Le Sedan belge

Le club veut entrer dans l’histoire en passant en deux ans de D3 en D1 et en devenant le premier cercle de la Communauté Germanophone à fréquenter l’élite.

Juché sur les hauteurs de la ville, le stade du Kehrweg est blotti dans un décor qui rappelle l’Eiffel tout proche. Les Hautes Fagnes ne sont pas loin. La région est davantage fréquentée par les amateurs de ski de fond en hiver et ceux de longues randonnées pédestres en été, que par les amateurs de football. Les habitants de cette petite ville cossue de l’est du pays conservent bien le souvenir d’un match amical historique entre le Standard et le FC Cologne, en 1994 pour l’inauguration des nouvelles installations, ou de quatre matches de D1 disputés en ces lieux par un FC Liégeois devenu SDF à l’époque, mais la fièvre du ballon rond n’a jamais réellement gagné l’endroit. Peut-être est-ce dû au fait qu’aucun club local n’a jamais brillé au sommet. Derrière l’AS Eupen, on trouve encore La Calamine en Promotion, mais Malmédy, qui évolua autrefois en D3, est redescendu en Provinciale. Ceux qui ne conçoivent pas un week-end sans le ballon rond ont plutôt tendance à franchir la frontière pour prendre place dans l’un des stades de la Bundesliga, pas beaucoup plus éloignés de chez eux que celui de Sclessin.

« La concurrence de l’Allemagne est forte », admet RalphLentz, vice-président du club et membre du conseil d’administration depuis 1986. « Aix-la-Chapelle n’est qu’à 15 kilomètres, Cologne à 70. Les Eupenois sont très attirés par le football allemand. Pas tellement, à mon avis, parce qu’ils veulent se rapprocher de leurs racines, mais plutôt en raison de l’influence de la télévision. Dans la région, on peut capter toutes les chaînes allemandes, et en zappant, on veut voir du fussball à longueur de week-end ». Heureusement, l’Alemannia Aix-la-Chapelle est toujours en D2, le Bayer Leverkusen pourrait bientôt l’y rejoindre et le Borussia Mönchengladbach n’est plus que l’ombre de ce qu’il a été. « Mais le FC Cologne s’apprête à remonter en D1 et Schalke 04, avec tous ses Belges, est à peine plus éloigné. Sans compter le PSV Eindhoven, aux Pays-Bas, qui n’est qu’à 70 kilomètres d’Eupen également ».

En ville, on parle l’allemand. Les librairies vendent DerSpiegel ou Kicker presque autant que GrenzEcho. Le club sportif phare de la région est actuellement Eynatten, champion de Belgique en handball, autre sport venu d’Allemagne. Beaucoup émettent des doutes sur la viabilité de l’AS Eupen en D1. Pourtant, l’accession à l’élite de cette équipe dont les couleurs (maillot blanc sur short noir) rappellent celles de la Mannschaft, permettrait une décentralisation bienvenue pour un championnat de Belgique trop axé autour de l’E17, de l’E40 ou de l’E42.

L’âge d’or des années 70

Ralph Lentz nous sert de guide pour partir à la découverte de ce cercle fondé à la fin de la deuxième guerre mondiale.

