Le réveil d’un géant

Cela fait maintenant plus d’un an que le duo Debecq-Bayat a repris le club. Les projets se bousculent et la machine se met en marche. Mais cela demande du temps et encore un peu de patience.

Il ne manque personne. Le communiqué de presse évoquait une mise au point de la Ville et du Sporting sur les dossiers litigieux mais on était loin de se douter que cela drainerait autant de monde. Les services de presse des différents échevins ont bien travaillé. Certains médias ont même délégué trois journalistes, un pour les pages sport, un pour les pages nationales et un autre pour la régionale. C’est le Sporting qui reçoit mais ça donne un peu l’impression que la Ville a pris possession de l’endroit. Les dirigeants carolos ont le sourire discret ; les politiques se mettent en scène. Tout le monde se serre autour des deux tables assemblées au dernier étage du stade du Pays de Charleroi. Le bourgmestre, Paul Magnette, orchestre tout cela. Charisme oblige. Autour de lui, l’échevin de la régie foncière, Eric Goffart ; celle des infrastructures sportives, Véronique Salvi ;et celui des sports, Philippe Van Cauwenberghe. Le reste du collège anime le premier rang. De l’autre côté de la table, le Sporting est représenté par son président Fabien Debecq, sonadministrateur délégué Mehdi Bayat, et son vice-président Alain Gaume. Le symbole se veut fort : deux entités qui tentent de se redresser sur les cendres du précédent pouvoir.  » Depuis l’arrivée de Paul Magnette, Charleroi est en train de retrouver une âme. Et j’espère que le Sporting va participer à cette reconstruction « , évoque d’ailleurs Debecq.

Pourtant, il suffit de se balader dans la ville basse de Charleroi, défigurée par les travaux et les expropriations, fantôme de la ville autrefois si animée, pour atténuer cette image de reconstruction. Les projets sont certes lancés mais loin d’être aboutis. Et il faut beaucoup d’imagination pour trouver une trace de  » cette âme reconstruite « . Si Charleroi risque de devenir la ville du futur et peut s’ériger en modèle de reconstruction urbaine, on n’en est pas encore là. Les choses paraissent plus concrètes pour les Zèbres. Pourtant, même si depuis la reprise du club par le duo Debecq-Bayat, le Sporting se réveille, il y a encore du chemin.  » Oui mais aujourd’hui, on est redevenu un club normal. Je ne parle pas encore de réussite mais je remarque qu’on n’évoque plus le Sporting en mal « , explique Mehdi Bayat.

Comme l’équipe Magnette, le club a joué à fond la carte de la communication. Avec le fameux slogan Carolos are back, le Sporting a visé juste.  » On voulait faire comprendre aux gens que le Sporting était LE club de foot de la ville. Carolo, c’est tout un état d’esprit, une mentalité, pas toujours bien comprise, souvent décriée. On parle de la ville noire, minière, peuplée de gens paresseux. Moi, j’ai perçu le potentiel. C’est un géant endormi, un peu comme la Chine ou l’Inde (sic). Aujourd’hui, je pense qu’on peut être fier d’être Carolo. On n’a plus de complexes à avoir.  »

Le Sporting sort gagnant de son litige avec la ville

Si le collège communal s’est délocalisé, c’est surtout pour annoncer la fin du litige entre ville et Sporting qui dure depuis cinq ans.  » C’est historique « , n’hésite pas à clamer Magnette. Un peu forcé. Mais ça enlève certes une épine du pied de la nouvelle équipe dirigeante du Sporting. Désormais, le club devra s’acquitter d’un loyer de 45.000 euros par an, la ville abandonnant les arriérés, et entretenir la pelouse à ses propres frais. Le club a également reçu la jouissance de l’école des jeunes de Marcinelle pour une durée de 30 ans, la ville se délestant  » petit à petit  » des frais énergétiques. Les deux amoureux éperdus ont également décidé d’avancer main dans la main dans le dossier du stade. La toiture verra le jour mais la ville ne veut pas se précipiter et attend que le permis soit délivré en bonne et due forme.  » Mais il faut aussi repenser le stade dans sa dynamique urbaine « , explique Véronique Salvi. Derrière cette phrase vide, les deux acteurs penchent sur une modernisation du stade et de ses abords (combler les côtés, aménager le dessous des tribunes, etc).  » Quand on fait le tour du stade, on voit très bien ce qu’il manque « , ajoute l’échevine des infrastructures. Clap de fin. Echange de cadeaux et verre de l’amitié pour des retrouvailles rondement ficelées.

