LE SANGLIER

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

A la découverte de cet attaquant français à la forte tête qui en est déjà à huit clubs depuis 2001 !

Ange ou démon, cet Alexandre Lecomte (25 ans) jeté d’Ostende comme un malpropre, viré de Mouscron puis pestiféré à Alost ? Ces départs prématurés, ainsi qu’une expérience qui a tourné en eau de boudin à Roulers, sont évidemment à mettre à son débit. Par contre, à son crédit, il y a un lien très fort avec Gilbert Bodart qui l’avait entraîné à Ostende et vient de le transférer à La Louvière.  » Bodart a été clair, en fin de premier tour, dans ses discussions avec la direction des Loups « , tonne l’attaquant français.  » Il lui fallait un renfort offensif, il voulait Alex Lecomte et personne d’autre « .

La première prise de contact avec le personnage est en tout cas positive, chaleureuse : Lecomte est souriant, Lecomte est sympa, Lecomte est bon ! Lecomte est costaud, aussi : 1m89, 86 kg. Et s’il devenait le castard qui a tant manqué aux Louviérois durant tout le premier tour ?

Au moment d’ouvrir cette nouvelle page de sa carrière chahutée (La Louvière est son huitième club depuis 2001 !), l’Ardennais revient sur son parcours, ses certitudes, ses dérapages, ses coups de gueule, ses regrets, ses ambitions.

Racontez-nous vos débuts de joueur.

Alexandre Lecomte : J’ai commencé le foot dans un petit club dont mon père était l’entraîneur, Vrigne-aux-Bois. Pas loin de Sedan. Je suis un vrai Ardennais, un gars du terroir. A 14 ans, je suis parti à Sedan et je me suis hissé dans le noyau de Première juste à temps pour connaître les temps forts de l’histoire moderne de ce club : la montée en Ligue 1 et la finale de la Coupe de France en 1999, avec Patrick Remy. Cette épopée en Coupe, je l’ai surtout vécue en spectateur, à cause d’une opération en cours de saison, mais ça n’enlève finalement pas grand-chose à mon bonheur. J’étais sur le banc pour l’apothéose contre Nantes, au Stade de France. Et ce penalty bidon offert aux Nantais à 5 minutes de la fin, toute la région de Sedan en parle encore aujourd’hui !

Avec Metsu, Remy et Brogno

Quel souvenir gardez-vous de Patrick Remy ?

Je lui dois énormément. C’est lui qui m’a fait passer le fossé entre la Réserve et le noyau pro. Le type qui entraînait Sedan avant lui ne me laisse pas les mêmes souvenirs : Bruno Metsu ne croyait pas du tout en moi, j’ai failli quitter Sedan à cause de lui. Ma tête ne lui revenait pas, sans doute. Heureusement, c’est lui qui est parti en premier et, à ce moment-là, Remy a dit qu’il était hors de question de me laisser filer.

Vous avez donc côtoyé Toni Brogno à Sedan !

Toni, c’est un pote. Nous sommes toujours en contact. Il a eu le même problème que moi à Sedan : Alex Dupont, qui est arrivé comme entraîneur après Remy, ne croyait pas en nous. Alors, nous étions le duo d’attaque attitré de l’équipe Réserve. Il fallait un grand et un petit, ça marchait très bien. Je n’ai jamais compris que Dupont ne fasse pas plus confiance à Toni. Avec lui, il ne fallait pas laisser traîner une balle dans le rectangle : c’était caisse presque à tous les coups. Finalement, sa blessure au genou lui a coûté cher. Il avait bien entamé la saison, puis il s’est retrouvé sur la touche et l’équipe a continué à bien tourner sans lui.

Vous avez tiré vos conclusions et c’est pour cela que vous êtes parti à Pau ?

Tout à fait. Dupont disait que j’étais trop frêle pour la L1 et je me suis alors mis en tête de rebondir en National. Je suis revenu à Sedan quelques mois plus tard et Dupont semblait subitement avoir changé d’avis. Il m’a félicité pour la masse musculaire que j’avais prise à Pau mais il a aussi décidé de me faire reculer au back gauche. J’ai essayé parce que je voulais rejouer en L1, mais ça n’a pas duré. Ce rôle n’était pas fait pour moi. J’ai dit que je voulais rejouer dans l’entrejeu ou devant. Le coach m’a répondu que, dans ces conditions, il n’y avait plus d’avenir pour moi à Sedan. C’est à ce moment-là que je suis venu à Courtrai, en D3. J’y suis resté six mois puis j’ai signé à Roulers, en D2.

De la L1 française à la D3 belge, quel recul !

Oui, j’en étais conscient mais je voulais tout reprendre à zéro. Et je ne regrette pas mon passage à Courtrai. Dans un football de brutes, où on prenait plaisir à compenser les lacunes techniques par un engagement physique terrible, j’ai appris à prendre des coups. Je n’ai pas compté mes blessures aux chevilles, j’étais matraqué de la première à la dernière minute. Mais cela m’a renforcé.

