LE SAUT DU GRILLON

L’équipier de Tom Boonen a donné à l’Italie son 17e titre mondial.

Unique en son genre, le Mondial reste l’épreuve reine de la course sur route. Quatre ans après MarioCipollini à Zolder, toute l’Italie attendait qu’un de ses représentants lui ramène le 17e titre de son histoire. Jusqu’à présent, le Mondial n’avait réservé que des larmes à Paolo Bettini (32 ans). Il avait commencé sa carrière sous le maillot de l’équipe nationale par une 63° place en 1998 ; terminait deuxième en 2001 à Lisbonne et troisième voici quatre ans. A Vérone, en 2004, il avait abandonné après avoir été heurté par la portière de la voiture de l’équipe….

Cette fois, à Salzbourg, le coureur de Livourne a décroché la victoire au terme d’un sprint à quatre incroyable. Quelques secondes plus tôt, le Grillon avait été repris par le peloton alors qu’il avait fait le vide dans la dernière montée de l’épreuve. On semblait se diriger vers un sprint massif quand Bettini a profité d’un coup de fusil, à 700 mètres de la ligne d’arrivée, de l’Espagnol SamuelSanchez, qui travaillait pour AlejandroValverde. Ils n’étaient plus que quatre à pouvoir l’emporter : L’Italien, les deux Espagnols et ErikZabel. L’Allemand se portait en tête mais, dans les 100 derniers mètres, il sentit le poids de ses 36 ans et ne put éviter l’irrésistible remontée du champion d’Italie.

Bettini avait de nombreux atouts dans son jeu mais, comme lui a répété son ami GianniBugno, le dernier à avoir remporté deux titres d’affilée,  » un mondial est plus facile à plus facile à perdre qu’à gagner « . Du coup le Toscan s’est repassé plusieurs fois dans la tête les films des épreuves de Vérone en 2004 et celle de Madrid l’année dernière. A chaque fois, l’Italie était l’équipe à battre mais a éprouvé beaucoup de mal à justifier le pronostic.

Comme l’équipe de football

En place depuis 2001, Franco Ballerini se trouvait un peu dans la même situation que Marcello Lippi avec sa Squadra Azzurra à la Coupe du Monde de football en Allemagne. Il était agressé de toutes parts. On lui a reproché de ne pas bâtir une véritable équipe soudée prête à se battre pour un seul homme. Ses sélections ont toujours été enfantées dans la douleur et il a multiplié les disputes avec des coureurs qu’il excluait sans véritable raison sportive. C’est ainsi que, deux années d’affilée, il n’a pas retenu Danilo Di Luca parce que la tête du coureur ne lui revenait pas. Ballerini motivait alors son choix par des excuses bateau du style :  » le parcours ne lui convient pas.  » Ou bien :  » Son nom a été cité dans une affaire de dopage  » alors que des centaines de personnes figuraient dans les comptes rendus de la justice et, parmi elles, des coureurs qui allaient bien participer au Mondial. Autre cas retentissant, celui de Davide Rebellin qui, en 2004, restait sur une saison canon et avait été rejeté avec fracas au point qu’il avait demandé la nationalité argentine. Sans oublier que lors du premier Mondial sous Ballerini, les coureurs Italiens s’étaient mis des bâtons dans les roues, PaoloLanfranchi allant rechercher Gilberto Simoni parti à l’attaque.

Cette fois, Ballerini a tranché : Bettini était le capitaine unique et Di Luca, la première solution de rechange. Il a bâti une équipe toute à la dévotion de Bettini. Dans la liste, il faut épingler Di Luca, parce qu’il est un des rares coureurs transalpins capables de rester lucides jusqu’à la fin d’une épreuve de sept heures. Le choix de LucaPaollini s’imposait parce que son amitié avec Bettini est sincère. Sélectionner Filippo Pozzatto était logique aussi car il est inadmissible de laisser à la maison un jeune nanti d’un tel talent encore non exploré. Enfin, la cassure avec Rebellin est oubliée vu qu’il a été nommé  » chef de course « . Ballerini n’a pas retenu de sprinter comme AlessandroPetacchi. Le sélectionneur italien estime qu’après 250 kilomètres de course sur un parcours qui n’est pas tout à fait plat, les sprints peuvent devenir des montées même pour les sprinters les plus malins.