Si le Sporting peut se féliciter de cet accord, que penser de la position de la ville ?  » Ils ne sont que dans l’image « , lâche un élu communal.  » Mais cela fait partie de la stratégie de Magnette. L’élite permet de redorer le blason de la ville et il mise tout sur la culture et un peu sur le bling bling sportif. Laisser tomber toutes les charges du passé consiste à laisser tomber plus de 2 millions de dettes (NDLR : Le Soir avance même le chiffre de 3 millions). On parle quand même d’une ville qui a réduit les coûts de tous les postes et qui est au bord du licenciement de personnel. Si on prend en compte l’ensemble des prêts et des coûts d’entretien, le stade coûte 1,1 million d’euros par an. Or, le Sporting ne va payer qu’un loyer annuel de… 45.000 euros et l’entretien de la pelouse estimé à 75.000 euros. La ville est archi-perdante.  »

En deux ans, le Sporting est passé de 18 à 300 repas

Quelques jours plus tard. Même lieu. Il est 22 h 30 et le Sporting a concédé un match nul contre Malines (2-2). A la fin de règne d’AbbasBayat, la salle rose, épicentre de l’ambiance dans les années 90, se vidait cinq minutes après la fin des matches. Petit à petit, elle renoue avec sa propre légende. Celle qui la voyait vider fûts après fûts jusqu’aux petites heures du matin. Mais il faut monter un étage plus haut pour apercevoir une parcelle du renouveau carolo. Le monde se presse dans les business seats. Pour fidéliser le client, la direction n’hésite pas à proposer quelques animations. Aujourd’hui, c’est soirée latino. Un bar à mojitos, une démonstration de salsa et le tour est joué. La sauce prend et les invités restent.  » Avant, tout cela était impersonnel ; désormais c’est beaucoup plus familial « , explique Vincent Baio, de la firme immobilière Immo Contact, sponsor depuis six ans. Contre Malines, le Sporting a commandé 300 repas, deux semaines plus tôt, face à Lokeren, il y en avait 250.  » Et on s’attend à 600 repas contre le Standard et Anderlecht ! « , explique Walter Chardon, directeur commercial du Sporting. Lors de la dernière saison en D1 d’Abbas Bayat, il n’y avait eu que 18 couverts lors d’un sommet face au Club Bruges. Une misère.  » On entendait les mouches voler « , se souvient Baio.