Et Roulers ?

Rien n’a marché là-bas. J’ai été souvent blessé, je n’ai pas su m’adapter. Une page noire. Et ça s’est terminé en… queue de cochon avec Dennis Van Wijk. Il a un caractère très fort, moi aussi : c’est sans doute pour cela aussi que tout a foiré pour moi à Roulers.

Vous revendiquez votre caractère fort ?

Si toute la presse dit que j’ai une forte tête, je suppose que c’est vrai. (Il rigole). Il paraît que je suis un gars difficile à gérer. Moi, je pars du principe qu’un entraîneur peut m’engueuler mais qu’il n’a pas le droit de me traiter comme un chien. Il n’y a pas beaucoup de coaches qui m’ont bien compris jusqu’à présent. La grosse exception, finalement, c’est Gilbert Bodart.

Comment s’exprime ce caractère fort ?

Quand quelque chose ne me plaît pas, je le dis, je me fâche, je réponds. Ça ne plaît pas toujours mais tant pis, j’assume. Et c’est pour cela qu’on m’a collé une étiquette d’ingérable.

Ostende : du statut de star à celui de vendu

Après Roulers, ce fut Ostende.

Quand Ostende a appelé Roulers pour avoir des informations à mon propos, on n’a pas envoyé que des fleurs… Mais Bodart n’a pas voulu tenir compte de ma réputation. Il m’avait vu jouer avec Roulers quand il entraînait Visé et j’étais sa priorité. Il a fait le forcing pour que je sois transféré et Ostende ne l’a pas regretté : j’ai joué 34 matches sur 38 en D2 et marqué 15 buts. Ce fut, jusqu’ici, ma meilleure saison complète.

Comment avez-vous pu devenir subitement aussi performant après autant de galères ?

Ostende, c’était une bande de copains gérée par un coach qui nous comprenait.

Et pourtant, ça s’est mal terminé… là-bas aussi.

Oui, on nous a empêchés, Bob Cousin et moi, de disputer le dernier match du tour final, celui qui a permis au club de remonter en D1.

Qui vous a écartés ? On n’a jamais connu le fin mot de l’histoire.

C’était une décision de la direction… et de quelques joueurs. Cousin et moi, on avait fait une saison de fous et cela avait attiré les regards de plusieurs clubs de D1. On citait Mouscron, le Cercle Bruges, Gand. Cela ne plaisait pas à tout le monde, il y avait des jaloux dans l’équipe en fin de championnat. Certaines personnes ont pensé que nous avions déjà la tête ailleurs. Avant le dernier match, Bodart nous a dit : -Je ne peux pas vous faire jouer, et surtout, restez chez vous, ne venez même pas dans la tribune parce qu’il y a aussi des supporters qui vous en veulent. On nous a refusé la cerise sur le gâteau. De stars de l’équipe, nous sommes subitement devenus des vendus. Il nous restait un an de contrat mais la direction a tout fait pour qu’on parte. On a tous les deux signé à Mouscron et ça arrangeait très bien les dirigeants parce qu’avec les 150.000 euros de transfert qu’ils ont touchés, ils ont pu préparer financièrement la remontée.

Avoir quitté une équipe en pleine euphorie, n’est-ce pas un regret ?

Certainement, mais il fallait que je parte. Nous n’avons pas su nous mettre d’accord sur l’aspect financier alors que je ne demandais pas la lune, loin de là. Je voulais seulement une voiture du club. Enfin bon, je n’ai pas fait une mauvaise opération en signant à Mouscron : le salaire était bien plus intéressant qu’à Ostende… et j’avais ma voiture du club.

Pourquoi ne vous êtes-vous pas imposé à Mouscron ?

Tout était différent par rapport à Ostende : le coach, la mentalité, etc. Au début, j’ai eu beaucoup de mal à comprendre le système de Philippe Saint-Jean. Et pendant que je cherchais mes marques, Patrick Dimbala crachait le feu, il marquait presque chaque semaine et l’équipe réussissait un départ inespéré. Je n’ai pas fait de vagues, je savais que je ne pouvais rien revendiquer dans ces conditions-là : j’ai rongé mon frein sur le banc. En octobre, Saint-Jean a commencé à me faire confiance et ça s’est très bien passé entre nous. J’ai marqué mon premier but en D1 belge, ça planait pour moi. Jusqu’à ce bête tournoi (sic) de foot en salle à Gand, où je me suis blessé. J’ai perdu ma place. Puis je suis revenu dans l’équipe. Et il y a eu ce fameux match contre Genk où j’ai touché trois fois les poteaux. Ce jour-là, il était écrit dans les étoiles que je ne pouvais pas marquer. Saint-Jean a été viré, Geert Broeckaert a repris l’équipe et c’était terminé pour moi.

 » La méthode Broeckaert ? Quelle méthode ?  »

C’est-à-dire ?

