Le rêve européen

L’international US touche au but qu’il s’était toujours assigné : jouer dans un club du Vieux Continent.  » Anderlecht est fait pour moi, je le sens déjà « , confesse-t-il.

De tous les nouveaux transfuges de l’été, Sacha Kljestan est sans conteste celui qui a obtenu le plus de temps de jeu en ce début de saison. Et marqué le plus de points aussi, au propre comme au figuré, comme l’attestent ses premières stats : un but d’ouverture précieux à la faveur du premier déplacement européen chez The New Saints et une passe décisive à destination de Tom De Sutter lors du retour au Parc Astrid, mardi dernier. Pas mal pour un joueur qui vient d’effectuer le grand saut vers l’Europe.

Sacha Kljestan : Je suis moi-même quelque peu surpris par cette intégration rapide. Elle s’explique probablement par les bonnes bases que j’ai reçues jusqu’ici dans ma carrière. Aux Etats-Unis, je suis passé à peu de choses près par tous les postes et les systèmes possibles dans la ligne médiane. Et je n’étais pas dépaysé, à Anderlecht, en héritant tantôt d’un rôle offensif ou défensif dans une approche en 4-3-3 ou en 4-2-3-1 comme ce fut le cas sur deux manches face aux Gallois. Je n’ai pas été décontenancé non plus en évoluant aux côtés de Lucas Biglia et Cheikhou Kouyaté, puis de Lukas Marecek et Cristophe Diandy, puisqu’en préparation, j’avais été associé à pas mal de monde au sein de l’entrejeu. J’ai la chance aussi d’être tombé dans une équipe qui mélange les genres en fonction du vécu de ses joueurs. Si je parviens à trouver les yeux fermés des forwards comme Matias Suarez ou Pablo Chavarria, comme face aux New Saints, c’est parce que, chez les Chivas, le tiers de l’effectif était composé de Latinos. Je sais dès lors plus ou moins à quoi m’attendre avec nos Argentins ( il rit).

Vous avez grandi dans la banlieue de Los Angeles. Comment, dans cette mégapole qui abrite entre autres les Lakers, les Dodgers et les Clippers, un jeune peut-il être attiré par le football ?

Sacha Kljestan : C’est mon père qui m’a poussé. Originaire de l’ex-Yougoslavie, il avait lui-même tâté du foot au Zeljeznicar Sarajevo avant de mettre le cap à 14 ans sur les Etats-Unis. Si ce sport avait alors eu le même succès que le basket, il aurait pu faire carrière, qui sait. Mais il n’en allait pas ainsi, à cette époque, et il a gravi un à un les échelons dans un tout autre domaine : la construction. Il n’empêche que le virus du ballon rond ne l’a jamais lâché et qu’il a toujours visé, par procuration, à rectifier le tir via mon frère aîné, Gordon, et moi. Ça lui a plutôt bien réussi, puisque nous avons tous deux fait du football notre métier, lui en D2 américaine. D’après ma mère, mon père a vraiment tout fait pour qu’on adhère à sa vision. Dès notre naissance, il avait pris soin de déposer un ballon dans notre berceau ( il rit). Personnellement, j’ai le souvenir que des balles de foot traînaient toujours partout à la maison. Par contre, il n’y avait pas moyen de trouver la moindre trace d’une raquette de tennis ou d’une batte de baseball. La seule exception, c’était une planche de surf. Elle était plus que probablement tolérée parce que ni mon frère ni moi n’avions le pied marin. Il ne courait donc pas le moindre risque de nous voir choisir un autre centre d’intérêt.

 » Mon père a fui l’ex-Yougoslavie en cachette, à 14 ans « 

Hormis le football, quelle aura été l’influence du paternel sur vous ?

