Le roman DE RENARD

Le gardien carolo est de retour là où tout a commencé pour lui. Pour Sport/Foot Magazine, il revient sur l’ensemble de sa carrière.

Charleroi 1996-1999

C’est sans doute la meilleure période de ma carrière en termes d’ambiance de vestiaire. C’était encore la vieille génération et il fallait montrer énormément de respect envers les anciens. J’ai commencé à m’entraîner avec Istvan Gulyas, Eric Van Meir, Michel Rasquin, Dante Brogno, Rudy Moury. J’avais 16 ans et demi lorsque j’ai fait mon premier entraînement. Je jouais en juniors UEFA à Marcinelle et Luka Peruzovic, l’entraîneur de l’équipe première, était présent. Je lui avais tapé dans l’oeil et il avait demandé au président Jean-Pol Spaute pour m’avoir une semaine à l’entraînement avec les pros. La saison d’après, il me prenait comme troisième gardien. Pour moi, un rêve se concrétisait. J’avais effectué toutes mes classes à Charleroi et j’arrivais dans le noyau pro. A l’époque, je jouais uniquement par passion du sport ; je ne connaissais pas encore la face cachée du football. Depuis lors, j’ai vu le vrai visage du monde pro avec beaucoup de coups de couteaux dans le dos. Je me souviens que le gardien titulaire, Zsolt Petry avait pris deux cartes rouges d’affilée, ce qui m’avait permis de disputer quelques rencontres. Tout cela à 17 ans avec un contrat amateur. Inimaginable aujourd’hui. On reçoit un contrat de cinq ans avant de jouer une mi-temps complète.  »

 » Le noyau carolo était composé de fortes personnalités. Quand un jeune faisait un pas de travers, il avait droit à un double tacle à l’entraînement de la part d’un ancien. J’ai eu la chance d’être la coqueluche du vestiaire. Je n’avais pas mon permis et comme j’habitais Courcelles, je faisais la route avec Alex Teklak, originaire du même village. Il m’a éduqué footballistiquement parlant, tout comme Laurent Wuillot, qui me servait également de chauffeur. Encore maintenant, ils sont restés de grands amis. Dix ans plus tard, quand je me suis marié, ils étaient invités à la cérémonie, tout comme Roch Gérard et Marco Casto. Ça veut dire quelque chose ! Ce vestiaire m’a appris le mot respect et j’essaye d’inculquer cette valeur à mes enfants.  »

Les virées carolos

 » C’est clair qu’il s’agissait également du noyau le plus sorteur que j’aie connu dans ma carrière. Je me rappelle des troisièmes mi-temps, côté boulevard, au karaoké. On en a descendu des bières à cette époque-là ! Ça ne plaisait pas trop à mon père mais il voyait que je progressais sur le plan sportif ; il faisait donc confiance à Alex Teklak et au reste du groupe pour ne pas trop me dévergonder. Il a peut-être fait une erreur (Il rigole) ! Mais, bon, quand on voit la carrière de chacun, on n’a pas à rougir. Teklak compte plus de 300 matches au compteur ; moi j’ai connu l’étranger et je n’ai aucun regret par rapport à cette période (Il sourit). Je me souviens des soupers de joueurs. C’était une catastrophe. Il y avait toujours une grosse ambiance et on savait qu’il fallait avoir congé le lendemain car il n’aurait pas été possible de s’entraîner. Je me rappelle qu’après un souper, Alex Teklak n’avait pas vu que je freinais et m’était rentré dedans avec sa voiture. Adama Gueye avait connu la même mésaventure avec Franky Frans. Ces soirs-là, il valait mieux appeler un taxi ! Je trouve que ces moments de camaraderie se sont raréfiés dans les clubs. C’est dommage. J’en ai d’ailleurs parlé avec Felice Mazzu qui a connu cela dans les divisions inférieures où, une fois le match fini, tu vas à la buvette boire des verres avec les supporters.  »

