© BELGAIMAGE - CHRISTOPHE KETELS

 » Le Standard, c’est manifestement plus qu’un problème d’entraîneur « 

Cinq mois après son départ, il revient en long, en large et en travers sur son passage compliqué au Standard. Il faut que ce soit dit !

« Impatient ? Absolument pas ! Dans ce milieu, ça va tellement vite dans les deux sens. Je ne suis pas du genre à me précipiter dans mes choix, à recommencer à travailler juste pour pouvoir dire que je recommence à travailler… Si on me fait une offre qui me dit quelque chose, je sauterai dessus. Je ne l’ai pas encore eue, je suis calme.  »

Aleksandar Jankovic est sans boulot – en tout cas sans boulot d’entraîneur – depuis la mi-avril et son départ du Standard. Pas un C4 mais une séparation de commun accord, il va l’expliquer. Alors, il voyage, il va voir des entraîneurs, des préparateurs physiques, des entraînements, des matches. Il dévore de la littérature foot.

 » Je suis souvent dans les avions. Je suis passé, par exemple, en Angleterre, en Italie, au Portugal, en Bulgarie. Et je suis régulièrement en France. C’est là que j’ai appris mon métier avec Slavo Muslin avant de passer mes diplômes en Serbie. Ce qu’on fait à Clairefontaine reste pour moi une référence. Oui, je suis de l’école française.  »

Muslin, un nom à ne pas trop prononcer du côté du Standard. Un coach trop vieux, dépassé, de l’avis presque général.  » Ah bon, il est dépassé ? Il va qualifier la Serbie pour la Coupe du Monde.  »

Sinon, Sacha est à nouveau résident serbe, belgradois. Et il fait des passages chez nous. On le retrouve dans le coeur historique de Malines entre deux piges de consultant télé : Standard – Charleroi puis Feyenoord – Manchester City. A Malines… justement parce qu’il sent qu’il y aura bientôt une place à reprendre au KaVé, le club qui a véritablement lancé sa carrière belge ?

ALEKSANDAR JANKOVIC : Absolument pas. Quand je suis en Belgique, je m’installe ici pour des raisons purement géographiques. Malines, c’est une situation centrale, je suis vite à Bruxelles, à Anvers, à Gand ou à Liège.

Mais bon, Malines est en crise, et ça tu le sais…

JANKOVIC : Non, je ne pense pas. Tu sais c’est quoi, la force de ce club ? Quand il y a des problèmes, tout ce qui se dit au club reste à l’intérieur. C’est un système fermé, c’est important. Rien ne filtre dans les moments difficiles. Pendant ma première année ici, on avait fait deux mois sans victoire mais rien n’était sorti. Après ça, on avait enchaîné avec une série de sept victoires consécutives. Parce que j’avais pu continuer à travailler tranquillement.

Tu es prêt à prolonger ton break ?

JANKOVIC : Ecoute, ce n’est pas la première fois que je m’arrête… Quand j’ai signé à Malines, je sortais d’une période de quatorze mois sans entraîner. Là, j’avais besoin de couper. J’avais combiné l’Etoile Rouge et l’équipe nationale de Serbie, ça avait été extrêmement intense. Quand je travaille, c’est sacrifice total, je ne fais rien d’autre parce que je n’ai pas le temps. A ce moment-là, je me sentais épuisé, physiquement et mentalement. J’avais besoin d’un long temps mort. Aujourd’hui, je suis à nouveau sans club et j’en profite pour faire d’autres choses. Je suis de près mon fils de 17 ans qui est à l’Etoile Rouge, il est à un moment important de son parcours. J’ai aussi une fille de 15 ans. Je passe du temps en famille. Mais au contraire de ce que je ressentais après la combinaison Etoile Rouge / équipe nationale, je ne suis pas fatigué. Physiquement, ça va. Mentalement, ça va très bien aussi. Même si je ne te cache pas que j’étais un peu épuisé psychologiquement au moment où j’ai quitté le Standard… Mais c’est plus le contexte que le travail sur le terrain qui m’a épuisé là-bas. Il y avait beaucoup de mouvements au-dessus de ma tête, beaucoup de stress et pas de résultats. Quand il y a autant de choses qui se passent dans les bureaux, le contexte n’est pas idéal pour bien bosser.

 » Si j’avais pensé au financier, je me serais fait virer du Standard, mais je ne voulais pas de ça  »

Ça pénalise un entraîneur, les tensions entre dirigeants ?