TomBoonen n’était pas d’accord avec le DT italien et déclarait :  » L’Italie a les meilleurs coureurs mais cela ne signifie pas que c’est l’équipe la plus forte. A la place de Ballerini, j’aurais emmené Petacchi ou DanieleBennati « .

Rejouer le coup d’Athènes

Bettini a donc donné tort à Boonen, son équipier chez Quick-Step :  » Depuis ma victoire aux jeux olympiques, j’ai toujours fermement espéré terminer ma carrière avec le maillot arc-en-ciel « .

L’objectif était de répéter la tactique qui lui avait permis de décrocher l’or à Athènes. Les Italiens étaient obligés de faire la course en tête, ce qui est d’autant plus difficile que les équipes ont été réduites à neuf membres au lieu de douze et que le nombre de concurrents venus de pays de deuxième et troisième niveaux est plus important. Comme à Athènes, où quatre coureurs ( CristianMoreni, Luca Nardello, Paolini et Pozzato) avaient lancé Bettini vers la victoire, ils étaient encore aussi nombreux dans le final de Salzbourg.

Dans le coquet hôtel de Bergheim, situé à la périphérie de la ville de Mozart et qui hébergeait la squadra, il régnait une grande sérénité. La délégation a discuté des primes octroyées aux coureurs en cas de victoire. Le président de la fédération Renato Di Rocco a confirmé qu’il verserait 125.000 euros. En principe, le gagnant ajouterait 200.000 euros à cette somme, ce qui reviendrait à dire que les membres de l’équipe se partageraient 325.000 euros.

Si Bettini n’a jamais prononcé le mot de capitaine, sans doute par superstition, il n’en avait pas moins donné ses indications :  » Le parcours semblait facile, mais il ne l’était pas. Il y avait la montée à dix kilomètres du terme qui, malgré ses 14 %, ne pouvait faire la différence à elle seule. Mais après, il y avait un faux plat d’une paire de kilomètres sur lequel il fallait savoir souffrir et donner toute la force que l’on a en soi. Car là on peut s’octroyer ces 30 ou 40 secondes d’avantage que l’on peut garder jusqu’à la ligne d’arrivée. J’ai tenté ma chance mais cela n’a pas marché. De toute façon, il fallait faire la course en tête car, autrement, nous nous serions présentés à 90 sur la ligne. Nous étions obligés de faire la course car aucune équipe ne possédait cinq ou six coureurs capables d’aller jusqu’au bout. C’est pour cette raison que je suis resté serein « .

Une bonne saison

La saison de Bettini a été intéressante et ses patrons lui ont prolongé son contrat de deux ans. Le Toscan a remporté le titre de champion d’Italie en juin mais s’était également mis en évidence pendant le printemps. Il ne lui avait manqué qu’un succès dans une grande classique, ce qu’il a raté de peu à Liège-Bastogne- Liège où il a terminé deuxième derrière Valverde. Il a débuté l’année aux Iles Baléares où il a enregistré sa première victoire avant de confirmer au GP de Lugano. Il a ensuite brillé à Tirreno-Adriatico avant de chuter dans la 3e étape. Il a pris le départ de Milan-Sanremo mais une douleur persistante à la fesse et au genou droit l’empêcha de disputer régulièrement ses chances. Il revint en force en mai, se distingua au Giro et a dernièrement enlevé une étape à la Vuelta.

Au début de sa carrière, il avait été surnommé l’ Américain, parce qu’il était originaire d’un quartier appelé La California. Par la suite, il fut surnommé le Professeur parce que, sous l’égide de la firme Mapei, il avait donné des conférences sur le cyclisme à des jeunes étudiants (le vélo ne l’a pas empêché de décrocher un diplôme de technicien en mécanique). Enfin, il a été surnommé le Grillon. Un collègue l’aurait appelé comme ça en faisant allusion à sa façon de courir, toujours à l’attaque, et un journaliste l’aurait lancé dans le grand public. Dimanche, le Grillon a effectué un nouveau saut gagnant.

NICOLAS RIBAUDO

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