Le spécialiste

Vanhoudt, l’homme qui compte double en Coupe Davis.

Olivier Rochus battu par Hicham Arazi et Xavier Malisse défait par Younès El Aynaoui dès le premier jour de la compétition, le match de barrage qui a opposé le week-end dernier la Belgique au Maroc au Country Hall du Sart Tilman obligea très tôt la Belgique à un match poursuite d’une incroyable intensité.

C’est le double disputé le samedi qui permit tout d’abord aux hommes de Steven Martens de reprendre espoir. Un double pendant lequel Tom Vanhoudt, seul spécialiste en la matière en Belgique puisqu’il ne dispute plus les tournois de simple depuis fin 1997, s’était révélé déterminant aux côtés d’un Christophe Rochus, excellent lui aussi contre la paire El Aynaoui-Alami.

Le maître et l’élève avaient fait leur boulot, à savoir remporter (en cinq sets) un exercice qui n’avait guère réussi à l’équipe belge ces dix dernières années. Il restait toutefois encore du chemin à parcourir. Démoralisé par sa défaite du premier jour, Malisse sut brillamment se ressaisir le dimanche pour battre Arazi au terme d’un match en quatre manches palpitant. Restait à Christophe Rochus à apporter le dernier point, celui qui aurait permis à la Belgique de rester dans le groupe mondial en 2001. Las! Malgré un état de fatigue évident, El Aynaoui parvint à crucifier son adversaire au moment même où celui-ci semblait relever la tête.

Dans le camp belge, la déception fut énorme. La Belgique évoluera l’année prochaine dans le groupe 1 de la zone euro-africaine, soit l’équivalent de la division 2 en Coupe Davis. Si les adversaires y sont moins redoutables que dans le groupe mondial, la tension y est parfois tout aussi forte.

« J’ai fait correctement mon boulot », se disait Vanhoudt. « Même si ce n’était pas mon meilleur match de l’année. Je n’ai pas super bien servi mais j’ai occupé beaucoup de terrain. J’ai aussi très bien volleyé dans les deux premiers sets ».

Surtout, vous avez été d’une aide appréciable pour Christophe Rochus, lequel disputait son troisième match de double seulement depuis le début de l’année.

Tom Vanhoudt: J’ai retiré un peu de fierté de le voir jouer aussi bien, je l’avoue, mais cela faisait partie de mon boulot. Christophe et moi avons été vraiment complémentaires. C’est dû aux entraînements spécifiques que nous avions eus tout au long de la semaine avec des sparring-partners tels que Wim Neefs, Dick Norman et Gilles Elseneer. Nous avons fait énormément de doubles pour nous mettre en situations réelles. Dès le lundi, tout le monde savait à quoi s’en tenir, les joueurs de simple comme ceux du double. Je suis évidemment très heureux que Steven Martens, le capitaine, revalorise le double.

Quel jugement portez-vous sur Christophe Rochus?

C’est un joueur très talentueux qui apprend vite. Lors de nos deux précédentes expériences en Coupe Davis, en Italie et à Gand contre la France, il s’était trop attelé à garder son couloir. Dès le début de la préparation, nous lui avons montré comment se positionner sur le court. Il l’a dit lui-même après coup: grâce à ce repositionnement, il est allé chercher des balles qu’il ne pouvait atteindre auparavant. Je ne l’avais jamais vu aussi bien volleyer que contre El Aynaoui et Alami.

Pouvez-vous mieux jouer à deux?

Pas mieux que lors des deux premiers sets car il ne faut pas oublier que nous ne jouons ensemble qu’une ou deux fois par an, pas plus. Bien sûr, chacun peut continuer à s’améliorer individuellement.

Pas évident de doubler

La vie sur le circuit de double, est-ce la galère?

Non. Ce fut le cas lorsque je n’avais pas de partenaire fixe. Chaque dimanche matin, il fallait toujours chercher quelqu’un qui voulait bien jouer avec moi et ça, c’était vraiment pénible. Depuis deux ans, je joue avec Chris Haggard, le Sud-Africain. Mais à l’époque, j’arrivais sur un tournoi et j’essayais de trouver quelqu’un sur place. Je passais parfois via l’ATP qui recueillait les demandes de joueurs isolés. C’était toujours une décision de dernière minute. Ce qui était loin d’être idéal. Au stress d’avant tournoi s’ajoutait celui de trouver un partenaire valable qui vous permettait d’entrer dans le tableau.

