Le stress positif

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le Limbourgeois a fauté contre le leader mais croit fermement au maintien.

Domenico Olivieri est rentré tête basse au vestiaire, samedi. Il fut remplacé à quelques minutes de la fin du match, après avoir offert sur un plateau le deuxième but brugeois à Simic. Il ne fit même pas le détour par le banc et on crut à une réaction de mauvaise humeur.

« N’allez surtout pas croire que j’étais fâché sur l’entraîneur », lance-t-il. « Ce n’est pas lui qui avait commis une erreur de débutant. Mea culpa. Je suis le seul responsable sur cette phase. Ce fut sans doute la plus grosse gaffe de ma carrière. Je m’en veux terriblement car cela ne doit pas arriver à un joueur expérimenté. Comme quoi, on apprend tous les jours. La prochaine fois, je dégagerai dans la tribune au lieu de prendre le risque de donner un ballon de but à l’adversaire. Si j’avais catapulté bien loin, nous aurions eu le temps de nous replacer ».

Cela ne serait pas arrivé si un coéquipier vous avait crié que Simic était à l’entrée du rectangle.

Domenico Olivieri: C’est vrai. Il n’y a pas assez de coaching dans l’équipe. Je dirige, Manu Karagiannis donne aussi de la voix, mais ça se limite pour ainsi dire à nous deux. C’est insuffisant. Les autres joueurs se concentrent simplement sur leur match. Le coaching est une question de caractère et nous devons encore progresser sur ce plan-là.

Bruges était à prendre…

Tout à fait. Et nous en étions persuadés avant d’entamer le match. Notre victoire au Lierse nous avait donné encore un peu plus de confiance. Nous étions prêts à confirmer nos derniers bons résultats. Nous recevions le leader, mais nous partions du principe que c’était un beau défi, pas une mission impossible. Bruges nous inspirait du respect, mais pas de la peur ou des complexes. C’est une équipe qui nous convient généralement bien car elle pratique un système reconnaissable que l’on peut maîtriser en restant bien organisés. Le Club est synonyme de puissance, de vitesse et de profondeur: des atouts auxquels on peut trouver la parade. Je me méfie beaucoup plus d’une équipe comme Anderlecht, où des joueurs comme Stoica ou De Bilde sont toujours susceptibles de sortir un mouvement auquel personne ne s’attendait.

« Plus aucun joueur n’était lui-même »

Bruges serait un petit leader?

(Il réfléchit). Pas un tout grand, en tout cas. Il ne m’a pas impressionné samedi dernier. Mais d’un autre côté, c’est aussi notre mérite. Après nous avoir affrontés, beaucoup d’entraîneurs expliquent que leur équipe a joué un de ses plus mauvais matches de la saison. Cela ne peut pas être le fruit du hasard. Nous avons l’art de compliquer la vie de l’adversaire et il faut le souligner. Combien de vraies occasions les Brugeois ont-ils eu contre nous? Pas beaucoup. Malheureusement, nous sommes de nouveau retombés dans de vieux travers: nous offrons des buts et nous ne concrétisons pas nos occasions. Et nous n’avons pas souvent le brin de chance dont bénéficient les équipes du haut du classement.

En ne soulignant pas assez les mérites de La Louvière, on oublie de mettre l’accent sur l’apport du nouvel entraîneur?

Exactement. On a vu une équipe complètement métamorphosée dès l’arrivée d’Ariel Jacobs. Mais le départ de Daniel Leclercq avait fait tellement de vagues, qu’on a continué à en parler pendant plusieurs semaines. Et on évoquait dès lors très peu les mérites du nouveau coach. Depuis qu’il est ici, nous n’avons pas toujours proposé un football pétillant ou hyper-offensif, mais les résultats sont là et on revoit une équipe en pleine confiance. Nous travaillons de nouveau dans la sérénité et c’est de cela que nous avions le plus besoin. Nous ne sommes plus paralysés par le stress, par la peur de mal faire.

Les joueurs étaient-ils à ce point tétanisés avec Leclercq?

Le stress était négatif, alors qu’il est aujourd’hui devenu totalement positif. En début de saison, plus aucun joueur n’était lui-même. Le trac nous empêchait de jouer à notre niveau. Les jeunes, surtout, étaient paralysés à l’idée de rater quelque chose à l’entraînement ou en match. Parce qu’ils savaient que ça allait chauffer… Aujourd’hui, tout le monde est redevenu naturel, on revoit des joueurs libérés et heureux de travailler. Ariel Jacobs impose sa discipline, mais elle ne dépasse pas les bornes. Elle correspond simplement à ce qu’un entraîneur doit exiger de footballeurs professionnels.

Un joueur qui a votre passé peut-il encore être stressé parce que le courant ne passe pas avec son coach?

J’étais sans doute moins stressé que les jeunes du noyau, mais je n’étais pas moi-même. Je me taisais, je vivais dans mon coin. Je venais à La Louvière simplement pour faire mon travail. Ce n’était pas normal, cela ne me ressemble pas. Le foot était devenu un job, il n’avait plus rien d’un plaisir. Ce début de championnat fut sûrement une des périodes les plus noires de ma carrière. Je ressentais le même blues qu’un footballeur qui doit rester à l’infirmerie pendant plusieurs mois.

Tous les joueurs sont aujourd’hui meilleurs qu’en début de saison!

Ce n’est pas difficile… Quand le championnat a repris, il n’y avait pas d’équipe sur le terrain, mais 11 joueurs sans aucune confiance en leurs moyens. Mentalement, nous étions tous terriblement fragiles. Plus personne n’osait prendre d’initiatives. Maintenant, tout le monde est à nouveau conscient que le foot est un jeu et que ce n’est pas la fin du monde si on commet une erreur.