Mes s£urs, mon frère et moi avons toujours eu une admiration sans borne pour lui. Il est l’exemple même du self-made-man qui est arrivé loin en partant de trois fois rien. Il était à peine teenager lorsqu’il a quitté la Bosnie, sur un coup de tête. En fait, il ne s’entendait pas du tout avec sa belle-mère, la deuxième épouse de son père. Et comme celui-ci avait choisi le parti de sa nouvelle femme, il a décidé de s’en aller. A l’image de bon nombre de gosses, il songeait au fameux rêve américain. Vu son âge et l’époque – l’entame des années ’80-, c’était pour le moins audacieux. Mais il avait une idée en tête et il se faisait fort de la réaliser. Il s’est tout d’abord réfugié dans un camion, puis dans un bateau pour rallier les Etats-Unis. Sur place, il a appris la langue tout en exerçant des tas de métiers avant de s’élever progressivement dans la hiérarchie sociale. Aussi loin que je me rappelle, je l’ai toujours vu bosser dur. Ça marque, inévitablement. C’est par à-coups que j’ai appris son histoire. Car il a bien fallu, un jour, qu’il me dise pourquoi je n’avais pas de grand-père paternel alors que tous mes copains en avaient un. Quand tous les enfants ont été en mesure de comprendre, il a renoué le contact avec son père. J’avais alors 14 ans, soit l’âge auquel il avait lui-même tenté la grande aventure. Toute la petite famille a, dès lors, mis le cap sur le village dont il était originaire, à deux heures de Sarajevo. J’ai pu voir les conditions modestes dans lesquelles il avait vécu. Il n’y avait même pas d’eau courante dans la maison. Pour moi, habitué à un certain luxe américain, c’était un choc. Je suis heureux d’avoir vu ça et d’avoir assisté aussi à la réconciliation entre mon père et sa famille restée au pays. Quelques mois plus tard, mon grand-père mourait.

A 14 ans, où en étiez-vous sur le point footballistique ?

Je jouais dans l’équipe du collège que je fréquentais. On était en 1999 et la Coupe du Monde, organisée sur le sol américain cinq ans plus tôt, avait eu le don de booster l’enthousiasme chez les jeunes. Au départ, j’ai joué des matches interscolaires avant de franchir petit à petit d’autres paliers : l’équipe représentative de Californie, puis la sélection régionale ouest-américaine avant d’aboutir en équipe nationale A. J’avais tout juste 16 ans, et je me retrouvais avec des gars qui comptaient une, voire deux années de plus que moi. C’était bien parti mais j’avais un handicap, malgré tout : ma taille. Je faisais 165 cm et la plupart des mes coéquipiers me dépassaient d’une tête au moins. Steve Samson, qui était en charge de l’effectif, ne m’avait pas vraiment à la bonne. Pour lui, qui ne jurait que par la taille et le volume des quadriceps, j’étais nettement trop petit et trop frêle. Il me fit repasser chez les régionaux et ce fut un véritable coup de massue pour moi. J’étais à ce point découragé que j’ai dégringolé d’un, puis d’un deuxième échelon, pour me retrouver à la case départ dans le team du collège. Sans l’appui de mon père, j’aurais sans doute tout plaqué à cette époque. Si j’ai fini par remonter la pente, je le dois essentiellement à deux facteurs : le remplacement de Samson par Billy Mc Nicoll et mon développement sur le plan physique : en un an, j’avais grandi de 21 centimètres. A 18 ans, j’étais revenu au niveau des A dans ma catégorie.

 » J’ai croisé Biglia lors du Mondial des -20 aux Pays-Bas « 

En 2003 que vous avez quitté votre Californie natale pour rejoindre le New Jersey. Pourquoi cette migration de la côte ouest à la côte est ?

Les universités à Los Angeles, dont Stanford, n’offraient pas vraiment de débouchés d’un point de vue purement footballistique. En revanche, j’avais cette perspective en traversant les Etats-Unis. Au départ, je n’étais pas chaud du tout pour aller là-bas. Je me sentais trop bien en Californie. Mais si je voulais mettre le maximum d’atouts de mon côté, il fallait que je fasse ce bond. Si le foot ne donnait rien, j’étais sûr d’avoir un bon diplôme dans l’orientation que j’avais choisie : le management sportif. Après trois mois, au Seton Hall Pirates, j’étais sûr d’être dans le bon, sportivement du moins. Pour la toute première fois, je me suis fait la réflexion que j’allais faire du football mon métier même si je n’ai pas perdu mes études de vue. Pendant deux ans, du moins. Car après avoir été repris en sélection américaine pour les Championnats du Monde des moins 20 aux Pays-Bas, en 2005, ma décision était prise : j’arrêtais les études pour me consacrer au football exclusivement. En Hollande, j’ai notamment croisé la route de Lucas Biglia. Nous n’étions toutefois pas des adversaires directs dans ce match. Il s’est frotté à mon pote Benny Feilhaber, qui joue actuellement à Aarhus au Danemark. Sa première préoccupation, quand il a appris que j’avais signé à Anderlecht, fut d’ailleurs de me dire que je devais lui remettre son bonjour. Il est vrai que nous avions gagné ce match contre l’Argentine ( il rit). A l’issue de cette compétition, j’ai signé un premier contrat pro avec Orange County Blue Star avant de reprendre début 2006 la direction de Chivas en Californie.

