LE SPRINTER

Boonen est attiré par les sprints massifs au Tour. Museeuw est pour :  » Il se consacrera aux classiques plus tard « .

Weingarten, au sud de l’Allemagne. C’est là que nous rencontrons le coming man du cyclisme belge et le meilleur spécialiste des classiques de sa génération, qui a mis fin à sa carrière le 14 avril, au GP de l’Escaut. Ce jour-là, Tom Boonen (23 ans) vient de remporter sa dixième victoire de la saison, dans un sprint massif. Il n’a pas eu le temps de se reposer mais il réserve davantage de temps à l’interview et à la prise de photos que Johan Museeuw (38 ans). Nous avons parcouru 750 kilomètres pour le voir mais il mesure son temps avec parcimonie. Quand Boonen apprend que nous repartons en Belgique le soir même, parce qu’un autre reportage nous y attend le lendemain, il nous offre le bouquet qu’il vient de recevoir sur le podium :  » Pour faire plaisir à votre femme « …

Quick Step-Davitamon considère Tom Boonen comme le successeur de Johan Museeuw mais il n’est pas un nouveau Museeuw. Il devra remporter encore beaucoup de titres pour égaler le palmarès du Lion des Flandres.

Quand le coureur Tom Boonen vous a-t-il tapé dans l’£il ?

Johan Museeuw : A la Classic Haribo, le 24 février 2002. Il avait terminé sixième. J’avais entendu parler de lui sans jamais avoir roulé en sa compagnie. Pendant une heure, je suis resté dans sa roue sans qu’il bronche. J’ai observé sa position sur le vélo et son coup de pédale. Cela m’a suffi. Mon instinct m’a soufflé qu’il avait un potentiel.

Après Paris-Roubaix 2002, vous l’avez bombardé  » nouveau Museeuw « …

Museeuw : Je n’ai jamais dit ça. La presse a mal retranscrit mes propos. J’ai dit : – Un jour, il prendra ma place. C’est quand même différent. Tom a les qualités requises pour gagner les mêmes courses que moi, mais de là à effectuer des comparaisons, non ! Les gens recherchent des similitudes parce que j’arrête au moment où il gagne de grandes courses mais cela ne signifie pas qu’il est le nouveau Museeuw. Je sais d’ailleurs qu’il n’aime pas qu’on l’appelle ainsi.

Tom Boonen : Je ne m’impose pas comme Johan non plus. Je gagne au sprint alors qu’il prenait trois minutes d’avance à Paris-Roubaix. Je suis plutôt un sprinter alors que Johan était un spécialiste des classiques. La comparaison n’est donc pas fondée, même si être cité dans la même phrase que Museeuw constitue un honneur.

La présence de Johan Museeuw a constitué un argument décisif dans votre décision de quitter US Postal pour Quick Step-Davitamon, non ?

Boonen : Pour apprendre au contact de Johan et non pour être comparé à lui. Je suis très heureux que nous soyons parvenus à surmonter les nombreux obstacles qui jonchaient ma route et que j’aie pu signer. Ce transfert a donné un coup d’accélérateur à ma carrière. Je suis convaincu que sans ça, je ne serais pas où je suis.

Que vous appris Johan ?

Boonen : Des détails qui font la différence entre un bon coureur et un vrai professionnel. Johan ne dira jamais : -Tu dois faire ceci ou cela. J’ai beaucoup appris en l’observant en course. Il restait toujours calme, grâce à son expérience et à sa vista. Il ne réagissait jamais rapidement ou nerveusement à une échappée. J’ai constaté qu’en général, tout finit par s’arranger. Conserver son calme est la principale leçon que j’ai retenue de Johan.

Museeuw : Je sais ce qu’un jeune ressent quand il débarque dans une grande formation. Quand j’étais chez ADR, Eddy Planckaert a gagné le Tour des Flandres et le maillot vert du Tour de France qu’a remporté Greg LeMond. Je trouvais fantastique l’accueil que ces grands coureurs, comme le directeur sportif, José De Cauwer, m’avaient réservé. Je veux les imiter mais je ne le fais pas depuis ma retraite ni l’année dernière. J’ai commencé il y a plusieurs saisons. Il faut insuffler confiance aux jeunes pour qu’ils s’intègrent immédiatement. Si je dois expliquer quelque chose de temps en temps, je le ferai mais, comme Tom l’a dit, je ne parle pas beaucoup. On apprend en observant.

 » Le calme de Tom, c’est bon signe  »

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le coureur et l’homme Tom Boonen ?

