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LE SUPER AIGLE DU QATAR

En deux ans, Henry Onyekuru, illustre inconnu des espoirs d’Eupen, est devenu la nouvelle attraction d’Anderlecht. Portrait d’un footballeur de rue nigérian qui veut marcher sur les traces de son idole, Thierry Henry.

Le coeur des amateurs nigérians de football saigne. Depuis des années, le Lagos National Stadium, le symbole des tout-puissants Super Eagles, se détériore, abandonné, dans le quartier populaire de Yaba. Le Nigeria n’y a plus disputé de match depuis 2004 et la LG Cup, un banal tournoi d’exhibition organisé par LG Electronics, le géant sud-coréen de l’électronique. Dix ans plus tard, le complexe sportif multifonctionnel, qui comporte un stade de football mais aussi une piscine olympique et des salles de basket, de volley, de tennis de table, de lutte et de boxe, est la proie de voyoux qui l’utilisent comme base pour leurs raids sur les citoyens. De temps à autre, l’arène en ruines accueille des événements religieux.

Henry Onyekuru a vu le stade se délabrer. Jusqu’en U14, il a joué dans l’ombre du bâtiment, à la NFF Weekend Soccer Footbal Academy de l’ancien international Paul Hamilton. En 2010, une équipe de prospection d’Aspire a débarqué dans le pays, à la recherche de talents pour son académie. Des milliers de gamins de treize ans ont été testés et Onyekuru, qui n’était encore qu’un banal footballeur de rue, a fait partie des vingt élus.

 » J’ai eu de la chance « , a expliqué Onyekuru début janvier à un journal nigérian.  » Quand j’étais encore au Nigeria, je me demandais sans cesse si je recevrais une chance de devenir footballeur professionnel. Ça me rongeait. Heureusement, je n’ai pas craqué.  »

Wonderkid

Aspire lui offre un contrat de cinq ans et donne 5.000 dollars à sa famille. Des cacahuètes pour les Qataris. En plus, Onyekuru est logé, nourri et blanchi à l’Aspire Football Dreams Project du Sénégal, une antenne située à Dakar. On lui découvre rapidement des capacités exceptionnelles.  » On l’appelait le wonderkid « , dit George Odeni, compatriote et coéquipier d’Onyekuru à Eupen pendant deux ans.  » Il était déjà capable depuis longtemps de ce qu’il montre maintenant. Ce qu’il fait a l’air très simple. C’est comme ça : certains naissent avec beaucoup de talent.  »

Entre 16 et 18 ans, il est remarqué par les scouts d’Aspire, qui décident qui peut rejoindre l’Europe. Ils sélectionnent généralement cinq footballeurs, ceux qui ont, d’après eux, le plus de chances de réussite sur le Vieux Continent. Jordi Condom est un de ces scouts. L’Espagnol tombe sous le charme d’Onyekuru pendant un match de préparation au fameux tournoi MIC de Barcelone.

 » Le directeur de l’académie sénégalaise était intarissable à propos d’Henry. Il m’avait averti qu’il avait un gamin capable de casser la baraque en Europe « , raconte Condom, qui en est à sa troisième saison à Eupen.  » Quelques anciens collègues de La Masia n’ont eu qu’un mot pour qualifier Henry : sensacional ! Je l’ai vu pour la première fois en U17. Sa vitesse était phénoménale mais j’avais des doutes quant à ses capacités physiques. Son corps n’était pas très développé et je me suis demandé s’il s’en sortirait dans le championnat de Belgique, où il serait souvent confronté à des armoires à glace.  »

Le frêle Nigérian n’est pas encore prêt pour le rude football de D2. Mais en juin 2015, Onyekuru et son copain Eric Ocansey se présentent au Kehrweg d’Eupen. La cité germanophone est une destination de rêve pour tous les élèves d’Aspire. Elle est la porte de la Premier League et d’autres grandes compétitions européennes. Onyekuru s’accommode du climat – la pluie et des étés frais selon les normes africaines -. Il se fait immédiatement remarquer en espoirs.

 » Ses premiers matches ont été une révélation « , explique Egide Forthomme, qui a entraîné les espoirs jusqu’à la saison passée et est maintenant analyste-vidéo de l’équipe première.  » On jouait un match de coupe contre Virton. Au repos, on menait 1-4. Henry avait inscrit un but et délivré deux assists. Il a démantelé la défense de Virton à plusieurs reprises. Les arrières adverses n’ont jamais pu souffler. Sa performance était si bonne qu’au repos, je lui ai dit : chapeau.  »

Lepa

Onyekuru s’intègre aisément, grâce à la présence massive d’une colonie africaine hétérogène dans le vestiaire eupenois. Il est toujours aux côtés de son ami Odeni, qui est également issu du sud du Nigeria.  » On habitait à trois minutes à pied l’un de l’autre et il venait manger nigérian chez moi. Il était le seul garçon de la famille et il ne savait absolument pas cuisiner : ses soeurs le servaient comme un roi. J’ai en quelque sorte repris leur rôle et j’ai donc passé beaucoup de temps derrière les fourneaux. Ce qu’il peut avaler ! Et il ne prend pas un gramme. Je l’appelle lepa. Ça veut dire maigre dans notre dialecte, le yoruba. Même ses soeurs sont plus étoffées que lui.  »

Condom ne s’intéresse pas au petit Onyekuru pendant le premier tour de la saison 2015 – 2016 mais après la trêve hivernale, il sauve la peau de son entraîneur en inscrivant deux buts tardifs contre Heist, lors de la 25e journée. À la surprise générale, il fait preuve d’un sang-froid absolu.  » Les joueurs d’Aspire sont issus d’un environnement dont la compétition est absente « , explique Condom.