Vous est-il déjà arrivé de ne pas trouver de compagnon de jeu?

Quelquefois, oui, mais cela ne m’est plus arrivé depuis très longtemps. C’était à l’époque où les tournois de double avaient encore leurs propres qualifications. Je ne me souviens plus trop des endroits où cela s’est produit mais je n’étais pas encore classé dans le Top 100 mondial.

Ce genre de situation arrive-t-elle encore à d’autres joueurs aujourd’hui?

Oui. Au début de la saison, à Adélaïde, une dizaine de joueurs sont restés sur le carreau. Ils ont fait le voyage en Australie pour rien!

Combien un joueur de double gagne-t-il par rapport à un joueur de simple?

Le prize-money d’un tableau de double représente en général un quart du prize-money total d’un tournoi et, en plus, les joueurs de double doivent se partager la somme en deux. Ce qui veut dire qu’un joueur de double gagne à peu près un huitième d’un joueur qui a fait un résultat équivalent en simple.

Vivre du double

Peut-on vivre aujourd’hui du double, et de lui uniquement?

Oui, à condition d’être dans les 70 premiers mondiaux. Quand je voguais aux environs de la centième place, je me retrouvais en situation de parfait équilibre.

Combien avez-vous gagné en 2000?

Environ 4,5 millions de francs. Il s’agit de revenus bruts desquels il faut retirer 25% de taxes en moyenne. Sans compter les voyages que je supporte seul puisque je ne perçois aucune aide. Une seule fois dans ma carrière, j’ai reçu une bourse. Elle émanait de la VTV et j’avais 18-19 ans…

On sait que vous êtes venu au double suite à une blessure.

C’était en 1996, vers la fin du mois de juillet. Alors que je commençais à bien jouer en simple, j’ai eu des problèmes à l’épaule. Je me souviens qu’ils étaient survenus durant le deuxième match que j’avais dû disputer sur la même journée lors d’interclubs en Allemagne. Je m’en rappelle fort bien car c’est arrivé le jour de mon 24e anniversaire. Pendant longtemps, j’ai hésité à me faire opérer. C’était une légère déchirure au niveau de la clavicule. Le jour-même, j’ai continué à jouer. Le lendemain, je ne pouvais plus bouger. J’ai réessayé de jouer en septembre. Mon épaule tenait un jour mais plus jamais le lendemain.

Pourquoi ne pas avoir choisi l’opération?

J’avais peur car les avis divergeaient. Certains spécialistes me disaient qu’il fallait passer sur le billard sans plus attendre, d’autres me conseillaient de renforcer l’épaule. J’ai choisi cette deuxième solution. Aujourd’hui encore, j’emmène toujours avec moi un élastique grâce auquel j’effectue des exercices de compensation. Chaque année, ça va mieux.

Une épaule délivrée

Quand avez-vous repris la compétition?

En février 1997. J’ai fait deux satellites et plein de challengers. Je jouais très bien en simple. Tandis que j’étais redescendu à la 700e place au classement ATP, j’étais remonté aux alentours de la 320e place. En double, en faisant les qualifs des challengers, j’avais gagné sept tournois et à chaque fois avec des partenaires différents. Je me suis retrouvé dans le Top 100 du double sans vraiment rien faire de spécial pour y parvenir. Là, je me suis dit qu’à 25 ans, il était temps de considérer l’aspect financier. Grâce à mon classement, j’ai réussi à entrer directement dans le tableau de l’US Open. Un Grand Chelem en double rapporte 3.000 dollars (135.000 francs) pour une défaite au premier tour. Le pas a été franchi à partir de là.

Pendant vos blessures, avez-vous pensé tout arrêter?

Durant les mois sans jouer, j’étais vraiment au plus mal. Je ne savais pas quoi faire et l’idée de tout plaquer m’a traversé l’esprit.

Si c’était à refaire, que feriez-vous?