« Précédemment, l’AS Eupen avait connu sa période de gloire dans les années 70 », rappelle-t-il. « En 1974, le club avait d’ailleurs loupé une première fois la montée en D1, en perdant l’ultime rencontre contre Lokeren. A ce moment-là, le club brillait surtout grâce au feeling du manager PaulBrossel, qui avait le nez fin pour transférer de très bons joueurs allemands à des prix très compétitifs. Il les revendait ensuite, avec un important bénéfice à la clef, à l’image de RainerGebauer, arrivé du FC Cologne et qui vécut par la suite de belles années à Charleroi, ou de HelmutGraf, transféré de Bonn et qui fit fureur au Standard. C’est de cette manière que le club a survécu pendant six ou sept ans en D2. Il est ensuite descendu en D3, puis en Promotion jusqu’en 1995, mais jamais plus bas. Le renouveau est survenu au début des années 90 avec l’arrivée du président actuel, l’entrepreneur DieterSteffens. Il a d’abord souhaité investir dans le stade, car les infrastructures étaient devenues vétustes. Lorsqu’elles ont été modernisées, on a pu réinvestir dans l’équipe. Mais, sans un sponsor d’envergure, il était inconcevable de vouloir réintégrer la D2. Nous n’avons commencé à y songer qu’il y a trois ans, lors de l’arrivée du sponsor principal actuel Thona, une société spécialisée dans les garnitures en caoutchouc des portes d’automobiles, basée à Eupen mais qui possède des succursales aux Etats-Unis et en Europe de l’Est. Aujourd’hui, l’équipe des années 70 fait toujours office de référence, mais la saison actuelle est malgré tout la meilleure de l’histoire du club. Nous avons terminé deuxièmes en D2, alors que voici 30 ans, notre meilleure place avait été la quatrième. La différence, c’est que les joueurs d’aujourd’hui sont sans doute moins spectaculaires. Il n’y a plus de noms ronflants. Le meilleur buteur, MarcinGdowski (un Polonais établi en Belgique depuis une dizaine d’années), ne compte que 12 buts à son actif. Notre force réside surtout dans le collectif. Nos joueurs forment un groupe soudé et sont très assidus à l’entraînement.. Ils ont une bonne mentalité, et au moment de choisir des renforts, le caractère est un critère au moins aussi important que les qualités purement sportives. C’est une équipe assez physique, qui y croit jusqu’au bout. Nous sommes régulièrement revenus au score alors que nous étions menés. Et nous avons gagné plusieurs matches dans les dernières minutes ». Des caractéristiques bien allemandes. « Mais, contrairement à l’équipe des années 70, nous n’avons plus qu’un Allemand en nos rangs: le petit StefanBongard, originaire de l’autre côté de la frontière ».

Pas peur de la D1

Son succès, l’AS Eupen le doit surtout à un homme: l’entraîneur ClaudyChauveheid, arrivé en 1995 lors de la remontée de Promotion vers la D3, et qui en est à sa huitième saison à la tête de l’équipe. Promu en D2 au printemps dernier, il est à deux doigts d’amener le club en D1. « A ma connaissance, ce serait la première fois qu’un club passe en deux ans de D3 en D1 », pense Ralph Lentz.

Assez curieusement, l’accession éventuelle à la D1 n’effraye pas les dirigeants du club. Ils l’accueilleraient comme une récompense pour le travail fourni, davantage que comme une source de tourments.

« Le fait que, très tôt dans la saison, nous ayons fait partie du peloton de tête, nous a permis de nous préparer progressivement à l’éventualité d’une montée », poursuit notre interlocuteur. « En février, nous étions déjà deuxièmes ou troisièmes, et nous avons commencé à réfléchir à la question. Nous nous sommes rendu compte que, tant sportivement qu’administrativement, il était possible pour un club comme le nôtre d’évoluer parmi l’élite. En D1, toutes les équipes ne s’appellent pas Anderlecht, Bruges ou le Standard. Face à Beveren ou au GBA, nous ne serions pas nécessairement battus 5-0. Pourquoi nourrir des complexes? Quoi qu’il arrive, ce serait une belle aventure, qu’elle dure une saison ou davantage. Rien ne nous oblige à faire des folies. Si nous montons et constatons en décembre que nous sommes déjà lâchés, nous n’hypothèquerons pas l’avenir du club lors du mercato pour essayer de nous maintenir à tout prix. Si nous devons abandonner l’élite au bout d’une saison, nous aurons au moins eu le plaisir d’y avoir goûté. Par rapport à nous, le Cercle de Bruges possède l’avantage d’évoluer dans un stade digne de la D1 et de posséder déjà de nombreux sponsors. Ils n’ont pas signé au même tarif que ceux du Club, mais ils sont présents. De notre côté, nous devrons encore en dénicher. Au niveau administratif, il est clair aussi qu’une réorganisation devra être envisagée. Mais elle est réalisable ».