 » Ils disputent des tournois et des matches amicaux, c’est tout. Ici, ils sont subitement confrontés à des facteurs inconnus : l’obligation de gagner, les primes, le stress de la lutte pour le maintien, les huées des supporters, les critiques de la presse. Mais Henry ne s’en soucie absolument pas. Il est immunisé contre tout ce qui est extérieur à l’équipe.  »

Onyekuru regorge d’assurance. Pendant sa présentation à Everton, il fait savoir, sans broncher, qu’il veut jouer le plus vite possible aux côtés de Wayne Rooney.  » Ce genre de déclarations est typique d’Henry « , rigole son ancien coéquipier Diawandou Diagne.  » La saison passée, un journaliste nous a demandé quel était l’objectif d’Eupen. Tout le monde a répondu la même chose : assurer le maintien. Henry, lui, a dit qu’Eupen devait viser la Ligue des Champions. Nous nous sommes moqués de lui dans le vestiaire.  » Ah, tu veux joueur la Ligue des Champions…  » Mais qui va de fait y participer… S’il confirme à Anderlecht, Ronald Koeman lui accordera certainement une chance à Everton la saison suivante.  »

Ego

Son accélération, son arme favorite pour tromper ses adversaires, fait de lui un footballeur taillé à la mesure de la Premier League. Contrairement à d’autres sprinters, il ne se dispute pas avec le ballon quand il court. Forthomme :  » Vous vous souvenez de son but contre le Club Bruges en coupe ? Il faut le faire : il a parcouru la moitié du terrain en laissant sa carte de visite aux défenseurs. C’était un bel échantillon de vitesse et de maîtrise. Il est aussi capable de dribbler son homme des deux pieds. Quand on fait le compte, il doit un jour arriver à la hauteur d’un Pierre-Emerick Aubameyang. Pour moi, il est le prototype de l’attaquant moderne.  »

À l’entraînement à Eupen, il effraie parfois ses coéquipiers en fonçant sur eux.  » Je n’ai pas vite peur mais à l’entraînement, mieux valait pour lui ne pas s’approcher de moi « , rigole Odeni.  » On ne sait jamais ce qu’il va faire : converger vers l’axe, se déporter, pousser le ballon quelques mètres devant lui et courir… Il est très difficile à arrêter homme contre homme. Il faut lui accoler deux hommes ou ne pas lui laisser un centimètre. Il utilise le moindre espace, même minime, contre vous.  »

Forthomme se rappelle qu’il fallait flatter l’ego d’Onyekuru pour obtenir quelque chose de lui.  » J’ai vite découvert qu’il avait les traits d’une vedette en devenir. À Eupen, il était trop souvent individuel. Mais plus il va grimper les échelons de la hiérarchie, mieux il comprendra qu’il a besoin de ses coéquipiers. Ce que j’ai vu de son premier match pour Anderlecht laisse augurer le meilleur. Il s’est rapidement intégré dans le groupe mais René Weiler a encore du pain sur la planche sur le plan tactique.  »

Ces deux dernières saisons, Condom a surtout dû faire comprendre au Nigérian qu’il avait également des devoirs sur le plan défensif.  » Il a failli nous coûter une victoire parce qu’il n’était pas redescendu à temps pour freiner l’arrière droit. Heureusement, nous avons pu récupérer le ballon et il a marqué sur la contre-attaque. Il rendait parfois Luis Garcia fou. Même du banc, nous l’entendions crier à Henry : – On travaille pour toi, rends-nous la pareille. Henry a compris qu’il devait parfois se sacrifier pour le bien de l’équipe.  »

Crack

Onyekuru a donc encore un long chemin à parcourir mais quand, à 19 ans, on est capable de préserver une équipe de la relégation, on est un crack en devenir. Il y a deux ans, il affrontait des équipes comme Deinze et Coxyde avec les espoirs d’Eupen. Depuis, il a réalisé un transfert de rêve à Everton et depuis son entrée au jeu en juin contre le Togo, il est international nigérian.

 » Je ne trouve pas que ça va trop vite « , intervient Condom.  » Dans les grandes lignes, les clubs veulent des défenseurs expérimentés mais ils cherchent des éléments offensifs jeunes, spontanés. Un attaquant ne peut pas jouer trop machinalement, il doit être créatif et faire la différence. Pour déverrouiller un match, il faut donc un footballeur comme Onyekuru, un homme qui peut accélérer ballon au pied et réaliser une action.  »

Il y a dix jours, contre Ostende, Onyekuru a montré qu’il pouvait faire rêver un stade.  » Sa finition reste un problème « , estime Forthomme.  » S’il avait fait preuve de plus de sang-froid devant le but, il aurait facilement pu marquer trente buts la saison passée.  »

Onyekuru vient de confier à un quotidien flamand ce qui lui procurerait la plus grande satisfaction.  » Mes parents vont bientôt venir en Belgique. J’espère que leur visite coïncidera avec un match à domicile en Champions League, même si leur arrivée me remplit de joie à elle seule. Depuis que je joue en Europe, mon père et ma mère ne m’ont jamais vu à l’oeuvre directement.  »

par Alain Eliasy – photos Belgaimage

 » Pour déverrouiller un match, il faut un footballeur comme Onyekuru, qui peut accélérer ballon au pied et réaliser une action.  » Jordi Condom

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