« Nos qualités sportives feront la différence »

Comment voyez-vous la lutte pour le maintien?

Je la sens mieux qu’il y a un an. Nous ne sommes plus isolés en fond de classement. L’an passé, il y avait trois équipes fort menacées. Aujourd’hui, nous sommes plus nombreux et nous avons marqué des points au cours des dernières semaines en remontant petit à petit. Après la défaite à domicile contre Harelbeke, en janvier 2001, nous étions tous persuadés que la messe était dite. Cette saison, nous n’avons jamais eu ce sentiment. Et, si nous nous sauvons, on ne pourra plus parler d’un petit miracle comme ce fut le cas en fin de saison dernière.

Un petit miracle?

Je ne sais toujours pas comment nous avons fait pour nous en sortir. L’arrivée de Daniel Leclercq avait provoqué un choc psychologique. Nous avons commencé à gagner quelques matches, et nous nous sommes retrouvés dans un engrenage positif. Mais les résultats occultaient pas mal de choses. La mentalité n’était pas aussi bonne qu’aujourd’hui. Je ne dirais pas qu’elle était pourrie il y a un an, mais elle n’était sûrement pas optimale. Certains joueurs pensaient qu’ils étaient en D1 par accident, d’autres vivaient toujours sur l’euphorie de la victoire dans le tour final. En un an, ce groupe a beaucoup progressé mentalement. Tout est maintenant plus sain, plus réfléchi. Les bases sont bien meilleures pour assurer notre maintien.

Alost, Beveren et l’Antwerp ont aussi changé d’entraîneur: dangereux pour vous?

Un changement de coach provoque souvent un choc psychologique pendant quelques semaines. A plus long terme, ce sont les qualités purement sportives qui font la différence. Et sur ce plan-là, nous avons des atouts évidents.

Depuis l’arrivée d’Ariel Jacobs, La Louvière a une bonne solidité défensive.

Chacun est discipliné et reste bien en place. Nous jouons le plus souvent à cinq derrière: c’était une bonne idée de poster un homme de plus en défense car nous offrions beaucoup trop d’espaces aux adversaires en début de saison. Le groupe se sent bien dans cette occupation de terrain. Moi en premier lieu parce que je peux me concentrer sur un vrai rôle de couvreur. Alors que dans une défense à quatre, je devais souvent prendre un attaquant en charge. Ce rôle de stoppeur ne me permettait plus de balayer devant notre gardien.

« Je n’attendrai pas la fin avril pour être fixé »

La Louvière se sauvera grâce à son organisation?

Ariel Jacobs limite en tout cas les risques d’être pris au dépourvu. Il veut réduire tout effet de surprise. Il tape sans arrêt sur le même clou: l’organisation. Quand nous répétons des phases spécifiques à l’entraînement, il insiste continuellement pour que tout le monde soit bien à sa place. Lors des petits matches, nous ne nous contentons pas de jouer pour jouer. Nous devons toujours tenir compte des consignes.

Au contraire de Leclercq, il tient compte de l’adversaire.

C’est indispensable. Daniel Leclercq pensait que nous pouvions ignorer les qualités présentes en face. Pour lui, l’esprit de groupe -comme il disait souvent- allait faire la différence. Avant chaque match, Ariel Jacobs nous expose les forces et les faiblesses de l’adversaire. C’est bref: maximum 20 minutes. Mais cela suffit. J’ai connu des entraîneurs qui passaient un temps fou à expliquer le jeu de l’autre équipe. Le champion, c’était Johan Boskamp: ça durait au moins trois quarts d’heure. Mais après 20 minutes, plus personne ne l’écoutait…

Vous êtes en fin de contrat, comme plusieurs autres joueurs-clés (Turaci, Karagiannis, Thans, Tilmant, Buelinckx): c’est dangereux!

Je trouve que le club a commis une erreur en ayant, en même temps, autant de joueurs importants en fin de contrat. Dans le football moderne, on ne devrait plus avoir personne en dernière année: soit on vend en cours de contrat, soit on prolonge. Evidemment, je peux comprendre les dirigeants de La Louvière: ils ne font resigner personne avant d’être certains qu’ils obtiendront la licence et que l’équipe se sauvera. Nous ne pouvons pas leur mettre la pression, les menacer de partir s’ils ne nous proposent pas un nouveau contrat dès maintenant. D’un autre côté, ils doivent aussi nous comprendre. Je n’ai pas envie d’attendre la fin du mois d’avril pour savoir de quoi mon avenir sera fait. J’aimerais prolonger à La Louvière parce que je me sens maintenant totalement intégré, mais je n’exclus pas de négocier avec d’autres clubs dans les prochaines semaines si on me contacte. En attendant, je me concentre à 100% sur mes matches avec les Loups et je pense que c’est le cas aussi de tous les autres joueurs en fin de contrat. Nous sommes suffisamment lucides pour faire abstraction de notre avenir dès que nous montons sur le terrain.

Vous ne vous êtes pas directement intégré dans ce club?

Il m’a quand même fallu quelques mois. J’ai fait l’effort d’aller vers les autres. C’est au nouveau joueur de s’adapter au groupe, pas l’inverse. J’ai écouté, observé, pris mes marques. Aujourd’hui, je me sens chez moi. Je ne suis pas tombé dans le piège des footballeurs qui font de leur nez et donnent leur avis sur tout dès qu’ils débarquent dans une équipe. A Genk, j’en ai vu qui arrivaient avec une grande gueule: ils ont vite été mis à l’écart.

Pierre Danvoye

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