Un an après la reprise du club, les entrepreneurs carolos ont donc retrouvé le chemin du Mambourg.  » J’ai tendance à dire qu’une fois le club repris, on n’a pas commencé à zéro mais à -10 « , continue Chardon.  » Je ne m’attendais pas à une telle charge de travail. Sept jours sur sept, 16 heures par jour. J’allais me coucher à minuit et me relevais à 2 h pour envoyer un mail. Pendant dix ans, tous les sympathisants du Sporting avaient morflé. Cela en avait dégoûté plus d’un. Après quelques mois, on constatait déjà un retour de certaines entreprises. Cela n’était pas évident car il fallait qu’elles croient au projet, sur le moyen et le long terme. Il a fallu leur faire comprendre que leur investissement n’allait pas nécessairement être rentable du jour au lendemain.  » Pour convaincre certains, il a fallu sortir l’artillerie lourde. En novembre 2012, quelques mois après la reprise, le Sporting sortait la première opération-charme en invitant toutes les forces vives de la région (entreprises, presse, politiques). Un mois plus tard, un grand entrepreneur de la région, actif dans le domaine des châssis, Alain Gaume,mettait ses billes dans le Sporting et devenait vice-président.  » J’ai été président et vice-président dans le domaine du futsal mais le retour sur investissement est bien plus fort ici « , reconnaît-il.  » J’ai l’impression d’avoir intégré une famille.  » Depuis lors, d’autres entrepreneurs ont pris son sillage.  » Et je préfère faire des affaires avec des entrepreneurs qu’avec des architectes « , sourit-il mystérieusement.  » Avec ces derniers, on ne quitte jamais le stade des avant-projets.  » Preuve donc qu’on fait désormais des affaires au Mambourg !  » Je veux que le Sporting redevienne The place to be « , lâche d’ailleurs Chardon. Les événements et les journées partenaires ont également conquis. Depuis un an, le sponsoring a été multiplié par trois.

 » On reste méfiant car on ne veut plus se faire avoir  » (Amaury Otoul)

Ce match se déroulait en semaine. Jamais bon pour les affaires, paraît-il. Même en période de congé scolaire. Pourtant, ce jour-là, le Mambourg configuré pré-Euro 2000 (le toit en moins) a connu sa plus belle affluence. La T2, véritable cauchemar des riverains pendant 13 ans, et désespérément vide depuis le début de saison, a fait le plein. L’invité du jour n’a pourtant pas l’attrait des cadors du championnat. Car qu’on ne s’y trompe pas, les Zèbres d’un jour ne sont pas venus pour s’émerveiller du football malinois. Non, ils ont été attirés par une campagne promotionnelle, activée par le Sporting et dont les partenaires commerciaux étaient les forces de frappe. Il suffisait de voir la file au secrétariat en cette veille d’Halloween. Tous munis de La Nouvelle Gazette du jour, ces gens venaient chercher la place gratuite promise par leur journal.

Les supporters d’un soir n’ont pas encore la vigueur et le fanatisme des irréductibles mais certains ont mordu à l’hameçon et ont promis de revenir. Quant aux fidèles du premier jour, eux qui se tuent à mettre l’ambiance à chaque match, ils ont regardé, amusés, cette affluence improbable. Sans jalousie, ni sentiment de violation de propriété.  » Les supporters qui ont déserté, dégoûtés par la gestion d’Abbas Bayat, ne vont pas spécialement revenir car la plupart d’entre eux ont tourné la page. Ils ont d’autres préoccupations ou loisirs « , explique Amaury Otoul, porte-parole de l’Amicale des Supporters.  » Il faut que le club attire une nouvelle génération de supporters. Ces actions vont en sensibiliser certains et petit à petit, ils vont se plonger dans l’ambiance.  »

Certes, ils repartent un peu frustrés mais secs. C’est déjà ça.  » Jusqu’à présent, on a eu de la chance. Depuis le début de la saison, on n’a pas encore été rincé une seule fois « , dit Otoul. Pourtant, les mauvais jours arrivent à grands pas et l’absence de toiture va bien finir pas se faire ressentir.  » Le fait d’avoir supprimé un étage, ça peut être mieux pour l’ambiance mais il manque une toiture. On n’en veut pas au club, c’est totalement indépendant de leur volonté mais on peut comprendre ceux qui n’ont pas repris leur abonnement.  » Car, même si l’espace d’un soir, le peuple carolo s’est retrouvé sur les hauteurs de la ville pour faire la fête à son Sporting, l’engouement n’est pas encore autant palpable dans les tribunes que dans les salons d’affaires. La faute à un stade ouvert à toutes les intempéries. La faute aussi à un long conflit entre noyau dur et Abbas Bayat. Certains ne s’en sont jamais remis ; d’autres restent dubitatifs.  » On adhère au nouveau projet, au slogan Carolos are back mais sans croire tout sur parole. On reste méfiant car on sort de dix ans compliqués. On ne veut plus se faire avoir « , résume Otoul.

