Le rêve et la trouille : un droit pour tous !

Montée et descente sont les deux mamelles d’une compétition féconde. Le grand rêve de monter, ou l’atroce hantise de descendre, doivent titiller les 1800 clubs de la pyramide belge, durant la quasi-totalité des championnats. En saison, et sur le seul critère de leurs performances sur le terrain, les meilleurs doivent caresser l’espoir de rejoindre un niveau supérieur, les moins bons endurer la crainte de partir par le bas. A l’échéance, il faut des élus en haut des classements, et des condamnés à l’autre bout : sans ces sucettes et ces menaces, les ventres mous sont trop tôt légion, et c’est feu vert pour les démobs anticipées, la routine, les magouilles…

Alors, quand j’apprends ce projet de scission du foot pro d’avec le foot amateur, je me dis que le pognon va bousiller les mamelles et la pyramide. Quel culot ! Vouloir surprotéger 16 (voire 24) gros gâtés en les enfermant dans un autre monde, de plus en plus préservés des risques de dégringolade. Les isoler dans une compétition pauvre en drames, où le suspense saisonnier se réduira à savoir si ce sont les Mauves qui entuberont les Rouches, ou les Rouches les Blauw en Zwart, ou les Blauw en Zwart les Mauves : trois ou quatre potentats entourés de larbins, dont le petit bonheur sera la quasi-garantie de pouvoir demeurer figurants à vie… Au-delà d’eux, rideau, défense d’entrer, on ferme ! Et pas sur base de critères sportifs, mais via une sélection naturelle administrative : la fameuse licence !

Voir la RUW Ciney taquiner la tête de la D3, puis laisser tout tomber, brider son ambition sportive, NE PLUS JOUER LE JEU au beau milieu du championnat, parce qu’on lui imposerait dès la D2 un budget et des infrastructures qu’elle ne pourrait s’offrir, c’est insupportable. Voir l’Excelsior Virton aux portes du tour final pour disputer l’accès en D1 mais, pour des raisons similaires, ne pas même introduire une demande de licence impossible à honorer, c’est triste à pleurer. Respect pour ces deux clubs, assez lucides pour dire non merci à la spirale de l’endettement, et assez honnêtes pour ne pas (trop) vitupérer sur leurs pouvoirs locaux qui n’ont pas que le foot à satisfaire. Mais haro sur cette URBSFA qui impose pareils budgets et infrastructures ! Qu’elle exige de ses clubs une clarté financière et collabore étroitement avec le fisc, d’accord. Que les clubs assurent avec les flics de leur coin la sécurité des spectateurs qu’ils accueillent, normal ! Mais imposer le chiffre de capacité d’accueil des tribunes, obliger à mettre sous contrat pro tel nombre précis de joueurs et entraîneurs, pas d’accord !

A tout niveau, on doit avoir le droit d’évoluer à l’échelon supérieur sans engager de frais supplémentaires : si vous rejetez cette assertion, ne venez plus me bassiner avec les prétendues valeurs du sport ! Si Ciney veut évoluer en D2 avec le même noyau d’amateurs qu’en D3, si Virton veut risquer la D1 avec un budget réduit et son petit public dans ses petites installations, je ne vois pas en quoi ces clubs sont dangereux. Ils veulent vivre le rêve d’avoir accédé à un niveau hier inespéré, acceptent la perspective d’y être oiseau pour le chat, revendiquent même le droit d’y être hebdomadairement dégommés, quitte à s’en retourner très vite d’où ils viennent, mais avec d’inoubliables souvenirs amassés,… même les dégelées face à trop forts feront de somptueuses annales ! Et surtout, ils s’en retourneront sans dettes de jeu, notamment sans celles d’un stade agrandi à grands frais pour désormais des prunes. En pouvant dire plus tard à leurs petits-enfants : nous avons accueilli les Mauves, les Rouches, les Blauw en Zwart…

On veut nous supprimer ça ! Pour aller vers un foot où les pros le resteront même en jouant comme des nuls, où les amateurs brillants resteront dans leur ghetto. On veut exclure les pauvres, mais les nouveaux riches sont toujours les bienvenus, regardons les choses en face : Seraing United est passé de P1 en D2 sans gravir les échelons, mais en payant les dettes, rachetant le matricule et prenant la place d’un club moribond qui campait à l’autre bout de la Wallonie. C’est triste aussi, c’est aux antipodes de l’épopée de Jules Bocandé et des autres… De plus en plus, le foot ne prête qu’aux riches.

De plus en plus, le foot ne prête qu’aux riches.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire