Le Standard de Marcel

Notre chroniqueur a écrit l’histoire des Rouches revisitée par ses deux personnages fétiches : coups de cour en époques.

Nicolay contre Kindvall en 63 et les Coupes de Belgique 66 et 67

–  » 2008, Standa-a-a-rd champioo-o-on ! ! ! « , hurlèrent de concert les vieux époux au coup de sifflet final, avant de s’étreindre en riant, dans le divan qui n’en croyait pas ses ressorts.

–  » Enfin !… « , soupira un Marcel ému en regardant Georgette, car corps et tripes, il était rouge et blanc ! Et cela depuis un demi-siècle, très exactement depuis un Standard-Berchem d’entre Noël et Nouvel An 1957, saison magique du premier titre, où l’ado avait enfin humé Sclessin, en compagnie de son père : un 4-0 bien tassé, le choc d’un vrai grand match, une flopée de sensations soûlantes, une première fois pour toujours. Ce soir-là, tout seul dans son lit, rien qu’entre lui et lui, il avait prêté serment d’amour éternel aux Rouches…

–  » Enfin !… « , soupira-t-elle émue en regardant Marcel, car corps et âme, elle était devenue rouge et blanche par alliance : très précisément depuis le 3 octobre 1963 ! C’était un mercredi, elle avait accepté la bague de fiançailles offerte par Marcel,… un joli rubis finement veiné de blanc, l’eusses-tu cru ! Georgette pensa ce soir-là qu’il allait ensuite l’emmener au cinéma, le Plaza passait justement Mélodie en sous-sol avec JeanGabin et Alain Delon. Mais son promis opta pour un resto… dans lequel Luc Varenne commentait en direct Norrköping-Standard : les Rouches retrouvaient la Coupe d’Europe après deux premières campagnes de légende, Marcel avait déjà chanté à Georgette les batailles de Reims, Glasgow, Madrid… Cette fois, les Liégeois l’avaient seulement emporté 1-0 à l’aller, mais la qualification allait de soi : Marcel n’imaginait pas être éliminé le soir où il avait gagné Georgette, et Jean Nicolay renforça son optimisme en bloquant un penalty au quart d’heure…. Deux heures plus tard pourtant, Ove Kindvall et ses potes suédois bouclaient un 2-0 sans appel : Marcel pleura l’absence de Léon Semmeling blessé, refusa de manger son dessert, et finit par pleurer vraiment ! Georgette en fut bouleversée, comprenant dès ce soir-là qu’elle épouserait le Standard en même temps que son fiancé. Mais elle en accepta l’augure, le foot avait en elle planté sa petite graine…

Marcel planta évidemment la sienne quelque mois plus tard, il en planta même deux car c’était un buteur, et les jumeaux vinrent au monde en mai 1965, l’avant-veille du dimanche où les buts de Roger Claessen furent insuffisants contre les Mauves en finale de la Coupe… Tout aussi buté que buteur quand il voyait rouge, Marcel fit fort le lundi en allant à la commune déclarer ses nouveaux nés : il exigea de pouvoir les appeler Roger et Roger, en hommage à Claessen d’une part car il le vénérait, à Roger Petit d’autre part car Monsieur Standard était depuis la Libération le véritable architecte de l’ascension rouge ! Le bourgmestre de Noiseux-sur-Berwette refusa catégoriquement. Mais Georgette sut trouver l’astuce afin d’éviter le clash pour Marcel… et le ridicule pour leurs deux gamins lorsqu’ils grandiraient : la jeune mère suggéra d’appeler les jumeaux Pol et Roger : elle argumenta que Marcel, tout rouge qu’il soit, avait toujours prôné un duo d’attaque Van Himst-Claessen en équipe nationale ; elle ajouta que ce serait une belle preuve de fair-play en pleine guerre froide Standard-Anderlecht, au beau milieu d’une période où les Bruxellois allaient aligner 5 titres en ne laissant aux Liégeois que 2 coupes de Belgique. Marcel tomba dans le panneau, Georgette ne lui avouera que bien plus tard qu’elle trouvait Polleke fort joli garçon…

