« Le Standard peut gifler Anderlecht »

Qui détient la suprématie avant Anderlecht-Standard ? A quoi doit-on s’attendre ? Les clefs d’un clasico explosif avec deux experts.

Faites vos jeux, rien ne va plus. A quatre jours du match de l’année, deux figures légendaires des nineties, Marc Degryse  » le Mauve « , et Marc Wilmots  » le Rouche « , analysent nos deux ténors. Rencontre à bâtons rompus.

Question de style

Parler de l’opposition entre foot spectacle et furia liégeoise n’est-il pas devenu obsolète ?

Marc Degryse : A Bruxelles, on aime se présenter comme le meilleur club de Belgique. Et les gens ne se cachent pas pour le dire. On va au stade pour voir du beau football ; c’est une marque déposée depuis les années 70. Aujourd’hui, cette étiquette a perdu de son sens.

Marc Wilmots : Le choc des cultures se joue surtout entre les supporters. Au vu de la qualité des joueurs – je pense à Marcos, Witsel, Defour, Jova, Mbokani -, tous ont le style Anderlecht. Et le Standard n’est plus l’équipe réputée pour aller au charbon. C’est pourquoi un Polak conviendrait très bien là-bas. Il s’inscrit dans la lignée des gars qui n’hésitent pas à mettre le pied.

A regarder le jeu, on aurait donc inversé les rôles ?

MW : Au niveau du public, les différences restent. Contre Dender, c’était loin d’être bon, mais les supporters s’amusent, les gens chantent. Vous aurez difficilement ce même état d’esprit chez les supporters d’Anderlecht.

MD : C’est typiquement liégeois. Quand ça roule, ils s’enflamment directement. A mon époque, ça se vérifiait aussi sur le terrain, même si au final les résultats n’étaient pas au rendez-vous.

MW : Aujourd’hui, ils arrivent à contenir cette furia. Car dans un passé pas si lointain, quand ça allait bien, ça allait tout aussi vite très mal. Et ça, j’ai la nette impression que c’est fini. Regardez comment ils ont géré l’histoire Jova-Mbokani, c’est éloquent. D’abord, ils ont un entraîneur maître en communication. C’est un énorme changement par rapport à mon époque. Parallèlement, quand on se rappelle la conférence de presse avec Nicolas Frutos, on se dit que ce n’est pas du niveau d’Anderlecht. La gestion de l’image avec l’extérieur pourrait être améliorée.

Au Standard, on continue à boycotter la RTBF. N’y a-t-il pas là un problème d’image ?

MW : C’est très différent. Il faut se rappeler que le journal télévisé de la RTBF a diffusé, le lendemain du titre, un reportage qui visait Lucien, qui visait l’homme. Moi, pendant trois ans, j’ai boycotté VTM car j’étais victime d’un type qui n’arrêtait pas de m’attaquer. De plus, Lucien a le droit de choisir à qui il vend ses matches, il n’est lié à personne. Il a donc parfaitement le droit d’utiliser ce boycott. Rien ne bougera tant que le conflit ne sera pas réglé entre hommes.

Qui dirige quoi ?

On a l’impression qu’au Standard, il y a un patron et qu’à Anderlecht, c’est moins le cas.

MW : Il y en a un au Standard, ça, c’est sûr.

MD : Vanden Stock et D’Onofrio sont deux grands leaders aux personnalités très différentes. Roger, c’est plutôt la tradition, la famille, le gentleman. D’Onofrio est plus moderne et ose davantage. Mais les deux ont leur succès…

Au Standard, on perçoit aisément qui dirige le sportif. A Anderlecht, c’est plus complexe. On a souvent évoqué le poste de directeur sportif comme solution. Le club doit-il se tourner vers cette option ?

MW : La question, c’est de savoir si le club le veut.

MD : Il faut nuancer. D’Onofrio, ça fait combien de temps qu’il est au club ? Dix ans. Et les succès datent seulement de deux ans.