En ce qui concerne le stade, tout est déjà prévu. « Il faudrait augmenter sa capacité pour la porter à 8.000 places, mais pas nécessairement assises dans un premier temps. La tribune derrière le but de gauche, par rapport à la tribune principale, ferait l’objet des plus gros travaux. Sa capacité serait portée à 3.000 places. La tribune latérale, en face, serait allongée pour prendre toute la longueur du terrain. Par contre, la tribune de droite, réservée aux visiteurs, demeurerait pratiquement en l’état actuel. Nous sommes bloqués par les villas avoisinantes. Pour agrandir cette partie du stade, il faudrait exproprier. Or, d’une part nous voulons rester en bons termes avec les riverains, et d’autre part l’accord des édiles municipaux ne nous parviendrait jamais dans les temps. Nous envisageons aussi d’agrandir le stade par des tribunes démontables. Nous sommes déjà allés jeter un coup d’oeil à Sedan, qui avait procédé de la sorte. Ces travaux ne seraient toutefois entrepris qu’en cas de montée. Pas avant ».

Assistance doublée

Ralph Lentz estime que les retombées positives d’une montée seraient plus importantes que les conséquences négatives. « Au niveau des retombées positives, il y a la publicité que cette présence en D1 confèrerait à la Ville d’Eupen et à la Communauté Germanophone. Ce serait la première fois qu’un club des Cantons de l’Est serait représenté au plus haut niveau. Les pouvoirs publics ont promis de nous aider, dans la mesure de leurs possibilités. Les conséquences négatives, s’il devait y en avoir, seraient surtout ressenties au niveau de l’organisation interne. Actuellement, nous travaillons toujours avec de nombreux bénévoles. Si nous accédons à l’élite, il faudra davantage d’employés rémunérés, tout en évitant de perdre les vieux serviteurs du club qui oeuvrent actuellement à la satisfaction générale. Car il est clair qu’on n’accueille pas Anderlecht ou le Standard de la même manière qu’on accueille Heusden ou Maasmechelen ».

Au niveau du public, il faudra se contenter de peu. « D’un point de vue géographique, notre situation n’est sans doute pas idéale », reconnaît Ralph Lentz. « La Ville d’Eupen ne compte que 17.000 habitants, pour 70.000 à la Communauté Germanophone dans son ensemble. Dans l’arrière-pays, ce ne sont que bois et forêts ». Par ailleurs, on considère la ville d’Eupen comme assez bourgeoise et peu friande de ce sport populaire. « Néanmoins, notre moyenne de spectateurs est en hausse constante. Nous l’avons doublée par rapport à la saison dernière, pour la porter à 1.500 par match. Nous espérons encore la doubler en cas d’accession à l’élite, en tablant sur des pointes à 6 ou 7.000 lors des visites du Standard ou d’Anderlecht ».

Cela reste très modeste malgré tout. « Il est clair que nous ne rivaliserons pas avec Anderlecht ou Genk pour battre le record du nombre d’abonnés », poursuit notre interlocuteur. « Mais, lorsque je découvre les assistances des matches de D1, je constate que beaucoup de clubs sont à peine mieux lotis que nous ».

FC Profs de Gym’

A Eupen, on découvre, grâce aux récents résultats, un intérêt médiatique croissant de la part de la presse nationale. « On commence même à s’intéresser à nous dans le nord du pays », constate Ralph Lentz. « La presse flamande découvre qu’Eupen, ce n’est pas en Allemagne. Récemment, nous avons eu droit à un article dans HetBelangvanLimburg. Il était intitulé FCTurnleraars (FC Profs de Gym’). Et c’est vrai que sept de nos joueurs sont étudiants ou enseignants en éducation physique. Pourquoi pas, après tout? La tête et les jambes, voilà une donnée qui symbolise assez bien notre club. Le fait d’avoir une occupation annexe permet aussi aux joueurs de se changer les idées et d’oublier le stress ».

Le passage obligé au professionnalisme pourrait constituer un autre inconvénient en cas de montée. « Rien n’empêcherait les joueurs d’avoir une autre occupation en dehors du football », précise Ralph Lentz. « Nous devrions simplement avoir sous contrat des footballeurs rémunérés au tarif minimum de 7.500 euros par an, salaires et primes comprises. C’est réalisable. Nous avons d’ailleurs fait comprendre à nos joueurs actuels qu’en cas de montée, ils ne devraient pas nécessairement céder leur place à de nouveaux arrivants. Il faudra quelques renforts, c’est clair, mais l’ossature actuelle demeurera en place. Notre devise a toujours été de laisser l’église au milieu du village et nous continuerons à le faire, quoi qu’il arrive ».

Daniel Devos

La concurrence de la Bundesliga est très forte

Eupen a autrefois fourni Gebauer à Charleroi et Graf au Standard

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