Un retour aux sources qui n’était sans doute pas pour vous déplaire ?

Oui et non. En réalité, j’avais pris beaucoup de plaisir lors des trois années passées dans le New Jersey. A choisir, j’aurais aimé rallier les rangs des New York Red Bull, le club le plus proche de l’endroit. Mais en Major League Soccer, un joueur ne fait hélas pas ce qu’il veut. Chaque année, les nouveaux sont incorporés dans des clubs en vertu d’un système de numérotation défini ( NDLR, le système de draft comme en NBA). Pour respecter un équilibre des forces, le club le moins bien classé a le premier choix, l’avant-dernier le deuxième, etc. En ce qui me concerne, j’avais deux chances sur cinq de bénéficier d’un tirage favorable car il restait alors en lice les New York Red Bulls et Chivas, qui était un tout bon point de chute aussi. C’est l’un des deux grands clubs de Los Angeles, avec le Galaxy. Ce dernier s’est toujours tourné vers les noms ronflants. La preuve avec Ruud Gullit et David Beckham. Chivas, qui a un club-s£ur du même nom à Guadalajara, au Mexique, est le seul de la MLS à être dirigé par des dirigeants mexicains. Ceux-ci font non seulement la part belle aux joueurs de ce pays, comme Rodolfo Espinoza et Mariano Trujillo avec qui j’ai encore joué, mais aussi à d’autres joueurs d’Amérique latine : les Costaricains Dario Delgado et Michael Umana, le Colombien Yamith Cuesta ou le Salvadorien Osael Romero.

 » Les JO de Pékin constituent mon plus beau souvenir « 

On présume qu’il s’agissait d’une équipe à dominante davantage technique que physique ?

Détrompez-vous, car son coach, Bob Bradley, celui-là même qui a dirigé la sélection US lors de la récente Coupe du Monde, est parvenu à faire un mix harmonieux entre les deux approches. C’est un homme à qui je dois beaucoup, même si je regretterai toujours qu’il a fait l’impasse sur moi à l’occasion de la phase finale en Afrique du Sud. J’ai en tout cas été d’emblée titularisé en 2006-07, disputant au total 33 matches sur 34. Quand il a été nommé à la tête de la sélection américaine, j’ai d’ailleurs eu droit au même traitement de faveur. Ce qui m’a valu de disputer la Copa America, puis les matches de qualification pour les Jeux Olympiques. Pékin reste d’ailleurs, à ce jour, mon plus beau souvenir. En Chine, nous avons joué de malchance en étant éliminés au premier tour. Une maigre consolation pour moi, quand même : j’avais été l’un des éléments les plus en vue de l’équipe et mon but contre les Pays-Bas fut même désigné celui de l’année aux Etats-Unis. Ce qui peut compter.

Sur votre bras gauche, vous avez fait tatouer une couronne de lauriers olympiques ainsi que l’inscription somnium. Pourquoi ?

Somnium signifie rêve en latin. Et c’est vrai qu’indépendamment du résultat final, tout s’était déroulé pour moi comme dans un rêve. Non seulement, j’ai eu l’occasion comme mes partenaires de rencontrer George Bush là-bas. Il n’était pas vraiment ma tasse de thé en tant que président, mais c’était quand même un honneur de lui serrer la main. Je me demande franchement dans quelle mesure il n’était pas plus impressionné que nous. Il ne savait pas très bien à quoi il devait s’attendre en matière de résultats car il n’était pas spécialement branché sur le foot. Il se borna dès lors à nous dire que nous devions remporter l’or ( il rit). Indépendamment du numéro 1 du pays, j’ai également eu l’opportunité de croiser ou d’échanger quelques mots avec des monstres sacrés du sport américain ou mondial tels LeBron James, Kobe Bryant -qui assista d’ailleurs à notre rencontre face au Nigeria- ou encore les tennismen Roger Federer et Novak Djokovic. Tout ça on ne me l’enlèvera jamais. Ce qui était fantastique aussi, c’est qu’on avait tous le même âge à peu près, 21 ou 22 ans, ce qui forge une très grande complicité. On avait à peu près tous les mêmes goûts musicaux par exemple. Et en particulier pour le Gangsta Rap comme Doctor Dre ou The Game.