La même chose, je crois. L’opération pouvait être évitée. Aujourd’hui, c’est plutôt le coude qui me pose quelques petits soucis mais je peux servir presque normalement. Mais dernièrement, à l’US Open, avec le Suédois Frederiksson, nous avons été éliminés par la paire Kafelknikov-Vacek au deuxième tour.

J’ai toujours aimé combiner simple et double. En Belgique, j’ai longtemps joué avec Filip Dewulf. On se marrait bien. L’ambiance est plus relâchée qu’en simple, on peut rigoler avec son partenaire.

Moins drôle

Et quand le double est devenu votre seule raison de vivre?

Tout a changé. Les choses sont devenues plus sérieuses et parfois, franchement moins gaies. Mais je crois que c’est normal.

Le jeu du double n’est-il pas parfois frustrant dans le sens où vous pouvez faire un bon match mais quand-même le perdre?

Absolument! Ce qu’il y a de bien avec le simple, c’est que vous êtes le seul responsable de vos actes. En double, vous allez perdre ou gagner des rencontres que vous ne méritiez pas ou de perdre ou de gagner. C’est frustrant mais il faut garder à l’esprit que la balance peut toujours pencher des deux côtés.

Faut-il faire davantage de concessions quand on est joueur de double?

Je dis souvent que le double est un petit mariage entre deux personnes. Il faut accepter les petits défauts du partenaire et faire des compromis. On ne fait pas toujours ce qu’on veut en matière du choix des tournois ou de l’entraîneur. Récemment, j’ai eu quelques petits problèmes de coach avec Chris. Nous avions convenu de travailler avec Gunther Vanderveeren. Après trois mois, il m’a dit qu’il préférait prendre un coach sud-africain. Nous travaillons maintenant avec deux entraîneurs. Si l’un des deux vient sur un tournoi, nous travaillons avec lui.

Comme avez-vous rencontré Haggard?

Je le connaissais déjà un peu lorsque, l’année dernière, nous avons été éliminés tous les deux au premier tour à Indian Wells. Je lui ai proposé de m’accompagner pour visiter un parc national, le Joshua Tree. Nous avons loué une voiture. On s’est tellement bien entendu qu’on s’est dit qu’on devrait jouer ensemble. La première, ce fut à Barcelone. Stolle et Haarhuis nous éliminèrent en quarts de finale. J’ai encore joué avec le Portugais Nuno Marques jusqu’à Wimbledon puis le changement s’est opéré.

Fraîcheur de couple

Vous avez bien sûr le numéro de téléphone de Haggard. L’appelez-vous tous les jours?

Non. Au début, c’était bien. Nous étions inséparables. Aujourd’hui, nous sommes arrivés tous les deux à un moment où nous essayons chacun de prendre nos distances en dehors des courts. On s’entraîne et on joue les matchs côte à côte mais on ne va plus manger le soir ensemble.

Une trop grande amitié peut-elle poser problème sur le court? En d’autres termes, le partenaire qui se trouve à vos côtés ne doit-il pas rester avant tout un collègue de travail?

Si. Chris et moi avons passé trop de temps ensemble. A la fin, nous n’avions plus la même fraîcheur sur le terrain. C’est comme dans n’importe quel couple ( il rit).

Votre association avec un entraîneur respectif semble porter ses fruits. Vous êtes 36e mondial et Haggard est 39e.

Soit notre meilleur classement à ce jour, c’est vrai. Nous avons commencé à avoir un coach au tournoi de Miami cette année. Nous sommes l’un et l’autre sur la bonne voie. Les entraîneurs nous permettent de travailler de manière plus spécifique sur certains détails.

Jusqu’à quel âge pensez-vous jouer?

En double, l’âge a moins d’importance. Prenez les exemples du Tchèque Cyril Suk ou du Russe Olhovskiy. Ils ont tous deux 35 ans et sont encore dans le Top 50. En ce qui me concerne, on verra ce qui va se passer dans les années qui viennent. L’ATP, et surtout les directeurs de tournois, veulent réduire le nombre de spécialistes du double. Une réforme dans ce sens est programmée pour 2003 si je ne me trompe. Le classement de simple comptera d’une manière équivalente que le classement de double pour entrer dans les tournois de double.

