Le roi des ROLIGANS

De retour au Danemark où il entraîne Brøndby IF, l’ancien milieu offensif revient sur ses propres souvenirs d’EURO.

« Le Danemark est un petit pays qui a entamé au Portugal son sixième EURO d’affilée depuis 1984, un exploit que des nations comme l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie ou les Pays-Bas n’ont pas réussi. Nous nous sommes même qualifiés alors que l’équipe ne recelait pas tellement de joueurs doués. C’est pour le moins surprenant !

1984 a été très excitant : c’était le premier tournoi, pour moi comme pour le Danemark. Nous nous sommes qualifiés dans un groupe très difficile, battant l’Angleterre 1-0 à Wembley, grâce à un coup de réparation d’Allan Simonsen. Pour la première fois, notre petit pays allait donc participer à un grand tournoi. Nous en rêvions. Nous savions que nous avions une bonne équipe, ce qui avait échappé à nos concurrents ! Notre premier match nous opposait à la France, au Parc des Princes. Nous avons décidé d’en profiter, de développer notre jeu et de voir ce qu’il en ressortirait. Nous avons bien joué. Nous nous sommes inclinés d’une manière quelque peu malheureuse, sur un but de Michel Platini. Cependant, l’équipe était remontée.

L’affiche suivante était encore plus relevée. Jamais encore nous n’avions vaincu la Yougoslavie mais d’un coup, tous les ingrédients du succès se sont assemblés et nous nous sommes imposés 5-0. Nous savions que les équipes d’Europe de l’Est pouvaient développer un football fantastique mais que si nous marquions un ou deux buts, elles pouvaient perdre courage. Je pense que c’est ce qui est arrivé : quand nous avons mené 2-0, trois ou quatre adversaires ont paru baisser les bras. Face à la France, nos supporters étaient en infériorité numérique. Cette fois, le nombre de drapeaux, de T-shirts et de visages peints en rouge et blanc était impressionnant. Depuis lors, nous sommes devenus des roligans, soit le contraire des hooligans.

A Strasbourg, nous devions croiser le fer avec la Belgique. Quatre ou cinq des nôtres évoluaient alors à Anderlecht, comme plusieurs internationaux belges. Une dizaine de coéquipiers allaient donc s’affronter. Nous nous tirions bien d’affaire mais à la demi-heure, nous étions menés 2-0. A la fin de la première mi-temps, nous avons bénéficié d’un coup de réparation puis Kenneth Brylle a égalisé, peu après la pause. Un match nul nous aurait suffi pour atteindre les demi-finales mais Preben Elkj£r Larsen (Lokeren) a alors inscrit un but formidable. Parti de l’entrejeu, il a mené toute l’action à terme, sans aide. C’était une nouvelle victoire incroyable, qui nous propulsait parmi les quatre meilleurs du plus grand tournoi que nous ayons jamais disputé !

La demi-finale a constitué une amère déception. Nous avons été meilleurs que l’Espagne. Nous menions 1-0 en première période, et ensuite, deux de nos tirs ont heurté le poteau. Si nous avions marqué ces deux buts, nous l’aurions emporté. Malheureusement, nous nous sommes inclinés aux tirs au but. Le pire, c’est que la France avait été très forte jusque-là. Michel Platini avait émergé, en marquant huit buts en quatre matches, mais à ce stade, l’Hexagone avait des problèmes et pouvait s’estimer bien heureux d’avoir remporté l’autre demi-finale contre le Portugal (3-2), aux prolongations. Je ne peux m’empêcher de penser, de nos jours encore, que si nous avions joué contre la France en finale, nous aurions eu de grandes chances de l’emporter.

Platini était un meneur de jeu classique comme on n’en voit plus guère maintenant. Un milieu qui reprend le ballon en défense est capable de dribbler trois ou quatre adversaires et réalise toutes les passes importantes. Il a excellé à la finition durant l’EURO 1984 et a été le meilleur buteur du championnat d’Italie à deux ou trois reprises. La France était la première, du moins en Europe, à disposer d’un quatuor médian capable d’assumer toutes les tâches : il ne se résumait pas à Platini et à trois joueurs qui faisaient le travail pour lui. Alain Giresse, Jean Tigana et Luis Fernandez étaient également des meneurs de jeu. On ne peut évidemment pas s’appuyer sur un seul joueur, impliqué dans chaque mouvement, obligé de tout créer lui-même « .

