« Le sport est une métaphore du business »

Loin des feux de la rampe, il a réussi sa reconversion en mettant son expérience au service des entreprises.

Une superbe fermette en pierres du pays se dresse, au bord de la Meuse, au coeur de l’Ardenne. C’est là, à Hastière, que Robert Van de Walle a entamé sa reconversion, en 1985. Son Centre de Ressourcement est connu dans le monde entier. Récemment, il a tenu des séminaires à Dubai et en Finlande.

L’ancien champion olympique a troqué le kimono contre le costume-cravate mais il n’a guère changé. Le Van de Walle version 2001 est rayonnant, épanoui. A 47 ans, il s’est quelque peu départi de la fougue qui le caractérisait lorsqu’il écumait les tatamis et s’est défait de ses propos fracassants.

Sa vie n’a pas subi de hiatus déplaisant. Il s’est lancé dans le deuxième volet de son existence avec l’acharnement qui le caractérise. Pour renouer avec un vieil ami, le succès.

Tout le monde a entendu parler du centre de Van de Walle, sans trop savoir ce que c’est.

Robert Van de Walle : Il ne s’agit pas de fitness, de stages de survie ni d’aventures. Avec mes collaborateurs, des spécialistes, nous organisons des stages de ressourcement à l’intention des entreprises. Pendant plusieurs jours, les clients vivent ensemble et sont confrontés à des missions. Ils opèrent un retour à la nature, ils se retrouvent et redécouvrent leurs compagnons de travail, dans un cadre différent. Les activités sont accessibles à tous, hommes et femmes. Elles sont pratiques et suivies de discussions, individuelles et collectives. Nous formons une équipe. Nous discutons ensemble du positif comme du négatif. Nous analysons chaque activité, nous donnons notre avis et nous fixons d’autres tâches. Au terme du stage, ressourcés, les participants repartent avec des objectifs concrets, individuels et collectifs. Toutefois, replongés dans leur milieu, ils se laissent à nouveau influencer, d’où l’idée de les revoir cent jours plus tard, « pour ranimer la flamme et dresser un bilan. »

Quel genre d’activités proposez-vous?

Elles varient et je ne voudrais pas en épingler une en particulier. Ce sont des outils ludiques, pleins de surprises. Davantage que l’activité, c’est ce qu’on en retire et qu’on peut transférer qui importe. Je place les gens devant des missions. Ils peuvent ainsi découvrir leur réaction.

Quel rapport avec le judo?

Le sport est une métaphore du business. Le principe du judo, c’est un minimum d’efforts pour un maximum d’efficacité du corps et de l’esprit. Pendant mes préparations aux Jeux Olympiques, j’ai appris à maîtriser les techniques essentielles de motivation, de gestion du stress et d’épanouissement.

Quel type de sociétés sont intéressées? Pourquoi les gens doivent-ils se ressourcer?

Je me rends dans les entreprises, des PME aux multinationales, pour analyser leurs besoins et leur proposer un programme adapté. Celui-ci s’adresse aussi bien aux directeurs qu’aux cadres ou aux ouvriers. Mon activité a largement dépassé les frontières belges. Si le programme est à la carte, il suit un fil rouge : mens sana in corpore sano. A l’heure actuelle, les gens travaillent beaucoup, de plus en plus vite, les moyens de communication ont progressé mais peut-être au détriment de la qualité de cette communication. Accablés par les responsabilités, les gens nouent moins de contacts et ont tendance à se recroqueviller sur leurs problèmes. Selon qu’il est motivé ou pas, un vendeur a une influence considérable sur la qualité d’un produit. Un directeur angoissé ou démotivé est moins efficace qu’un patron épanoui. Des équipes qui fonctionnent bien mais qui veulent que ça continue font aussi appel à nous mais je précise que ce n’est pas pour s’amuser. Nous faisons vivre une expérience aux gens. Nos clients en tirent leurs conclusions tant pour leur vie personnelle que pour leur activité professionnelle. Nous travaillons l’individu dans son intégralité: son corps, son esprit, son coeur. Ils vivent une expérience individuelle et collective.

Vous n’avez pas trouvé votre voie sans hésitations. Vous êtes un self-made man, parti de rien. A dix-huit ans, vous avez quitté votre domicile pour travailler aux hauts-fourneaux du bassin sidérurgique liégeois afin de financer votre premier stage au Japon.

C’est parce que j’ai toujours voulu aller au bout des choses, faire des choix profonds. Une fois ceux-ci faits, je fonce. Mais je ne peux m’impliquer que dans des projets qui me séduisent, sans réticence, dans lesquels je sens que je peux réellement apporter quelque chose aux autres.

Vous êtes finalement parvenu à exploiter les connaissances, mais surtout les expériences accumulées durant votre carrière sportive.

