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LE SYLLA BUS ON TOUR

Élevé au Sénégal, transformé en Espagne, révélé en Belgique. Le désormais Gantois Mamadou Sylla complète son carnet de bord par des voyages initiatiques. Pour former sa jeunesse.

Du grenat sur les épaules, du bleu ciel entre les mains. Le film de la vie de Mamadou Sylla connaît un nouveau dénouement, haut en couleur. Tout en sourires aussi. Veste de costard soignée, le néo-Buffalo étrenne son futur maillot.  » Je ne voulais pas aller dans une équipe où je ne serais pas important. En France, en Allemagne, en Italie, c’est très bien, mais ce n’est pas ma priorité « , assure-t-il.  » À Gand, j’ai senti un lien très, très fort.  »

De la confiance surtout. Et une volonté de boucler le dossier d’urgence. Peu enclin à se faire doubler, se rappelant au mauvais souvenir du cas AdrienTrebel en janvier, Michel Louwagie fait le forcing pour s’accorder les faveurs de la perle sénégalaise de 23 ans. Pour passer devant Genk.  » On a voulu faire le deal le plus vite possible « , explique sobrement Louwagie.

L’empressement est tel que les Gantois battent leur record concernant un transfert entrant (on parle d’au moins 3,85 millions), après les transfuges onéreux mais rentables de Lovre Kalinic (3 millions) et Yuya Kubo (3,5 millions). Louwagie confirme à demi-mot :  » Un bon attaquant est toujours cher. » Auteur de 12 buts en JPL, Sylla signe pour quatre ans et se focalise uniquement sur sa mission. Comme à son habitude.

Le pari eupenois

Sa première en Belgique était d’abord collective. Sauver Eupen.  » En décembre, j’ai reçu des offres de Chine avec beaucoup d’argent à la clé mais ce n’était pas mon objectif. Genk me voulait aussi, mais je ne voulais pas lâcher le club alors qu’on jouait le maintien.  » Dès le mois d’août, il plante sa première rose contre Anderlecht. Avant de martyriser à peu près toutes les défenses de Pro League et de scorer contre tous les cadors, ou presque, sans oublier Gand.

Sylla débarque au Kehrweg pour se relancer. Il sort de sa première vraie saison complète chez les pros, avec 14 rencontres timides pour un Espanyol Barcelone qui se maintient de justesse en Liga. Il y a meilleur contexte pour débuter une carrière. Mais l’adaptation dans les cantons de l’Est se fait rapidement. Le noyau eupenois chante des accents espagnols et africains qui le mettent dans le rythme d’entrée. Il devient naturellement proche de Diawandou Diagne, compatriote aussi passé par le Barça en 2014/2015.

 » C’est quelqu’un d’assez solitaire, souvent dans sa bulle « , décrit Florian Taulemesse, longtemps taulier de l’attaque des Pandas, qui rallie Chypre en janvier.  » Quand il est arrivé, il venait de Liga et il donnait l’impression d’être hautain, mais c’est dû à sa timidité. C’est un gars tranquille.  » Mais, sur le terrain, Sylla n’a pas le temps. Il bouge, se rend disponible et avale les kilomètres pour l’équipe.  » Il fait beaucoup d’efforts défensifs. Et malgré ça, il garde de la fraîcheur pour aller marquer « , souligne Hendrik van Crombrugge, portier de nouveau présélectionné chez les Diables, qui l’affronte à l’entraînement.

 » C’est un attaquant complet. Et on voit bien qu’il a été formé au Barça dans son jeu de combinaisons.  » Un profil qui convient forcément à Jordi Condom, qui lui cherche déjà un remplaçant  » similaire « , en plus de la perte de son compère Henry Onyekuru.  » Mamadou a fait une saison magnifique. Son comportement est exemplaire, c’est quelqu’un qui lutte pendant 90 minutes sans s’arrêter. C’était un vrai pari pour lui de venir ici. Mais il n’arrivait pas non plus dans un groupe de vétérans. Parfois, ça ressemble plus à une académie qu’à un groupe de professionnels. Ça a facilité son adaptation.  »

L’échec au Barça

13 banderilles toutes compétitions confondues, le maintien et une demi-finale de Coupe. La mission de Mamadou Sylla est réussie avec distinction. Une petite revanche pour celui qui, il y a six ans encore, foulait les billards de la Masia. Né à Kédougou, à l’extrême sud-est du Sénégal et à la frontière guinéenne, Sylla quitte la mère patrie à dix ans. Avec sa famille, il rejoint son père parti deux printemps plus tôt à la recherche du rêve catalan.

