Le sang du Heysel

29 mai 1985 : notre collaborateur Frédéric Waseige est pris au piège du Bloc Z, le cimetière de la finale de la Coupe des Champions entre la Juventus et Liverpool.

En décrochant l’autorisation d’organiser ce point d’orgue de la saison européenne, l’Union belge, le gouvernement national et la Ville de Bruxelles ignorent que l’incertitude du sport est sur le point de leur offrir la plus belle et la plus dangereuse des finales. Juventus-Liverpool. Le rêve. Mais a-t-on pris la mesure des énormes dangers charriés par le hooliganisme anglais qui dévaste tout ?

On peut en douter dès le début de l’après-midi de ce sinistre 29 mai 1985. Imbibées de bière, des cohortes de supporters des Reds s’affalent sur les pelouses qui entourent le stade. Il fait chaud, très chaud, et des litres de jus de houblon déferlent en cascades dans tous les gosiers. On attend 60.000 spectateurs mais il y en a beaucoup plus. Les contrôles sont dépassés, le Heysel est en ébullition.

 » Avec trois de mes copains, nous avions obtenu des billets pour le Bloc Z « , se souvient Frédéric Waseige.  » A peine arrivés, nous avons noté que ce stade était une poudrière. Il n’y avait pas que l’alcool. Beaucoup fumaient des pétards ou consommaient des produits plus dangereux encore. Les gradins étaient jonchés de gravats ou recouverts de gravier. A un moment, un projectile a percuté et éclaté le nez d’un de mes voisins. J’ai été aspergé de son sang.  »

A 19 h 10, le ton monte, on note les premières vagues anglaises dans le Bloc Z. Mal préparé, le service d’ordre était déjà totalement dépassé.  » La catastrophe se dessinait. Il y avait un grillage qui séparait les Anglais et les Italiens. C’était à peine assez solide pour garder des moutons mais pas des gars qui pouvaient devenir des loups « , explique Waseige.

Les remous se transforment en attaques contre les Italiens. L’horreur. Pour échapper à ce tsunami humain, Waseige et un de ses camarades remontent vers le haut des gradins. Ils ont perdu la trace de leurs deux amis embarqués vers le bas mais qui s’en sortent vivants.  » Nous avons quitté le stade, le temps que cela se calme ; j’ignorais qu’un mur s’était effondré, qu’il y avait 39 morts principalement italiens et des centaines de blessés. Je ne l’ai su qu’après la rencontre. C’est terrible à dire : heureusement qu’on a joué. Sans cela, les Anglais auraient mis la ville à feu et à sang. Il n’y avait pas de Gsm à cette époque. Quand j’ai eu ma mère au téléphone, elle était dans un état d’hystérie. Elle avait tout vu à la télévision et s’inquiétait pour son mari et ses trois fils qui étaient au Heysel. Mon frère aîné, lui, avait revendu son billet. Quand je suis rentré à la maison, mon père, qui était revenu de Bruxelles avant moi, a lâché tout son stress : – Tu n’iras plus jamais au football. Je n’oublierai jamais cette soirée, ces souffrances, le but du deuil de Michel Platini, la douleur des joueurs qui ont joué en sachant. Les Anglais étaient dévorés par le hooliganisme. Ils ont tiré les leçons et ce fléau a été en grande partie extirpé. Ils punissent sévèrement les fauteurs de troubles, les joueurs et les coaches qui dépassent les bornes. L’organisation est quasi parfaite. Je ne suis pas sûr qu’il en soit de même en Belgique.  »

Il suffit de se remémorer les incidents qui ont émaillé le dernier Charleroi-Standard. Ces scènes auraient dû être bannies depuis longtemps des stades de D1. Certains n’ont-ils rien retenu de ce qui s’est passé le 29 mai 1985 au Heysel ?

PAR PIERRE BILIC

Certains n’ont-ils rien retenu de ce qui s’est passé le 29 mai 1985 ?

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