MW : Tout à fait d’accord : on va voir comment ce club va gérer son succès. Herman Van Holsbeek a dit très justement :  » Arriver au sommet, c’est bien, se maintenir c’est mieux.  »

Tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire que Bölöni est une réussite sportive. On a plus de mal à imaginer Anderlecht recruter un entraîneur venu d’un championnat étranger. Le dernier en date, Herbert Neuman, fut un flop retentissant.

MD : La venue de Bölöni est la preuve de la qualité des relations de D’Onofrio avec l’extérieur. On voit qu’il connaît très bien les clubs, les joueurs et entraîneurs étrangers.

MW : Bölöni est un entraîneur très sévère avec des méthodes que tous les joueurs n’accepteraient pas… comme lors de son passage à Monaco. Au Standard, on a trouvé the rigth man at the right place : un gars qui arrive après un titre attendu depuis 25 ans et qui, par sa poigne, pouvait redynamiser le groupe et l’empêcher de prendre la grosse tête. Il n’a pas hésité à dire à Defour qu’il devait changer son jeu, ni à critiquer les joueurs en public, à les remettre à leur place. Et il a raison : ils ont encore tout à prouver. La relation direction-entraîneur-joueur est un beau mariage. Maintenant, combien de temps ça va durer…

MD : Une année ( il rit). Je trouve quand même bizarre de signer quelqu’un pour une seule saison.

MW : Pour Lucien, celui qui vient doit tout prouver. Si c’est une réussite, il se verra récompensé par un plus long contrat. Le casa-casa, très peu pour lui. Cela permet d’éviter le cas d’un Felipe Scolari, évincé de Chelsea après six mois, alors qu’il avait signé pour trois ans.

Cela ne témoigne toutefois pas d’une énorme confiance.

MW : Du respect en football, il n’y en a plus. On réfléchit en termes économiques. Si Michel Preud’homme a choisi un contrat de trois ans à Gand, c’est évidemment pour une certaine sécurité et c’est compréhensible.

MD : On peut aussi se dire que grâce à ses récents succès, Bölöni va en profiter pour s’en aller en fin de saison puisqu’il sera libre. C’est une arme à double tranchant. Dans pareil cas de figure, on pourrait être très critique envers la direction liégeoise si l’éventuel successeur de Bölöni ne répondait pas aux attentes. C’est dangereux comme politique, je trouve.

Dynamisme économique

Où se situent les différences principales dans les infrastructures des deux clubs ?

MD : Je crois que le Standard a véritablement marqué le coup avec son académie.

MW : Il faut voir ce qu’ils ont construit dans le Bois Saint-Jean, c’est réellement magnifique.

MD : Et quand j’entends qu’ils seront peut-être les premiers à disposer d’un nouveau stade, c’est significatif d’un bouleversement des forces.

N’a-t-on pas tendance à exagérer l’apport des jeunes du Standard sortis de l’Académie ? A part Witsel, aucun titulaire du début de saison n’en est un pur produit.

MW : C’est vrai. Des garçons comme Goreux, Mangala, voire Carcela, ont encore tout à prouver. Mais on sent une vraie politique des jeunes au Standard. Quand Dante est parti, la direction aurait pu décider d’acheter un nouvel élément puisqu’elle a les finances pour le faire. Elle a préféré puiser dans son réservoir et donner sa chance à Mangala. Chapeau.

A Anderlecht, on en est toujours au point mort question centre de formation…

MD : Et c’est le gros problème du club aujourd’hui. Ce n’est plus une locomotive. Dans les années 80, tout le monde admirait la construction d’un stade novateur, avec loges, etc. Aujourd’hui, ce club peut toujours avancer qu’il possède le meilleur palmarès, mais c’est tout. Et ce paramètre ne compte pas pour aborder l’avenir. Il est vraiment temps qu’Anderlecht se réveille. OK, avec le stade, les dirigeants ont connu des problèmes d’ordre politique. Mais pour Neerpede, c’est catastrophique.