Le départ de Charleroi

 » Après cette première saison, Spaute m’avait annoncé que je montais dans la hiérarchie. De troisième gardien, je passais second. Dans la foulée, je suis parti en Malaisie disputer avec les Espoirs la Coupe du Monde. Les gens retiennent surtout le 10-0 contre le Brésil – heureusement, c’était Jean-François Gillet dans les buts – mais pour nous, cela demeure une bonne expérience. On participait quand même à une Coupe du Monde ! Quand Robert Waseige est arrivé, il m’a mis en concurrence avec Frans mais je suis revenu de Malaisie blessé. Pendant ce temps-là, Frans réalisait de très belles prestations et fin 1999, Charleroi a commencé à avoir des problèmes financiers. On avait même dit que Milan Mandaric avait racheté les droits sur deux joueurs du Sporting : moi et Bertin Tokene. Un jour, Spaute a téléphoné à mon papa pour lui dire qu’il avait deux-trois offres de l’étranger et que la somme de transfert (entre 500.000 et 1 million d’euros) allait faire du bien à la trésorerie. De deuxième gardien à Charleroi, je pouvais passer deuxième gardien à l’Udinese, en Italie ! Sportivement, je faisais un pas en avant, et, il faut être honnête, financièrement aussi. Mon salaire était multiplié par huit. Les rumeurs parlaient également de l’arrivée de Geert De Vlieger, le gardien de l’équipe nationale belge, ou de Marjan Mrmic, le gardien de l’équipe croate. Cela m’a décidé à partir.  »

Udinese (1999-2000)

 » A l’époque, depuis Michel Preud’homme, plus aucune équipe n’avait osé mettre un gardien de 18 ans dans les buts. Gillet connaissait le même problème au Standard et nous sommes partis la même année en Italie. On a fait six ans d’Espoirs ensemble. A force, on était devenu des désespoirs !  »

 » L’Udinese avait déjà une bonne structure. Il s’agissait d’un club formateur, patient avec les jeunes. Je suis arrivé avec David Pizarro, Vincenzo Iaquinta et Stefano Fiore. Dès qu’un joueur étranger arrive, il reçoit des cours d’italien. Sa femme également. Ils font attention à ta famille. Ils la font venir assez souvent. Aucun problème pour obtenir un billet d’avion. C’est vrai que je suis resté six ans en Italie et que j’ai joué très peu. Mais je n’ai aucun problème avec cela. Je suis revenu en Belgique à 25 ans et j’avais reçu une bonne formation, appris à vivre seul et à être autonome. Je suis devenu un homme là-bas.  »

 » J’ai également fait la découverte du haut niveau. En Belgique, quand tu pars en stage trois jours, c’est déjà trop. A l’Udinese, on partait quatre semaines. J’ai connu six semaines à Modena. On s’entraînait deux heures et demie le matin, la même chose l’après-midi. On n’avait qu’une demi-journée de libre. Tu ne penses qu’à manger et dormir pendant cette préparation.  »

 » Je suis tombé amoureux de ce pays : tu as du beau temps, des belles filles (je me suis d’ailleurs marié à une Italienne), de la bonne nourriture, de la passion pour le football. Il y a de vrais fanatiques. Que ce soit à Udine, pourtant une ville calme, Modène ou Naples, il y avait toujours quelqu’un qui te reconnaissait dans la rue.  »

 » Cependant, il ne faut pas croire qu’il n’y a qu’à Charleroi qu’on sortait. A Udine, on se trouvait près de la mer et quand on avait terminé notre semaine d’entraînement, on sortait à Lignano. Un joueur de foot doit s’amuser car s’il pense trop au foot, il va droit dans le mur. Evidemment, si tu commences à boire des bières tous les jours ou les veilles de match, tu vas te planter !  »

2e retour à Charleroi (2000-2001)

