« LE STANDARD VEUT GAGNER DES TROPHÉES OU FAIRE DU BUSINESS ?

Un long entretien piquant dans le Calvados avec le buteur chassé de Liège :  » Que veut-on à Sclessin ? Gagner des trophées ou faire du business ?  »

« C’est con que Zlatan est parti à Manchester, j’aurais bien aimé jouer contre lui…  » Ivan Santini kiffe clairement le Suédois. PSG, Marseille, Lyon, Bordeaux, Monaco : son programme, c’est maintenant ça. Avec Caen, bonne surprise et joli septième de Ligue 1 la saison dernière. Ici, on croit à un remake de cette aventure inattendue. Sur une façade du stade, une grande banderole donne le ton : Normands et Conquérants.

Le Croate va nous parler de son nouveau club, de son nouveau défi. Forcément. Mais aussi de son départ précipité du Standard. Bien sûr. Et surtout.  » Tout a été réglé en trois jours. Ça t’étonne que je sois parti après une seule saison ? Je comprends que tu sois étonné. Personne ne s’y attendait. Ça a été une terrible surprise pour les supporters. Pour moi aussi.  »

Encore ceci sur le public liégeois :  » Ils sont tristes, et quelque part, ça me fait plaisir. Pas leur tristesse mais le fait de leur laisser un bon souvenir. Je suis content aussi de ne pas faire partie de tous ces footballeurs qui s’en vont parce qu’ils sont malheureux. Moi, j’étais totalement heureux au Standard.  »

Traduction : la direction a chassé son seul attaquant qui a prouvé la saison dernière qu’il était capable de planter pas mal de buts. Ou n’a rien fait pour le retenir. On joue sur les mots. Ivan Santini s’attable dans une taverne de Basse-Normandie et nous explique tout. Magnéto.

IVAN SANTINI : Dans ma tête, c’était clair, je restais à Liège. Je ne me suis jamais dit que je signais là-bas pour m’en aller après un an. A la reprise des entraînements, j’étais complètement concentré sur le Standard. Idem quand on a joué la Supercoupe. Même chose quand le championnat a commencé. J’étais bien, ma famille était bien. Puis, il y a eu cette offre. Un choix difficile. Partir ou rester ? Je pense que c’était quand même une belle chance de progresser. Je me retrouve dans un meilleur championnat avec un meilleur salaire.

 » J’ÉTAIS UN TRANSFERT DE DUCHÂTELET, JE L’AI PAYÉ  »

Si tu te plaisais tellement, tu pouvais rester. Tu avais les cartes en mains.

SANTINI : Oui mais…

Oui mais on t’a fait comprendre que c’était mieux de partir ?

SANTINI : C’est ça, oui. Les clubs s’étaient déjà mis d’accord. Je pouvais décider de rester mais j’ai compris que le Standard préférait miser sur des jeunes pour prendre ma place dans l’équipe.

Tu sais que tu as signé dans un championnat fort fermé et difficile pour les attaquants ?

SANTINI : Evidemment. Mais je sais déjà que, quoi qu’il arrive, je vais progresser. Je serai meilleur dans un an. Dès le premier entraînement, j’ai vu une différence. On bosse plus ici. J’espère que je ne vais pas devoir attendre aussi longtemps que la saison passée pour m’installer dans l’équipe et faire l’unanimité. Je ne veux surtout plus le même début de championnat. J’y crois parce que je sens que tout le monde a envie d’Ivan Santini ! Le coach. Et la direction. Au Standard, ça n’a pas toujours été le cas. (Il grimace).

Tu étais un transfert de Roland Duchâtelet et ça t’a coûté cher, c’est ça que tu veux dire ?

SANTINI : Je pense que c’est la principale explication de mon faible temps de jeu en début de saison. Je suis persuadé que s’il était resté, on m’aurait plus fait confiance. Mais des nouvelles personnes sont arrivées et je ne suis vraiment pas sûr qu’elles croyaient en moi. J’avais signé au Standard parce que Duchâtelet et Slavo Muslin me voulaient. Je pouvais aussi aller à Genk. Peter Maes m’avait appelé. Mais le discours de Duchâtelet et Muslin a fait pencher la balance. Moi, je ne pouvais pas savoir qu’ils ne seraient plus là quelques semaines plus tard ! Mais je préfère ne retenir que le positif. J’ai été tout bon en deuxième partie de saison, j’ai fait basculer la finale de la Coupe. Je suis fier de ce que j’ai réussi au Standard dans des conditions psychologiques qui n’ont pas toujours été faciles.

 » FERRERA N’EST PAS STUPIDE. S’IL PERD DEUX MATCHES DE SUITE…  »

Il y a un an, Yannick Ferrera ne croyait pas en toi. Cet été, il ne voulait pas que tu partes. Comment tu l’as convaincu qu’il s’était trompé sur son compte ?