J’ai vite compris qu’il n’aimait pas mon style. Alors que, quelques semaines plus tôt, j’étais tout à fait indiscutable à l’avant avec Marcin Zewlakow, je me suis subitement retrouvé dans la tribune. Et je ne servais de bouche-trou que quand toute l’attaque était indisponible. Il ne faut pas chercher à comprendre. La méthode Broeckaert ? Quelle méthode ? Il n’en a aucune. Ce gars-là est clairement encore beaucoup trop tendre pour entraîner en D1. Et sa communication était nulle. Il n’adressait pour ainsi dire jamais la parole aux joueurs, il passait systématiquement par son adjoint. Je dois beaucoup à Gil Vandenbrouck : c’était… l’interprète du coach, et de lui, je garde de bons souvenirs. En fin de saison, il me restait encore un an de contrat. Broeckaert ne voulait plus me voir, mais même ça, il n’a pas été capable de me l’annoncer en tête à tête. Idem avec Alex Teklak et Koen De Vleeschauwer, qui étaient pourtant deux monuments de l’Excel. C’est triste. Tout en fin de championnat, c’est… Teklak qui m’a annoncé que je figurais sur une liste de cinq joueurs qui devaient dégager.

Ça ne s’est pas mieux passé au début de cette saison à Alost !

Autour de moi, personne n’a compris que je redescende en D3. Mais je me suis laissé aveugler par l’aspect financier. Alost m’offrait la même chose que Mouscron et je trouvais que le challenge n’était pas si nul. La direction misait sur moi et sur Johan Van Rumst, avec qui j’avais joué à Ostende. On nous avait aussi promis l’arrivée de deux Brésiliens du Germinal Beerschot. Alost avait plein d’ambitions. Finalement, on n’a jamais vu les Brésiliens et rien n’a marché pour moi. Je me suis retrouvé au milieu de gars qui étudiaient ou travaillaient, qui considéraient le foot comme un hobby. Pour eux, le match du dimanche, c’était une espèce de rendez-vous de copains qui avaient envie de bien se marrer en faisant un peu de sport. L’entraîneur, Maurits De Schrijver, a été très vite viré. Et moi, je n’ai joué que quatre matches avec ce club. Le 17 octobre 2005, c’était déjà terminé, au lendemain d’une défaite à domicile contre Diegem.

Avouez que votre doigt d’honneur aux supporters n’était pas ce qu’il y avait de plus élégant !

L’équipe ne tournait pas, je ne m’entendais pas avec mes coéquipiers, rien n’allait. Ça balançait de longs ballons devant, rien d’autre. Etre attaquant dans une équipe pareille, c’est la galère, non merci ! Dans le fameux match contre Diegem, un petit jeune de notre équipe a raté un contrôle facile et les supporters ont commencé à le siffler. Je trouvais ça scandaleux et je leur ai fait un doigt d’honneur. J’ai dû prendre 10 ou 15 litres de bière sur la gueule ! Tout le stade me huait, les supporters des deux équipes. Le coach a eu la délicatesse de me sortir de la pelouse, j’ai jeté mon maillot en arrivant près du banc et j’ai décidé sur-le-champ de quitter Alost. Le lendemain, je recevais mon C4 pour faute grave. Entre la mi-octobre et la fin décembre, j’ai donc été condamné à m’entraîner seul.

Mal au c£ur pour le solitaire Jbari

Sans Bodart, vous ne seriez sans doute pas à La Louvière aujourd’hui ?

Une semaine avant d’être nommé ici, il m’a appelé pour prendre des nouvelles. Il m’a dit : -Ne t’inquiète pas, je vais me trouver un club et, dès que mon contrat est signé, je te prends. En plus, La Louvière cherchait un attaquant. Il a dit aux dirigeants qu’il ne voulait personne d’autre que moi.

Quelles sont vos premières impressions ?

La Louvière est un club à l’image d’Alex Teklak : courageux. Ici, on fait avec les moyens du bord et les gens sont contents avec ce qu’ils ont.

Tout le monde attend que vous soulagiez Nordin Jbari.

C’est mon objectif. J’ai assisté aux trois derniers matches des Loups en décembre et j’avais mal au c£ur pour lui, tellement il était esseulé devant. Il déviait un tas de ballons… pour personne ou devait aller les rechercher lui-même. Il était souvent seul contre quatre défenseurs. Isolé sur son île à 25 ou 30 mètres de ses médians, parfois.

C’est vrai que l’attaque de La Louvière au premier tour, c’était Jbari et… le désert.

Tout à fait. Je dois faire une tête de plus que la plupart des attaquants du noyau, je peux donc devenir le pivot de cette équipe et Jbari devrait pouvoir clôturer les actions. Les petits vifs, c’est bien, mais ça ne suffit pas toujours pour les grands combats offensifs. Il manquait un sanglier dans cette équipe : je suis là !

PIERRE DANVOYE

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