À Granollers, soit à une demi-heure de Barcelone, Sylla père bosse dans une usine de savon. La région brille de football. L’endroit parfait pour Sylla fils qui glisse sur l’ensemble de ses adversaires de l’époque. Deux saisons suffisent pour qu’il se fasse capter par les radars culés. L’occasion rêvée de mêler la technique avec ce physique athlétique qu’il possède déjà. Après trois ans d’allers et retours du domicile familial à Barcelone, celui que ses potes surnomment El Matador intègre l’internat du centre des Blaugrana.

 » On était plus de 200, logés tout près du Camp Nou. C’était quelque chose « , rembobine-t-il.  » Ce sont des très bons souvenirs, même si j’ai beaucoup d’amis qui n’ont jamais connus la première division. Grandir à la Masia, pour tout joueur, ça reste gravé. C’est ce qui se fait de mieux au monde, donc ça apporte énormément.  » Parmi ses camarades de catégories d’âge, il croise notamment Gerard Deulofeu, désormais au Milan, Keita Baldé, dynamiteur laziale, et surtout Mauro Icardi, l’âme de l’Inter.

De quoi prendre exemple.  » C’est vrai que je regardais beaucoup Icardi, surtout dans ses mouvements, mais c’est difficile d’avoir un modèle qui n’a qu’un an de plus.  » Alors Sylla se tourne logiquement vers celui qui régale le Camp Nou à l’époque : Samuel Eto’o.  » Je me vois dans sa manière de jouer, même si c’est compliqué d’arriver au même niveau.  » En effet. S’il tutoie sa majorité au Barça, il n’est pas conservé au moment de la franchir.

Renaissance à l’Espanyol

La formation culé le transforme pour le rendre complet, puis le renie pour lui forger un mental, plus qu’un esprit de revanche.  » Quand on apprend ça, c’est très dur mentalement. J’étais jeune. Mais mes parents m’ont poussé à ne pas baisser les bras.  » Sylla fils file vers la modeste équipe de jeunes de Mataró. En dix rencontres, les filets tremblent quinze fois. Valence, Malaga, Villarreal se pressent au portillon. Mais, comme un symbole, le bus le dépose devant la porte de l’ennemi héréditaire du Barça, à l’Espanyol.

Une destination qui lui permet de rester proche des siens. Dans le noyau B, il s’aguerrit au côté de l’Indonésien Arthur Irawan.  » Il est rapide et très intelligent dans ses courses. Je trouve que c’est un joueur du style de Michael Owen « , compare sans pression Irawan, qui vient de rentrer au bled après deux saisons blanches à Waasland-Beveren.

 » Une fois, j’ai joué devant avec lui – le seul match que j’aie joué en attaque de toute ma vie -. Je n’avais qu’à courir et faire le pressing pour le laisser s’amuser avec la balle. C’était l’un des matches les plus crevants de ma vie, mais au moins, on a gagné 3-0.  »

La réserve barcelonaise compte aussi un futur grand dans ses rangs. Éric Bailly, nouveau patron de la défense mancunienne, effectue ses premières armes avec Irawan et Sylla.  » Tout le monde disait qu’il était très, très fort. Donc je faisais en sorte de me retrouver contre lui à chaque exercice pour m’améliorer « , confesse Sylla. Ensemble, en 2013, ils rencontrent les rivaux du Barça en finale de la Coupe de Catalogne.

 » J’étais surmotivé. J’ai tout fait pour leur montrer qu’ils s’étaient trompés de m’avoir laissé partir.  » La classe biberon de l’Espanyol s’incline, mais Sylla conserve le même esprit.

Prêté au Racing Santander

 » Ce n’était pas de la vengeance, j’avais juste besoin de prouver qu’ils s’étaient trompés « , répète-t-il encore. Un prêt concluant au Racing Santander plus tard (11 matches, 4 buts), Mamadou Sylla tape enfin à la porte de la première. Josep Colomer, le directeur sportif eupenois, tente alors de le rapatrier. Chose faite l’été dernier. Et ce, malgré l’offre de Manchester City, qui souhaite le prêter directement en D2 à Girone. Mais Sylla a développé son flair. Irawan :  » Ce n’est pas qu’il n’a pas réussi en Espagne, il a toutes les qualités pour, mais il a eu plus de chances de les montrer en Belgique.  »

PAR NICOLAS TAIANA – PHOTOS BELGAIMAGE

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