JANKOVIC : Sûr et certain. Ça ne facilite pas ton travail. De là à dire que ça a joué un rôle sur nos résultats, non, je suis toujours critique, vis-à-vis des gens avec lesquels je travaille mais aussi vis-à-vis de moi-même. Je ne me cache jamais derrière des événements périphériques pour expliquer les résultats de mon équipe. C’était simplement la réalité du Standard, je devais l’accepter.

Tu constatais les tensions ou tu les apprenais via les journaux ?

JANKOVIC : Tu sens ça ! Quand tu as un groupe de trente-cinq joueurs, il y en a forcément quelques-uns qui savent ce qui se passe au-dessus, dans les bureaux. Ils me le répercutaient. Il y avait des choses que j’entendais et d’autres que je sentais.

Tu aurais mieux fait de rester sagement à Malines. Un club sans pression…

JANKOVIC : J’étais bien dans ce club, on était tous bien. Mais j’ai toujours fonctionné à l’instinct, au feeling, au courant qui passe ou pas. Et là, quand le Standard est venu encore une fois, le feeling était super bon. J’ai été reçu par trois hommes forts qui tenaient le même discours, très clair. Bruno Venanzi, Olivier Renard et Daniel Van Buyten, c’était une même façon de voir les choses, d’envisager l’avenir du Standard. Ils avaient une force de conviction énorme et un sentiment hyper positif vis-à-vis de moi. Quand une direction te parle comme ça, quand elle paie une clause libératoire et te propose un contrat de trois ans, tu fonces. Le Standard, c’était une offre à ne pas refuser.

Ils ont payé la clause, t’ont fait signer pour trois ans et t’ont viré après moins d’une saison : tu leur as coûté cher !

JANKOVIC : Je n’ai pas été licencié, on a mis fin à mon contrat de commun accord. Donc, ils n’ont pas dû payer de prime de licenciement.

C’est ce qu’on a lu, oui… C’est la version officielle…

JANKOVIC : Mais ça s’est passé comme ça ! Si j’avais pensé uniquement à l’aspect financier, je me serais fait virer, oui. Mais je ne suis pas comme ça. Je suis un guerrier qui veut toujours tout donner pour réussir des résultats. J’ai cherché des solutions, j’ai essayé de changer plein de choses, j’ai changé des joueurs, j’ai changé de gardien, j’ai changé de capitaine, je me suis battu. Mais il arrive un moment où tu sais qu’après une seule victoire en quinze matches, tu dois partir. Une victoire en quinze matches, pour le Standard, ce n’est pas assez, point barre. Je ne voulais plus laisser traîner les choses, simplement pour prendre de l’argent. On s’est mis à table, j’ai expliqué que j’avais tout essayé, j’ai aussi expliqué qu’un gros stress s’était installé, j’ai dit que toutes ces histoires entre dirigeants avaient eu un impact sur le vestiaire. Déjà, le départ de Daniel Van Buyten en janvier avait été un signal. On a trouvé un accord, on s’est séparés. Bien séparés.

 » Je suis monté dans un train qui allait à deux cents à l’heure  »

Comment tu as vécu la rivalité entre Olivier Renard et Daniel Van Buyten ?

JANKOVIC : J’essayais de rester dans mon registre, de m’occuper uniquement de ce qui se passait en dessous de moi, pas au-dessus. Je comptais beaucoup sur le mercato de janvier, je l’avais bien préparé en diagnostiquant les problèmes, en communiquant des profils. Pour moi, ce mercato était hyper important parce que j’étais arrivé en septembre et je n’avais pas pu participer à la construction du groupe. J’étais monté dans un train qui allait à deux cents à l’heure et, de septembre à décembre, on avait deux matches pratiquement chaque semaine avec l’Europa League, donc on ne pouvait pas faire des semaines complètes d’entraînement. Et puis je devais gérer un noyau beaucoup trop large. Quand tu as une trentaine de joueurs, tu en as deux sur trois qui ne sont pas contents.

Mais le mercato de janvier a révélé une partie de l’étendue du problème, il a montré qu’à l’intérieur, les choses n’étaient pas à cent pour cent… L’affaire Ishak Belfodil a fait beaucoup de dégâts. Définitivement. Ça a cassé la dynamique du groupe. Normalement, un entraîneur n’est pas content quand un de ses bons joueurs s’en va. Mais avoir eu un gars comme Belfodil gratuitement et pouvoir le revendre pour dix ou douze millions, c’était une satisfaction pour tout le monde. Après ça, vas-y pour le reconcentrer. Belfodil n’était pas passé à côté d’un transfert en Chine, où tu vas exclusivement pour l’aspect financier. Non, il était passé à côté d’un transfert à Everton.

