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 » LE STANDARD DEVAIT ME VIRER PLUS TÔT… MAIS ILS N’ONT PAS OSÉ ! « 

Il a toujours refusé de détailler lui-même l’ambiance de ses derniers mois au Standard, qu’il affronte ce week-end. Cette fois, c’est fait ! Dehors, la langue de bois !

Le timing est nickel ! Obtenir une discussion XXL avec Yannick Ferrera à quelques jours de Malines – Standard, y’a pas mieux. Il prévient par sms : Je parlerai du Standard si tu veux, c’est normal après tout. Mais je ne viderai pas mon sac. Pourtant, on aimerait bien tout connaître sur la façon dont ça s’est terminé pour lui là-bas. On aimerait savoir s’il est, aujourd’hui, plus dans la rancoeur, la fierté, la frustration ou autre chose. Au final, le jeune premier bruxellois va tout nous dire. Avec une immense sincérité. A la Yannick Ferrera – soit débit, intonation, contenu, conviction !

Mais d’abord, quelques minutes de discussion sur ce Malines où il dit que  » ça sent bon le football « . Explication.

YANNICK FERRERA : Quand je dis que ça sent le foot dans ce club, je fais allusion à une ambiance particulière avec cette tribune d’un autre âge dans le dos des coaches, les banquettes en bois, et aussi la passion très naturelle du public. C’est chouette. Quand j’allais en déplacement avec le Standard, on trouvait systématiquement des stades pleins et des adversaires qui voulaient se payer la peau d’un grand club. J’avoue que ça me manque un peu ! C’est agréable d’être attendu partout où on va, de sentir des gens bouillants et que tu diriges l’équipe à battre. Mais quand Malines joue à la maison, c’est très spécial aussi. Grisant.

Je connaissais ce club, hein ! J’y ai joué ! En Scolaires, j’avais notamment Thomas Chatelle comme coéquipier. C’était l’époque où Frankie Vercauteren coordonnait les équipes de jeunes, je l’observais et je prenais des notes, déjà. J’avais même un maillot d’Eli Ohana à sa grande période avec Malines, au moment de la victoire en finale de la Coupe des Coupes. J’avais le maillot de Marco van Basten avec la Hollande, celui de Diego Maradona avec l’Argentine, mais aussi celui d’Ohana, oui…

 » IMPOSSIBLE QU’ON TE FASSE SAUTER APRÈS CE NUL À BRUGES !  »

Tu as quitté Al Shabab, Charleroi et Saint-Trond. Au Standard, on t’a demandé de quitter… C’est fort différent ! En passant à Malines, tu n’as pas l’impression de passer d’un étoilé à un Pizza Hut ?

FERRERA : Je n’ai rien contre le Pizza Hut. (Il rigole). Evidemment, l’ambition n’est plus la même. Ici, on veut vivre une saison tranquille. La septième, la huitième ou la neuvième place, ce sera bien. Ou un peu plus haut si ça se met bien. Les play-offs ne sont même pas nécessairement utopiques. Si on réussit un bon parcours, j’aurai fait ce qu’on attend de moi. Tu parles de Charleroi et de Saint-Trond : là-bas, j’ai atteint mes objectifs. Pareil au Standard. J’avais quitté l’Arabie Saoudite pour m’engager à Charleroi parce qu’on me donnait une chance inouïe d’entraîner en D1. Ça s’est bien passé. Puis j’ai fait monter Saint-Trond et j’ai installé l’équipe en D1. Et pour ce qui est du Standard… On a gagné la Coupe alors que le club n’avait plus rien gagné depuis combien d’années ? Je répète ce que j’ai dit au moment de mon C4 : le Standard n’a pas été un échec pour moi. Il m’a fait très mal mais, un échec, non !

On revient sur le timing. Tu sautes après un nul à Bruges, un match que vous gagnez s’il n’y a pas une erreur d’arbitrage dans les dernières secondes.

FERRERA : Depuis des semaines, on disait que j’étais en sursis, je le savais très bien moi-même depuis le mois de juin. Mais s’il y a un seul moment où je ne m’attendais pas à sauter, c’est celui-là. Je pensais vraiment que la prestation de mon équipe dans ce match m’offrait une petite prolongation. J’entends encore un employé du Standard me dire : -C’est impossible de te virer après un match pareil. Et quelques jours plus tard, on balaie Marseille en amical.

Vraiment, tu es surpris quand on t’annonce que tu es dehors ?

FERRERA : Je te promets ! Pas étonné par la décision mais par le moment auquel elle est prise. Le lundi qui suit le match contre Marseille, je dois avoir une réunion avec la direction. Au dernier moment, Bruno Venanzi la décale au mardi matin. Je ne me pose pas de questions. Quand j’arrive au club le mardi, je suis serein. Et là, il m’annonce qu’il ne va pas tourner autour du pot, que c’est terminé. Je suis entré avec mon PC, je suis ressorti avec mon C4 !