MW : Je rejoins cet avis. Anderlecht a pris un coup de vieux. Quand on voit ce qu’un club comme Schalke a construit, la Belgique a encore du chemin à faire. Un stade, il faut le faire vivre ; ce n’est plus 17 matches de championnat, mais des concerts, un accès facile, une vie commerciale, etc.

Comment peut-on garder ses jeunes face aux mannes de l’étranger ? La réussite de Fellaini doit donner envie…

MW : Attention. Fellaini, c’est une exception. Tu le mets dans n’importe quelle compétition, il démontera tout le monde.

MD : Fellaini-Kompany, on voyait qu’ils allaient réussir à l’étranger. Mais ce n’est clairement pas le cas d’autres comme Tom De Mul, Vadis. Voilà pourquoi je dis bravo à des Witsel ou Legear de ne pas fuir alors qu’ils auraient pu aller voir ailleurs. Les jeunes ont le mauvais réflexe de sauter les étapes et se plantent après à l’étranger. Witsel ? Je lui conseillerais de rester au Standard la saison prochaine pour disputer la Ligue des Champions pour partir après comme un king.

Forces et faiblesses

Commençons par Anderlecht. Qu’est-ce qui ne fonctionne pas ?

MD : La défense, elle n’est pas bonne. Encore une fois, en regardant l’histoire d’Anderlecht, il y a toujours eu des défenseurs qui voulaient  » jouer avec « , participer à la construction. Aujourd’hui, ils n’en sont pas capables. Plus grave encore : ils ne défendent pas bien. Si tu n’arrives pas à donner un surplus à la relance, tu te dois d’être défensivement performant à 100 %. Du moins, à Anderlecht. Et ce n’est pas le cas… Face au Standard, Jacobs devrait récupérer Wasilewski et Deschacht, mais même avec ces deux joueurs, c’est trop juste, pour un match de niveau européen.

C’est un manque de qualité ou de complémentarité ?

MD : Un manque de qualité. Surtout si on compare avec le quatre arrière du Standard du début de saison. Depuis que Dante est parti, je note quand même un manquement. Mangala a des qualités, mais il a besoin de temps à un poste qui n’est pas le sien.

MW : Il a entièrement raison. Cela dit, il faut quand même souligner les absences de Wasilewski ou de Van Damme ; ce n’est pas rien. Quand ces deux là sont présents, l’équipe gagne en force, en expérience, etc.

Au Standard, Onyewu-Sarr forment un duo très fort défensivement, mais ils ne peuvent tout de même pas se targuer d’être de fabuleux techniciens.

MD : Exact. On l’a vu lors du match aller, Standard-Anderlecht, quand ce duo a abusé de longs ballons. Leur grande force, c’est (ou c’était) leurs backs avec Marcos pour ses centres et ses sorties de défense et Dante grâce à ses transversales. Je note aussi que depuis que Witsel évolue dans l’entrejeu, le Standard construit davantage de l’arrière que la saison dernière.

MW : La défense est très sûre. C’est à ce niveau que se situe pour moi la principale différence avec Anderlecht. Comment les Mauves vont-ils contrer les percussions de Jova et Mbokani…

On parle toujours du trio infernal offensif Mbokani-Jovanovic-de Camargo mais, paradoxalement, au classement des buts marqués, les Mauves trônent en tête.

MD : Il y a quand même un problème en attaque du côté d’Anderlecht. Quand l’an dernier, Frutos termine l’année avec 8 buts, c’est bien trop peu. Le meilleur buteur d’Anderlecht doit toujours terminer avec 20 buts. De Sutter peut peut-être le faire, mais il faudra lui laisser le temps de s’installer.

MW : Selon moi, la fameuse  » Frutos dépendance  » reste forte, même si De Sutter a d’indiscutables qualités : il est grand, rapide, sait jouer dos au but et surtout, il va encore progresser. C’est clairement un bon transfert, laissons-lui le temps, ne le cassons pas.

MD : N’oublions pas qu’il a été blessé l’année dernière. On pourra le juger réellement quand il aura eu une préparation complète derrière lui. Pas avant.

