LE SCOUT MYSTÈRE

Roland Duchâtelet a beaucoup appris, dit-il. Assez pour s’occuper du volet sportif à Saint-Trond. Mais qui sont les personnes auxquelles il demande conseil ? C’est un scénariste de bandes dessinées qui, sans le savoir, a dévoilé le réseau de scouting du propriétaire de plusieurs clubs.

Vous avez des nouvelles de Chris O’Loughlin ? En mai, l’entraîneur nord-irlandais et Saint-Trond ont mis un terme à leur collaboration, après que le club se soit sauvé de toute justesse. Il y a travaillé trois ans, d’abord comme T2, puis finalement comme T1.

Une rapide enquête a permis de découvrir qu’O’Loughlin n’avait pas déménagé.  » En effet, j’habite toujours à Saint-Trond « , confirme le coach dont l’épouse donnera sous peu naissance à leur troisième enfant.  » J’avais deux possibilités mais elles n’étaient pas assez attrayantes. J’aime la Belgique. Mes enfants y vont à l’école depuis deux ans et parlent couramment le néerlandais. Je viens de terminer les cours de la Licence Pro. Je préfère prendre le temps d’analyser ce qu’il s’est passé la saison dernière.  »

Toujours selon des sources trudonnaires, O’Loughlin travaillerait actuellement pour Roland Duchâtelet.  » J’ai une bonne relation avec Roland « , confirme-t-il à nouveau.  » Si je peux l’aider pour des questions footballistiques qui ne concernent pas Saint-Trond- et celles-ci ne manquent pas – c’est avec plaisir. J’ai travaillé en Belgique, mais aussi dans d’autres parties du monde (O’Loughlin a entraîné autrefois en Afrique du Sud, au Congo et en Australie, ndlr). Ces expériences peuvent être utiles. Donc, s’il me demande de visionner un joueur et de donner mon avis, je le fais. Mais pas plus. Comment vous appelez ça ? Un consultant ? Oui, c’est ça. Mais je ne suis pas tenu par un contrat, ni par un délai.  »

LE SCOUT DU RÉSEAU

En tant qu’Irlandais du Nord, O’Loughlin possède des contacts qui peuvent être utiles à Duchâtelet, surtout dans l’optique de Charlton Athletic. Le club londonien se porte de mal en pis depuis que l’homme d’affaires belge l’a racheté en janvier 2014.

Charlton Athletic est l’un des quatre clubs dont Duchâtelet est le propriétaire. Outre Saint-Trond, il y a le club espagnol de l’AD Alcorcón, le club allemand du FC Carl Zeiss Iena et le club hongrois d’Újpest FC, présidé par son fils Roderick. On a encore du mal à définir quelle est sa stratégie. Les succès sportifs ne sont pas au rendez-vous, et on ne peut pas dire que la politique de transfert soit une réussite jusqu’à présent. Qui conseille Duchâtelet ? Mystère.

En mars 2016, Guy Luzon a été le premier à lever un coin du voile. Dans un quotidien du sud de Londres, il a parlé de son licenciement à Charlton, survenu cinq mois plus tôt. Luzon pointe subtilement quelqu’un du doigt :  » Je n’étais pas le décideur ultime, pour les transferts entrants. Le dernier mot appartenait au scout du réseau. Les transferts étaient décidés depuis la Belgique. Je pouvais donner mon avis, mais c’est lui qui décidait.  » Qui est ce lui ? Luzon n’a pas cité de nom.

PEUR DES PROTESTATIONS

Peu de temps avant la confession de Luzon, Duchâtelet avait rappelé José Riga à Londres. Après le licenciement de l’Israélien, l’équipe n’avait guère redressé la tête sous la direction de Karel Fraeye, un illustre inconnu que Duchâtelet était allé chercher au VW Hamme, en D3 belge.

Riga, qui a lui aussi travaillé au Standard, s’était déjà occupé de Charlton précédemment. Trois mois après avoir acheté le club, Duchâtelet s’était séparé de Chris Powell, une icône du club, pour le remplacer par le premier entraîneur qu’il avait placé à la tête du Standard en 2011. Riga a sauvé Charlton de la relégation, mais a été rapidement remplacé par Bob Peeters. Duchâtelet pensait qu’un retour du Liégeois était de nature à calmer les supporters locaux.