 » DÉJÀ AVANT LA REPRISE DES ENTRAÎNEMENTS, J’AVAIS COMPRIS QUE ÇA ALLAIT MAL SE FINIR  »

A quel moment précis tu commences à comprendre que tu es en sursis ?

FERRERA : Très, très tôt ! En juin, quelques jours avant la reprise des entraînements. J’envoie des mails à toute la direction, avec des questions bien précises. Je m’interroge notamment sur la composition de mon staff. C’est normal, non ? Pas de réponse. De personne. Je renvoie, je renvoie encore. Toujours rien. Puis, enfin, trois jours avant le premier entraînement, on réagit. Je suis dans un studio de la télé flamande comme consultant pour un match de l’EURO. Et, là, surprise, je vois que Bruno Venanzi me répond enfin. Oui, il répond, mais j’ai déjà compris que c’est anormal de m’avoir laissé autant de temps dans l’ignorance. Je sais que ça va être très difficile. Et ne pas avoir un mot à dire sur le choix du préparateur physique et de l’entraîneur des gardiens, tu ne trouves pas que c’est un peu spécial ?

Tu es dehors bien plus tôt si vous ne gagnez pas la Coupe, non ?

FERRERA : C’est probable. Quand on perd à Malines lors de la dernière journée de la phase classique et qu’on loupe la qualification pour les play-offs, je sens que ça devient chaud. Huit jours plus tard, on gagne la Coupe. J’ai deux réflexions… Je suis persuadé que si on va en play-offs, on ne voit pas le même Standard en finale. Il y aurait peut-être eu un relâchement, en tout cas on n’aurait sans doute pas vu une équipe aussi affamée. Et puis, ça devenait très compliqué de me virer après la victoire contre Bruges. Tu imagines ? Le club lutte des années pour gagner un trophée, il n’y arrive plus jamais, alors tu risques de te mettre tes supporters à dos si tu licencies l’entraîneur qui te ramène enfin quelque chose ! Ces gens-là n’auraient rien compris. La direction aurait dû rendre des comptes. Mais bon, aujourd’hui, avec le recul, je me dis que ça aurait été plus logique de me virer en fin de saison, puisqu’ils savaient que j’étais de toute façon condamné à court terme.

La direction te félicite après la victoire en Coupe ?

FERRERA : Oui, quand même. Mais l’essentiel pour moi, c’est l’émotion que je ressens. Et aussi le fait d’avoir qualifié le Standard pour l’Europa League. Je vais découvrir l’Europe, c’est un cap dans une vie d’entraîneur. Si j’avais su qu’on allait me limoger neuf jours avant le premier match de cette Europa League… Pour te dire à quel point ça m’a fait mal, je n’ai même pas su regarder les deux premiers matches, contre le Celta Vigo et l’Ajax. J’ai dû attendre près d’un mois pour me remettre devant ma télé quand le Standard jouait. C’était contre Anderlecht. Entre-temps, ça va mieux, je l’ai vu plusieurs fois…

 » SCHOLZ DEVAIT JOUER À LA NOUNOU  »

Ce n’est plus tout à fait la même équipe… Comme toi un an plus tôt, le nouvel entraîneur a pu profiter directement des derniers transferts du mercato, de joueurs que l’ancien coach n’avait pas eus.

FERRERA : Le Standard a transféré six joueurs pendant les dernières heures du mercato, ça me confirme que la direction était consciente qu’il manquait quelque chose pour atteindre les objectifs. Et l’objectif du président, si j’ai bien compris, c’est le titre dès cette saison, non ? OK. Je vais te citer deux exemples : Ishak Belfodil et Orlando Sá. Aujourd’hui, l’attaque du Standard, c’est eux. Moi, j’ai parfois dû associer Ryan Mmaee et Benjamin Tetteh. On ne parle quand même pas de la même chose ! Ces deux joueurs ont un potentiel intéressant mais ils n’étaient pas encore prêts. Et puis, il y a tous les joueurs qui n’étaient pas tout à fait opérationnels quand la saison a commencé. Aujourd’hui, Konstantinos Laifis est une révélation. OK, et c’est vrai qu’il était déjà là quand j’étais le coach. Mais je l’ai eu dans quel état physique, moi ? Il n’était nulle part au niveau de sa condition et il était gêné par un début de pubalgie. Après deux kilomètres de course, il était explosé. Tu veux un autre exemple ? Alexander Scholz ! Il devait jouer à la nounou, tellement il y avait du mécontentement, des doutes, des interrogations dans le groupe. Tu avais des piliers qui pensaient à un transfert, qui espéraient partir avant la fin du mois d’août. Et d’autres joueurs importants qui râlaient en voyant que les semaines passaient et que les renforts n’arrivaient pas. Après la qualification pour l’Europa League, on les avait convaincus de rester en leur expliquant que le groupe allait être renforcé pour faire un bon parcours européen. Quand Ivan Santini a dit dans Foot Mag que le Standard voulait plus faire du business que des résultats, et quand plusieurs joueurs ont retweeté son coup de gueule, ça résumait beaucoup de choses, ça illustrait bien l’état d’esprit dans le noyau à ce moment-là. J’ai dû gérer tout ça.

