» LE RWDM, C’EST LA PLUS BELLE PÉRIODE DE MA VIE « 

Adversaires sur le terrain mais complices chez les Diables autrefois, le Gille et Lon évoquent le bon vieux temps.

A mon époque, un déplacement au Stayen n’était jamais une sinécure, croyez le bien. Le préposé au terrain veillait alors à ce que la pelouse fût en aussi mauvais état que possible. Il est vrai qu’un billard n’aurait été d’aucune utilité aux Canaris pour pratiquer le hourrah-football qui faisait leur gloire.

Je pourrais compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où je suis allé m’imposer dans l’antre des Trudonnaires. Leur régisseur était alors mon interlocuteur du jour, Odilon Polleunis. Lon était non seulement très fort techniquement et tactiquement, il avait aussi un sens du but très aiguisé.

Les chiffres le prouvent : il a joué 353 matches en D1 belge et a inscrit 106 buts. L’homme était un garçon du peuple et, aussi, un bon vivant, ce qui nous rapprochait. Il aimait se mêler aux supporters ce qui le rendait aussi populaire dans sa ville ! Aujourd’hui, sa cote y est toujours intacte. En revanche, qu’est-ce que le stade a changé !

Lon, qui aurait pu imaginer ça : un terrain synthétique au Stayen ?

ODILON POLLEUNIS : Heureusement que ce genre de pelouse n’existait pas encore à mon époque. Avec ma technique, j’aurais sans doute pu me débrouiller sur un tel terrain, mais la plupart de mes coéquipiers utilisaient surtout leur puissance. Ils préféraient les champs de patates ou les bains de boue, qui rendaient la circulation du ballon de nos adversaires beaucoup moins aisée. Il y avait alors plus de duels, que nous remportions la plupart du temps haut la main. Ou haut le pied (ilrit). Des grandes équipes comme Anderlecht et le Standard craignaient toujours le déplacement à Saint-Trond. Car ils savaient qu’ils devraient s’y livrer à une véritable bataille de chiffonniers. S’il n’avait pas assez plu, notre entraîneur, Raymond Goethals, faisait arroser le terrain par les pompiers ! (ilrit)

Tu as joué dans toutes les catégories d’âge à Saint-Trond.

POLLEUNIS : Je n’ai pas eu vraiment le choix. Mon père, Toine, a joué 25 ans en équipe A du STVV, de 16 à 41 ans ! L’amour du club m’a été transmis dès le berceau ! Mon père a encore eu Goethals comme entraîneur. Pendant la semaine, l’équipe allait régulièrement jouer un match amical contre une petite formation de la région. A un certain moment, le ballon a été envoyé au loin et a atterri dans un bois. Mon père est parti à sa recherche. Au bout d’un quart d’heure, il est réapparu avec dans une main le ballon et dans l’autre un lapin qu’il avait attrapé ! Goethals n’en a pas cru ses yeux et s’est exclamé : -Et bien Toine, c’est du beau, fieu ! Ce à quoi mon père a répondu : -Est-ce toi qui vas donner à manger à mes enfants, demain ?  » (ilrit)

VICE-CHAMPION GRÂCE AU PIÈGE DU HORS-JEU

Tu as commencé en équipe-fanion en 1962, à l’âge de 19 ans.

POLLEUNIS : J’ai failli louper mes débuts. J’effectuais mon service militaire, à l’époque, et j’étais caserné à Euskirchen, en Allemagne. Nous avions un peu fait la fête le vendredi soir et quelques bouteilles avaient volé en éclats. Je n’avais sans doute pas fait très attention et j’ai posé mon pied sur un débris de verre. Une entaille de cinq centimètres, au moins. Le sang giclait de partout ! La blessure a été soignée à l’infirmerie, du mieux que l’on a pu. Le match avait lieu le dimanche, à 15 heures. J’ai décidé de ne rien dire au médecin du club ! Par chance, l’aumônier de la caserne était supporter du STVV. Il m’a véhiculé jusqu’à Saint-Trond. Ma blessure me faisait horriblement souffrir. J’ai finalement joué mais j’ai quand même dû mordre sur ma chique à plusieurs reprises. Nous avons battu Gand 4-3 et j’ai marqué un but. Deux matches plus tard, nous avons battu Anderlecht à domicile sur le score de 3-1 et j’ai de nouveau marqué un but. J’étais lancé.