En 1968, Marcel fit sa révolution six semaines avant Daniel Cohn-Bendit et consorts : fin mars en effet, après un double 1-1 face au Milan AC en quarts de finale de la Coupe des Coupes, le Standard accepta de disputer le test-match à Milan… et le perdit ! Le dimanche suivant, à l’issue du match contre le Beerschot, Marcel éméché parvint à atteindre les vestiaires, prenant un accent polonais pour prétendre qu’il était le frère émigré de Cajou Jurkiewicz : il y fit irruption pour dire à Michel Pavic de ne plus associer Louis Pilot à Léon Jeck dans l’axe défensif, mais d’y installer définitivement le jeune Nico Dewalque en ré-avançant Pilot d’un cran ; Jean-Pol Colonval le prit par les oreilles pour le flanquer dans le couloir ; Marcel y croisa Roger Petit et lui reprocha, respectueusement mais fermement, d’avoir vendu le déroulement du test-match à San Siro plutôt que de le disputer sur terrain neutre…

69, 70 et 71 : trois titres puis rien avant la Coupe 81

–  » D’accord, j’étais rétamé ! « , convint Marcel, qui sablait à présent avec Georgette le champagne du titre 2008 tant attendu.  » N’empêche que grâce à moi, ce fut ensuite une défense de fer : car je suis sûr que Pavic a parlé de mon coup de gueule à René Hauss ! Conclusion : rien que 66 petits buts ramassés en 90 matches, trois saisons de rêve de 1968 à 1971, un 2-3 à Madrid pour y éliminer le grand Real, l’unique triplé de notre histoire et…  »

–  » Grâce à toi, et un peu aussi grâce à l’arrivée de Wilfried Van Moer… « , tint à préciser Georgette.

–  » … et un Mondial mexicain avec SIX titulaires rouches ! Les jeunes du kop d’aujourd’hui jalousent presque mes 66 balais quand je leur raconte ça ! « , poursuivit Marcel tout à ses souvenirs.

–  » En 1971, Bruges a terminé ex aequo « , tempéra Georgette.  » A cause de la perte par forfait de notre match à l’Antwerp (cette bêtise d’amateurs d’avoir aligné 3 étrangers au lieu des 2 autorisés…), nous avons failli être ridicules plutôt que champions… « 

–  » Ah ! Ah ! Ah, mais c’était voulu, chou, Petit l’a toujours dit : sans ce manquement prémédité, c’eût été cavalier seul, absence de suspense, baisse des recettes. Mais… Roger Petit savait compter ! « , apprécia Marcel hilare, oubliant cette fois San Siro 68.

– » En tout cas, trois belles années… « , soupira Georgette, nostalgique surtout de leurs jumeaux alors en début d’école primaire, puis de la naissance de la petite troisième : et se rappelant soudain que, quand Marcel chatouillait sa nouvelle-née, au lieu de dire guili guili guili comme tout le monde, ce fou des Rouches disait kitchi kitchi kitchi !

–  » … Après ta grossesse, dix ans de vaches maigres… « , se renfrogna soudain Marcel.  » Mais c’était prévisible : après le titre de 70-71, fallait être toqué pour laisser partir Erwin Kostedde et Henri Depireux, alors que ces deux-là venaient de planter 36 de tes 66 buts ! Et comble de poisse, pour clôturer ce 71-72 foireux, ce maudit matraqueur de Mario Bertini nous démolit Kitchi Van Moer durant l’Euro en Belgique…

–  » Vaches maigres, mais bons souvenirs quand même ! « , positiva Georgette.  » Notamment le premier séjour de Robert Waseige. Rappelle-toi ta joie quand tu as appris qu’enfin un Liégeois entraînerait les Rouches, c’était le jour de l’historique Panenka d’ Antonin Panenka. Les gamins et toi avez tiré des penalties au jardin jusqu’à la nuit tombée : et à chaque Panenka réussie, tu braillais bêtement – Robert au Standard, la bière et la gloire ! Même que les voisins ont sonné les flics…  »

– » Waseige a rendu du tonus après la grisaille d’une 8e place sous Lucien Leduc « , estima Marcel.  » Trois fois troisièmes, c’est dire que Robert a su rester trois saisons complètes… mine de rien, faudra ensuite attendre Dominique D’Onofrio pour réitérer pareille performance !  »