1988 : le flop

 » La France et le Danemark ont participé à la Coupe du Monde 1986 au Mexique mais, alors que la France n’a pas su se qualifier pour l’EURO suivant, le Danemark a été confronté à un problème. Certains joueurs étaient proches de la retraite et d’autres étaient blessés, comme moi. Cependant, j’étais encore jeune. Sept ou huit éléments figuraient dans la sélection depuis 1982. Que devait donc faire Sepp Piontek, notre entraîneur ? Devait-il expliquer à cinq ou six joueurs qui avaient été des pièces maîtresses de l’équipe pendant six ans qu’ils n’étaient plus repris ? Devait-il les sélectionner ? Piontek a décidé de leur offrir un dernier tournoi. Cela ne nous a pas réussi. Trop de joueurs étaient blessés alors qu’ils étaient au crépuscule de leur carrière. Nous avons perdu nos trois matches. Evidemment, nous avons affronté l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne, trois des cinq meilleures formations du monde. Nous nous sommes inclinés respectivement 3-2, 2-0 et 2-0. Nous aurions pu faire mieux. Devenu moi-même entraîneur, je dois avouer que j’aurais agi comme Piontek « .

1992 : la victoire depuis New York et les Caraïbes

 » Puis ce fut 1992, le plus grand succès du Danemark, auquel je n’ai pas participé. J’étais accaparé par Barcelone. Le premier match, contre l’Angleterre, s’est achevé sur un nul. Le suivant n’a pas été relevé. Nous avons perdu 1-0 contre la Suède. Nous devions donc battre la France. En entendant que c’était 1-1, j’ai pensé que c’en était fini puis mon beau-père m’a téléphoné : nous avions gagné ! Le jour de la demi-finale face aux Pays-Bas, nous étions à New York. Mon beau-père, originaire de Norvège, regardait les tirs au but quand je l’ai appelé. Il me les a commentés : -Celui-là est dedans, il a marqué. Ils viennent d’égaliser… Au moment de la finale, nous étions aux Caraïbes. A la mi-temps, j’ai téléphoné chez moi. On m’a annoncé que le Danemark menait 1-0. Une heure plus tard, j’ai appris que nous avions gagné ! C’était inouï ! Même le journal local a réalisé un reportage sur les supporters fêtant la victoire à la Rådhuspladsen de Copenhague.

Est-ce que je regrette de ne pas avoir joué ? Au coup d’envoi de la finale et quand notre capitaine a reçu le trophée, j’aurais aimé être là. Mais j’avais fait un choix en 1989. J’avais mes raisons. Je vivais une période délicate. On m’estimait beaucoup. Je venais de quitter la Juventus pour Barcelone. J’avais fait partie de deux sélections de l’équipe nationale, celle du milieu des années 80 et celle de 1988-1990. Je n’étais pas prêt à être au centre d’une troisième formation alors même que je devais être performant dans mon club. Surtout, j’avais l’impression que l’équipe nationale ne tirait pas le meilleur parti de moi-même car son style de jeu était complètement différent de celui de mon club. Il aurait été fantastique de participer à cet EURO mais je n’aurais sans doute pas connu la même réussite à Barcelone si j’avais consacré mon énergie à l’équipe du Danemark et assumé les responsabilités qui allaient de pair. Je pensais qu’une fois reconnu comme joueur de classe internationale à Barcelone, je pourrais revenir en équipe nationale. C’est ainsi que j’ai joué encore cinq ans en sélection nationale. Je réfléchis avant d’agir et je suis convaincu d’avoir effectué le bon choix. Je ne le regrette pas et pour rien au monde, je n’échangerais les trophées que j’ai gagnés et ce que j’ai accompli en Espagne contre une victoire à l’EURO 1992 « .

1996 : des attentes démesurées

 » L’EURO 1996 a été très difficile. Champion en 1992, le Danemark avait raté de justesse la qualification pour la Coupe du Monde 1994 et notre peuple espérait trop de nous. Puisque nous avions gagné en 1992, nous devions au moins disputer les demi-finales, voire la finale. De fait, nous avons obtenu les mêmes résultats que quatre ans auparavant : nous avons commencé par un nul 1-1 contre le Portugal, qui avait une meilleure équipe, comme contre l’Angleterre en 1992. Nous avons perdu le deuxième match face à la Croatie 1-0, comme contre la Suède, et nous avons battu la Turquie, comme nous l’avions fait contre la France. Mais cette fois, nous n’avons pas atteint les demi-finales. Les gens ont donc considéré cet EURO comme une catastrophe ou du moins un très mauvais tournoi. Nous n’avons pas bien joué, nous avons pris quatre points et c’est tout « .