Museeuw : Son calme, malgré son jeune âge. Il reste cool. Il a toutefois besoin d’être entouré et soutenu sans réticence. Ce n’est pas quand il gagne que ce soutien est nécessaire. Il doit pouvoir s’appuyer sur nous dans les moins bons moments, et il y en aura certainement.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le coureur et l’homme Johan Museeuw, Tom ?

Boonen : Gamin, quand j’allumais la télévision, je voyais Museeuw se battre pour la victoire. Je suivais ses performances avec un énorme intérêt. Quand vous devenez vous-même professionnel, ça devient inévitablement une forme de profond respect. Je viens de rouler aux côtés de Jan Ullrich. Il m’inspire le même sentiment. C’est l’apanage de quelques coureurs seulement.

En Johan, les qualités du coureur et de l’homme sont très semblables. Il a le même rayonnement dans la vie de tous les jours que sur son vélo. Il ne prononce pas un mot plus haut que l’autre mais quand il a une conviction, il parvient généralement à l’imposer. Je peux difficilement expliquer ce que j’apprécie tant en lui.

Sans Johan Museeuw dans l’équipe et le peloton, les courses sont-elles différentes ?

Boonen : On ne le remarque pas trop dans les courses qui figurent au programme actuel mais ce sera différent dans les classiques : nous avons perdu un leader, un fer de lance. Cependant, nous ne devons pas le regretter car il ne nous a pas quittés.

Vous trouvez que c’est important ?

Boonen : Oui, y compris pour lui. Sinon, il serait tombé dans un trou noir.

Est-ce exact ?

Museeuw : Le cyclisme est trop beau pour que je le quitte. Il serait dommage de ne pas transmettre mon expérience. Patrick Lefevere me permet de choisir la nature de mes occupations. C’est une chance. Je peux apprendre ce que représentent le job de directeur sportif et celui de relations publiques.

Savez-vous déjà dans quelle voie vous allez vous orienter ?

Museeuw : Le problème, c’est que tout me plaît ! Pendant le Tour, je vais aussi travailler pour Sporza, la chaîne flamande de sport. Je ne veux pas me focaliser sur une seule fonction. Je n’ai pas l’ambition de devenir premier directeur sportif. Pendant 18 ans, j’ai pris mes responsabilités. Maintenant, tant mieux si elles sont moindres.

Quelle fonction lui conviendrait le mieux, Tom ?

Boonen : Il peut peut-être devenir soigneur ! (Il rit). Non, sérieusement : c’est à lui de décider. Il est difficile de cataloguer Johan mais je n’imaginais pas que le poste de RP lui conviendrait car il n’appréciait pas tellement les contacts avec la presse…

Museeuw : Avant, on avait deux journaux et une chaîne TV. Et maintenant ? Il faut sans cesse raconter la même chose à un nombre incroyablement élevé de journalistes. Et tout le monde veut parler à Tom Boonen. Les gens de la presse ne tiennent pas compte de l’entraînement, du repos, du fait que vous souhaitez aussi consacrer un peu de temps à votre femme et à votre famille. En 1996, j’ai déclaré : – Je ne veux plus qu’on décide pour moi, je vais mener ma propre vie. Ce fut une décision importante. Il faut protéger les gens qui sont appréciés, comme Tom. Pour certains coureurs, être dans les journaux constitue une priorité. Pas pour moi. Permettez-nous d’être prudents avec Tom afin que la Belgique puisse longtemps applaudir ses performances.

Vous avez obtenu vos premières victoires comme sprinter, avant de devenir un spécialiste des classiques. Pensez-vous que Tom va connaître la même évolution ?

Museeuw : Tom restera un sprinter, mais à l’avenir, il se consacrera davantage aux classiques. Il serait cependant dommage de renoncer maintenant à toutes ces victoires dans des courses par étapes. Peter Van Petegem n’a rien gagné cette année, hein ! Se préparer exclusivement en fonction des classiques comporte un risque. Si vous êtes confronté à la malchance ou à la maladie, vous restez les mains vides. L’heure de Tom n’est pas encore venue. N’oubliez pas qu’il n’a encore que 23 ans alors qu’un coureur n’atteint la plénitude de ses moyens qu’à 27 ou 28 ans. Il a encore le temps de se consacrer aux classiques, donc, d’autant que cette transition ne requiert pas une longue période d’adaptation : il s’agit seulement de s’épargner, de se retenir, de participer moins souvent aux sprints massifs.

 » Pour bien sprinter, travailler dur ne suffit pas  »

Y a-t-il une différence entre l’entraînement pour gagner un sprint massif ou briller dans les classiques ?