–  » Sans compter à cette époque tous les bons joueurs qui ont défilé et qui font eux aussi l’Histoire : Harald Nickel, Alfred Riedl, Ralf Edström et d’autres… Il y a même eu une espèce d’Américano-Hongrois au nom imprononçable avec plein de i et de y…  »

–  » Gyula Visnyei ! « , hurla Marcel incollable, en poussant vers le bas ses mains jointes comme s’il s’agissait d’un quizz-foot et d’un bouton-poussoir.  » En fait, ce qui foutait les boules durant ces vaches maigres, c’est d’une part que ces foutus Mauves se sont mis à gagner des Coupes d’Europe : alors qu’ils y étaient moins bons que nous durant les sixties ! Et c’est d’autre part que Bruges s’est amené dans le top comme un bulldozer : ce n’était plus les deux grands en Belgique, c’était les trois grands et le Standard devenait le troisième, ça m’énervait… Mais rétrospectivement, cette petite disette m’a servi, elle m’a appris à écraser : sans elle, serais-je sorti vivant de la grande, celle d’un quart de siècle, celle de 1983 à aujourd’hui ? », philosopha-t-il.

–  » Ta petite disette, comme celle de François Mitterrand, prit fin en mai 81 et là, c’est ton foie qui supporta mal la victoire contre Lokeren en Coupe de Belgique, Marcel… Au retour du car des joueurs à Liège, tu t’es rendu un peu ridicule en embrassant Ernst Happel pour lui dire adieu, à une époque où la mode n’était pas à la bise à tout va… Mais tu t’es rendu très lamentable ensuite en réussissant, à l’aube et dieu sait comment, à ramener à la maison Asgeir Sigurvinsson et Michel Renquin ! Non seulement tu étais moins bon footballeur (ce que je te pardonne aisément), mais tu tenais l’alcool moins bien qu’eux : et tu as vomi sur un divan neuf qu’il a fallu remplacer (ce que je te pardonne difficilement aujourd’hui encore)…  »

Barcelone raté puis les titres de 82 et 83

–  » D’accord, j’étais déchiré ! « , convint Marcel en ré-empoignant le jéroboam de champagne, résolu qu’il était à le siffler avec Georgette pour fêter le titre 2008.  » Mais rends-toi compte, chou : réussir à ramener dans mon propre salon (et je n’ai jamais su comment….), un soir de victoire en Coupe, deux authentiques joueurs de mon Standard, c’était un honneur insigne qui vaut bien un divan ! J’étais rempli de joie, je voyais des éléphants roses… non : rouges !  »

–  » Tu étais joyeux et rempli, mais rempli comme une barrique ! Et tu as revu au moins autant d’éléphants un an plus tard « , se rappela Georgette.  » Exactement le 12 mai 1982 sur les Ramblas, dès AVANT le coup d’envoi à Barcelone ! Tu beuglais tout seul : – Standard Champion ! 1982 : année bénie des dieux ! Et nous beuglions tous ensemble – Tremble, Barça, Tahamata est là !  »

–  » Simon était là, mais pas seul, hélas ! Il y avait aussi ce Walter Eschweiler siffleur de mes deux, et Migueli, le défenseur le plus sanguinaire de l’histoire du Barça « , commenta Marcel, râleur au long cours comme tout vrai supporter.  » 1982 : année de merde, oui… mais on ne l’a su que deux ans plus tard ! Malgré notre petite merveille moluquoise, ces deux titres de 1982 et 1983 sont maudits… j’aurais dû me méfier dès le début, ça sentait trop le Mauve au départ : je me souviens qu’au boulot, j’ai fini par suspendre au porte manteau un collègue supporter d’Anderlecht, qui me narguait sans cesse : rapport aux arrivées de Raymond Goethals, d’ Arie Haan et même de ce Johnny Dusbaba qui n’a rien foutu, il n’arrêtait pas de répéter que nous avions dû importer du Mauve pour redevenir champions !  »

–  » Tu te rappelles qu’en 1984, quand éclata L’affaire, c’est un 29 février que Roger Petit a reconnu la magouille auprès du juge Guy Bellemans ? Et six semaines plus tard, nos fautifs débutaient déjà leur suspension,… les jugements traînent davantage de nos jours ! Moi, ça m’a toujours étonnée que Marcel Van Langenhove, qui était un si bon arbitre, n’ait pas décelé du louche ou de la passivité chez les gars de Waterschei… Et j’étais scandalisée qu’on puisse avoir triché tout court. Mais toi, tu râlais plutôt qu’on ait triché bêtement, et alors que ce n’était même pas indispensable…  »

