Le rêve de Vilnius

Bernard Jeunejean

Enfin l’élimination officielle ! Elle fait presque du bien, tant le différé perpétuel mettait nos petits nerfs à bout : depuis nos débuts (foireux) dans ce groupe préliminaire, le match suivant a chaque fois été défini comme celui de la dernière chance, c’était une habitude et elle devenait grotesque. C’est bien simple, c’était devenu tellement systématique que j’en ai encore rêvé la nuit précédant notre match à Vilnius ! Un vrai cauchemar : les journaux avaient de nouveau titré  » Dernière chance !  » à condition de battre les Lituaniens. En effet, nous avions récupéré sur tapis vert les points perdus contre l’Espagne : ce gros ballot de Luis Aragonés avait opéré un quatrième changement en introduisant Emilio Butragueño à la 89′ !

Je sais, c’est aberrant, mais les rêves ont toujours quelque chose de détraqué. En plus, Aimé Anthuenis s’était chopé la grippe aviaire le samedi en cognant El Buitre (le vautour) au sortir de la salle de presse et Jan Peeters avait confié à Philippe Troussier l’opération/commando de Vilnius. Un choix onirique ici plus compréhensible, Troussier étant un spécialiste du court terme ! A la 91′, c’était toujours 0-0 parce que Daniel Van Buyten ne jouait pas (là, le parce que du rêve engendre deux interprétations possibles…) et nous obtenions un penalty pour une agression du gardien lituanien (lequel ressemblait à Bertrand Cantat !) sur Silvio Proto. Je n’ai pas de souvenir précis, faut croire que Silvio était monté sur corner ultime… Depuis la touche, Troussier gueulait alors une longue phrase en flamand à Philippe Léonard pour lui dire de shooter le penalty. Evidemment, Philippe ne comprenait rien. Et Emile Mpenza, moins bilingue que Troussier et jouant au surplus avec ses boules quies, s’avançait pour shooter comme dans le film Shaolin Soccer.

Emile a troué les filets : mais quand je dis Emile, il s’agit de lui-même, après sa frappe, tant il y avait mis du punch et de l’élan. Quant au ballon, il a percuté la transversale lituanienne si fort qu’il a rebondi jusqu’au but adverse, c’est-à-dire le nôtre : lobant ainsi Proto, qui avait regardé le botté depuis l’arc de cercle de son grand rectangle. Battus. Cata. Colère en Belgique. Les supporters fous de rage, à l’instar de ce qui s’était passé au Cameroun après le péno loupé de ce pauvre Pierre Wome, saccageaient la maison de Mpenza. Sauf qu’ils se trompaient de frangin et bousillaient celle de Mbo, quoique je hurlasse  » C’est pas celle d’Emile ! C’est pas celle d’Emile !  » Je me suis réveillé en nage, et en braillant  » Nous sommes éliminés et j’ai la grippe aviaire ! « . J’avais des petites plumes plein la bouche, tant j’avais mordu dans mon oreiller.

Le soir, revenu dans le vrai monde, je n’ai même pas regardé les Diables à Vilnius, j’ai préféré le troisième épisode des Rois Maudits… là, au moins, les protagonistes mettraient TOUT en £uvre pour TOUT balayer sur leur passage ! J’ai vu ensuite le dernier quart d’heure de France-Chypre. Thierry Gilardi, dont les dents souriantes sont si blanches qu’elles font même mal aux yeux quand on ne fait que l’entendre, s’est écrié au coup de sifflet final qualificateur :  » Quel soulagement !  » Et j’ai pensé que, en dépit de nos six qualifications consécutives, là résidait la différence entre les vrais grands et les vrais petits : car nous Belges, qualifiés, nous serions écrié :  » Quelle joie ! « …

« Aimé n’a pas pris de la bonne façon cette bande de vaniteux et de faux culs  » : la phrase vient de Vers l’Avenir, Christian Carette citant là un anonyme  » qui sait de quoi il parle « . C’est une très belle conclusion de l’échec, elle partage les responsabilités entre ceux qui doivent immédiatement les partager, sans trop bassiner sur les causes prétendument profondes que seraient la formation foireuse ou les structures fédérales vieillottes. C’est évidemment le genre de phrase que ne peut pas prononcer notre président fédéral, tenu qu’il est à une langue de bois grande comme une planche de surf.

Jan Peeters, qui disait après le 0-2 meurtrier :  » Personne n’aurait pu faire mieux qu’Anthuenis  » et qui ajoutait à l’issue du match insipide à Vilnius :  » Je n’ai rien à reprocher aux joueurs, mais rien ne réussissait, ce fut un festival de mauvaises passes !  » Hé ? Président ! Qui les fait, les passes ? Et qui choisit ceux qui les font ? Je rêve ou quoi ?

bernard jeunejean

LE PRÉSIDENT FÉDÉRAL EST TENU À PRATIQUER UNE LANGUE DE BOIS GRANDE COMME UNE PLANCHE DE SURF

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire