Le retour qui dérange

Plus que quelques heures à patienter et on revoit le Soulier d’Or sur les terrains de D1.

Canonnier, Heure H. Axel Witsel (20 ans) rejoue ce vendredi en championnat après deux mois de suspension. Tous les spots seront braqués sur Mouscron. Il ne pourra faire que du bien à un Standard malade. La ligne médiane vue le week-end dernier contre Zulte Waregem était aux soins intensifs. Sclessin était à la fois un jardin suspendu (Witsel, Dieumerci Mbokani), un hôpital à ciel ouvert ( Steven Defour, Sinan Bolat, Wilfried Dalmat, Igor de Camargo) et le terrain de jeu d’un Laszlo Bölöni transformé en Bob le Bricoleur. L’entrejeu et l’attaque étaient une soupe aux ingrédients bien amers : changements de position en cours de match ( Mehdi Carcela dans le dos de Gohi Cyriac puis sur le flanc gauche, Cyriac en pointe puis dans l’entrejeu), méformes ( Gregory Dufer, Benjamin Nicaise), blessure en pleine rencontre ( Olivier Dacourt). L’aveu de Mohamed Sarr après le match :  » On a gagné un point « . A domicile contre Zulte Waregem !

Donc, Witsel revient. Un retour qui dérange ?  » Cela voudrait dire que sa sanction, assumée et acceptée, serait inférieure à ce qu’elle aurait dû être ? », questionne Pierre François, le directeur des Rouches.  » Pas d’accord. Il a été frappé par une punition plus lourde que tous les footballeurs suspendus pour des fautes semblables. La jurisprudence montre qu’on prend généralement trois ou quatre matches pour une faute pareille. Witsel en a pris huit et le comité d’appel a bien dit qu’il n’y avait rien d’intentionnel dans son geste : il est temps que son retour se fasse !  »

Où en est Witsel et que peut-il apporter au Standard ? Enquête.

Qu’a-t-il montré depuis Anderlecht ?

Pour sa faute sur Marcin Wasilewski, Witsel n’a été suspendu qu’en championnat. Il a donc pu jouer : 80 % des rencontres avec les -21 du Standard, trois matches presque complets en Ligue des Champions et deux matches entiers en Espoirs (contre l’Ukraine et la France).

 » J’ai vu tous ses matches en -21 « , dit Dominique D’Onofrio, le directeur sportif liégeois.  » Cela lui a fait du bien de rester dans un concept de compétition, même si ce n’est qu’un niveau U21. Il a été très pro, il n’a pas arrêté de conseiller les jeunes, il en a profité pour se refaire une petite santé morale. Le match à l’Olympiacos a confirmé qu’il était revenu à un très bon niveau, notamment grâce à ses apparitions avec les jeunes.  »

Jean-François de Sart a convoqué en Espoirs un Witsel qui était suspendu en championnat par la Fédération qui l’emploie et en équipe nationale A par la FIFA (suite à sa carte rouge en Bosnie). Sans scrupules.  » Le comité sportif et la commission technique sont deux organes distincts. A partir du moment où il était autorisé à jouer en Espoirs, je ne voyais pas de raisons de m’en priver. Il a d’abord fallu que je voie s’il avait envie de nous renforcer : il m’a directement expliqué que ça l’intéressait. Il avait touché le fond, les matches de -21 avec le Standard étaient d’un niveau trop faible pour lui et il avait besoin de rebondir. Les Espoirs pouvaient l’y aider. Il a joué deux bonnes rencontres de bon niveau, surtout contre la France qui est le top. C’était une opération win win. Pour les Espoirs, c’était tout bon de pouvoir compter sur un Soulier d’Or. Pour lui aussi, c’était une bonne opportunité sur la route de son retour. On n’a pas vu le meilleur Witsel mais il a été très performant quand même. C’est le cas typique d’un joueur qui a besoin d’un maximum de temps de jeu. C’était frappant contre Arsenal et l’AZ : il était meilleur en fin de match qu’au début.  »

Où en est-il physiquement ?

Selon Guy Namurois, le préparateur physique des Rouches, Witsel est au top.