–  » A chacun sa morale… mais, depuis lors, j’ai la trouille des années bissextiles « , grimaça Marcel.  » Chaque 29 février, je me réveille en croyant qu’un sheriff va me passer les menottes au saut du lit, et m’embarquer en pyjama pour fraude fiscale doublée de corruption ! Quant aux 11 joueurs du match de Waterschei, 3 seulement sont restés Rouches en 84/85 et ont purgé leur suspension ! Les autres se sont taillés à l’étranger, ou y étaient déjà, ou sont bizarrement passés entre les mailles du filet : à commencer par Haan, fait noir où il se perd, celui-là… Va-t-en savoir ce qui s’est vraiment passé… Petit a même parlé d’une bête histoire entre femmes de joueurs… L’affaire, c’est comme la mort de Marilyn Monroe : faudra attendre que tous les protagonistes soient six pieds sous terre pour connaître, peut-être, la vérité vraie… Mais j’admirerai toujours les trois fidèles d’alors : Théo Poel, Michel Preud’homme et Guy Vandersmissen ! Et aussi Horst Hrubesch qui venait d’arriver en plein micmac, et qui est resté vrai pro dans la tempête…  »

–  » Te tracasse plus, 2008 aussi est une année bissextile ! « , trinqua Georgette.  » Moi, c’est toi que j’ai admiré en 1984, Marcel ! Tu as stoppé ta carrière active à Noiseux-sur-Berwette pour reprendre un abonnement au Standard, et même les suivre, que dis-je : les pister !, dans tous leurs déplacements : pour être toujours avec les Rouches dans l’adversité, malgré qu’on ait cassé ton jouet ! Faut dire aussi que tu avais plus de 40 ans et que, question football actif, tu devenais fort passif sur les terrains… « 

–  » Le jouet était cassé, pas la fibre rouche ! « , grandiloqua Marcel.  » J’ai vécu cette saison-là des matches à Sclessin avec moins de 3.000 spectateurs, moi, Madame ! En juin 84, quand Lucien Levaux lança un appel aux supporters pour repeindre le stade, j’y étais, moi, Madame ! Même que Lucien avait oublié ce jour-là d’amener les pinceaux !  »

La traversée du désert de 84 à la Coupe 93

En 1984, commença donc pour Marcel la longue traversée du désert. En tant qu’abonné, il lutta durant quatre saisons, jusqu’à sa profonde déprime de mai 1988 : le Standard venait à nouveau de terminer 10e (dixième !) en s’offrant en une saison trois entraîneurs successifs, ainsi qu’un miroir aux alouettes appelé Milan Mandaric. Marcel n’en put plus, constatant affolé que montait en lui une sensation inédite et troublante : une sympathie pour les voisins (en plein boom) du FC Liégeois ! Passer chez le rival eût été pécher, Marcel ne succomba pas à la tentation. Mais il éloigna le calice en ne renouvelant pas son abonnement à Sclessin, entreprenant plutôt de coacher Noiseux-sur-Berwette. Et les multiples tracas de sa fonction provinciale nouvelle ne lui laissèrent plus le temps de mariner jour et nuit dans son cafard rouche : certes, la douleur que son Standard ne soit plus qu’un faire-valoir du championnat resta vive, ô combien, mais cessa d’être obsessionnelle pour devenir tolérable. Désormais coach affairé dans son patelin, Marcel durant 14 ans n’irait plus à Sclessin qu’une dizaine de fois par an : appréciant, sur fond de souffrance et au fur et à mesure des saisons, Gilbert Bodart, André Cruz, Alex Czerniatinski, Guy Hellers, Marc Wilmots, Vedran Runje et d’autres ; et toujours ronchonnant, parce que crevant toujours d’amour rouche.