C’était très important pour moi. Au lieu de refermer le livre, j’y ai en quelque sorte ajouté d’autres chapitres. J’ai évolué mais toutes les expériences vécues dans le sport m’ont rendu plus fort. Elles m’ont confronté avec moi-même comme les cadres le sont avec eux-mêmes dans leur travail. Ils ont des défis à relever comme moi lorsque je préparais les Jeux, que je revenais de blessure, que j’essuyais un échec. Ma préparation était autant mentale que physique. J’ai expérimenté des techniques essentielles en matière d’épanouissement, de gestion du stress, de motivation, d’esprit d’équipe constructif. Transmettre tout ça est merveilleux.

Vous avez géré un centre de fitness.

Ce n’était pas mon truc. C’est trop superficiel. Je m’entraînais six ou sept heures par jour mais je voyais des jeunes filles venir une demi-heure puis filer au sauna et passer deux heures au bar. C’est la mode. Mais moi, je veux faire un travail sérieux, profond. En vingt ans, mon centre a beaucoup évolué et il y a encore beaucoup à faire. Il ne faut jamais faire du sur-place.

Vous avez effectué un bref passage à Lokeren mais le football ne correspondait pas non plus à votre attente.

A cette époque, les joueurs avaient des problèmes. Ils n’avaient pas reçu ce qu’on leur avait promis et les conditions de travail n’étaient pas idéales. Il y a beaucoup à faire dans beaucoup de sports. Le football a ses méthodes. Se pose-t-il des questions? C’est aux joueurs et entraîneurs de voir ce qui leur manque ou pas. Peut-être doivent-ils en effet moins courir si leur technique est au point mais s’ils craquent dans le dernier quart d’heure, ils doivent se demander pourquoi. Exercer la condition physique n’est pas difficile mais le problème se situe ailleurs: dans la volonté.

Pratiquez-vous toujours du sport? Vous avez toujours dit que vous préféreriez mourir que de renoncer au judo.

Je fais du vélo et de la voile. J’ai continué le judo mais je ne le pratique plus six heures par jour. J’ai longtemps continué de suivre les entraînements nationaux mais je dois avouer qu’on ne m’y a plus vu depuis un moment. Il y a beaucoup de jeunes et je ne trouve pas de partenaires de mon poids. J’ai été opéré du ménisque il y a six mois et la guérison est lente, surtout que ce n’était pas le premier traumatisme subi par ce genou.

Durant votre carrière, vous vous êtes régulièrement exilé au Japon. Votre premier séjour y a d’ailleurs été mémorable. C’était un univers concentrationnaire. Vous avez eu faim, froid, vous avez souffert.

Cette expérience date de 1972. Même s’il reste une île, le Japon a évolué. Les écoles ont changé également. La société japonaise s’est installée dans le confort comme la nôtre et les jeunes ne sont plus des samouraïs. Ils ont le cinéma et le GSM comme nous et ne manquent pas d’argent. Il est difficile d’être dur quand tout ce qui vous entoure vous incite au confort. Suivre un régime quand vous n’avez rien à manger est plus facile. Le judo reste toutefois utilisé comme moyen d’éducation et à ce titre, il est très dur. L’éducation des jeunes y est plus importante que l’aspect sportif.

Le Japon vous a fasciné, puisque vous avez continué à vous y rendre.

C’est simple, dans ma catégorie de poids, – 95 kg, je n’avais pas d’adversaire valable en Belgique alors qu’ils ne manquaient pas en Asie. De toute façon, j’avais mes méthodes de préparation et je ne m’intégrais pas aisément dans un groupe. Ceci dit, mon raisonnement vaut pour les poids lourds actuels. Ici, ils ne sont que deux ou trois, au Japon, il y en a trois cents. Les judokas de cent kilos doivent donc se tourner vers la Russie ou le Japon. Ici, ce n’est pas assez dur pour eux. Seulement, voilà, en Belgique, ils ont leur femme, leur vélo, leur salle de judo, leur fitness. Je leur répondrais: le vélo, c’est du cyclotourisme et le fitness ne sert à rien, il faut faire du power-training, soulever des poids lourds.

Y a-t-il encore des promesses en judo?

Certainement. Il suffit de voir Ann Simons, qui a obtenu une médaille aux Jeux alors qu’elle est étudiante.

Les jeunes actuels ne manquent-ils pas de caractère?

Ce n’est sans doute plus comme il y a dix ans, sans vouloir jouer les anciens combattants. Les sportifs sont mieux encadrés, mieux soutenus. Tous les ingrédients du succès sont réunis. C’est maintenant ou jamais. Il ne faut pas oublier que la plupart des jeunes poursuivent des études et que la combinaison des deux n’est pas évidente.

Malgré tout, il manque toujours un petit quelque chose…

A Sydney, les Belges figuraient presque partout dans les dix meilleurs de leur discipline mais ils ont rarement atteint le podium. Ont-ils un complexe? C’est une question de mental, à moins qu’ils n’aient pas été à 100%. Les Belges ont la réputation d’être des travailleurs. Idéalement, il faudrait une structure claire, dépourvue de compromis. Nous ne manquons pas de talents, en judo, en triathlon et dans d’autres sports comme le cyclisme. Mais pour qu’un athlète obtienne une médaille, il doit la vouloir à tout prix. Tout le monde autour de lui doit la vouloir. Il faut une culture sportive, plus de chauvinisme.