 » Sa suspension nous a permis de réaliser un travail spécifique, individualisé. Avec des séances basées sur la puissance et la vitesse, par exemple. Ce sont des exercices exigeants qu’il est difficile et même dangereux de programmer quand les matches s’enchaînent. Le faire deux jours avant ou deux jours après une rencontre comporte des risques. La saison dernière, Witsel n’a jamais pu travailler ces aspects-là. Il n’a que 20 ans et donc, il est encore en pleine phase de formation. Il est toujours à un âge où il y a de gros risques si on néglige des entraînements précis pour privilégier les matches. Même chose pour Eliaquim Mangala. On le voit chaque semaine dans l’équipe et on commence à trouver ça normal, mais attention : ce gamin vient à peine de terminer ses humanités ! On a beau penser et dire que c’est une bête et qu’il a une endurance exceptionnelle, mais il a la musculature d’une personne de 18 ans, pas celle d’un homme de 24 ans. Pour moi, c’est encore un junior. Idem pour Romelu Lukaku. Il faut le préserver. Si on commence à raisonner à la petite semaine avec des joueurs pareils, à se dire qu’on a besoin d’eux le samedi suivant, puis encore le mercredi d’après, on les envoie dans le mur. Dans beaucoup de clubs, on les laisserait travailler sagement leurs fondamentaux, comme le renforcement musculaire. Ils sont capables de multiplier les matches, mais si on ne les épargne pas de temps en temps pour faire un travail spécifique avec eux, ils le paieront un jour ou l’autre. Ils se grilleront et leur carrière sera raccourcie. Il faut compter 24 ans pour que le développement moteur d’un sportif soit terminé. Celui qui se lance dans le jogging à 25 ou 30 ans progressera, mais il ne rattrapera jamais ce qu’il a raté plus tôt. Est-ce que les clubs y pensent ? Est-ce qu’ils ont le temps d’y penser ?

Witsel ressent maintenant les effets du boulot que nous avons fait depuis deux mois. Après le match à l’Olympiacos, il m’a dit qu’il se sentait en super forme. Il manquait un peu de rythme sur la fin mais il n’y a pas grand-chose à redire sur son état physique. Il est déjà prêt pour disputer deux matches par semaine. Il est même plus frais que la plupart de ses coéquipiers. « 

Comment est-il dans la tête ?

 » Witsel a eu de gros moments de découragement « , reconnaît son agent, Jorge Vidal.  » Le plus dur, ce fut sa comparution à l’Union belge, avec des supporters d’Anderlecht qui l’ont insulté et traité d’assassin sur le parking. Comme s’il était pire qu’un pédophile. Tu prends un flingue et tu tues quelqu’un, c’est volontaire. Mais Witsel a simplement été impliqué dans une phase de jeu qui a mal tourné. Il a aussi beaucoup souffert chaque fois qu’il voyait que le Standard ne tournait pas. Il n’avait pas un vrai sentiment de culpabilité car il avait l’impression d’être lui-même une victime de cette histoire, mais il voyait la réalité : l’équipe ne décollait pas. Tous les matches qu’il a pu disputer l’ont aidé. On aurait pu l’appeler pour jouer n’importe quoi, il y serait allé à pied, le gamin ! Aujourd’hui, il veut tourner la page et il se dit par exemple qu’il a été à son tour victime de la malédiction du Soulier d’Or, comme Sergio Conceiçao et Defour. Il va beaucoup mieux, il est bien dans sa tête et il sera au top mentalement quand Wasilewski aura retrouvé son meilleur niveau.  »

Le Standard n’a pas voulu d’un professionnel du mental pour aider son joueur.  » Aucun psychologue n’a rôdé dans les couloirs de Sclessin « , dit Pierre François.  » La présence d’un psy aurait pu le perturber encore plus quand il était complètement dans le trou « , confirme Dominique D’Onofrio.  » J’ai énormément parlé avec lui, ainsi que mon frère Lucien et Pierre François : c’était suffisant.  » En Espoirs, Jean-François de Sart n’a pas côtoyé un Witsel tourmenté :  » Il ne parlait pas beaucoup mais ce n’est pas son style. Il ne s’est jamais beaucoup extériorisé. En tout cas, il faut être costaud pour supporter tout ça. On oublie qu’il n’a que 20 ans.  »

Va-t-il adoucir son jeu ?

 » La plus grosse sanction sportive de la suspension de Witsel, on l’a prise contre Arsenal « , lance Pierre François.  » Un Witsel qui n’a pas connu les incidents d’Anderlecht ne laisse jamais filer son adversaire à la 44e minute. Tout était encore trop frais à ce moment-là. Entre-temps, il a réappris à mettre le pied. « 

Jean-François de Sart a constaté le même phénomène :  » Il se retient encore, c’est normal. Comme le joueur blessé qui revient et a peur d’une nouvelle blessure grave. Dans les phases de début de match où tout est réfléchi, il avait tendance à se retenir un peu. S’il avait le choix entre deux solutions, il retirait le pied plutôt que d’aller au contact. Mais dès que le match gagnait en intensité, cette peur disparaissait. Le temps arrangera les choses. « 

Vidal prédit :  » Il mettra encore le pied, mais sans doute plus de la même façon. « 

Comment sera-t-il accueilli ?