– » Faut dire qu’en deux décennies, t’allais avoir de quoi ronchonner ! « , entreprit d’énumérer Georgette :  » Une consommation moyenne d’un entraîneur par an, des dizaines de transferts comme dans une gare de triage où l’on trierait à côté de ses pompes,… même que l’autre jour tu as choisi ton équipe foireuse-type !  »

–  » Ce fut tout un travail tant il y en eut, des flops « , récita Marcel.  » Fouhami derrière une défense DanladiGranaVinicius-Torabian pour être certain d’encaisser ; BognarKrupnikovic pour que l’entrejeu soit transparent ; et une attaque muette quoiqu’à quatre avec HermosilloPekovicSpehar-Roussel… C’est un onze-flop qui a fière allure !  »

–  » Ajoute à cela, en vrac, un vieux président (auquel tu aurais donné le Bon Dieu sans confession) soupçonné de détournement de fonds, des accusations de gentlemen’s agreements bafoués pour débaucher vers Sclessin les jeunes des autres clubs, des mots récurrents qui font rougir comme perquisition ou blanchiment, un directeur un peu mytho qui s’invente une naissance au Brésil, deux Robert qui ne savent plus se piffer en 1995 alors que tu re-flirtes enfin avec le titre, l’un ou l’autre dirigeant à la réputation disons sulfureuse… Ben, mon Marcel, t’as peut-être par moments bu comme une éponge, mais t’as bien du mérite à ne pas l’avoir jetée, l’éponge… Vingt ans de climat polémique sur fond de non-palmarès, mise à part en Coupe la victoire de 1993… mais suivie 6 mois plus tard d’un 0-7 contre Arsenal humiliant à jamais… « 

–  » Ouais, un 0-7 après l’espoir, comme pour mieux te remettre la bite en berne… Le plus dur n’est pas d’être déçu, c’est de recommencer à espérer… « , soliloqua Marcel.  » J’ai failli craquer en 1998, l’année où je suis devenu grand-père et où ton fils a refusé d’appeler mon petit-fils Gilbert ! Et surtout l’année du centenaire : terminer 9e (neuvième !) après que l’arrivée d’ Aad de Mos et des Mpenza ait fait naître tant d’espoirs, puis déchanter jusqu’à voir Tomislav Ivic qui rapplique comme rappliquerait la Préhistoire… Plus le stade devenait chouette, plus les résultats devenaient moches, plus la pomme me semblait pourrie ! Cette année-là, j’avoue en avoir conclu que, plus de doute, on allait finir comme le Stade de Reims. Et j’allais me laisser couler…  »

–  » … lorsque les Mauves t’ont sauvé la mise ! « , termina Georgette qui connaissait la rengaine.

–  » Incroyable mais vrai ! C’est à cette époque que le déballage de l’affaire Anderlecht-Nottingham fut pour moi une révélation, comme un éclair dans ma grisaille ! Le Standard était comme mon enfant. Je me croyais supporter fou d’un club un peu foireux, voire un peu mafieux depuis la honte de 1983 : et tout en me répétant qu’il fallait aimer ses gosses même quand ils faisaient des conneries, il m’arrivait de culpabiliser… Et voilà que j’apprends qu’Anderlecht a magouillé grave lui aussi, en avril 1984… c’est-à-dire moins de deux mois après que Roger Petit se soit fait coincer pour l’affaire Waterschei : pas couillons, les Mauves ! Cela m’a ravigoté, bouleversé le supportarisme : mon Standard n’était pas le renégat d’un football belge immaculé, il n’était qu’un pécheur parmi d’autres dans un monde footeux relativement pourri ! Ca changeait tout ! C’était comme un grand feu vert pour aimer mon club malgré ses délits, ses errements, ses faiblesses… Et j’ai repris du poil de la bête rouche !  »

On tombe pile 50 ans après le premier titre de 58 !

–  » … avant de reprendre un abonnement en 2003 : faut dire aussi que tu venais d’être limogé comme coach de Noiseux-sur-Berwette « , resitua Georgette.  » Tu te réabonnes durant quatre saisons, tu te plais, tu affirmes porter chance puisque ce sont 4 saisons stabilisatrices où les Rouches ne quittent plus le podium, tu t’offres même une troisième jeunesse en passant tes troisièmes mi-temps avec les jeunes du Hell-Side… Mais tu cesses ton abonnement en 2007 parce que le démon du coaching te reprend dans ton patelin : si bien que tu loupes aujourd’hui le match du couronnement suprême pour n’avoir pas trouvé de place, pauvre chou ! C’est injuste pour un vieux soldat comme toi…  »

–  » C’est mieux près de toi, chou, 2008 n’est pas seulement le premier titre depuis 25 ans : ça fête aussi les noces d’or du titre de 1958… et ça prépare les nôtres ! « , dit charmeusement Marcel en faisant sauter le bouchon d’un magnum vu qu’ils avaient flûté le jéroboam entier,… et en oubliant qu’il avait explosé le manche de son râteau contre le mur du potager, le jour où il avait su qu’il n’arriverait pas à se procurer une place contre Anderlecht.