C’est pendant cette période troublée que Duchâtelet a accordé une interview au site internet du club, dans laquelle il expliquait sa gestion :  » Nous faisons confiance à nos scouts en Angleterre et ailleurs en Europe. Bien sûr, le coach joue un rôle important. Aujourd’hui c’est José Riga, avant c’étaient d’autres coaches. Ils ont tous été impliqués dans la construction de l’équipe. C’est un travail collectif. Après, des négociations sont entreprises. C’est la tâche de Katrien Meire (la CEO, ndlr). Nous avons commis des erreurs dans le passé, et c’est précisément la raison pour laquelle nous devrons faire mieux à l’avenir, particulièrement en Angleterre.  »

ÉTRANGE OMERTÀ

Avec l’engagement d’O’Loughlin, Duchâtelet a semblé joindre le geste à la parole et renforcer son réseau. Mais qui sont donc les autres scouts,  » en Angleterre et ailleurs en Europe  » ? Un nom revient sans cesse : celui de Thomas Driesen. O’Loughlin admet que, lorsqu’il était entraîneur à Saint-Trond, il lui est arrivé de rencontrer Driesen, mais il ajoute qu’il ne le connaît pas plus que ça. Personne ne semble d’ailleurs vraiment le connaître. Ce serait un jeune homme d’une vingtaine d’années au vécu footballistique assez faible. On n’en sait pas plus. Si l’on essaie de s’informer davantage, on se heurte à une véritable omertà : Duchâtelet ne veut rien dire et ses collaborateurs les plus proches ne se montrent pas plus bavards. Driesen lui-même, qui se présente sur Facebook sous un nom fictif, ne répond pas aux appels.

Les recherches sur Google donnent une petite indication, qu’on risque toutefois de louper, car l’auteur parle de Thomas Dressen (sic). Denis Lapière, un scénariste wallon de bandes dessinées est un supporter de longue date du Standard et il travaille à une série qui doit révéler les luttes de pouvoir dans un club de football. D’où sa fascination pour ce qu’il se trame dans les coulisses de son club favori. En novembre 2015, il s’est mêlé à une discussion sur la situation sportive du Standard sur un blog et il semblait être très au courant de la cuisine interne du club liégeois. C’est ainsi qu’il a écrit, notamment :  » Pour ses choix sportifs, Duchâtelet consulte ChristopheDessy, Dudu Dahan et ses deux conseillers personnels (Dylan Salomon et Thomas Dressen), en plus des cellules de scouting des clubs de son écurie.  »

A l’exception de Driesen, ce sont des noms qui apparaissent régulièrement dans les médias classiques. Dessy est à ce moment-là le directeur de l’Académie Robert Louis-Dreyfus. Dahan est l’agent de Luzon, en qui Duchâtelet a longtemps voué une confiance aveugle et qui a même négocié des transferts au nom du Standard. Salomon est plus qu’un intermédiaire français : c’est lui qui fait venir quasiment tous les joueurs de l’Hexagone dans les clubs appartenant à Duchâtelet. Contrairement à Dahan, Salomon travaillerait toujours pour lui.

GRÂCE À BALOTELLI

Et Thomas Driesen ? Il est le mystérieux ‘scout du réseau’ dont parle Luzon. L’homme qui, sur base des statistiques et des analyses vidéo, donne son feu vert (ou rouge) à l’engagement d’un joueur. Au départ, il s’occupait essentiellement des transferts de Charlton, Újpest et Saint-Trond. A Charlton, les entraîneurs successifs se sont longtemps plaints d’être tributaires d’un énergumène sans aucune expérience. Les entraîneurs ont été licenciés, le scout principal a démissionné.

Comment Driesen est-il parvenu à devenir l’homme de confiance de Duchâtelet ? Peu de temps après que Duchâtelet eut acheté le Standard, le jeune Limbourgeois lui aurait envoyé un mail dans lequel il détaillait tout ce qui ne fonctionnait pas dans son club. En même temps, il a expliqué pourquoi Mario Balotelli ne loupait jamais la conversion d’un penalty. Duchâtelet a toujours un faible pour ces jeunes audacieux. Dans ses clubs comme dans ses entreprises, il aime s’entourer de jeunes personnes ambitieuses. Driesen est devenu son oracle sportif.