La direction d’Anderlecht a drillé ses suiveurs ! L’ASA (Anderlecht Supporters Association, qui regroupe près de 65 clubs de supporters) a reçu un appel au calme.  » Le club nous a demandé de rester positifs face à l’affaire Witsel « , explique un de ses responsables, Jean-Jacques André.  » Le Sporting nous a par exemple prié de ne pas accepter une invitation pour aller à une émission de télé, Controverse, où l’incident Witsel-Wasilewski devait être évoqué. Le message de la direction est : prouvez votre sportivité, ne tombez pas dans le piège de la revanche. La victime paie beaucoup plus cher que le coupable, mais c’est souvent comme ça. Nous l’acceptons et nous sommes prêts à ne pas provoquer de débordements lors du prochain match contre le Standard. Je pense que tous nos supporters respecteront la consigne, je ne crois pas que ce sera la guerre.  »

Benoît Roul, dirigeant de Mouscron, a averti le Standard qu’une action fair-play serait lancée ce vendredi. Pas directement liée à l’affaire Witsel, mais bienvenue !  » C’est bien que Mouscron montre l’exemple « , affirme Pierre François.  » Ce serait inadéquat que le public s’en prenne à un joueur qui était considéré comme le plus élégant de D1 mais qui, malheureusement, a entre-temps été assimilé à un tueur.  »

Witsel ne sait pas à quoi il doit s’attendre. Après le match à Anderlecht, la première fois qu’il est retourné dans le centre de Liège, un gamin l’a traité d’assassin. Il a déclaré qu’en cas de provocation, il essaierait de s’inspirer de Defour, systématiquement conspué dès qu’il remet un pied à Genk mais qui reste toujours très zen.  » S’il devait rejouer demain à Anderlecht, il serait prêt « , dit Jorge Vidal.  » Mais évidemment, il sait que ça va être chaud dans certains stades. « 

Dominique D’Onofrio :  » Il doit aussi s’inspirer de Conceiçao, qui avait joué à Charleroi avant le début de sa longue suspension pour avoir jeté son maillot à la tête d’un arbitre. Il avait été conspué mais il était resté anormalement calme. Il y aura des réactions, c’est sûr. Le moment est peut-être venu pour la Fédération d’entrer dans la danse, de faire passer un message de fair-play. « 

Il en est question : un dirigeant de Westerlo qui a des fonctions à l’UB envisage de mettre une campagne sur pied afin qu’il n’y ait pas d’incidents dans les tribunes.

Est-il toujours visé par le sponsor des Rouches ?

Au lendemain du match à Anderlecht, BASE, sponsor principal du Standard, a publié un communiqué dans lequel cet opérateur prenait ses distances avec l’incident. A tête reposée, l’avis de Bart Vandesompele, responsable communication.

 » C’était une réaction émotionnelle qu’il faut remettre dans son contexte. Avant de devenir sponsor maillot de l’équipe Première, nous avons soutenu les jeunes du Standard pendant cinq ans. Witsel est devenu notre symbole : un Belge qui sortait de l’Académie et avait débuté très tôt en équipe A. Mais nous n’avons jamais attaqué l’homme. Nous n’avons pas commis un  » meurtre caractériel  » comme son équipementier l’a fait en résiliant son contrat sous prétexte que Witsel avait changé, qu’il avait laissé tomber sa petite amie, qu’il était en retard aux rendez-vous, etc. Nous avons simplement rappelé que le respect et la sportivité étaient deux valeurs clés pour nous. Aujourd’hui, la page est tournée. Witsel a purgé sa peine. « 

Doit-il quitter la Belgique au plus vite ?

Vidal :  » Je ne crois pas que les arbitres vont penser aux incidents d’Anderlecht quand ils reverront Witsel sur un terrain. Des fautes pareilles, il y en a énormément. Mais avec des conséquences moins graves. Il est sous contrat jusqu’en 2013 et il faudrait une offre exceptionnelle pour qu’il parte bientôt. En tout cas, sa valeur n’a pas diminué suite à l’affaire Wasilewski. Elle pourrait même augmenter très vite ! Regardez en Angleterre. Là-bas, quand un footballeur revient au top après une suspension, on dit : -P–, le gamin a su surmonter un truc pareil. Et ça le rend encore plus cher sur le marché.  »

Dominique D’Onofrio n’envisage pas non plus une fixation des arbitres et un départ dans l’immédiat :  » Tout va très vite s’estomper. « 

Est-il perturbé par l’attaque de Wasyl devant la justice ?