 » Au Celtic, on m’a traité comme un nobody « 

C’est de cette époque que remontent vos premiers contacts avec Anderlecht. Pourtant, c’est au Celtic, en janvier 2009, que vous alliez effectuer votre premier essai en Europe ?

D’après mon manager, l’affaire était même tellement bien avancée que je n’avais plus qu’à signer un contrat chez les Ecossais. Au moment de faire mes valises, j’avais d’ailleurs pris soin d’emporter mon plus beau costume et une cravate ad hoc. Sur place, avant de passer aux actes, j’ai toutefois eu la très désagréable surprise de devoir m’entraîner d’abord pendant une semaine avec l’équipe B. Les dirigeants, je ne les ai vus pour la première fois qu’en toute fin de stage, quand ils m’avisèrent qu’ils allaient réfléchir à mon cas. Il semble qu’ils s’étaient renseignés sur mon transfert auprès de la MLS, qui fixe les prix des joueurs. Comme j’étais encore sous contrat jusqu’à cette année, la barre avait été fixée très haut et les dirigeants décrochèrent. J’étais à la fois déçu par l’attitude des Américains, mais aussi par celle des responsables du Celtic qui n’avaient pas été très chics. Ils m’avaient traité comme un nobody. C’est en définitive l’équipe nationale suédoise qui a fait les frais de ma colère, puisque lors d’un match amical, le 24 janvier 2009, j’ai inscrit un hat-trick. C’était ma revanche. Mais la suite ne fut pas plus rose. Je me suis d’abord blessé à la cheville, puis j’ai perdu ma place en sélection américaine, ce qui devait finalement me coûter mon absence à la Coupe du Monde. Mon problème était d’alterner les bonnes et les moins bonnes perfs. J’étais souvent irréprochable à domicile mais lors des déplacements en Amérique Centrale, par exemple, je passais trop souvent à côté de la plaque. Mais à quelque chose malheur est bon : je me dis que si je m’étais distingué en Afsud, je ne serais sans doute pas à Anderlecht aujourd’hui. Les bonzes de la MLS auraient vraisemblablement gonflé une fois encore mon prix.

En lieu et place du Celtic, c’est Anderlecht qui flaira le bon coup.

Même si le Celtic était revenu à la charge, j’aurais de toute façon privilégié Anderlecht. Quelle différence de classe entre ces deux clubs ! Ici, dès mon arrivée, j’ai été invité à luncher avec le manager Van Holsbeeck et le coach, Ariel Jacobs. Ils m’ont tout de suite fait comprendre qu’ils tenaient à moi et qu’ils me sentaient bien dans leur club. Certains penseront peut-être que le football britannique est plus tentant pour un Américain. Moi je ne m’estime pas spécialement taillé pour ce championnat plutôt qu’un autre. Je me considère quelque peu comme un passe-partout, capable de tirer son épingle du jeu partout, que ce soit aux Iles ou dans des compétitions latines, style Espagne ou Italie.

Par rapport aux autres internationaux américains, qui doivent avoir disputé 75 % des matches de l’équipe nationale sur les deux dernières années s’ils veulent obtenir un contrat de travail en Angleterre, vous avez pourtant un avantage : votre compagne Jamie Lee Darley est anglaise. Si vous l’épousez, vous entrez immédiatement en considération pour un job comme footballeur là-bas ?

Bravo, vous êtes décidément bien renseigné ( il rit). C’est vrai qu’un mariage serait de nature à m’ouvrir ces portes. Mais si j’ai choisi Jamie, ce n’est pas avec l’arrière-pensée qu’elle pourrait booster ma carrière en Premier League. Et je ne vais pas l’épouser demain pour augmenter mes chances. Ceci dit, je suis dans une position avantageuse quand même. Brad Guzan, que j’ai connu comme gardien à Chivas, a effectué un test concluant à Aston Villa avant de se faire refouler parce qu’il n’avait pas le nombre de matches internationaux requis. Je lui ai dit : Si tu me donnes 100.000 dollars, je te cède ma copine, elle pourra sans conteste t’aider ( il s’esclaffe).

Six semaines après votre arrivée au Parc Astrid, quelles sont vos impressions ?

J’adore déjà ce club. It fits me (Anderlecht est fait pour moi). Et je veux lui rendre la pareille, tout simplement.

par bruno govers – photos: reporters/gouverneur

« Quelle différence de classe entre Anderlecht et le Celtic ! »

« Chez les Chivas, le tiers de l’effectif était composé de Latinos. Je sais à quoi m’attendre avec nos Argentins. »

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