S’en est suivi une longue période sous Raymond Goethals.

POLLEUNIS : Il s’est bien adapté. La mentalité trudonnaire était très particulière. Un entraîneur qui n’était pas de la région ou qui ne parvenait pas à s’adapter n’avait aucune chance de réussir. Au début, cela n’a pas été facile pour lui. Je me souviens qu’un jour, Lemoine et Boffin se sont levés après la séance tactique, se sont précipités au tableau, l’ont renversé et se sont exclamés : – Nous n’allons évidemment pas jouer de cette manière ! Puis, ils ont expliqué comment eux-mêmes envisageaient la manière de jouer. Et c’est effectivement de cette manière-là que nous avons joué. Le Bruxellois a vite compris qu’il devait se montrer ouvert, sans quoi cela risquait de mal se terminer !

Qui était l’inventeur de ce fameux piège du hors-jeu que vous utilisiez très fréquemment ?

POLLEUNIS : Les joueurs eux-mêmes. Nos défenseurs étaient très forts dans les duels et excellaient dans le jeu de tête, mais ils manquaient de vitesse. Seul Martens, l’arrière droit, pouvait rivaliser avec des attaquants rapides. Nous devions trouver une solution. Nous nous sommes réunis, Goethals était présent aussi. Nous avons décidé de jouer haut, très haut, jusqu’à trois mètres derrière la ligne médiane, afin de pouvoir tendre constamment le piège du hors-jeu. Il fallait cependant trouver l’homme qui donnerait le signal pour avancer, et nous avons confié cette responsabilité à Claes. Le système fonctionnait parfaitement ! Les rapides attaquants adverses étaient constamment off-side ! Lorsqu’un attaquant adverse passait quand même à travers les mailles du filet, il était attendu par Bosmans, notre gardien. Il jouait 25 mètres devant son but, comme une sorte de libéro. Il valait mieux faire un grand détour pour l’éviter, sinon on était torpillé. S’il avait joué de cette manière aujourd’hui, il aurait écopé d’un carton rouge à chaque match ! (ilrit) Le président, monsieur Smeets, avait toujours un petit carnet en sa possession, dans lequel il notait le nombre de fois où un adversaire se faisait prendre au piège. Après le match, il dévoilait le résultat et on regardait si l’on avait battu le record du match précédent. Cette manière de jouer a surpris beaucoup de nos adversaires et nous a permis de devenir vice-champions !

ENTENDRE, VOIR ET SE TAIRE

Lorsque tu étais un jeune joueur, as-tu reçu des propositions d’autres clubs ?

POLLEUNIS : Oui, presque chaque année. J’ai rencontré Roger Petit, du Standard, à cinq ou six reprises. Chaque fois, mon père faisait tout pour que je reste à Saint-Trond ! -Tu as du sang jaune et bleu dans les veines, ta place est au Stayen ! répétait-il invariablement. Chaque fois que je m’entretenais avec Petit, Saint-Trond m’offrait 2.500 euros de plus pour rester. C’était le seul point positif de cette affaire. En 1970, j’ai reçu une proposition de Valence : 100.000 euros nets par an. Et ce, l’espace de 5 saisons. A Saint-Trond, je gagnais à ce moment-là 20.000 euros nets par an. Malgré tout, sur insistance de mes proches, je suis resté.