Il faudra voir combien de joueurs de simple vont pouvoir jouer le double. Difficile de prévoir quoi que ce soit. Pour la fin de cette année, l’ATP est en train d’essayer un nouveau système d’inscriptions en double. Il faut s’inscrire deux semaines avant un tournoi et chacun saura dans quelle épreuve son classement lui permet d’entrer. Une entrée tardive est prévue dans le cas d’un forfait. C’est plus clair.

Il n’aime pas être connu

Que pensez-vous de l’intérêt très faible, voire inexistant, hormis durant les matches de Coupe Davis, que portent les médias sur le double?

Personnellement, cela ne me dérange pas. Je n’aime pas trop l’attention des médias. En aucun cas, je n’apprécierais être quelqu’un qu’on reconnaît dans la rue. Une telle situation me ferait trop peur. Nous sommes assez respectés sur le circuit et c’est ce qui m’importe. Le tournoi de Vienne, par exemple, se déroule dans deux salles. L’une d’elles est réservée aux doubles. Chaque match se joue devant 2.000 à 2.500 personnes. Cela nous fait énormément plaisir. Mais nous évoluons le plus souvent devant des tribunes à moitié vides. Ce n’est pas très gai, c’est vrai, mais bon, c’est comme ça. Et puis, l’ATP a engagé cette année quelqu’un qui est chargé de promouvoir le double. Ils vont essayer d’attirer les meilleurs joueurs de simple pour faire de la publicité. C’est paradoxal avec ce que j’ai dit plus haut. L’ATP semble vouloir sauver le double ou alors, elle veut montrer qu’elle tente de le faire, je ne sais pas trop.

Avez-vous peur parfois de perdre votre boulot?

Pas trop. Si je me maintiens dans les 50 premiers, je peux encore jouer deux ou trois ans. Tout le monde ne peut malheureusement pas en dire autant. Ceux qui sont au-delà de la 80e place mondiale auront de moins en moins l’occasion de jouer les grands tournois. Ils seront obligés de se rabattre sur les challengers où il y a moins d’argent et auront du mal à survivre.

Un joueur de double joue-t-il aussi bien au tennis qu’un joueur de simple?

Difficile à dire parce que le double est devenu une spécialité à part entière. On voit souvent des équipes de double battre deux excellents joueurs de simple qui s’associent le temps d’un tournoi. Le double exige des coups spécifiques qui ne sont pas exécutés en simple. Certains joueurs ont réussi à se hisser dans le Top 20 mondial tandis qu’en simple, ils n’ont jamais dépassé la 400e place.

Fan des Woodies

Quelle est la plus belle équipe de double que vous ayez jamais vue jouer?

J’aimais beaucoup les Woodies (les Australiens Todd Woodbridge et Mark Woodforde). Ils ne servaient pas le plomb, ils n’étaient pas impressionnants mais ils étaient toujours présents. Ils ne rataient rien et savaient rester sobres.

On connaît le Tom Vanhoudt joueur de tennis mais on ne sait rien, ou si peu, du Tom Vanhoudt dans la vie privée. Qui est-il?

Je suis assez timide. Même si cela a changé les dernières années, j’ai toujours du mal à aller vers les autres et à me vendre. Sinon, j’aime la musique, le calme et les arts. L’art moderne, les peintures classiques ou la Renaissance italienne. J’ai beaucoup d’intérêts et j’essaie d’apprendre un peu de tout. Je lis des livres, parfois scientifiques.

Vous êtes à part?

Des joueurs de tennis qui aiment aller au musée ou qui ont d’autres centres d’intérêt que les femmes et le tennis, c’est très rare, mais ce n’est pas de ma faute.

Quel niveau scolaire avez-vous atteint?

J’ai terminé mes candidatures en sciences-économiques en quatre années sans aller une seule fois aux cours. Ce n’est pas l’option que j’aurais choisie mais je l’ai fait pour faire plaisir à mes parents. Ils ne voulaient pas me voir jouer au tennis uniquement. Physiquement à 18 ans, je n’étais pas très costaud.

Que ferez-vous une fois que vous aurez raccroché la raquette?

Je pourrai me diriger dans beaucoup de directions mais je n’ai aucune idée précise pour l’instant. Je suis trop impliqué dans mon métier actuel.

Florient Etienne

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