 » J’avais bien progressé mais quand Charleroi m’a proposé un prêt, je n’ai pas hésité. Il s’agissait de la première année d’Abbas Bayat. Je devais recevoir du temps de jeu mais malheureusement pour moi, je me casse le pouce lors de la première semaine d’entraînement. Cela m’a procuré quelques problèmes avec Abbas car il partait du principe qu’un joueur blessé ne devait plus être payé. Ensuite, il a essayé de cacher ma blessure à l’Udinese. On m’a dit qu’il s’agissait d’une entorse du pouce et on m’a fait jouer quelques matches. Comme j’avais trop mal, l’Udinese m’a envoyé faire une radio en Italie et ils se sont rendu compte que j’avais ma capsule et les ligaments du pouce déchirés. J’ai donc dû me faire opérer. L’Udinese a voulu se retourner contre Charleroi mais j’ai calmé les esprits.  »

L’Udinese, Modena et Napoli

 » J’ai alors fait trois ans à l’Udinese mais j’ai eu la malchance de tomber sur Morgan De Sanctis qui n’était jamais blessé, ni suspendu. Je n’ai donc disputé aucun match de championnat. Seule la Coupe d’Italie. Face à l’Inter devant 70.000 personnes, à Bologne devant 30.000 personnes. J’ai quand même disputé de vrais matches ! J’ai côtoyé des Zinédine Zidane, des Ronaldo. Ça n’a pas de prix. Mais c’est vrai que j’aurais bien voulu jouer un match de Serie A. C’est un peu comme en équipe nationale. J’ai été repris quinze fois mais je n’ai pas disputé une minute. Cependant, je suis content de ma carrière et du respect que j’ai inspiré. L’Udinese m’a prolongé à trois reprises. Si je n’étais pas bon, les dirigeants m’auraient vendu plus tôt.  »

 » Après trois ans, je suis parti à Modena en Serie B ; j’ai débuté le championnat mais quand Modena a voulu m’acquérir à 50 % et que l’Udinese a refusé, je suis retourné sur le banc. C’est la première déception de ma carrière puisque pour la première fois, j’étais écarté non pas à cause de mes prestations mais pour des raisons extra-sportives.  »

 » En janvier, je suis donc parti à Naples, en Serie C, qui venait d’être repris par Aurelio De Laurentiis après la faillite. J’arrive un vendredi et comme je n’avais qu’un entraînement dans les jambes, l’entraîneur décide de faire jouer le gardien numéro deux, Matteo Gianello. Pas de chance pour moi, il fait un match canon et il reste titulaire. Je n’ai finalement disputé que deux rencontres alors que j’étais parti là pour avoir du temps de jeu. Naples, c’était trop chaud ! Je pouvais signer un contrat de trois ans mais la ville ne me convenait pas. Il fallait deux heures pour faire un kilomètre en voiture et quand tu allais en ville, tout le monde t’abordait, te suivait dans les magasins. Je me souviens que mes parents qui venaient rarement s’étaient déplacés et qu’on avait décidé d’aller au restaurant. Là, les supporters prenaient une chaise et s’invitaient à notre table alors qu’ils voyaient que j’étais avec mes parents ! Moi, j’ai besoin parfois d’un peu de calme en famille et à Naples, ce n’était pas possible.  »

Standard 2005-2008

 » J’ai rencontré Michel Preud’homme lors d’un tournoi à Genève. Il m’a dit que Vedran Runje avait insulté Dominique D’Onofrio et qu’il allait partir. Il m’a proposé un prêt et comme j’avais déjà l’idée de revenir en Belgique, j’ai tout de suite donné mon accord. Mais les beaux discours de Michel n’ont eu aucune suite. Runje n’est pas parti et au bout du compte, ce fut la saison la plus pénible. L’Udinese était en Ligue des Champions et pour venir au Standard, j’avais refusé la prime de participation… pour finir sur le banc au Standard. Au bout d’un an, j’étais persuadé que j’allais retourner à l’Udinese mais le Standard a décidé de m’acheter et de vendre Runje.  »

 » J’ai commencé le championnat sous pression car il n’y avait pas un jour sans qu’on ne cite le nom d’un nouveau gardien dans la presse. On a notamment évoqué Stipe Pletikosa. Lors de mon premier match, la défense était composée principalement de nouveaux joueurs. Quand je disais – laisse, ils prenaient le ballon et inversement. Mais au fil des rencontres, j’ai pris confiance. On a mal débuté la saison avec Johan Boskamp mais l’arrivée de Preud’homme a tout changé. Je le place dans mon top-2 d’entraîneur avec Luciano Spalletti, qui n’avait pas d’équivalent pour motiver tout le noyau. Il avait même un mot pour les remplaçants. Quant à Preud’homme, il avait le souci du moindre détail. Finalement, on a terminé à la troisième place, j’ai disputé tous les matches et j’ai reçu ma première convocation en équipe nationale.  »