Tu as quand même fini par partir…

Polleunis : Lorsque j’ai eu 30 ans, le club a accepté de me vendre, mais il y avait une bonne raison à cela : les dirigeants pensaient qu’après mon opération au genou, je ne rejouerais plus jamais au plus haut niveau. Cela ne les a pas empêchés de demander 200.000 euros à leurs homologues molenbeekois, même s’ils n’en ont reçu que 137.500. Je n’ai jamais regretté cette mutation. Le RWDM, ce fut la plus belle période de ma vie ! Financièrement, je ne pouvais pas me plaindre : 50.000 euros par an. Et humainement, c’était dément. Le lundi était notre jour de sortie. Nous nous rendions rue de Malines, à Bruxelles, un endroit qui ne manquait pas de discothèques. Même Boskamp nous accompagnait régulièrement, mais il ne buvait pas d’alcool. De Bree et Teugels, eux, alternaient bières et whiskys. Le lendemain, on s’entraînait cependant à fond sous l’oeil du Boss. Sa devise était : celui qui se soûle doit aussi pouvoir souffrir !

Votre entraîneur, c’était Félix Week.

POLLEUNIS : Oui, sur papier. Mais Boskamp était le patron. Week était accepté parce qu’il nous laissait faire. Il ne se préoccupait de rien. La seule chose qui l’intéressait, c’était de bien manger. Il connaissait tous les bons restaurants de Belgique, mieux que nos adversaires ! (ilrit) Après la leçon de théorie, Johan et moi nous nous regardions, adaptions le schéma tactique et confiions les responsabilités aux autres joueurs. Parfois, Week ne remarquait même pas que l’occupation du terrain était différente de celle qu’il avait préconisée. Ou alors, il ne voulait pas le voir, c’est possible aussi. Chaque semaine, nous partions en mise au vert dans un hôtel d’Aartselaar. Félix était partisan de ces mises au vert, probablement parce qu’il pouvait se remplir le ventre sur le compte du club. Il commandait toujours le même menu : une grande sole comme entrée, un steak gigantesque comme plat principal et une dame blanche avec quatre boules de glace comme dessert. Après le repas, les joueurs regagnaient leur chambre, où ils jouaient aux cartes jusqu’à cinq heures du matin ! Après un moment, on ne se voyait plus à travers la fumée de cigarettes ! On n’a donc pas remporté le titre grâce à ces retraites. Félix Week n’effectuait jamais aucun contrôle. Son leitmotiv était : entendre, voir et se taire !

Pourquoi as-tu quitté le RWDM après trois ans ?

POLLEUNIS : Mon contrat était arrivé à expiration et je venais d’être opéré du tendon d’Achille. Michel Verschueren, qui était le manager du RWDM à l’époque, m’a téléphoné. Je pouvais prolonger mais je devais accepter une diminution de salaire de 20 %. J’ai refusé ! Piet De Visser, l’entraîneur, a essayé de me convaincre de rester mais je suis resté sur ma position. C’était une erreur, j’aurais dû accepter la proposition. J’ai alors fait la plus grosse connerie de ma vie : je suis parti à Tongres, en D2. Je n’étais pas habitué à l’ambiance qui régnait là-bas. C’était plein d’avocats et de juristes, on se serait cru au tribunal.

Et alors, il y a eu cette affaire de corruption à Tongres !

POLLEUNIS : Tout a commencé lorsque nous avons fait match nul, 0-0, contre le Patro Eisden. J’avais joué au libéro. Le soir, au café, j’ai croisé un dirigeant de Saint-Trond, qui luttait aussi contre la relégation en D3, comme le Patro. Nous avons un peu discuté, et à un moment donné, j’ai dit à cet homme que nous aurions dû gagner 3-0, vu le nombre d’occasions que nous nous étions créées. Il en a déduit que nous avions loupé ces occasions volontairement, afin d’offrir un point en cadeau à Eisden. Il a tout raconté à la direction de Saint-Trond qui, dans la foulée, a déposé plainte à l’Union belge. Peu de temps après, j’ai reçu une lettre de la fédération, qui m’enjoignait de venir m’expliquer à Bruxelles. Je n’ai pas pris l’affaire au sérieux et je ne me suis pas présenté. J’ai reçu une nouvelle convocation, et cette fois, j’ai bien dû y répondre. Il n’y avait aucune preuve, les deux clubs n’ont pas été inquiétés, mais j’ai été suspendu pour trois ans. Quelques personnes m’ont lynché. Je jure sur la tête de mon fils que je suis totalement innocent !

PAR GILBERT VAN BINST – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

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