Cette affaire a aussi pourri votre stage en Espagne.

JANKOVIC : Oui, on a eu des agents à l’hôtel et tout ça, beaucoup d’histoires. Je n’étais pas sûr que Belfodil allait partir, je n’étais pas sûr non plus qu’il allait rester. Ça a traîné, traîné… Et puis il y a eu l’affaire Adrien Trebel. Il y a eu un long mercato d’été entre-temps mais Trebel continue à manquer au Standard.

Quand on voit ce mercato, on a l’impression que les leçons du passé n’ont pas été retenues. Le Standard continue à faire plein de mouvements pendant les derniers jours, même dans les dernières heures.

JANKOVIC : Tu me parles de leçons du passé… Quand je suis arrivé, on m’a dit que le noyau était trop important. Quand Ricardo Sa Pinto a débarqué, il a constaté exactement la même chose. C’est un problème là-bas. Tu peux toujours faire un groupe qui s’entraîne à part mais ce n’est pas tenable à long terme parce que les joueurs se croisent, se parlent, ça peut être nocif. J’appelle ça du bricolage. Et si tu gardes tout le monde, tu as beaucoup de gars qui ne sont pas concernés et ça diminue le niveau global de concentration.

Quand j’entends qu’à Charleroi par exemple, on ne veut pas faire venir trop de nouveaux joueurs pour ne pas casser la hiérarchie du vestiaire, je me dis que là-bas, on a compris. La hiérarchie, la résistance au stress, c’est primordial. C’est facile pour moi de faire le malin mais j’ai grandi dans un club où il y a énormément de stress, de pression. A l’Etoile Rouge, j’ai vécu des matches devant 110.000 fous, à l’époque où on n’avait pas encore mis des sièges partout. J’ai coaché là-bas devant 60.000 spectateurs. Tu as besoin de quoi dans ces cas-là ? Il te faut des joueurs capables de supporter la pression, ça doit être le premier critère. Et c’est difficile à trouver. Cette pression, tu la sens quand ça commence à chauffer, pas quand l’équipe gagne. Il te faut quelques joueurs capables de sortir du lot quand tu es mené 0-2, quand tout ton stade commence à se retourner contre toi. Si tu fais venir une quinzaine de gars pendant ton mercato, si tu en prends trois ou quatre le dernier jour, tu peux garantir qu’il y en a assez qui seront capables de supporter la pression ? A l’Etoile Rouge, au Standard, tu sais que tu vas la rencontrer, cette pression. Parce que ce sont des clubs plus chauds que les autres.

 » Je ne serai pas un meilleur entraîneur si je commence à cracher sur le Standard  »

Sclessin ne fait plus peur aux adversaires, il fait peur aux joueurs du Standard !

JANKOVIC : Bien sûr. Mais le stade ne guide pas l’équipe, il suit l’équipe. Il vient après. Il reflète ce que tu donnes. C’est un miroir. Quand tu commences à donner, ton stade amplifie. Si tu ne donnes rien, ton stade amplifie… le rien et ça se retourne contre toi ! Un joueur costaud, capable de jouer pour un club comme le Standard, c’est celui qui sait garder la tête froide, qui continue à être performant dans des moments pareils. C’est là que les plus grands font la différence. Est-ce qu’on tient compte de ce critère quand on choisit les joueurs ? Je n’en suis pas sûr. Quand on les présente à la presse, on dit qu’ils vont pouvoir gérer. Mais après, tu constates qu’ils n’arrivent pas à prendre leurs responsabilités sur le terrain.

Tu n’avais pas les bons profils pour ça au Standard ?

JANKOVIC : J’ai eu des moments chauds avec Belfodil, mais lui, même quand l’équipe était menée, quand ça chauffait dans les tribunes, il revenait chercher des ballons, il prenait ses responsabilités. C’est d’abord ça que je retiens de lui. La hiérarchie dans une équipe se fait dans des moments comme ça, dans les moments où l’équipe est dans la merde. Pas dans les médias, pas sur les réseaux sociaux, pas dans les soirées de supporters, pas dans le bureau du président ! Quand tu as des gars qui commencent à se cacher dès que ça chauffe, tu vois que ton équipe n’est plus performante. Tu as des joueurs qui sont soi-disant blessés, d’autres qui préfèrent ne pas jouer. Trebel aussi, il était là dans les moments chauds.

