» LE STANDARD EST DE LOIN LE MEILLEUR CLUB FORMATEUR DE BELGIQUE « 

Le directeur de la formation du Standard s’est longtemps tu face aux critiques. Mais cette fois, Christophe Dessy a décidé de s’expliquer en long et en large sur la politique du club mais aussi sur l’exil des jeunes, les agents véreux et la rivalité compliquée avec Anderlecht.

En poste depuis février 2012, le responsable de la formation liégeoise avait déjà effectué une première pige à Sclessin de 2004 à 2006 à l’initiative de Michel Preud’homme. Sa mission était très claire : faire du Standard un club à joyaux en suivant le modèle français de Clairefontaine. L’homme qui a vu pousser les icônes de Sclessin telles que Marouane Fellaini, Axel Witsel, Mehdi Carcela ou Eliaquim Mangala croit toujours fermement, et malgré les nombreuses critiques, dans le futur du matricule 16.

Le travail de l’Académie était davantage souligné il y a cinq ans. Est-ce l’absence de titres qui a modifié cette image ?

Ce qui est fou, c’est qu’on a le trophée de la meilleure formation en 2014, 2015, on est le premier club belge en Europe (31e place ; chiffre du Centre International d’Etude du Sport) avec des moyens beaucoup plus limités. Mais on ne retient que les titres dans le football. C’est ce qui donne de la valeur aux joueurs. Et c’est là qu’Anderlecht est beaucoup plus malin car ils ont l’influence pour obtenir un Soulier d’Or, des titres honorifiques, etc. Dans l’entourage de la génération des Witsel, Defour, il y avait aussi des gens très forts dans le lobbying et qui ont poussé pour le Soulier d’Or.

Sous l’ère Duchâtelet, il y avait une volonté d’instaurer les jeunes dans l’effectif et d’en toucher les dividendes.

L’année avant son départ, Monsieur Duchâtelet avait bâti une équipe dont la moitié des joueurs provenaient du centre de formation. Il y avait une vraie politique derrière. Mais quelques mois après, il a fait des transferts in-out qui ont cassé cette stabilité du jour au lendemain. Mais c’est le football d’aujourd’hui… C’est un business, un commerce et il y a des garçons qu’on doit obligatoirement laisser partir pour faire rentrer de l’argent car avant toute chose, le club est une SA.

CES SALOPARDS D’AGENTS

Anderlecht semble avoir pris le relais grâce à de jeunes talents dont la valeur marchande devrait rapporter pas mal d’argent.

Mis à part Tielemans, qui est une des exceptions, Anderlecht ne fait pas de la formation, il achète les jeunes joueurs, comme Praet. Anderlecht, c’est de l’argent, une voiture, une carte carburant et de la thune pour les parents. Ce n’est pas du tout le même concept chez nous.

Mais vous avez acheté Fellaini…

Non, on n’a pas acheté Marouane. Il est arrivé ici à la fin de ses 16 ans en provenance des Francs Borains où il était licencié, il n’appartenait pas non plus au Sporting Charleroi, je connais le dossier par coeur. Réginal (Goreux) vient d’ici, Axel (Witsel) aussi. Eliaquim Mangala venait de Namur à qui on a versé zéro euro. Mehdi Carcela a été formé ici aussi, même si certains ne voulaient pas le garder car ils le voyaient davantage à Lantin qu’à Sclessin. Il y a juste Defour qu’on a fait venir de Genk étant jeune.

On peut le regretter mais l’argent est devenu pourtant une donnée très importante chez les très jeunes.

Personnellement, je ne pense pas que donner du fric à un gamin va augmenter ses chances de réussir. Notre politique est d’aller chercher des gamins dans des petits clubs dans les quatre coins de la Belgique, dans tous les patelins. On a une cellule de détection de 20 personnes, dirigée par Joël Crahay et il n’y a jamais un agent à nos côtés à ce moment-là.

Et pourtant les agents sont de plus en plus présents autour des équipes de jeunes.