SANTINI : C’est toi qui dis qu’il ne croyait pas en moi il y a un an… C’étaient peut-être d’autres personnes qui n’avaient pas trop envie que je joue. Je n’étais pas apprécié par tout le monde, pas respecté par tout le monde. En attendant, je me suis retrouvé sur le banc, puis carrément en tribune. Sans jamais faire de vagues, sans jamais chercher la misère, je dois le dire ! Dès que j’ai commencé à être titulaire, ma relation avec Ferrera a commencé à devenir brillante… C’est devenu un proche. Il bosse énormément, il sait tout sur nos adversaires, il a la manière pour motiver ses joueurs, et en plus, avec lui, tu peux parler. Si tu as un problème, tu vas le trouver et il te comprend. Un jour, on est en stage en Espagne et ma femme m’appelle pour me dire qu’elle a été embarquée à l’hôpital. Je vais trouver Ferrera, je lui demande si je peux rentrer dare-dare. Pas de problème pour lui. Il y a pas mal d’entraîneurs qui, dans les mêmes circonstances, auraient dit : -Tu es payé pour t’entraîner, tu t’entraînes. A Courtrai, j’ai travaillé avec Hein Vanhaezebrouck. Aussi un winner qui donne toujours tout et est prêt à tout pour faire triompher son équipe. Mais lui, il maintient toujours des distances que Ferrera arrive parfois à faire sauter.

En marquant cet été dans les deux premiers matches officiels, en Supercoupe puis en championnat, tu ne pensais pas que cette saison pouvait être la tienne ?

SANTINI : Je pense que si j’avais plus joué la saison dernière, ça aurait déjà été ma saison. J’aurais amélioré les stats de ma deuxième saison à Courtrai. J’aurais fait la meilleure de mes trois saisons belges. Oui, cet été, j’ai marqué directement. Le départ est important, surtout pour un attaquant. Mais je sais maintenant que ça ne suffit pas toujours de mettre des buts. La direction change, le coach change, ça peut tout chambouler. Et ça a fort joué dans ma réflexion quand l’offre de Caen est arrivée. Je me suis dit : -Si on perd deux fois d’affilée et si Yannick Ferrera saute, qu’est-ce je vais devenir ? J’avais peur de repartir de zéro.

Tu as senti dès la reprise que Ferrera se sentait menacé ?

SANTINI : Il n’est pas stupide. Il bosse au Standard. S’il perd deux matches de suite…

 » VAN BUYTEN ET MOI, ON NE S’EST JAMAIS ADRESSÉ LA PAROLE  »

On t’a parfois fait remarquer que tu n’étais pas assez bon pour le Standard ?

SANTINI : Les supporters ne s’en sont pas privés, je lisais de ces trucs sur Internet en début de saison dernière… Pour eux, clairement, je n’avais pas le niveau. C’était dur à vivre parce qu’on ne me donnait pas l’occasion de leur prouver qu’ils se trompaient.

Et dans le club, on te l’a dit ?

SANTINI : Jamais en face. Mais je ne suis pas idiot, je sentais bien que je ne faisais pas l’unanimité.

Tout le monde sait que Daniel Van Buyten n’a jamais été un grand fan de toi…

SANTINI : Tout le monde le sait parce qu’on l’a suffisamment écrit.

Tu lui en as parlé ?

SANTINI : Jamais. On ne s’est jamais adressé la parole. Je le croisais, ça se limitait à ça. Mais je n’ai pas envie de régler mes comptes avec Van Buyten ou d’autres personnes de la direction. Ils veulent maintenant donner une chance à des jeunes. C’est leur choix, leur stratégie, pas mon affaire.

Les jeunes sont prêts pour porter le Standard très haut ?

SANTINI : Pas encore. Peut-être pour les play-offs 1 mais certainement pas pour le titre et sans doute pas pour le Top 3. En plus, il y a tellement de pression dans ce club ! Tu as 19 ou 20 ans, tout le monde attend des grands résultats, c’est dur. Une bonne équipe, c’est un équilibre et un minimum d’expérience. Aussi une stratégie, sportive et financière. Regarde Gand et Bruges. Ils ont reçu plein d’offres pour leurs meilleurs joueurs mais ils les ont conservés. Est-ce que Gand a accepté la première proposition venue pour Sven Kums ou Laurent Depoitre ? Là-bas, les dirigeants ont compris que s’ils conservaient leurs cadres un ou deux ans de plus, ce serait bénéfique sur le terrain, ensuite pour les finances parce qu’ils arriveraient à les vendre encore plus cher. Le titre de Bruges, c’est un travail étalé sur trois saisons. Tu as besoin de stabilité. Et le gros problème du Standard, c’est ça : il n’y a aucune stabilité. Ce n’est pas nouveau, ça existait déjà avant la direction actuelle. En attendant, c’est dur d’avancer en travaillant comme ça.

Qu’est-ce qui te fait dire que Yannick Ferrera voulait te conserver ?

SANTINI : Il me l’a bien dit lui-même ! Il comprenait qu’il ne recevrait pas les renforts qu’il demandait, alors il tenait encore plus à garder ses cadres, il voulait qu’on encadre les jeunes. Il ne faut pas oublier que le Standard va devoir batailler sur trois fronts, avec l’Europa League qui va coûter beaucoup d’énergie.