Alexander Scholz est la meilleure illustration du Standard actuel. On a l’impression qu’il vient d’un club de séries provinciales !

JANKOVIC : On ne peut pas résumer le problème à Scholz. Je ne vois pas un seul joueur qui est à son niveau depuis le début de la saison. Il n’y en a pas un qui cartonne.

Quand tu as négocié ton contrat, on t’a parlé d’unité, de patience, de projet à long terme, de stabilité, … Ce que tu as vu correspondait au projet qu’on t’avait vendu ?

JANKOVIC : Bien sûr que non. Mais quel que soit le projet, quelle que soit la stratégie, tu dois avoir des résultats, point barre. Parce que le Standard est un grand club. Les résultats, je ne les ai pas eus. Une victoire en quinze matches, évidemment, je te répète que ce n’était pas assez. Je ne me retire pas du lot. Maintenant, je ne vais pas déballer en public tout ce que j’ai vu et vécu. Ça pourrait fragiliser le club. Et je ne serai pas un meilleur entraîneur si je commence à cracher sur le Standard. Ou si je me réjouis de son début de saison raté.

 » Au haut niveau, c’est la stabilité qui fait la différence  »

Quand on voit ce qui s’est passé depuis ton départ, on se dit que ce n’était pas uniquement un problème d’entraîneur.

JANKOVIC : Oui, les résultats montrent que le problème est plus profond. Mais ça, on le savait déjà avant, il n’y a rien de nouveau.

Qu’est-ce qu’il manque pour redécoller ?

JANKOVIC : Garder une ligne de conduite, savoir encaisser les coups, ne pas s’effondrer dès que ça ne va pas. Dans le haut niveau, la stabilité fait la différence. Regarde les clubs qui se battent traditionnellement pour aller aux play-offs. Francky Dury est à Zulte Waregem depuis combien d’années ? Felice Mazzu est à Charleroi depuis quand ? Michel Preud’homme est resté combien de temps à Bruges ? Et il y serait encore s’il n’avait pas décidé de partir. Yves Vanderhaeghe dure à Ostende. Et Anderlecht a une autre forme de stabilité. Dans tous ces clubs-là, on ne parle même pas de stabilité parce que c’est supposé acquis. On ne parle pas de grinta parce que c’est supposé acquis. Au Standard, au début de cette saison, on ne parlait que de ça tous les jours dans les journaux : la grinta, la grinta. Pour moi, la grinta, c’est un outil, pas le but. Un outil super important mais il ne suffit pas de ça pour gagner des matches.

Mais là, tu parles de clubs qui ont des résultats, donc c’est normal de ne pas changer l’entraîneur !

JANKOVIC : Oui, mais tous les clubs ont des moments de flottement et ce n’est pas pour ça qu’on change le coach. Et puis, à Anderlecht par exemple, quand ça chauffe comme il y a un an, tu n’entends pas des choses sorties des couloirs, tu ne lis pas tous les jours des infos chocs qui viennent de sources soi-disant bien informées. J’en ai parlé en interne au Standard, ce n’est pas normal de donner des infos aux médias pour s’auto-protéger. Tu dois pouvoir te servir des périodes difficiles pour apprendre, progresser, avancer. Qu’est-ce que tu peux attendre d’une période où il n’y a que des victoires ? Tout le monde chante, tout le monde danse, tout le monde fait le malin, il n’y a pas d’analyse, rien. Si mon équipe mène 5-0, même moi, à 45 ans, je peux monter sur le terrain en costume cravate et commencer à faire des sprints. OK, je ne le ferai que vingt minutes puis je tomberai mort, mais je peux le faire… C’est quand tu commences à perdre que tu vois tout.

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Le jour où je suis parti, j’ai dit à Bruno Venanzi et Olivier Renard que toutes ces histoires entre dirigeants avaient eu un impact sur le vestiaire.  » – Aleksandar Jankovic

 » Au Standard, c’est plus le contexte que le travail sur le terrain qui m’a épuisé.  » – Aleksandar Jankovic

 » Quand tu commences à donner, ton stade amplifie. Si tu ne donnes rien, ton stade amplifie… le rien et ça se retourne contre toi !  » – Aleksandar Jankovic

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire