent :  » Quand, en 2011, j’ai signé à Courtrai pour 4 ans, mon contrat fut aligné sur celui que j’avais en Turquie « , explique Landry Mulemo qui utilisa les services de Mogi.  » Je dois dire que j’étais surpris de ce qu’on me proposait.  »

Quelle est sa méthode ?

 » Il arrive que Mogi attire les joueurs en leur offrant de l’argent. Mais il n’est pas le seul à utiliser cette pratique « , explique un jeune agent qui tente de faire son trou.  » Et il sait déjà où il va placer ces joueurs avant de leur téléphoner. C’est du winwin et du oneshot car il laisse les joueurs sur le carreau par après. Sa philosophie, c’est construire le plus gros chiffre d’affaires le plus vite possible.  »

Benjamin Nicaise a connu Mogi vers la fin de sa carrière. Une première fois quand il a fallu le sortir d’un mauvais pas lierrois pour finalement atterrir en Grèce. Puis quand l’ex-Standardman est revenu à Mons.

 » Sa manière de fonctionner, c’est faire des deals. Dans le métier d’agent, soit tu fais 50 commissions qui finissent par te rapporter beaucoup d’argent soit tu dors avec 2-3 joueurs et il faut espérer que l’un d’entre eux signe dans un gros club pour toucher le pactole. Lui est plus dans le volume, ça ne fait pas de doute.  »

Et qui dit volume dit moins d’attention pour ses joueurs, lui qui se présente pourtant fièrement comme étant  » une structure regroupée en une seule personne « .  » Je savais pourquoi il était mon agent, je n’attendais pas de lui qu’il me sonne pour savoir si j’ai bien dormi « , poursuit Nicaise.  » Ceux qui attendent qu’on les biberonne ne sont pas lucides par rapport aux attentes d’un agent.  »

Landry Mulemo se rappelle avoir rencontré quelqu’un de  » très sociable qui peut te parler pendant des heures. Il m’a présenté un plan de carrière, j’ai été chez lui, on a mangé, on a bu un verre. C’est vrai que ce n’est pas quelqu’un qui va t’appeler tous les jours, mais quand après 4-5 matches tu ne joues pas, il te sonne pour faire un état de la situation. Et d’ailleurs, souvent quand il te sonne, c’est qu’il y a quelque chose d’intéressant derrière.  »

Et généralement, l’offre est à prendre ou à laisser.  » L’occasion du siècle « , le  » train ne passe qu’une fois « , ces métaphores sont souvent utilisées pour appâter le client. Cas d’école qui nous est rapporté par un international belge.

 » Mogi fonctionne de cette façon : il téléphone par exemple à la Juventus en disant qu’il est l’agent de tel joueur et demande si le club est intéressé par ses services. Si le club répond oui, il sonne le joueur en question en lui disant qu’il est mandaté par la Juve pour faire le deal mais qu’il veut une réponse au plus vite.  » Et tant pis si le deal se fait au détriment d’autres agents.

Pas de scrupule

 » Une fois qu’un club est intéressé par un joueur, il s’arrange pour le mettre sous contrat. Qu’il soit déjà chez un autre agent, peu importe « , raconte un agent français qui a été plusieurs fois amené à bosser avec Bayat.  » Tout le monde fait du démarchage. C’est la règle du jeu. Et Mogi fait ses coups sans foi ni loi.  »

 » Aujourd’hui, la situation a changé, les agents se mettent à 4-5 sur un deal « , explique l’agent, Cvijan Milosevic.  » Et pour le joueur, c’est la même chose. Il n’a pas de scrupule à travailler avec plusieurs agents à la fois.  »

 » Sa spécialité est d’appeler lui-même un joueur puis de dire que c’est le joueur qui l’a contacté « , raconte Didier Frenay qui l’a en quelque sorte lancé dans le grand bain du management à travers sa société Star Factory.

 » Il est le champion du monde pour donner l’impression qu’il était au bon endroit, au bon moment, pour porter secours à un joueur naufragé. Alors que dans la plupart des cas, c’est lui qui s’est imposé dans ces situations.  »

Parfois, ça fait grincer des dents. Voire davantage. Comme quand Mogi transfère un joueur de Zulte Waregem vers Gand en janvier 2012. Les agents lésés et fâchés de se voir piquer leur joueur ne rebroussent pas chemin, bien au contraire. Mais passent aux menaces physiques à l’encontre de Bayat. L’histoire se termine sans heurts mais avec quelques sueurs froides.

 » Là où c’est une terreur sur le marché belge, il est inoffensif en France « , précise un agent français proche de l’OM.  » D’ailleurs, je ne comprends comment il continue à faire sa loi chez vous. En France, on lui aurait très vite cassé les deux jambes avec de pareilles méthodes.  »

Dire que Mogi Bayat n’est pas une personnalité discrète est un euphémisme. Il aime se positionner dans les médias alors que beaucoup d’agents importants préfèrent rester médiatiquement en retrait. Il n’hésite pas, par exemple, à s’inviter en radio à l’émission Complètement Foot pour y faire sa pub en racontant notamment qu’il a réussi à multiplier le salaire de Harbaoui par sept en l’amenant au Qatar ou qu’il va tout faire en son pouvoir pour le bien de Imoh Ezekiel. Poignant.

Un bosseur intelligent

Il est loin, aussi, le temps de sa Peugeot 307 du Sporting Charleroi. Maintenant, on sort la Ferrari, symbole de réussite dans un milieu où le pognon est l’étalon des valeurs. Mais derrière le show, il y a une intelligence, que même ses plus grands détracteurs ne contestent pas, et surtout une grande faculté de travail.

 » Mogi est un bosseur, il a une puissance de travail exceptionnelle « , confirme Frenay.  » Il entend un bruit, une affaire à faire, il monte dans sa voiture et il roule. Ça ne lui fait pas peur de prendre un avion à 5 h du matin pour partir à Chypre, puis d’enchaîner avec un rendez-vous en Turquie l’après-midi. Il court du matin au soir.  »

Time is money.  » Il travaille à mon avis 2 fois plus que le reste « , poursuit Nicaise.  » Quand tu fais appel à lui, tu as la garantie que le job va être fait. Il va s’acharner sur le dossier.  »

Ceux qui ont pu apercevoir le grand frère de Mehdi Bayat taper dans un ballon s’aperçoivent assez vite qu’avec lui on ne parle pas d’expertise mais de business. L’intéressé ne s’en cache pas et a parfaitement ciblé son rôle.

 » C’est pas un négociateur de haut vol, plutôt un marchand de tapis mais un bon marchand de tapis. C’est beaucoup de show mais dans le foot, ça fonctionne. Et puis il est malin et dispose de moyens financiers pour débloquer certaines situations « , raconte un agent belge qui monte sur le plan international.

Avec Mogi les choses vont vite. On va à l’essentiel. Lui sait ce que le club attend et ce qu’il peut attendre du club.  » Il pense à la fois aux intérêts du joueur et des clubs. Il est là pour aboutir à un accord « , assure Dirk Degraen avec qui il a multiplié les transactions du temps où ce dernier était directeur général de Genk. Mogi Bayat a beau avoir perdu un fidèle allié avec le licenciement de Degraen l’année dernière, la toile continue de se tisser au milieu d’un football qui ne sait plus comment y échapper…

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS : BELGAIMAGE

 » Mogi est un petit Jorge Mendes. Il travaille pour les clubs et non les joueurs.  »

 » Il est le champion du monde pour donner l’impression qu’il était là pour porter secours à un joueur naufragé.  » Didier Frenay

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