Quant aux points forts d’Anderlecht ?

MD : C’est le milieu sans hésiter. Quand Biglia, Polak et Gillet sont au meilleur de leur forme, l’entrejeu est très performant.

Biglia n’est-il pas que trop rarement à son top ?

MD : Il n’imprime peut-être pas assez sa marque sur le jeu alors qu’il en est à sa troisième saison. Il a besoin de plus de rencontres de haut niveau et probablement que l’élimination de la coupe d’Europe lui a été préjudiciable.

MW : Le secteur le plus intéressant à Anderlecht, c’est De Sutter, Boussoufa, Legear. Même si Boussoufa n’est pas un vrai ailier gauche d’après moi. C’est un joueur d’axe qui doit tourner autour de la pointe. Comme à Gand derrière Dominic Foley. Mais pour cela, tu dois te départir de ton 4-3-3. Sur la gauche, le Marocain n’utilise pas assez ses qualités qui lui permettraient de lier le jeu et trouver les brèches.

MD : Même s’il n’avait pas d’attaquant devant lui lors de Standard-Anderlecht, c’est dans cette position axiale qu’il a fait son meilleur match.

Et les points forts des Rouches ?

MW : Leur flanc droit, Marcos-Dalmat, sans hésiter. Le Français est phénoménal pour le moment. Il arrive aujourd’hui à enchaîner les efforts, ce qu’il ne faisait pas à Mons. Du côté des points d’interrogation, on a le gardien. Mais bon, même quand il passe à côté, il garde sa patte de lapin et ne prend jamais un but. Moi, des pareils, je les laisse dans le but. Il est comique, il a une bonne mentalité et le groupe l’adore. Mais c’est vrai que quand tu le vois, tu te dis qu’il n’entre pas dans la lignée des grands gardiens du Standard…

MD : Espinoza est un faux problème, il ne perd pas de points.

MW : Pour poursuivre dans les points forts, c’est le système, le 4-2-3-1, qui m’enthousiasme : chaque joueur joue à sa meilleure place. Avec Defour en 6, on pouvait se demander ce que cela allait donner. Eh bien, on a vu. C’est devenu un petit Pirlo. Quant à Wistel, il apporte la petite touche technique, même s’il doit davantage se faire violence. Et sur les côtés, on a vitesse et percussion avec Jova et Dalmat. Et ils ont encore Mangala ou Nicaise quand il faut aller au taquet pour arracher les ballons.

MD : Conclusion, ils ont très peu de points faibles.

MW : Le seul, c’est le back gauche. Disons plutôt que ça reste un point d’interrogation. Dans l’hypothèse où Legaer débute, je vois mieux Mulemo pour le contrer grâce à sa vivacité. Et si je devais pointer un autre grief, ce seraient les lacunes à la concrétisation. Il faut beaucoup trop d’occasions au Standard pour en mettre une au fond. On l’a vu à Westerlo et dans d’autres rencontres.

MD : Mais quand il faut être décisif, ils répondent présents, comme à Bruges. Le trio offensif possède les qualités pour dire On est les meilleurs. Il n’y a que dans les petits matches où ils laissent la concentration de côté. On peut voir ça comme de la prétention, mais il ne faut pas se leurrer : après avoir rencontré Séville, c’est difficile d’être à 100 % pour se rendre à Malines. Ce n’est pas le même environnement, la même attente. J’ai aussi connu ça dans le passé.

Si on résume, cela donne : Standard au sommet, Anderlecht en galère. Finalement, n’est-on pas trop sévère envers le Sporting ?

MD : Même si Anderlecht terminait avec 10 points d’avance, ce ne serait pas une saison réussie. L’élimination par Bate Borisov l’a foutue en l’air dès le départ. Quant à la manière, elle a été au rendez-vous cinq, six fois sur la saison. C’est beaucoup trop peu.

par pierre blic et thomas bricmont – photos: reporters/ vander eecken

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