Jusqu’à présent, le succès n’a pas encore été au rendez-vous. Driesen semble surtout séduit par des petits footballeurs habiles ballon au pied, qui excelleraient dans le foot en salle mais se font manger dans le virile Championship. Dans le premier mois de transfert qui a suivi l’acquisition du club par Duchâtelet, six joueurs ont été engagés (dont trois loués au Standard). Six mois plus tard, ils étaient tous partis. Même Riga a refusé d’aligner certains d’entre eux : Loïc Négo, arrivé d’Ujpest, n’a joué qu’un match ; An?l Koç, loué au Standard, pas une minute.

Pourtant, il existe une stratégie derrière tout cela, a expliqué la CEO Meire, en novembre de l’an passé :  » Nous voulons créer une expérience unique pour les supporters, qui – nous l’espérons – auront l’occasion de voir à l’oeuvre les futures stars de la Premier League dans l’équipe Première de Charlton avant qu’elles ne soient vendues à un club de Premier League.  » Cette déclaration n’a pas plu aux supporters. Elle révèle que Charlton n’a pas lui-même l’ambition d’évoluer un jour en Premier League, mais veut plutôt être une étape intermédiaire pour les jeunes joueurs sur le chemin qui doit les mener vers le sommet.

Meire a eu d’autres décisions malheureuses. Elle a limité le nombre de jours d’ouverture de la billetterie, a envisagé de supprimer le programme distribué lors des jours des matches à domicile, a introduit de la house-music dans le stade, a déclaré ne pas comprendre pourquoi les supporters estimaient que le club était à eux et les a appelés des  » clients « . Son initiative, visant à installer un sofa près d’un point de corner, afin de permettre à quelques supporters triés sur le volet de suivre le match avec le nez sur la pelouse, a été tournée en dérision. Un clip TV montrant un couple en train de faire l’amour dans le rond central a débouché sur un scandale, lorsqu’il est apparu qu’il s’agissait d’une annonce publicitaire du club lui-même, destinée à promouvoir les possibilités de location du terrain.

EN COLÈRE

Lorsque les premières protestations se sont fait entendre, Meire a commis un nouvel impair en déclarant qu’elles n’émanaient que de 2 % des fans. Elle a rapidement dû se rendre à l’évidence. A la deuxième minute du match à domicile contre Ipswich, des milliers de supporters ont brandi un panneau sur lequel il était écrit :  » nous sommes les 2% « . Les caméras de télévision se sont tournées vers la tribune d’honneur et ont montré Meire très mal à l’aise.

Les actions des supporters n’allaient plus cesser. 2016 n’était encore vieux que de deux jours lorsque, au terme d’un partage contre Nottingham Forest, quelques milliers de fans ont manifesté devant le stade pour protester contre le fait que Duchâtelet aurait rejeté une offre de rachat du club émanant d’un ancien grand dirigeant de Charlton. Avant le match contre Middlesbrough, les supporters ont symboliquement enterré Duchâtelet. Avant le match contre Brighton, 5.000 fans ont répondu à l’appel des organisateurs d’une marche contre Duchâtelet et Meire, pendant laquelle ils ont entonné leur ‘wewantourCharltonback’. Et ils ont lancé des centaines de petits ballons sur la pelouse, ce qui a retardé le coup d’envoi. Quelques supporters ont même essayé d’envahir la loge de la direction.

Pendant que son patron suivait les matches en toute quiétude depuis la Belgique, Meire devait subir les humiliations et écouter les chants de haines à son égard. Au point que, pendant un moment, elle s’est abstenue d’accompagner l’équipe en déplacement. Elle exécutait les ordres de Duchâtelet et de Driesen, était confrontée à l’agacement des coaches et encaissait. En cas de défaite, les entraîneurs découvraient souvent un mail dans leur boîte de réception, qui leur faisait part de remarques sur la tactique et les enjoignait à s’entraîner de telle ou telle façon, à l’avenir. Un mail signé Roland Duchâtelet, avec Meire et Driesen en cc.

PLUS BRITANNIQUE

Après la relégation en League One (la troisième division), Duchâtelet semble s’être enfin rendu compte qu’il faisait fausse route. Non seulement il a engagé un coach britannique en la personne de Russell Slade, mais il a également attiré un head of recruitment, ce qui laisse supposer que Driesen fera un pas de côté. Dans sa politique de recrutement, Charlton scrute davantage le marché national, à l’image d’Alcorcón, qui a réussi à conserver son identité espagnole. Cela suffira-t-il à calmer les supporters ? Wait and see.

PAR JAN HAUSPIE – PHOTOS BELGAIMAGE

Driesen a séduit Duchâtelet grâce à son audace.

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