2000 : la réussite avec les Bleus

 » La France va maintenant défendre son titre. Durant ces six ou sept dernières années, la France a prouvé qu’elle figurait parmi les meilleures nations d’Europe. Regardez le Real Madrid, la Juventus, Arsenal ou d’autres grandes équipes. Tous, ils puisent leur inspiration dans des joueurs français. On aborde là une question difficile. Jouent-ils pour un club parce qu’ils sont bons en équipe nationale ou brillent-ils avec celle-ci grâce à ce que leur club leur a enseigné ? La France dispose de nombreux footballeurs qui ont évolué longtemps ensemble et sa trame repose sur Zidane, Desailly, Henry, Pirès, Thuram et quelques autres. Le succès va également de pair avec un brin de chance. Je pense que la France en a eu beaucoup en finale de l’EURO 2000 à Rotterdam : n’oubliez pas qu’à la 93e minute, l’Italie menait 1-0. Durant la Coupe du Monde 1998, elle a également eu recours aux prolongations pour vaincre le Paraguay et aux tirs au but pour se défaire de l’Italie « .

2004 : les vertus de la formation

 » La France bénéficie de la diversité culturelle de ses joueurs tout en excellant dans la formation des jeunes, contrairement aux grands clubs d’autres nations qui préfèrent acheter des joueurs plutôt que de les former. Elle balise la voie du futur. Je sais que la formation d’un joueur est onéreuse, mais moins que l’achat d’un footballeur accompli de 25 ans. Le Danemark doit former ses propres joueurs car le football ne rapporte pas assez pour nous permettre d’être concurrentiels sur le marché des transferts.

Je suis convaincu que chaque équipe doit s’articuler autour de joueurs nationaux. Le règlement permet de transférer des joueurs des quatre coins de l’Union européenne sans limite mais je ne voudrais pas que mon équipe compte huit ou neuf étrangers. Le Danemark a l’habitude de former les jeunes joueurs. Les meilleurs s’expatrient mais font ensuite bénéficier l’équipe nationale de leurs acquis. Nous devons agir ainsi parce que le Danemark est un petit pays. Selon moi, tous les pays, petits ou grands, devraient faire de même.

Je suis favorable à un règlement qui impose un minimum de joueurs nationaux, bien que ce soit difficile et que cela nécessite une étude approfondie, suite à l’arrêt Bosman et aux lois sur la libre circulation. Il y a 10 ou 15 ans, on transférait des étrangers afin d’élever le niveau de l’équipe et de lui apporter ce qui lui manquait et qu’il était impossible de trouver au sein du pays. Si j’ai besoin d’un avant-centre et que je n’en trouve pas au Danemark, il est légitime que je le cherche ailleurs. Mais si j’en connais 15 au Danemark, pourquoi me tournerais-je vers l’étranger ? Je connais la réponse : ce sera peut-être moins cher ! C’est un aspect important mais il ne faut pas enrôler d’étrangers à cause de leur seul prix.

C’est aussi une question de culture. Quand Barcelone a gagné la Coupe d’Europe en 1992, il possédait Ronald Koeman, Hristo Stoitchkov, Richard Witschge et moi-même. Mais le club ne pouvait aligner que trois de nous simultanément. En termes purement footballistiques, vous pouvez avoir huit ou neuf étrangers et si vous les conservez trois ou quatre ans, ils joueront sans doute en équipe. Cependant, les Espagnols formaient la base de cette fameuse équipe catalane, comme les Italiens de Milan, à la même époque, qui avaient trois étrangers : Gullit, Rijkaard et Van Basten. Un ancien coéquipier m’a récemment raconté que, de retour dans le vestiaire de son club, il avait entendu parler portugais, néerlandais, anglais, bulgare et que sais-je encore, alors que dans un coin, seuls deux ou trois joueurs du cru pouvaient s’exprimer dans leur propre langue. Je me suis toujours considéré comme un invité qui devait faire preuve de respect à l’égard du pays qui m’accueillait. C’était à moi de m’adapter. Si un footballeur n’y parvient pas en dehors du stade, il lui est difficile de le faire sur le terrain.

J’ai fêté mon anniversaire pendant l’EURO 2004. Comme je l’avais fait en France en 1984, au Mexique en 1986, en Allemagne en 1988, en Angleterre en 1996, en France en 1998, au Japon en 2002… mais je n’étais pas au Portugal. J’y ai pensé mais nous avons décidé de ne pas y aller. Nous sommes quand même restés en Europe, afin de pouvoir suivre certains matches à la télévision. Le 15 juin a été un grand jour pour l’UEFA et pour moi  » !

Frits Ahlstrom, UEFA (European Sports Magazines)

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