Ça te frustrait de ne jouer aucun rôle dans le recrutement ?

FERRERA : Pas du tout. Ça peut paraître bizarre qu’un club ne consulte pas son entraîneur pour former son noyau, mais moi, je l’ai toujours accepté. Je raisonnais comme ceci : -C’est votre argent, vous en faites ce que vous voulez. Même chose quand on ne m’a pas consulté pour rentrer à l’UEFA la liste des joueurs qui allaient faire l’Europa League ! La composition de cette liste, je l’ai apprise par la presse. Mais bon, les patrons, c’est eux.

 » LE RÈGLEMENT TENAIT SUR UNE FEUILLE VOLANTE, ÇA NE RESSEMBLAIT À RIEN  »

Tu penses que tu avais toujours le soutien du groupe ?

FERRERA : Si tu parles aux joueurs en off, je suis persuadé qu’ils te diront qu’ils étaient toujours derrière moi. En off, parce que si la discussion devient officielle, ils risquent évidemment de ne plus dire la même chose. Ils doivent se protéger, c’est normal. Il y en a qui se confiaient à moi quand j’étais encore là-bas. On m’a par exemple dit : -Mon agent m’a dit que vous alliez être très vite viré. Ils ne l’inventaient pas, quand même ! Tu imagines ? Cela n’aide pas dans la gestion d’un vestiaire quand tes propres dirigeants crient sur tous les toits qu’ils vont te virer. Pour résumer : déforce ton équipe, affaiblis la position de ton coach dans le groupe et dans la presse, vire-le s’il ne prend pas 15 points sur 15, renforce ensuite l’équipe et le prochain coach en profitera bien.

Comment tu expliques que ta relation avec Daniel Van Buyten se soit subitement dégradée ? Pendant tes premiers mois, tu disais qu’il t’apprenait plein de choses.

FERRERA : Je confirme ! Nos discussions étaient super intéressantes. On parlait de tactique, d’organisation, d’un tas de choses. Il m’apportait vraiment. Il avait vu en arrivant qu’il y avait un terrible laisser-aller, aucune discipline. Des joueurs arrivaient au tout dernier moment pour l’entraînement, il y en a qui avalaient une tartine au choco dix minutes avant d’aller sur le terrain. On avait un règlement mais il tenait sur une feuille volante, ça ne ressemblait à rien. J’ai remis de l’ordre, j’en parlais avec Van Buyten. Puis, ça s’est dégradé vers février, quand on a connu un coup de moins bien. J’ai senti une cassure, notre relation n’avait plus rien à voir avec ce qu’elle était en décembre quand on avait balayé Bruges, quand on avait aussi battu Anderlecht.

Olivier Renard nous a dit qu’il t’avait prévenu que tu devais absolument changer ton approche humaine, sans quoi tu ne deviendrais jamais un grand entraîneur.

FERRERA : C’est faux. Quand il m’adressait la parole, c’était pour critiquer certaines de mes méthodes ou donner son avis sur des choses qu’il ne connaît pas. Mais il ne m’a jamais donné le moindre conseil. J’ai essayé une fois pour toutes d’aplanir nos différends un mois avant mon renvoi, mais il m’avait déjà catalogué et condamné bien avant cela.

Ton année au Standard t’a enrichi ?

FERRERA : Certainement. Partout où j’ai travaillé, je me suis enrichi. Je reste un jeune coach. Je compare parfois ma situation à celle d’un jeune de 16 ans qui a un gros potentiel et qui débarque dans le noyau A. Ce jeune n’est pas encore un produit fini, tout comme moi en tant que coach, ce qui est normal. Le club doit donc l’encadrer, l’accompagner et le guider pour l’aider à devenir meilleur et pour qu’il utilise au mieux son potentiel. C’est ce que j’ai eu pendant mes premiers mois au Standard, mais pas assez longtemps. Mon expérience au Standard m’a permis de progresser notamment dans le sens où je sais maintenant que ce n’est sans doute pas bon d’être à 300 % dans ton métier. Tu dois t’aérer l’esprit de temps en temps, et ça, je ne le faisais plus, tellement j’étais pris, en plein dedans. Sur le coup, tu ne t’en rends pas compte. Maintenant, j’arrive à prendre un peu de recul. Je refais des choses que je ne faisais plus. J’ai recommencé à lire, je retourne au cinéma. Je suis redevenu plus humain !

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS : BELGAIMAGE – ÉRIC LALMAND

 » Je n’ai même pas su regarder les deux premiers matches d’Europa League du Standard, ça me faisait trop mal.  » – YANNICK FERRERA

 » La liste de joueurs pour l’Europa League, je l’ai apprise par la presse !  » – YANNICK FERRERA

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