–  » C’est gentil, ça, Marcel… Moi, je n’y crois toujours pas, j’ai cru qu’ils allaient gaffer dans la dernière ligne droite, comme lors du 0-0 à Roulers voici deux ans… « 

–  » Et tout au contraire, ils triomphent en abattant l’ennemi héréditaire ! « , jubila-t-il.

–  » Dis pas ça, Marcel… On peut aimer les uns sans détester les autres ! Tiens, BenJeunejean dans Foot Mag, il dit parfois qu’il est supporter d’un club idéal appelé Standerlecht, qui joue en rouge et mauve…  »

–  » Jeunejean dit des couillonnades : du Mauve dans mon Rouche, c’est comme du sucre dans mon moteur ! « , asséna Marcel.  » Mes pensées émues vont plutôt vers les supporters de longue date de Charleroi ou de l’Antwerp, sevrés d’un titre suprême depuis bien plus longtemps que nous… Finalement, ce titre, faut reconnaître que c’est d’abord celui de Luciano D’Onofrio : contre vents et marées, il a suivi un chemin ténébreux que lui seul connaissait, mais l’obscurité débouche enfin sur la lumière… que dis-je : sur l’éblouissement !  »

–  » Comme RenéVandereycken, quoi ! Sauf que René n’est pas encore au bout du processus, c’est ça ? « , s’enquit Georgette.

–  » Ça, faudra que je le voie pour le dire… Mais ce renard de Luciano, lui, nous a bien bluffés : comme tout ses rivaux, il s’excite durant des années pendant le mercato… puis il les prend tous à contre-pied en raflant le titre l’année où quasi rien n’a bougé au Standard durant l’hiver ! Comme tous ses rivaux, il constitue durant des années son armée de joueurs transférés, puis il rafle le titre avec pas mal de jeunes Belges du crû qu’on n’attendait pas de sitôt ! Et qu’est-ce que je suis content pour tous les supporters moins vieux que moi, qui n’ont jamais connu ça ! Tu sais, c’est moins facile d’être supporter aujourd’hui : faut aimer ton club sans exiger des joueurs (plus voyageurs, plus volages que de mon temps) qu’ils l’aiment autant que toi, c’est un tour de force… Tous ces plus jeunes supporters attendaient mordicus le bonheur, moi je patientais seulement jusqu’au retour du bonheur. C’était plus facile… « , footosopha Marcel, hélas en rotant car le champagne commençait à l’achever, et le rot atténua quelque peu la poésie de la réflexion…

–  » Pourvu que le juge Bellemans ne vienne pas de nouveau tout faire foirer dans les deux ans… Il vit encore celui-là ? », s’inquiéta soudain Georgette.

–  » Et pourvu que je ne doive pas à nouveau attendre 25 ans. Mais s’il le faut, j’attendrai… « , balbutia Marcel comme on balbutie un serment lorsqu’on est bourré.

–  » En 2033, tu boufferas en ma compagnie les pissenlits par la racine ! « , rigola Georgette qui avait bu sa part.

–  » En 2033, j’aurai 91 ans et je serai grabataire, ça d’accord « , concéda Marcel.  » Mais je gueulerai – Standa-a-a-rd champioo-o-on ! ! !, à Sclessin, dans ma chaise roulante ! D’ailleurs au Standard, les gars en chaise sont de gros gâtés, les joueurs sont proches, ils viennent leur faire tope-la à la fin des matches… Et les gars en chaise ont une vue du match particulière, au ras des pâquerettes, que je n’ai jamais eue à Sclessin. Je me réjouis déjà d’être abonné, bien assis dans ma chaise à moi…  »

par bernard jeunejean

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