 » Le vestiaire n’était pas facile avec les Sergio Conceiçao, Sa Pinto, Milan Rapaic. Je me souviens que j’intervenais souvent lorsque Conceiçao hurlait. Parfois, il s’égarait en insultant un jeune en italien. Et comme je comprenais l’italien, je ne pouvais pas accepter et je le lui faisais remarquer.  »

Malines 2008-2013

 » J’ai été écarté au Standard au profit d‘Aragon Espinoza après une blessure. J’étais rétabli et je pouvais jouer contre Mons. Mais on m’avait mis sur le banc. J’ai peut-être fait l’erreur de m’épancher dans la presse mais je trouvais qu’il s’agissait d’une vraie injustice. Certains m’ont dit qu’un jour ou l’autre, j’allais retrouver mon poste et que j’aurais dû patienter. Peut-être. Mais je ne regrette pas ce que j’ai dit. J’ai pris mes valises et je suis parti à Malines, avant-dernier, qui n’avait que 11 points à la trêve. On a fait un très bon deuxième tour et j’ai continué à être repris en équipe nationale. Mon choix était courageux mais s’est avéré judicieux. Certes, j’ai raté le titre du Standard, je n’ai pas été champion sur le terrain mais sur papier, j’ai quand même fait partie de l’équipe championne.  »

 » A Malines, je suis resté cinq ans. On m’a demandé de porter le brassard mais j’ai refusé car je n’avais pas besoin du brassard pour dire ce que je pensais. Par contre, le brassard pouvait aider certains joueurs à prendre une dimension particulière. C’est ce qui s’est passé avec Julien Gorius ou Joachim Mununga. Lui, il était toujours en retard aux entraînements. Le brassard lui a permis de respecter les horaires. Quand je suis arrivé à Malines, j’étais le premier gros transfert depuis la faillite. Le Kavé avait payé 300.000 euros pour s’attacher mes services et il y avait une grosse attente. Mais je me suis directement senti bien là-bas. Les supporters m’adoraient et ils avaient même inventé une chanson à mon nom. Là, j’ai retrouvé un vestiaire familial. On restait avec les supporters après les matches. On buvait bière sur bière, en compagnie notamment de Björn Vleminckx. Je trouve que le club a perdu son âme et son côté familial lors des deux dernières saisons. Les supporters et les joueurs s’en rendent compte. J’ai voulu faire passer ce message en partant.  »

 » J’ai terminé ma période malinoise comme troisième gardien. J’ai été blessé en début de saison et par la suite, j’ai demandé à passer derrière Wouter Biebauw pour qu’il puisse toucher les primes de match. Tout le monde parle de mon dos mais j’ai été opéré il y a trois ans et depuis lors, j’ai joué 95 % des rencontres. Je peux parfois être bloqué deux-trois jours mais cela arrive deux fois par saison, pas plus. Je crois que mon contrat a pesé plus que mon dos. Après la finale de Coupe de Belgique, j’ai eu l’opportunité de partir à Heerenveen mais comme le Kavé avait déjà laissé partir Nana Asare et Vleminckx, ils ont voulu me garder et m’ont offert un très bon contrat. A partir du moment où j’ai signé, j’ai vu que j’avais une pression supplémentaire. J’avais cette sensation que l’on guettait la moindre petite faute. On me faisait comprendre que je coûtais trop cher au club et qu’il valait mieux que je parte. « 

PAR STÉPHANE VANDE VELDE

 » Je me souviens des soupers de joueurs à Charleroi. Il fallait absolument avoir congé le lendemain…  »

 » J’intervenais souvent lorsque Conceiçao hurlait. Parfois, il s’égarait en insultant un jeune en italien. « 

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