Dans leur tête, la plupart n’avaient-ils pas déjà atteint leur objectif en se qualifiant pour Sydney?

Ce n’est pas là que ça se joue. La préparation doit être dépourvue de failles. Ce n’est que dans ces conditions qu’un sportif est sûr de lui. Ce que Gella Vandecaveye a réalisé malgré sa grave blessure est superbe.

Ulla Werbrouck n’a-t-elle pas pâti de l’éviction de Jean-Marie Dedecker?

Elle ne doit pas se laisser influencer. Ceci dit, la Belgique peut-elle passer quatre ans sans disputes? Ça n’arrête pas: entre les Wallons et les Flamands, entre les sportifs et les ligues ou le COIB, etc.

Le judo apporte une contribution appréciable en la matière!

Oh, c’est humain. Mais ces discussions ne sont-elles pas hypermédiatisées? Il ne faut pas oublier que les judokas sont des gens rudes. Nous pratiquons un sport de combat, après tout. Nous pouvons nous jeter au tapis mais après, c’est oublié. D’ailleurs, en cas de problèmes, nous faisons bloc. Je trouve que le football est parfois plus faux, plus vicieux tout en étant un sport génial.

Vous-même n’avez pas été avare en déclarations tonitruantes. Vous avez été plutôt divertissant.

C’est vrai, j’ai parfois dit n’importe quoi. C’était dû à un manque d’expérience et de maturité. J’ai réagi à vif, dans le feu de l’action. Mais un sportif doit rayonner quelque chose de juste, se rattacher au mythe sportif. Ces déclarations ne doivent pas dissimuler tous les sacrifices consentis pour gagner une médaille. Selon moi, un sportif doit se comporter comme tel dans la vie aussi: par exemple, pas question de fumer. Le sport requiert une discipline de fer, beaucoup de caractère, de volonté. Il faut savoir souffrir, se préparer selon les méthodes qui vous conviennent le mieux. Ça implique une certaine introspection. Lorsqu’on a trouvé la préparation idéale, il faut foncer, sans avoir peur de consentir des sacrifices. Il n’y a pas de compromis possible. Par contre, il faut se remettre en question si on veut continuer à progresser et ne pas se laisser dépasser par ses concurrents. La réussite passe par une concentration totale, un acharnement de tous les instants. Un champion ne se laisse pas arrêter par le système ni par les difficultés, au contraire. Un champion doit aussi apprendre à assumer un échec, comme un manager d’entreprise. Mon retour à Séoul, quatre ans après Los Angeles, a été fantastique. C’est ça, l’essence du sport, pas les déclarations fracassantes. Le sport de haut niveau n’est pas toujours utilisé à bon escient. Le dopage, le sensationnalisme ne sont pas des valeurs humaines. Il faut déplacer le débat: qu’est-ce qu’un grand sportif, comment le devient-on, pourquoi? Qu’apporte le sport, où va-t-on puiser cette énergie? J’aimerais que lorsqu’un étudiant lit un article, il y trouve un message, une réponse, et pas l’étalage public de luttes intestines.

En 1992, vous avez tenu des propos assez durs à l’égard du COIB.

J’avais été blessé à plusieurs reprises et les dirigeants craignaient pour ma santé. Les temps ont changé, ne l’oubliez pas. Moi, j’ai toujours dû me battre car les structures n’étaient pas encore professionnelles. A la fin de ma carrière, le COIB vivait une phase de transition. Je me suis battu pour des tas de choses nécessaires et je pratiquais un sport individuel. Occupé par ma préparation, les stages et les servitudes qu’ils engendrent, je ne discernais pas le contexte, je ne comprenais pas les craintes des autres.

Vous vous êtes retranché dans un certain anonymat mais même lorsque vous étiez à l’apogée de votre carrière sportive, Ingrid Berghmans était plus médiatisée.

En Belgique, le judo masculin s’efface devant beaucoup d’autres sports: le football, le cyclisme, le basket, etc. Le judo féminin n’est pas confronté à cette concurrence: il n’y a pas de grandes cyclistes ni de joueuses de basket ou de foot célèbres. Dès qu’une sportive émerge à un tel niveau, elle attire l’attention. Moi, je passais mon temps au Japon. A mes yeux, ce genre de choses n’est pas nécessaire. Je préfère adopter un profil bas. Pour commencer, j’ai peu de temps et ça ne m’amuse pas. J’ai souvent été déçu des articles, de leur contenu. Moi, je veux qu’ils servent aux autres, qu’ils leur permettent de réfléchir. Mon ego n’a pas besoin de publicité. Je sais ce que je suis, je me connais. J’aime les réflexions profondes et elles s’accommodent rarement de raccourcis.

Pascale Piérard

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