Certains agents bénéficient du travail du club fait depuis la source. Et ils font alors tout et n’importe quoi pour harponner untel ou untel. Ils mettent des trucs inimaginables dans la tête des gosses et surtout des parents. Aujourd’hui, on est dans la prostitution des jeunes footballeurs. Le comble, c’est que ces agents critiquent le club ou ma personne alors qu’ils ne bénéficient que de l’investissement du club et du travail des éducateurs. Ces agents sont, pour la plupart, les plus grands des salopards.

Quelle est la base du système de formation des jeunes ?

On travaille sur la relation de confiance où l’on explique calmement le projet au gamin, à la famille. On prend le temps de le faire afin qu’ils intègrent l’Académie la saison suivante. L’élément majeur de tout ça est le projet du jeune et quand on est dans ce concept-là, les choses fonctionnent à merveille. Puis, quand il a signé, les agents débarquent.

LE PROBLÈME DES PARENTS

Vous êtes passés par le centre de formation de Nancy à la fin des années 90, quinze ans plus tard vous avez retrouvé le Standard pour un deuxième passage. Vous pouvez comparer ces deux moments ?

C’est totalement différent. Avant, il n’y avait pratiquement pas d’agents, voire pas du tout. Mais ce qui a aussi changé, ce sont les familles. Avant, les parents faisaient beaucoup d’enfants et désormais, ce sont les enfants qui ont beaucoup de parents. C’est très difficile à gérer et c’est pour cela aussi qu’on essaie d’être présent pour eux. La vie ce n’est pas que le football. La vie c’est l’émancipation des gamins dans la société et le football est une bulle particulière. On voit certains gamins en souffrance quand on se rend dans les internats où ils séjournent. Et ces mômes-là, qui vont mal, ils n’ont alors pas d’agent, les agents s’en contrebalancent complètement. Nous essayons que l’enfant se sente bien, qu’il réussisse sur le plan scolaire et sportif, qui forme notre projet en tant que tel. On veut que l’enfant soit bien dans sa peau, pour son épanouissement personnel.

Combien de jeunes sont actuellement sous contrat pro ?

Ils sont 18, ce qui est beaucoup car ils ne peuvent pas tous réussir… et je le leur dis clairement. Je ne suis pas un vendeur de rêve. Ils n’en sont pas tous conscients car ce sont des jeunes qui vivent dans une bulle. Et cette bulle ne permet pas à ces gars de comprendre l’attitude et les sacrifices à avoir pour arriver au top. Et c’est là que le paramètre chance est primordial. La clé du succès s’explique aussi grâce à l’encadrement, non pas par des joueurs moyens, mais par des joueurs confirmés, avec une identité et une connaissance du haut niveau. Et ça, Anderlecht l’a compris. Sur le plan individuel, Anderlecht a les meilleurs jeunes mais le Standard a les meilleurs jeunes sur le plan collectif.

L’EXODE VERS L’ÉTRANGER

Comment expliquer l’exode de très jeunes joueurs vers l’étranger ?

Parlons des joueurs qui sont partis cet été. Ce sont des joueurs talentueux qui n’ont rien compris aux exemples qu’on leur a montrés (voir cadre  » Quand l’herbe n’est pas plus verte « ). Il faut d’abord voir dans quel club on atterrit, si c’est un club qui mise sur la formation ou non. Ensuite, il y a d’autres facteurs, comme la barrière de la langue, le fait d’être loin de chez soi, l’aspect affectif. On a souvent affaire à des gamins qui rêvent, dans leur bulle, et qui s’imaginent qu’ils joueront mieux quand ils auront un autre écusson sur le maillot et un petit Nike au-dessus.

Vous leur dites clairement à ces jeunes qu’ils sont sur le point de faire une grave erreur ?