L’Europa League, tu en rêvais…

SANTINI : J’avoue ! Si j’ai un seul regret par rapport à mon transfert à Caen, c’est celui de ne pas jouer ces matches. Je n’ai jamais disputé des matches européens de poules. J’avais déjà connu une situation semblable à Freiburg. On avait terminé à une magnifique cinquième place qui nous qualifiait directement pour les groupes de l’Europa League mais j’étais parti juste après parce que je n’avais pas assez de temps de jeu à mon goût. J’avais demandé à la direction de me promettre par contrat que je jouerais plus la saison suivante, ils ne l’avaient évidemment pas fait, j’en avais tiré mes conclusions et c’est comme ça que je me suis retrouvé à Courtrai. Je suis un gars qui a besoin de se sentir désiré, quelque part… Mais bon, cette situation-là n’était pas encore la même qu’au Standard. A Freiburg, je n’avais pas vraiment participé à la qualification européenne vu que je devais souvent me contenter de petites parties de match. Je ne me sentais pas trop concerné. Avec le Standard, j’ai été l’acteur majeur de la victoire en Coupe. Je crois que ça a rendu la décision de mon départ encore plus difficile.

Après ton départ, Bruno Venanzi a dit :  » Ivan Santini est un chouette gars, toujours positif, qui a continué à se battre quand on ne croyait plus en lui. Mais il n’était pas une solution d’avenir pour le Standard.  » Ton avis ?

SANTINI : Merci pour les compliments, mais qu’est-ce qu’ils veulent au Standard ? Je n’en sais rien. Gagner des trophées ou juste vendre, faire du business ? Je répète qu’ils ont besoin d’expérience qu’ils n’ont pas pour le moment. Bien sûr, certains jeunes risquent d’exploser. Il y a de la qualité chez eux. Mais tu dois rester réaliste mon gars ! Comment tu peux attendre des miracles en Europa League de gars qui n’ont que quelques matches en championnat de Belgique ? Tous les clubs rêvent d’avoir un Michy Batshuayi dans leur noyau. Mais tu te souviens de ce qu’il avait autour de lui ? Igor de Camargo, Jelle Van Damme, Mehdi Carcela et plein d’autres. Batshuayi a explosé parce qu’il jouait dans une équipe fantastique.

 » EMOND ET YATTARA DANS LE NOYAU B, ÇA ME SIDÈRE  »

Il reste Adrien Trebel, Matthieu Dossevi, Jean-François Gillet…

SANTINI : Peut-être que ça suffira, on verra.

Tu sais ce que Jelle Van Damme a posté après ton départ ?  » Je ne comprends pas comment ils ont pu pousser Ivan Santini vers la sortie. Peu importe, bonne chance à toi mon frère.  »

SANTINI : Ouais, je suis au courant… (Il rigole). Van Damme, c’est une légende de l’histoire du Standard, je suis fier d’être son bon copain… C’est un natural born leader. Il avait le respect de tout le monde dans le groupe et il effrayait les adversaires, c’était magnifique. Moi, j’aime bien quand mes adversaires ont peur de moi. Et quand on parle de Van Damme, on en revient au business du Standard. Son départ en janvier a été une très mauvaise affaire sportive et un mauvais signal. Tu laisses filer en une fois Van Damme, Anthony Knockaert et Sambou Yatabaré. Trois joueurs-clés, des vrais. Edmilson est arrivé : good job. Il y a aussi eu Victor Valdès, bon… Gabriel Boschilia, mais c’est quoi son vécu par rapport à un Van Damme ? Et Giannis Maniatis, mais c’est un gars qui a été pas mal blessé. Je ne mets pas leurs qualités en cause mais ce n’étaient pas des joueurs importants comme Van Damme, Knockaert ou Yatabaré.

Douze joueurs sont arrivés au Standard il y a un an, il n’en reste que deux dans le noyau actuel… Un échec total ?

SANTINI : Le manque total de stabilité, on y revient. Tant que le Standard sera instable, il ne gagnera rien. OK, on a eu la Coupe mais le club ne l’aura pas chaque saison. Pour aller vraiment haut dans la durée, il faut être stable. Prends Renaud Emond et Mohamed Yattara. Les voir maintenant dans le noyau B, ça me sidère. Ils ne méritent pas ça. Note ça ! Note ça ! Oui, ça me sidère, ils ne méritent pas ça. Il faut encore qu’on me prouve que leur mise à l’écart est une décision de Yannick Ferrera… S’il y a bien un mec qui travaille beaucoup et qui travaille bien, c’est Emond. Donne-lui cinq matches d’affilée et il te plantera plein de buts. Il n’a quand même pas désappris à marquer en un an au Standard. Et pendant qu’il végète dans le noyau B, on dit qu’on va miser sur des gamins pour faire avancer l’équipe.

PAR PIERRE DANVOYE À CAEN – PHOTOS BELGAIMAGE – ÉTIENNE GARNIER

 » Je suis fier de ce que j’ai réussi au Standard dans des conditions qui n’ont pas toujours été faciles.  » – IVAN SANTINI

 » Quand tu laisses partir Van Damme, Knockaert et Yatabaré en janvier, c’est un signal. Mais un mauvais signal.  » – IVAN SANTINI

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