Boonen : J’ai toujours eu l’explosivité requise pour gagner un sprint mais encore faut-il l’utiliser. L’année dernière, en préparant la Vuelta, puis cet hiver, je l’ai travaillée davantage, en effectuant des intervalles. Dans le passé, sous l’influence de Ludo Dierckxsens et de quelques autres coureurs de la région, j’ai trop souvent commis l’erreur de m’entraîner le plus longtemps et le plus dur possible, ce qui nuit à la vitesse. La saison dernière a été épuisante. Elle m’a endurci. A mon âge, on doit théoriquement progresser chaque année. Ma préparation a été bonne. La réunion de toutes ces facettes m’a permis d’effectuer un pas en avant et de tirer mon épingle du jeu dans les sprints. J’ai trouvé l’entraînement qui me convenait le mieux. J’espère pouvoir recueillir des succès dans les grandes classiques d’ici quelques années.

Que représente le fait de courir le Tour pour Tom ?

Boonen : Le temps est venu. Ne pas courir le Tour serait stupide.

Museeuw : Cela aurait été dommage, en tout cas. Si tout se met bien en place, si Tom choisit la bonne position et conserve sa condition physique, il peut battre Alessandro Petacchi. Fred Rodriguez et Robbie McEwen y sont parvenus au Giro, donc Tom en est capable. Si, la dernière semaine, il sent qu’il n’en peut vraiment plus, il pourra abandonner. A 23 ans, quitter le Tour prématurément n’a rien de honteux.

Vous dites que si Rodriguez et McEwen en sont capables, Tom l’est certainement. Est-il donc plus rapide que ces deux coureurs ?

Museeuw : Il l’a déjà prouvé…

Boonen : McEwen ne m’a pas encore battu cette année…

Museeuw : Tom n’a pas perdu beaucoup de sprints.

La question est de savoir s’il peut battre un Petacchi qui semble invincible ?

Boonen : Ce n’est qu’une apparence (il sourit) !

Museeuw : Le niveau du Giro n’est pas comparable à celui du Tour.

Boonen : Les gens que Petacchi a laissés derrière en Italie ne m’ont pas battu non plus. Je suis sûr à 100 % de pouvoir battre Petacchi. A 100 %. Il ne faut pas se focaliser sur le Giro. Quand, dans les derniers kilomètres, Fassa Bortolo prenait la tête, les autres s’inclinaient sans broncher.

Le train de Fassa Bortolo est impressionnant, il faut dire.

Boonen : Nous ne l’avons pas mais ce n’est pas le but non plus. Je me rends au Tour pour tenter de gagner une étape alors que lui en vise plusieurs. Nous avons quand même Paolo Bettini et Stefano Zanini, qui peuvent m’amener aux côtés de Petacchi. Si nous pouvons démarrer à la même hauteur, le meilleur gagnera.

Vous n’allez pas prendre la roue de Petacchi ?

Boonen : Non, ce stress… McEwen, par exemple, est un autre type de sprinter que moi. Il choisit la roue et tente encore de passer à 50 mètres de l’arrivée si le coureur de tête lève un peu le pied. Petacchi et moi sommes à peu près les mêmes : nous essayons de partir à temps et d’économiser nos forces le plus longtemps possible. Je préfère donc partir en même temps, voire un rien plus tôt.

Pendant le Tour de Belgique, vous vous êtes imposé comme patron en prenant l’initiative de faire grève. Certains n’ont pas apprécié…

Boonen : On a sorti l’affaire de son contexte. Le problème n’était pas que je sois ou non en mesure de jouer le patron ou que j’aie ou non le droit de neutraliser le Tour de Belgique. Il s’agissait d’un manque de sécurité. Or, le cyclisme a de plus en plus tendance à choisir des circuits dangereux. On choisit une étroite rue pavée alors qu’à côté, il y a un ring de sept mètres de large et ce, dans une course qui risque de tourner au sprint massif,à 80 %. Ce passage au Carrefour de l’Arbre, au Tour, n’a absolument aucun sens. Ce tronçon n’aura aucune influence sur le résultat mais des coureurs vont compromettre leurs chances en chutant.

Johan vous a donné son porte-bonheur, un chapelet qu’il portait toujours quand il courait. L’avez-vous toujours sur vous ?

Boonen : : Au début, je ne savais pas trop qu’en faire. Je ne suis pas superstitieux et je n’avais pas envie de le devenir. Je ne l’emporte pas en course mais il reste dans ma trousse de toilette. Sachant ce que ce chapelet représentait pour Johan, ce serait un péché de le faire disparaître complètement de la course.

Roel Van den Broeck

 » Se débarrasser du CHAPELET DE JOHAN constituerait un péché  » (Boonen)

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