 » Il est d’abord perturbé par le fait de ne pas encore avoir pu rencontrer Wasilewski « , signale Pierre François. Le Polonais a dit qu’il attaquerait Witsel en justice mais aucune action n’a encore été introduite. François :  » J’espère qu’on en restera au stade de la déclaration, qu’on ne passera pas à l’acte. J’y crois, d’autant plus que la rééducation de Wasilewski semble très bien se passer. J’ai des échos via la presse et je n’entends pas d’aussi bonnes nouvelles à propos de la guérison de Defour ! On ne parle plus de fin de carrière pour Wasilewski. L’action en justice, nous la craignons. Pour le message que ça ferait passer. Pas tellement en ce qui concerne le jugement : le comité d’appel de l’Union belge a jugé qu’il n’y avait rien d’intentionnel dans le geste de Witsel, ce n’est pas parole d’évangile mais c’est quand même important. « 

Dans l’entourage du joueur, on revient sur la phase avec une analyse très tranchée :  » S’il ne met pas le pied, les conséquences sont peut-être les mêmes mais c’est lui qui se retrouve à l’hôpital.  » Décodage : Witsel aurait préféré être le boucher que le veau !

Que disent les Mauves de son retour ?

Si tout le vestiaire du Standard décompte les jours pour le retour de Witsel, ça ne semble pas être le cas du tout à Anderlecht.  » Vraiment, nous avons d’autres choses en tête « , dit Thomas Chatelle.  » Nos priorités, ce sont notre calendrier et la rééducation de Wasyl, que nous voyons chaque jour au stade. Pour nous, c’est bien plus important que l’état de la suspension de Witsel. Il ne fait pas la une dans notre vestiaire, il n’est pas notre sujet de conversation favori. Dès que je le reverrai à la télé, j’essayerai de tourner la page. Mais bon, je ne sais pas si tout le monde sera capable de le faire chez nous.  »

Witsel revient-il trop tôt, par rapport à la faute commise ? Chatelle :  » Le problème est qu’il n’y a pas de règles qui dit : autant de matches pour un tacle violent, autant pour un coup de coude, autant pour un crachat. Mais par rapport aux dégâts qu’il a commis, c’est clair, il reprend trop tôt. Il joue à nouveau en championnat deux mois après les incidents alors que Wasyl ne reviendra au mieux que la saison prochaine. Enfin bon, il y en a d’autres qui s’en sont encore mieux tirés ! Quand Stephen Laybutt m’a explosé le péroné et les ligaments de la cheville, l’arbitre n’a pas sifflé de faute, il n’y a donc pas eu de carton et pas de suspension. Et beaucoup moins de bruit dans les médias ! Tout cela parce que c’était seulement un match entre Genk et Gand.  »

Pourquoi a-t-il fui les médias ?

Même s’il a accepté de répondre à Stéphane Pauwels (voir page 98), depuis l’affaire Wasyl, Axel Witsel refuse d’accorder des interviews. Un choix soutenu par le Standard. Dominique D’Onofrio :  » Ses déclarations pourraient lui faire plus de tort que de bien.  » Il n’a fait qu’une exception, il y a deux semaines, quand il s’est confié en exclusivité à La Meuse et à Standard Magazine. Il y a expliqué que les événements d’Anderlecht, sa suspension et tout ce qui a suivi allaient peut-être lui faire gagner cinq ans de maturité. Que tout cela lui avait appris énormément de choses. Autre confidence, purement privée :  » Certains ont tout fait pour salir mon image. Que n’a-t-on pas dit et écrit ? Que la fin de me relation avec Maud m’avait rendu plus vulnérable et que cette instabilité pouvait expliquer la faute commise sur Wasilewski. C’est n’importe quoi ! Combien de jeunes de 20 ans ne se séparent-ils pas ? On a aussi évoqué une prétendue relation avec une Miss… Tout cela n’a rien à voir. On a tout mélangé.  »

Il affirme aussi qu’il a appris à ne plus avoir confiance en personne.  » Je sais désormais qu’on peut te démolir aussi vite qu’on t’a construit. Je suis passé, en une fraction de seconde, d’ange à démon. Via un sondage, j’ai été considéré, en Flandre, comme la personnalité belge la plus détestée, devant… Kim De Gelder, l’auteur d’une tuerie dans une crèche de Termonde. Comment a-t-on pu relayer, et donc cautionner, de telles conneries dans la presse ? »

Son père, Thierry, s’est mis sur la même ligne :  » Je ne m’exprimerai plus aussi longtemps qu’Axel ne le fera pas. On l’a trop sali. On lui a fait subir des choses que peu de jeunes de 20 ans doivent endurer. C’est pour cela qu’il ne veut pas donner d’interviews et ça risque de durer encore un bon moment. « 

par pierre danvoye – photos: belga

L’affaire Wasyl pourrait augmentersa valeur marchande ! (Jorge Vidal, l’agent de Witsel)

Je suis passé d’ange à démon. En Flandre, j’ai été la personnalité belge la plus détestée, devant… Kim De Gelder. (Axel Witsel)

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