Et puis, il y a le patronyme Bayat qui continue à faire peur.  » On a remplacé l’oncle par le neveu « , entend-on parfois. L’ombre de Mogi, présent à tous les matches à domicile, est également pesante. Mehdi, lui, refuse de passer son temps à prouver sa bonne foi.  » Je veux qu’on me juge sur mon travail « , dit-il avant de s’épancher davantage.  » Mon frère reste mon frère et il n’est pas question que je lui interdise de venir au stade pour rassurer certaines personnes. Il s’agit de ma famille, il vient avec mon neveu, passionné de foot, et moi, ça me fait plaisir de les voir tous les deux au Sporting.  »

Un centre d’entraînement à Fleurus ou Gilly

Deux jours plus tard, 1er novembre. Manifestement, ce sera le prochain défi du Sporting new-look : fidéliser ses supporters. En ce jour férié, ils ne sont qu’une dizaine à l’entraînement. Il pleut mais ça fait quand même peu. Les troupes de Félice Mazzu s’entraînent sur le site de Marcinelle. Entouré par un des terrils relié au charbonnage du bois du Cazier, il constitue une image d’Epinal de Charleroi. Le site n’a pas beaucoup changé. Du moins, côté pro. Une différence notable par rapport aux années précédentes : la pelouse est un véritable billard.  » Pourtant, je ne vais pas pouvoir la tenir encore longtemps comme cela ; les mauvais jours arrivent « , nous explique le jardinier professionnel engagé cette saison par le club pour s’occuper des terrains des pros. A la fin de l’entraînement, le ton est à la plaisanterie. Quelques jours plus tôt, le staff s’est essayé à une séance de penalties avec Bison Gnohéré improvisé gardien, sous le regard des caméras de Belgacom. Ce matin-là, les joueurs vont signer quelques autographes pour récompenser la poignée de fidèles. D’autres vont à la recherche des ballons perdus dans les bosquets.  » Un ballon perdu, c’est 90 euros « , nous explique Mario Notaro.

De l’autre côté du site a pris place le nouveau bâtiment de l’école des jeunes. Il paraît qu’il y a une salle de musculation et même des douches (personne ne nous dit si l’eau est chaude ou pas). L’inauguration aura lieu bientôt. Même si la ville n’interdit pas aux pros d’occuper les vestiaires, Mehdi Bayat n’y compte pas. Lui, il voit plus grand.  » Dans les trois à cinq ans, j’aimerais bien avoir un centre d’entraînement à nous. J’ai déjà prospecté et retenu deux sites, l’un à Fleurus et l’autre à Gilly. « .

Un peu plus loin, entre le nouveau bâtiment et le club de pétanque, la bulle fait pâle figure. Il y a trois ans, cette immense toile blanche qui recouvrait un terrain synthétique s’est déchirée et affaissée. Elle n’a jamais été remplacée. Ouvert à tous les vents, le terrain synthétique est inutilisable.  » Comme nous avons maintenant un bail de 30 ans, nous avons le projet de raser cette bulle « , rassure Pierre-Yves Hendrickx.  » On fera un nouveau terrain synthétique. Mais on ne sait pas encore s’il sera couvert ou pas.  » Un nouvel élan a donc saisi ce club centenaire.  » Quand un dossier se clôt, on peut en ouvrir un autre « , dit Mehdi, volontaire.  » On a envie d’y croire « , conclut Otoul. Nous aussi.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS : IMAGEGLOBE

 » Le Sporting ? Une condition nécessaire mais pas suffisante à Charleroi.  » Ingrid Colicis, ex-échevine des sports

 » Je ne m’attendais pas à une telle charge de travail. J’allais me coucher à minuit et me relevais à 2 h pour envoyer un mail.  » Walter Chardon, directeur commercial

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