Bien évidemment, mais je ne peux pas briser leur rêve, je ne peux pas faire ça… Depuis qu’ils sont petits, ils patientent pour arriver là et parfois ils se brûlent les ailes sans s’en rendre compte. Le plus dramatique, ce n’est pas que le jeune gars enfile un maillot plus prestigieux, c’est que le joueur et sa famille signent une convention de porte-fort envers le club (qui stipule que le joueur devra signer son premier contrat pro de 3 ans au club) et qu’ils ne respectent pas cet engagement car ils sont orientés par un agent. Renier sa signature et sa parole, il n’y a rien de plus dramatique et c’est le monde dans lequel on vit. Tout ce qui a été réalisé avec les Vanheusden, Verlinden, Bongiovanni, tout ça a été fait dans les règles de l’art et ce sont des années de travail pour parvenir à les faire signer. Ils reçoivent de l’argent, s’engagent pour les saisons à venir mais cassent le contrat. C’est alarmant.

90 MILLIONS DE TRANSFERTS DE JEUNES

Est-ce que les supporters du Standard doivent s’attendre à voir des futurs cracks dans les années à venir ?

Je ne citerai pas de nom mais j’en suis plus que persuadé. On est de très loin le meilleur club formateur en Belgique, surtout rapport qualité/prix. Si on me donne les budgets qu’on a dans les autres clubs, je strike à coup sûr ! Si demain je débarque à Bruxelles dans une ville de plus d’un million d’habitants, je peux vous dire que je fais autre chose comme formation que ce que le Sporting met en place. Anderlecht ne fait pas de la formation, Anderlecht paie. Donc c’est normal qu’ils aient les meilleurs jeunes mais on est quasiment devant eux dans tous les championnats. Avoir de bons contacts avec les agents, ce n’est pas de la formation, mais aller sur le terrain, détecter son potentiel pour commencer, ça c’est de la formation.

Quel est votre budget pour gérer le centre de formation du Standard ?

On a beau dire à droite à gauche qu’il n’y a pas de budget au Standard pour les jeunes, mais il y en a un gros, il ne faut pas croire. Il est quasiment plus gros que le budget total d’un club de D2. Si je ne suis pas mis au courant du montant, c’est que le président gère sa partie financière et s’il ne veut pas m’immiscer là-dedans, c’est sa manière de travailler et c’est tout. Mais, en près de dix ans au Standard, c’est quasiment une recette de 90 millions d’euros sur les transferts de joueurs vendus, ou revendus.

Vous comprenez d’où est venue cette hype belge ? Où notre formation est mise en avant du jour au lendemain finalement.

Tout d’abord, le critère le plus important, on a un pays de proximité. J’ai vu des drames durant mes années à Nancy où des gamins de Bordeaux, Marseille, rentraient trois fois chez eux en vacances durant l’année. Les gamins étaient déstructurés psychologiquement et mentalement. Ici, nous avons une proximité avec les familles. Je pense par contre qu’on ne va pas assez dans le détail comme en France avec quelque chose de très spécialisé. Par contre, on est beaucoup mieux intégré en Belgique qu’en France, on est un pays d’accueil. Toutes ces valeurs-là font qu’on a énormément de richesses et de ressources. Après, on a été qualifié pour le Mondial au Brésil, maintenant pour l’EURO en France, on est premier au ranking FIFA… sans avoir rien gagné, nos U17 sont troisièmes à leurs Mondiaux. Et le plus aberrant dans tout ça, c’est qu’on est aveuglé par ça et qu’on n’investit rien dans la formation. Le plus important aujourd’hui serait d’améliorer les infrastructures, qui pour la plupart du temps au niveau amateur, sont catastrophiques. Et c’est à ce niveau que nous, les grosses écuries, on doit tendre la main vers les plus petits clubs car c’est notre vivier de recrutement. Si on veut que cela soit différent c’est maintenant qu’il faut investir.

PAR SÉBASTIEN FERRANTE AVEC THOMAS BRICMONT – PHOTOS R. ABSOLONNE-STANDARD.BE

 » Anderlecht ne fait pas de la formation. Anderlecht, c’est de l’argent, une voiture, et de la thune pour les parents.  » CHRISTOPHE DESSY

 » Aujourd’hui, on est dans la prostitution des jeunes footballeurs.  » CHRISTOPHE DESSY

 » Sur le plan individuel, Anderlecht a les meilleurs jeunes mais le Standard a les meilleurs jeunes sur le plan collectif.  » CHRISTOPHE DESSY

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